Tribunal administratif N° 31503 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 octobre 2012 3e chambre Audience publique du 22 mai 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre un bulletin d’appel en garantie en matière d’appel en garantie
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 31503 du rôle et déposée le 5 octobre 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandra Giacometti, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation d’un bulletin d’appel en garantie émis le 30 novembre 2011, ainsi que contre une décision implicite de refus du directeur des Contributions directes, ainsi qualifiée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2013 par Maître Sandra Giacometti au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sandra Giacometti et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mars 2013.
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Le 30 novembre 2011, le bureau d’imposition RTS Esch-sur-Alzette de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur … un bulletin d’appel en garantie (Haftungsbescheid) en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », en sa qualité de gérant administratif de la société …, ledit bulletin déclarant Monsieur … codébiteur solidaire d’un montant total … € en principal et intérêts au titre de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2007 et 2008 incombant à la société …, ci-après désigné par « la société ». Ledit bulletin est libellé comme suit :
« […] Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … immatriculée sous le numéro fiscal …, à titre de l'impôt sur les traitements et salaires :
Année 2007 … principal … intérêts Année 2008 … principal … intérêts Total … … Il résulte de la publication au Mémorial C numéro … du 18.09.2006 que vous avez été nommé gérant administratif de la société … à l'assemblée générale du 06.06.2006. En cette qualité vous avez disposé du pouvoir d'engager l'entreprise sous votre signature à partir de cette date.
En votre qualité de gérant administratif vous avez été en charge de la gestion journalière pour les années 2007 et 2008. Durant cette période, l'impôt sur les traitements et salaires d'une somme de … € est resté en souffrance.
En vertu de l'article 136 alinéa 4 de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu de retenir et de verser l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel. Dans le cas d'une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au § 103 AO.
Aux termes du § 103 AO vous étiez, en tant que gérant administratif, personnellement tenu, à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société, dont notamment le paiement des impôts dus par la société à l'aide des fonds administrés.
Conformément au § 106 AO, il vous incombait de prélever sur les fonds administrés les fonds nécessaires pour acquitter les impôts nés avant la disparition de la société … et d'assurer leur paiement.
Durant la période du 01.01.2007 au 15.03.2008, il vous appartenait de retenir, de déclarer et de payer la retenue; or durant cette période, la retenue d'impôt dû sur les traitements et les salaires n'a pas été payée.
Cette omission de payer les sommes dues à titre de retenue d'impôt est une inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société …. (CA du 6 mai 2003 no …) Suite à votre comportement fautif le receveur de l'Administration des contributions directes n'a pas perçu les retenues d'impôt d'un montant de … € qui se compose comme suit :
Année 2007 … principal … intérêts Année 2008 … principal … intérêts Il y a lieu de relever qu'en vertu du § 110 AO, votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l'extinction de votre pouvoir de représentation.
Sur base des éléments qui précèdent, votre responsabilité personnelle se trouve engagée en application du § 109 AO et vous êtes co-débiteur solidaire des retenues d'impôt qui auraient dû être effectuées par la société … sur les traitements et salaires de son personnel.
En tant que codébiteur solidaire vous êtes invité à payer le montant de 10.101,30.-
euros jusqu'au 10.01.2012 à Monsieur le receveur de l'Administration des contributions directes … au CCPL LU […], tout en indiquant le numéro fiscal […]. » Par courrier du 18 janvier 2012, Monsieur … s’adressa au bureau d’imposition en les termes suivants :
« Par la présente je me permets de vous solliciter en ce qui concerne le bulletin d’appel en garantie de la société …. (…) dont j’étais le gérant administratif, de la part de votre bureau d’imposition … en date du 30.11.2011.
Tout d’abord je ne comprends pas pourquoi je devrais garantir en mon nom personnel et unique, sachant qu’il y avait constitution de deux associés, à part 60/40 et représenté par Monsieur … en étant le gérant technique et démissionnant de son poste lors des difficultés financières.
Entre autre Monsieur … était la personne mettant son autorisation de commerce dans notre entreprise.
