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05/06/2013 | LUXEMBOURG | N°31466

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juin 2013, 31466


Tribunal administratif Numéro 31466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 septembre 2012 3e chambre Audience publique du 5 juin 2013 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 31466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2012 par Maître Nathalie

Nimesgern, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a...

Tribunal administratif Numéro 31466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 septembre 2012 3e chambre Audience publique du 5 juin 2013 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 31466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2012 par Maître Nathalie Nimesgern, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kirghizstan) et de son épouse, Madame …, née le … à … (Kirghizstan), tous les deux de nationalité lezguienne et de citoyenneté kirghize, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 16 août 2012 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 avril 2013.

Le 5 mars 2003, Madame …, accompagnée de son fils mineur …, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice, une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Cette demande fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre de la Justice du 12 août 2003.

Le 28 janvier 2011, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après dénommés « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … et de Madame … auprès d’un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, furent actées dans un rapport daté du 28 janvier 2011.

Monsieur … fut entendu les 19 janvier, 28 février, 22 mars et 4 mai 2012 et Madame … fut entendue les 6 octobre 2011, 19 janvier et 1er mars 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

A cette occasion, ils firent état de l’appartenance de Monsieur … au parti AR-NAMIS, qui aurait été interdit en 2003 au Kirghizstan, et depuis 2009 au parti AK-JOL, parti de l’ancien président …. Monsieur … expliqua qu’il se sentirait discriminé par les autorités en raison de son appartenance à la population caucasienne. Il relata que le 7 avril 2010, il y aurait eu un coup d’Etat émanant des nationalistes. Dans ce contexte, des personnes inconnues auraient fait irruption chez lui et l’auraient battu parce qu’il serait membre du parti AK-JOL et parce qu’il ne serait pas d’origine kirghize. Suite à cette agression, il aurait été hospitalisé et ensuite soigné au domicile de sa belle-sœur. Il soutint que sa maison aurait été saccagée et que même le stock de médicaments de sa société aurait été volé. Un ami qui serait juge d’instruction, lui aurait conseillé de ne pas porter plainte et de partir. Par la suite, il aurait été convoqué deux fois à la « brigade fiscale » où des policiers lui auraient adressé des cris et l’auraient menacé de prison. Il releva qu’en juin 2010, il y aurait eu des émeutes à Och et qu’en janvier 2011, il aurait finalement décidé de quitter son pays d’origine puisque le conflit entre la population caucasienne et les Kirghizes ne s’arrangerait pas. Il mentionna encore des contrôles de police à …, sa crainte d’être emprisonné, voire même d’être assassiné par des nationalistes, ainsi que le fait que des personnes d’ethnie kirghize se seraient installées dans son ancienne maison à ….

Madame … affirma qu’elle aurait dû divorcer de son mari en raison de menaces perpétrées à l’égard de celui-ci par des personnes inconnues. Elle serait retournée dans son pays d’origine après avoir déposé en 2003 une demande en obtention du statut de réfugié au Luxembourg. Elle confirma en substance les dires de son mari, tout en précisant qu’elle aurait également été frappée lorsqu’elle aurait tenté de protéger son mari au moment de l’irruption dans leur maison de personnes inconnues d’origine kirghize en avril 2010. Elle ajouta encore qu’en tant que Lezguienne, elle serait mal vue lorsqu’elle ferait des courses au marché.

Par décision du 16 août 2012, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le 22 août 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … de ce que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée et leur ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Le ministre nota de prime abord que lors de sa première demande d’asile, Madame … aurait fait état de problèmes de racket. Il retint ensuite que les faits dont les consorts … font état ne pourraient, à eux seuls, établir dans leur chef une crainte fondée d’être persécutés dans leur pays d’origine au sens de la Convention de Genève, ainsi que des articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006. Il constata que les événements de 2003 seraient trop anciens pour être pris en considération et concernant les problèmes rencontrés par les consorts … en 2010, le ministre précisa que des personnes inconnues non autrement identifiées ne pourraient être assimilées à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. En outre, le fait d’avoir fait l’objet d’un contrôle fiscal ne saurait être assimilé à une persécution. Le ministre releva également qu’il n’y aurait pas eu de représailles contre des membres du parti AK-JOL, qui ferait du reste partie de la nouvelle coalition. Il estima que les coups infligés par des personnes inconnues à Madame … en avril 2010 seraient à considérer comme un événement isolé ne suffisant pas à l’octroi du statut de réfugié, tout comme le fait de se sentir discriminés en raison de leur appartenance à l’ethnie lezguienne serait insuffisant à cet égard. Le ministre conclut finalement que les consorts … ne feraient pas état de motifs sérieux et avérés de croire qu’ils risquent de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2012, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 16 août 2012, par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à leur égard l’ordre de quitter le territoire.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce.

Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, déclarant être de nationalité lezguienne et de citoyenneté kirghize, soutiennent que le demandeur poursuivrait une activité politique active.

Ainsi, il serait depuis 2000 membre du parti de l’opposition AR-NAMIS pour lequel il aurait organisé des manifestations et qu’il aurait financé par la création d’une société de construction.

Ils exposent que le parti AR-NAMIS aurait été interdit, que son dirigeant aurait été arrêté et emprisonné et que le demandeur, ainsi que deux fondateurs dudit parti auraient été inquiétés par le gouvernement, ces derniers s’étant réfugiés en Russie. Ils expliquent que le demandeur aurait subi des agressions physiques à cette époque, de sorte, qu’en raison de cette situation dangereuse, la demanderesse aurait déposée une demande d’asile en 2003 au Luxembourg, tandis que le demandeur se serait réfugié dans la ville de … où il aurait été facile de se cacher. Ils déclarent que jusqu’en 2010, le demandeur n’aurait plus été inquiété et que son épouse serait retournée au Kirghizstan au cours de l’année 2007.

Les demandeurs indiquent ensuite que le demandeur se serait engagé dans le parti politique AK JOL et que sa firme aurait contribué mensuellement au financement de ce parti, qui aurait remporté les élections parlementaires de 2007 avec un taux de 70% à 75% des sièges au parlement. Le 7 avril 2010, il y aurait eu un coup d’Etat, les nationalistes auraient pris le pouvoir, la ville de … aurait été détruite quasi entièrement et de nombreuses personnes auraient été tuées.

Ils relatent que le 19 avril 2010, une dizaine d’hommes seraient entrés de force dans leur maison, les auraient agressés tous les deux physiquement pour les jeter finalement dehors. Ils font valoir que le demandeur souffrirait toujours des séquelles de cette agression, malgré le fait qu’un voisin les aurait à l’époque aidés pour le transférer aux services d’urgence à l’hôpital et les soins qu’il aurait encore reçus pendant plusieurs semaines par sa belle-sœur.

Ils donnent à considérer que lors d’un retour à son domicile, le demandeur aurait dû constater que sa maison aurait été saccagée et que tous les documents, ainsi que le stock de médicaments de sa firme auraient disparu. A un retour ultérieur à son domicile, des Kirghizes, ayant pris possession des lieux, aurait menacé le demandeur de mort s’il revenait.

Les demandeurs exposent ensuite que le demandeur aurait été convoqué par les autorités fiscales qui l’auraient interrogé sur le financement du parti politique, sur l’ensemble des documents relatifs à sa firme et sur le sort du stock de médicaments. Ayant été dans l’impossibilité matérielle de remettre les documents disparus lors du pillage de sa maison, la firme du demandeur aurait été fermée.

Ils invoquent encore que depuis le coup d’Etat en avril 2010, ils observeraient une poussée du nationalisme dans leur pays d’origine et que les minorités ne seraient plus représentées au Parlement. En raison de leur origine lezguienne, ils auraient plusieurs fois été menacés dans la rue.

En ce qui concerne la situation générale au Kirghizstan, les demandeurs mentionnent les coups d’Etat ayant eu lieu en 2005 et en 2010, ainsi que les affrontements de juin 2010. Ils dressent un bref historique des événements politiques depuis 2005 en soulignant la montée en puissance du nationalisme.

Ils soutiennent que leurs agresseurs seraient à considérer comme des agents de persécution qui n’agiraient non seulement en vue de les faire fuir de leur pays d’origine, mais procéderaient également à la spoliation de leurs biens.

