Tribunal administratif N° 29783 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 janvier 2012 2e chambre Audience publique du 6 mai 2013 Recours formé par Monsieur …., … (Afrique du Sud) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de retenue d’impôts sur les tantièmes
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29783 du rôle et déposée le 27 janvier 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Yves Prussen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …., membre du collège des commissaires de la société en commandite par actions .,.. et de la société en commandite par actions ……, demeurant à … (Afrique du Sud), …, portant un recours dirigé contre une décision du directeur d’administration des Contributions directes du 15 décembre 2011 déclarant irrecevable une réclamation introduite contre « la retenue d’impôt faite sur la rémunération de commissaire payée à …. par ….. du » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2012 par Maître Yves Prussen pour compte de Monsieur …. ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Michel Marques Pereira, en remplacement de Maître Yves Prussen, et Madame le délégué du gouvernement Monique Adams en leurs plaidoiries respectives.
En date du 8 février 2010, Monsieur …. fit soumettre par son litismandataire au directeur de l’administration des Contribution directes, ci-après dénommé « le directeur », la question de savoir si le membre d’un collège des commissaires d’une société en commandite par actions, fonction exercée par lui au sein des sociétés en commandite par actions …..,, devrait se voir soumettre à la retenue à la source sur les tantièmes et les jetons de présence.
Dans le courrier précité, il fit exposer que suivant son interprétation de l’article 16 de la Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République d’Afrique du Sud, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir la fraude fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Luxembourg, le 23 novembre 1998, dénommée ci-après « la Convention », qui traite des rémunérations à percevoir en qualité de membre d’un conseil d’administration ou de surveillance, cet article ne devrait viser que le conseil de surveillance d’une société anonyme et non pas ni le commissaire d’une société anonyme ni les membres d’un collège des commissaires d’une société en commandite par actions. Il fit dans ce contexte état de ce que le texte anglais de la Convention différerait du texte français dans la mesure où le texte anglais ne viserait que les « directors’ fees », ce qui, à son avis, devrait conforter son interprétation suivant laquelle les rémunérations des membres du collège des commissaires ne devraient pas être visées par ledit article 16. Il arriva partant à la conclusion qu’en sa qualité de membre d’un collège de commissaires de sociétés en commandite par actions et de résident sud-africain, il devrait exclusivement être imposable en Afrique du Sud et ne pas faire l’objet d’une retenue à la source au Luxembourg au sujet des revenus précités.
Dans son courrier du 25 mars 2010, le directeur prit position en informant le litismandataire de Monsieur …. de ce que « la rémunération touchée par un résident de l’Afrique du Sud en tant que commissaire des sociétés en commandite par actions de droit luxembourgeois ……… est imposable au Luxembourg en vertu de l’article 16 de la Convention fiscale conclue entre le Luxembourg et l’Afrique du Sud », au motif que « les activités de surveillance exercées par un commissaire d’une société de capitaux sont visées par cet article ».
Le courrier précité du 25 mars 2010 fut complété par une motivation supplémentaire tirée de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, envoyée au litismandataire de Monsieur …. par un courrier du directeur du 7 juillet 2010.
En date du 17 mars 2011, un administrateur de la société anonyme …. signa pour compte de la société en commandite par actions …. une déclaration sur la retenue d’impôts sur les rémunérations des administrateurs, destinée à l’administration des Contributions directes, dont il ressort notamment que pour la période allant du 16 septembre 2010 au 15 mars 2011 Monsieur …. a bénéficié d’une rémunération de euros dont un montant de euros a été retenu au titre de la « withholding tax ».
Par courrier de son litismandataire du 28 juin 2011, Monsieur …. fit introduire une réclamation « contre la décision prise par [l’] administration [des Contributions directes] d’accepter le paiement du montant [retenu en ce qui concerne l’imposition des tantièmes] » dont il a bénéficié en sa qualité de membre des collèges des commissaires des sociétés en commandite par actions …. et …. . Par le même courrier, il pria le directeur « d’ordonner le remboursement de la retenue à la source de Euros ».
Par décision du 15 décembre 2011, le directeur déclara la réclamation précitée comme étant irrecevable pour le motif suivant :
« Vu la requête introduite le 29 juin 2011 par Me Yves Prussen, au nom du sieur …., demeurant à ….., pour réclamer contre « la retenue d'impôt faite sur la rémunération de commissaire payée à …. par ….. du 18 mars 2011 » ;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant qu'en vertu du § 252 AO l'autorité chargée de l'instruction des affaires contentieuses est appelée d'analyser avant tout progrès en cause si le moyen a été introduit dans les forme et délai prévus par la loi ;
Considérant, à cet égard, que le réclamant a d'ores et déjà porté l'affaire sous rubrique devant le Tribunal administratif par sa requête déposée en date du 29 mars 2011, n° 28239 du rôle ;
que dès lors le directeur des contributions est forcé de surseoir à toute décision, étant donné qu'il se trouve dessaisi de toiser un fond dévolu aux juges administratifs ;
qu'il en résulte que la réclamation est irrecevable ; ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2012, Monsieur …. a fait introduire un recours non autrement qualifié contre la décision précitée du directeur du 15 décembre 2011.
Au vu de ce que le demandeur n’a pas précisé le type de recours qu’il a entendu diriger contre la décision directoriale précitée du 15 décembre 2011, il échet de supposer qu’il a entendu exercer contre cette décision la voie de recours lui ouverte par la loi.