Si il n’y a pas moyens de partager cette dette d’impôts, j’aimerai vous solliciter de bien vouloir une solution de remboursement échelonné. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 octobre 2012, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation du bulletin d’appel en garantie émis en date du 30 novembre 2011 et d’une décision implicite de refus, ainsi qualifiée, du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », suite au silence gardé par ce dernier pendant plus de six mois après l’introduction de sa réclamation contre ledit bulletin d’appel en garantie en date du 18 janvier 2012.
Conformément aux dispositions du § 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes aux contribuables. Or, conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre la décision qui fait l’objet de la réclamation au sens du § 228 AO si aucune décision définitive n’est intervenue dans un délai de six mois à partir de la réclamation. Il s’ensuit qu’en l’espèce le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en annulation introduit par Monsieur … à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis en date du 30 novembre 2011, mais est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation.
En ce qui concerne la compétence du tribunal administratif pour connaître du recours principalement en annulation, sinon subsidiairement en réformation introduit contre une décision implicite de refus du directeur, qualifiée comme telle, force est de constater qu’une telle décision, sous réserve qu’elle existe juridiquement, se meut dans la sphère de compétence attribuée au tribunal administratif en matière fiscale par l’article 8 de la loi du 7 novembre 1996, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en annulation. Il est en revanche compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation introduit contre une décision implicite de refus du directeur.
En ce qui concerne l’objet du recours, s’il est exact que l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose : « Lorsqu’une réclamation au sens du §228 de la loi générale des impôts […] a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant […] peuvent considérer la réclamation […] comme rejetées et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation […] » et reprend ainsi textuellement l’article 4 (1) de la même loi, à savoir « les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée », disposition dont découle une décision implicite de refus, il n’en demeure pas moins qu’il résulte des documents parlementaires que le législateur n’a pas entendu créer une décision implicite de refus en cas de silence du directeur suite à l’introduction d’une réclamation contre un bulletin d’impôt.1 Par voie de conséquence, le tribunal est amené à conclure que l’article 8 (3) 3.
précité de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », et non pas contre une décision implicite de refus du directeur.2 Ainsi, dans la mesure où aucune décision directoriale ne s’est créée par le silence de plus de six mois après l’introduction de la réclamation, le recours en réformation est irrecevable pour défaut d’objet pour autant qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de refus du directeur.
Le délégué du gouvernement fait valoir que le recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de refus du directeur introduit contre le bulletin d’appel en garantie émis le 30 novembre 2011 serait irrecevable omissio medio au motif que le courrier du 18 janvier 2012 ne saurait être qualifié de réclamation au sens du § 228 AO.
A cet égard, le demandeur estime que le courrier du 18 janvier 2012 serait à qualifier de réclamation au sens du § 228 AO et qu’il aurait, par ailleurs, été introduit selon les formes et délai requis par la loi.
Aux termes du § 249 AO : « (1) Die Rechtsmittel können schriftlich eingereicht oder zu Protokoll erklärt werden. Es genügt, wenn es aus dem Schriftstück hervorgeht, wer das Rechtsmittel eingelegt hat. […] Unrichtige Bezeichnung des Rechtsmittels schadet nicht.
(2) Ein Rechtsmittel gilt als eingelegt, wenn aus dem Schriftstück oder aus der Erklärung hervorgeht, dass sich der Erklärende durch die Entscheidung beschwert fühlt und Nachprüfung begehrt. […] ».
Ainsi, le § 249 (2) AO requiert que la formulation de la réclamation fasse ressortir que le contribuable se considère lésé par le bulletin d'impôt en cause et qu'il sollicite un réexamen de son imposition. Cet alinéa commande une interprétation large de la notion de « réclamation ». Toutes les fois que la réclamation est celle qui présente un intérêt pour le contribuable, sa déclaration doit être considérée comme l’expression de sa volonté d'exercer 1 Voir doc. parl. 3940A2, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad (3) 3.: « Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. (…) Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée » 2 Voir en ce sens CA 26 juin 2012, n° 29808C du rôle, publié sur www.jurad.etat.lu un recours contentieux. Au besoin, il faut que l'administration se renseigne auprès du contribuable sur le sens à donner à sa déclaration.3 En l’espèce, il ressort de l’écrit du 18 janvier 2012 que Monsieur … a considéré que ce serait à tort que le bureau d’imposition l’a déclaré seul responsable du montant global dû par de la société au motif que son co-associé, Monsieur …, aurait été gérant technique et, par ailleurs, ce dernier aurait mis à la disposition de la société son autorisation de commerce.