Quant au contrôle fiscal du demandeur, ils déclarent que l’appareil étatique s’emparerait de l’ensemble de la comptabilité et du stock de marchandises de son entreprise pour lui réclamer ensuite les documents relatifs à cette entreprise. Il se serait expliqué plusieurs fois devant l’administration fiscale qui l’aurait mis sous pression psychologique et lui aurait fait admettre des irrégularités qu’il n’aurait pas commises, de sorte que ces agissements seraient à considérer comme persécution au sens de la Convention de Genève.

Ils font encore valoir que tous les anciens opposants au pouvoir auraient fui le Kirghizstan, respectivement auraient été spoliés, arrêtés et placés en prison.

Concernant leur origine lezguienne, les demandeurs expliquent que les membres de la minorité lezguienne seraient essentiellement établis dans le Sud du Daghestan et le Nord de l’Azerbaïdjan et ne représenteraient que 0,1% de la population kirghize.

Enfin, ils affirment que les documents qu’ils ont remis aux autorités ministérielles prouveraient les faits dont ils font état, à savoir la révolution d’avril 2010, les massacres perpétrés à Och, ainsi que les poursuites et les représailles visant les partisans du président déchu ….

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection peut être accordé par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci.

(2) Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption simple que les persécutions antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne les événements de 2003 dont les demandeurs font état et qu’ils rattachent à l’appartenance du demandeur au parti AR-NAMIS, ceux-ci rentrent a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève et sont à considérer comme suffisamment graves dans le contexte de l’époque pour être qualifiés de persécutions. Or, étant donné que le demandeur n’est plus membre du parti AR-NAMIS à l’heure actuelle et que la situation générale au Kirghizstan a évolué, il y a de bonnes raisons de croire que, dans le contexte actuel du Kirghizstan, le demandeur ne rencontrera plus les mêmes problèmes que dans le passé en raison de sa qualité de membre du parti AR-NAMIS, de sorte que la présomption de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 a été renversée et que les incidents vécues en 2003 ne permettent pas de justifier qu’à l’heure actuelle, les demandeurs puissent éprouver une crainte d’être persécutés en cas de retour dans leur pays d’origine. Ce constat est encore corroboré par la circonstance que le demandeur a indiqué lui-même lors de son audition ne plus avoir fait l’objet de menaces jusqu’en 2010.1 1 Cf. rapport d’audition du demandeur des 19 janvier, 28 février, 22 mars et 4 mai 2012, p.13 Quant aux agressions physiques perpétrées à l’égard des demandeurs le 19 avril 2010 par des personnes inconnues ayant fait irruption dans leur maison et au fait que par la suite leur maison a été saccagée, que notamment le stock de médicaments de l’entreprise du demandeur a été volé, et que leur maison a été occupée par d’autres habitants après le départ des demandeurs chez la sœur de la demanderesse, s’il est vrai que les demandeurs expliquent ces événements par l’appartenance du demandeur au parti AK-JOL, force est au tribunal de constater qu’il s’agit d’événements ayant eu lieu dans le contexte tout à fait spécifique du coup d’Etat du 7 avril 2010, de sorte que le tribunal est amené à retenir qu’à défaut par les demandeurs de fournir davantage d’explications, il n’est pas établi qu’ils aient été personnellement visés par ces agissements et qu’à défaut d’autres éléments plus concrets, ces événements ne sont pas à qualifier d’actes de persécutions dirigés spécifiquement contre les demandeurs et ils ne sont pas susceptibles de justifier une crainte de subir les mêmes faits dans les mêmes conditions en cas de retour dans leur pays d’origine. Ce constat est encore corroboré par la réponse négative du demandeur à la question de l’argent en charge de l’entretien formulée comme suit : « Donc à part la fois où vous avez été agressé et où votre maison a été brûlée, vous n’avez pas eu de problèmes par rapport à votre activité politique ? »2.