Ainsi, il ressort de l’écrit prémentionné, cité in extenso ci-avant, que Monsieur … se sentait lésé par le bulletin d’appel en garantie déféré. Par ailleurs, il ressort encore de cet écrit que Monsieur … a demandé, à titre principal, que son co-associé soit également tenu responsable du montant lui réclamé, de sorte qu’il y a lieu de conclure que le courrier du 18 janvier 2012 est à qualifier de réclamation au sens du paragraphe 249 AO.
Partant, le recours en réformation est recevable en ce qu’il est dirigé contre le bulletin d’appel en garantie du 30 novembre 2011, préqualifié.
A l’appui de son recours, le demandeur relate avoir créé la société ensemble avec Monsieur … en 2006 et que lors de l’assemblée générale du 6 juillet 2006, il aurait été nommé gérant administratif et Monsieur Bianchi aurait été nommé gérant technique de ladite société.
Par un jugement du 30 mai 2008, la société aurait été déclarée en état de faillite et la clôture de la faillite aurait eu lieu en date du 25 novembre 2011. Le 30 novembre 2011, le bureau d’imposition aurait émis à son égard un bulletin d’appel en garantie en lui réclamant le paiement des impôts sur les traitements et salaires restés non retenus par la société déclarée en état de faillite pour la période du 1er janvier 2007 au 15 mars 2008. En date du 18 janvier 2012, il aurait fait parvenir au bureau d’imposition un courrier de réclamation dans lequel il aurait contesté, d’une part, le fait qu’il soit tenu responsable et, d’autre part, le fait d’être retenu comme seul responsable de l’impôt impayé au motif que la société aurait été gérée par deux gérants.
En droit, le demandeur fait en premier lieu valoir que dans la mesure où le silence de l’administration gardé pendant plus de trois mois serait constitutif d’une décision de refus implicite et que dans ce cas le juge administratif ne serait pas en mesure de vérifier le caractère légal et réel des motifs de la décision, la décision implicite de refus encourrait l’annulation.
Force est au tribunal de constater à cet égard, tel que cela a été relevé ci-avant dans le cadre de l’analyse de la recevabilité du recours en annulation respectivement en réformation introduit contre une décision implicite de refus que le directeur aurait prise, que le silence gardé par le directeur que ce soit au-delà de trois mois, tel que soutenu par le demandeur, ou au-delà de six mois, n’est pas constitutif d’une décision de refus implicite, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.
En second lieu, sur base des considérations qu’il ressortirait des statuts de la société que celle-ci aurait été valablement engagée par la signature conjointe des deux administrateurs et que lui-même n’aurait pas été responsable de la gestion journalière de la société durant la période litigieuse, le demandeur conclut à l’annulation du bulletin d’appel en garantie déféré pour défaut de motivation. En effet, les raisons en opportunité et en équité 3 Voir TA 13 décembre 2004, n° 17626 du rôle, Pas. adm. 2012, v° Impôts, n° 607 et les références y citées ayant conduit le bureau d’imposition d’engager sa responsabilité seule ne se dégageraient pas à suffisance dudit bulletin.
Le délégué du gouvernement soutient que le bulletin d’appel en garantie déféré aurait été suffisamment motivé tant quant au principe-même de la mise en œuvre de la responsabilité d’un ou plusieurs représentants que quant à la désignation du demandeur en tant que représentant dont la responsabilité est engagée ou encore quant au quantum de sa responsabilité, de sorte que le moyen afférent serait à rejeter.