Quant aux difficultés rencontrées par le demandeur dans le cadre d’un contrôle fiscal de son entreprise, il s’agit d’un problème d’ordre administratif qui ne peut de ce fait pas être rattaché à l'un des critères de persécution prévus à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 ou par la Convention de Genève, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social. En effet, s’il est vrai que les demandeurs qualifient dans la requête introductive d’instance ledit contrôle fiscal comme un acte de persécution orchestré par l’appareil étatique, il échet de relever que le demandeur a indiqué lors de son audition que « le business pharmacologique est très lucratif » et qu’il ne s’est pas présenté toutes les fois qu’il a été convoqué par la « police fiscale ».3 A défaut d’autres explications, le tribunal est amené à retenir que le contrôle effectué est à voir dans le contexte d’un contrôle fiscal motivé par la considération que la société du demandeur génère d’importants bénéfices et que le comportement sévère de l’administration fiscale s’explique davantage par la circonstance que le demandeur n’a pas donné suite à toutes les convocations lui adressées plutôt que par le fait qu’il s’agisse d’une persécution étatique orchestrée et motivée par des raisons politiques, de sorte qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments du dossier que les agissements de agents de l’administration fiscale soient motivés par un des motifs de fond de la Convention de Genève.

Quant aux problèmes soulevés par les demandeurs en raison de leur appartenance à l’ethnie lezguienne, il ressort du rapport d’audition de la demanderesse que depuis son retour au Kirghizstan en 2007, elle a été discriminée en raison de son origine lezguienne à deux reprises et ce en faisant des courses au marché. Une fois, on aurait essayé de lui vendre des pommes de terre pourries et l’autre fois, la vendeuse n’aurait pas voulu lui vendre autant de tissu qu’elle le désirait.4 Le demandeur a encore déclaré lors de son audition que les difficultés rencontrées en raison de leur origine ethnique se traduisent par la circonstance qu’il « n’est pas possible de se promener tranquillement en ville à … », tout en indiquant : « Moi, je suis un homme, je peux 2 Cf. rapport d’audition du demandeur des 19 janvier, 28 février, 22 mars et 4 mai 2012, p.17 3 Cf. rapport d’audition du demandeur des 19 janvier, 28 février, 22 mars et 4 mai 2012, p.17 4 Cf. rapport d’audition de la demanderesse des 6 octobre 2011, 19 janvier et 1er mars 2012, p.15 supporter tout cela »5. Compte tenu de ces affirmations, le tribunal est amené à retenir que les problèmes des demandeurs liés à leur origine ethnique ne présentent pas le caractère de gravité requis au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 et ne sont partant pas à qualifier d’acte de persécution.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 e), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur 5 Cf. rapport d’audition du demandeur des 19 janvier, 28 février, 22 mars et 4 mai 2012, p.17 l’évaluation, au regard des faits qu’il avance, du risque réel de subir des atteintes graves que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est au tribunal de constater que les demandeurs basent essentiellement leur recours sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne les événements vécus par les demandeurs en 2003 et à ceux survenus dans le contexte particulier du coup d’Etat d’avril 2010 qu’ils rattachent à l’activité politique du demandeur, force est au tribunal de constater, sur base des mêmes considérations que celles développées ci-dessus, que ces derniers ne permettent pas de justifier qu’à l’heure actuelle, les demandeurs puissent éprouver une crainte de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour au Kirghizstan.

Quant aux problèmes soulevés par les demandeurs liés à leur origine ethnique, force est au tribunal de constater, sur base des mêmes considérations que celles développées ci-dessus, que ces problèmes dont les demandeurs font état ne sont également pas de nature à atteindre le seuil de gravité requis pour pouvoir être qualifié d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Quant aux difficultés rencontrées dans le cadre d’un contrôle fiscal décrites ci-dessus, dont font état les demandeurs, le tribunal ne dispose pas d’éléments permettant de retenir qu’au regard de ces faits il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité et plus particulièrement la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Il s’ensuit, et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Partant, le recours en réformation est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 16 août 2012 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire sans formuler un quelconque moyen à l’appui de leur demande.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. o) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire.

L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont à aucun moment fait état d’une crainte justifiée d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à leur encontre.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 16 août 2012 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais ;

Ainsi jugé par :

Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 5 juin 2013 par le premier juge, en présence du greffier assumé Claudine Meili Claudine Meili Annick Braun 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 31466
Date de la décision : 05/06/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-06-05;31466 ?

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