Aux termes du § 118 AO : « Das Finanzamt, das die Steuerschuld des Steuerplichtigen festzusetzen hat, ist befugt, die Vertreter und Bevollmächtigten und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen zur Erfüllung der ihnen obliegenden Verplichtungen anzuhalten und diejenigen, die nebem dem Steuerplichtigen oder an dessen Stelle persönlich fur die Steuer haften (§97 Absatz 2), in Anspruch zu nehmen. ». Il s’ensuit que la mise en œuvre de la responsabilité du tiers responsable n’est pas de droit, mais résulte d’une décision discrétionnaire du bureau d’imposition, de sorte qu’elle est soumise aux conditions et limites du § 2, paragraphe 2 de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG » aux termes duquel : « […] Ermessensentscheidungen [sind] nach Billigkeit und Zweckmäßigkeit zu treffen ». Partant, le bureau d’imposition est obligé de motiver sa décision en y indiquant l’appréciation effective et explicite des circonstances en raison et en équité qui l’ont guidées.4 , 5 En l’espèce, le bureau d’imposition a pris soin d’indiquer dans le bulletin d’appel en garantie déféré, cité in extenso ci-avant, qu’il résulterait de la publication au Mémorial C que le demandeur avait été nommé gérant administratif de la société à l'assemblée générale du 6 juillet 2006 et qu’en cette qualité, il aurait disposé du pouvoir d'engager l'entreprise sous sa signature. Par ailleurs, en sa qualité de gérant administratif il aurait été en charge de la gestion journalière de la société pour les années 2007 et 2008 et que durant cette période, l'impôt sur les traitements et salaires d'une somme de … € serait resté en souffrance. Ainsi, en sa qualité de gérant administratif, il aurait été personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société, dont notamment le paiement des impôts dus par la société à l'aide des fonds administrés par lui.
Dès lors, le tribunal est amené à conclure que le bureau d’imposition a satisfait à l’obligation de motivation qui lui incombe. En effet, tant le montant de la somme restée en souffrance et pour lequel la responsabilité du demandeur est mise en œuvre que les raisons ayant déterminé le choix du bureau d’imposition de mettre en œuvre plus spécifiquement la responsabilité du demandeur ont été exposés et spécifiés, ce choix s’expliquant en l’occurrence par ses responsabilités en tant que gérant administratif de la société en charge de la gestion journalière de la société. Finalement, force est encore de constater que dans le cadre de la présente procédure contentieuse, le délégué du gouvernement a, de manière circonstanciée, complété la motivation figurant dans le bulletin d’appel en garantie déféré.
Partant, le moyen tendant à l’annulation du bulletin d’appel en garantie déféré pour défaut de motivation est à rejeter pour ne pas être fondé, étant par ailleurs relevé que ce 4 Voir en ce sens TA 31 mai 1999, n° 10808 du rôle, Pas. adm. 2012, v° Impôts, n° 310 et les autres références y citées 5 Voir Fabienne Rosen OBLIGATIONS ET RESPONSABILITÉ DES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉ EN MATIÈRE DE CONTRIBUTIONS DIRECTES, dans Droit fiscal luxembourgeois, Bruylant 2008, p. 217 moyen tel qu’il a été libellé par le demandeur n’a trait qu’à l’obligation formelle d’indiquer la motivation de l’acte déféré et non pas au bien-fondé de cette motivation.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision, le demandeur conclut à une violation du paragraphe 109 (1) AO, en soutenant que le défaut de paiement de l’impôt ne saurait justifier à lui seul la notification d’un bulletin d’appel en garantie, mais qu’il faudrait apprécier et qualifier le caractère fautif du comportement de celui qui a fait l’objet de l’appel en garantie. A défaut par l’administration fiscale d’avoir mis en évidence en quoi il aurait commis une telle inexécution fautive de ses obligations, la décision violerait le paragraphe 109 (1) AO.
À titre subsidiaire, le demandeur demande à ce que la responsabilité de Monsieur … soit retenue, sinon, à titre encore plus subsidiaire, que sa responsabilité ne soit retenu que pour la moitié du montant réclamé.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.
En vertu des dispositions de l’article 136 (4) LIR, l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-
ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die den Personen, die sie vertreten, obliegen; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln, die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».
Il s’ensuit que le gérant d’une société à responsabilité limitée est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.
Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du fait du non-paiement des impôts dont est redevable une personne morale, il y a lieu de se référer plus particulièrement aux dispositions du paragraphe 109 AO, qui dispose dans son alinéa (1) que : « Die Vertreter und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattungen oder Vergütungen zu Unrecht gewährt worden sind ».
Ces dispositions légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux de la société.
Il se dégage encore de ces dispositions légales que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.
Le paragraphe 7 (3) StAnpG, dispose par ailleurs que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern ». Dès lors, en cas de pluralité de responsables la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du paragraphe 7 StAnpG en vertu duquel ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d'imposition n'est par contre pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d'entre eux6.
En toute hypothèse, il appartient au bureau d'imposition de mettre en exergue les circonstances particulières qui ont déterminé son choix. En effet, tel que relevé ci-avant, le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce sur le fondement de considérations d’équité et d’opportunité. Le bureau doit ainsi se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision le paragraphe 2 précité StAnpG.
En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il se dégage d’une publication au Mémorial C n° … du 18 septembre 2006 que depuis le 6 juillet 2006, le demandeur, associé majoritaire de la société, a été nommé gérant administratif. Il se dégage encore de la même publication que durant les années fiscales litigieuses, la société a été valablement engagée par la signature conjointe du gérant administratif et du gérant technique, en l’occurrence l’associé minoritaire de la société, Monsieur ….
Force est encore de relever que si le demandeur conteste certes avoir été en charge de la gestion journalière de la société, une telle contestation vague et abstraite sans contenir la moindre description de la répartition effective des tâches entre les deux gérants, est insuffisante pour satisfaire aux obligations imposées aux contribuables qui défèrent une décision de l’administration des Contributions directes au juge administratif. En effet, aux termes de l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives : « […] la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable. » Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal est amené à conclure que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a retenu qu’en tant que gérant administratif, le demandeur était responsable de l’accomplissement des obligations fiscales incombant à la société. Quant au moyen formulé par le demandeur, basé sur l’article 191bis de la loi du 10 août 1915, selon lequel les restrictions apportées aux pouvoirs des gérants par les statuts ne seraient pas opposables aux tiers, le tribunal est amené à conclure que si le principe invoqué par le demandeur se trouve effectivement ancré dans l’article précité de la loi du 10 août 1915, il n’en demeure pas moins qu’un tiers peut se prévaloir d’une telle restriction, même si elle ne lui est pas opposable. Partant, les moyens invoqués par le 6 cf. trib. adm. 14 juin 2010 n° 26277 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu .
demandeur ne sont pas de nature à renverser le choix du bureau d’imposition de mettre en œuvre sa responsabilité et non celle de son co-associé.
Quant à l’appréciation de la faute commise du fait du défaut de paiement plus spécifiquement des impôts sur traitements et salaires, il convient encore de relever que lorsque le débiteur du revenu a opéré la retenue sans la continuer au fisc et a de ce fait nécessairement détourné les sommes retenues à d’autres fins, son comportement est en règle générale à considérer comme fautif puisque celui qui opère des retenues ne peut ignorer que la loi qui l’oblige à effectuer les retenues l’oblige également de transférer ces fonds au receveur.
Le tribunal est dès lors amené à retenir que les explications fournies en l’espèce par la partie étatique permettent à suffisance, au regard des exigences posées par le paragraphe 109 AO et par le paragraphe 2 StAnpG, de justifier le constat d’un comportement fautif dans le chef du demandeur et la mise en cause de sa responsabilité, sans que le bureau d’imposition ait commis une erreur manifeste d’appréciation dans le cadre du pouvoir d’appréciation dont il est investi en vertu des dispositions légales précitées.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres contestions que le recours est à déclarer non fondé.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros formulée par le demandeur est rejetée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en annulation introduit contre le bulletin d’appel en garantie émis le 30 novembre 2011 ;
reçoit le recours subsidiaire en réformation pour autant qu’il est dirigé contre le bulletin d’appel en garantie émis le 30 novembre 2011 ;
se déclare incompétent pour connaître le recours principal en annulation pour autant qu’il est dirigé contre une décision implicite de refus du directeur de l’administration des Contributions directes ;
déclare le recours subsidiaire en réformation, pour autant qu’il est dirigé contre une décision implicite de refus du directeur de l’administration des Contributions directes, irrecevables pour défaut d’objet ;
au fond, déclare le recours en réformation introduit contre le bulletin d’appel en garantie non fondé et en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 22 mai 2013 par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23/5/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 10