Comme la décision directoriale critiquée est intervenue sur réclamation dirigée par le demandeur contre un bulletin d’impôt non écrit1, il échet d’en conclure que la décision en question est intervenue en matière de bulletin d’impôts.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur portant rejet d’une réclamation contre un bulletin d’impôt sur le revenu, de sorte que le recours introduit en l’espèce est à qualifier de recours en réformation, le tribunal administratif étant compétent pour en connaître.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité de ce recours, au motif que le directeur aurait à bon droit déclaré irrecevable la réclamation introduite en date du 29 juin 2011 par le litismandataire du demandeur, en ce qu’il aurait à bon droit été « forcé de surseoir à statuer, étant donné qu’il se trouve dessaisi de toiser un fond dévolu aux juges administratifs ». Or, le prétendu moyen d’irrecevabilité tel que formulé par l’Etat a trait, non pas à la recevabilité du présent recours, mais au bien-fondé de la décision directoriale soumise au tribunal. Il échet partant de le rejeter comme n’étant pas fondé.
Aucun autre moyen d’irrecevabilité n’ayant été soulevé en cause, le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Le demandeur sollicite la jonction du présent recours avec un recours déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 mars 2011 et y inscrit sous le numéro 28239 du rôle, dirigé contre la déclaration précitée de retenue sur les tantièmes signée en date du 17 mars 2011.
Abstraction faite de la considération que l’Etat n’a pas pris position par rapport à ladite demande de jonction de ces deux recours, il échet de rejeter la demande en question, étant donné qu’à part le fait que les parties à ces deux instances contentieuses sont les mêmes, il échet néanmoins de relever que ces recours ne visent pas une même décision.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient qu’en sa qualité de membre du collège des commissaires de la société en commandite par actions …., il aurait fait l’objet, en date du 18 mars 2011, d’une retenue d’impôt sur la rémunération perçue en ladite qualité, qui 1 cf. trib.adm.23 juillet 2003, n°15907 du rôle ;
aurait été pratiquée par la société en question à la suite d’un échange de correspondance avec l’administration des Contributions directes au sujet de l’application de la Convention.
Il reproche à la décision directoriale d’avoir autorisé ladite retenue à la source, alors qu’en application de l’article 21 de la Convention sa rémunération aurait dû être exclusivement imposée en Afrique du Sud. Il se réfère dans ce contexte à une divergence de terminologie utilisée entre la version anglaise et la version française de la Convention. Il reproche encore à l’administration des Contributions directes de confondre la notion de conseil de surveillance avec celle de collège des commissaires, qui auraient des missions et fonctions tout à fait différentes.
Ainsi, dans la mesure où la Convention ne ferait référence qu’aux membres d’un « board of directors », il y aurait lieu d’en tirer la conséquence qu’un membre du collège des commissaires ne serait ainsi pas visé par elle, étant entendu que la notion reprise dans le texte français de la Convention visant le seul « conseil de surveillance » devrait être interprété comme visant un organe qui participe à la gestion d’une société d’une manière similaire à celle d’un conseil d’administration.
Dans son mémoire en réponse, l’Etat invoque encore d’autres motifs pour tenter de justifier la décision directoriale sous examen.
Ce n’est que dans son mémoire en réplique que le demandeur critique le seul motif invoqué expressément par le directeur à l’appui de la décision sous examen, tiré de ce qu’il ne saurait toiser le fond du litige lui dévolu par la réclamation précitée du 28 juin 2011, au motif qu’un recours serait pendant devant le tribunal administratif, y introduit par requête déposée le 29 mars 2011 sous le numéro 28239 du rôle, en soutenant qu’il ne saurait être question de litispendance en l’espèce du fait que depuis la réforme du contentieux fiscal et la mise en place de juridictions administratives, une réclamation devant le directeur ne devrait plus être considérée comme recours juridictionnel, de sorte que la réclamation introduite devant le directeur et le recours contentieux introduit devant le tribunal administratif seraient de nature différente.
L’Etat n’a pas pris position par rapport au moyen ainsi soulevé, il est vrai seulement au niveau du mémoire en réplique du demandeur, notamment à défaut par l’Etat d’avoir déposé un mémoire en duplique. Au cours de l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé la question de la base légale sur laquelle l’Etat a entendu baser le motif relatif au dessaisissement du directeur à partir du moment où l’affaire est dévolue au tribunal administratif. Aucune prise de position n’a pu être fournie à ce sujet par le délégué du gouvernement.
Il échet tout d’abord de relever que par litispendance il faut entendre une « situation qui nait lorsqu’un litige pendant devant une juridiction est porté devant une autre juridiction également compétente pour en connaître et qui se résout par le dessaisissement de cette dernière, si l’une des parties le demande ».2 Comme toutefois depuis la réforme initiée par la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, entrée en vigueur le 1er janvier 2 cf. Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, P.U.F., 1987 1997, le directeur n’est plus à considérer comme une juridiction, une question de litispendance ne saurait plus se poser entre une affaire pendante devant le directeur et les juridictions administratives.
Le directeur, dans la décision sous examen, n’a d’ailleurs pas fait état d’une prétendue question de litispendance, mais il a estimé être dessaisi de l’affaire, au motif qu’elle serait pendante devant le tribunal administratif.
Or, par dessaisissement, il faut entendre, pour une juridiction, la « perte du pouvoir de juger une affaire, dont elle est saisie, soit avant de la juger, soit du fait de l’avoir jugée »3, de sorte qu’une question de dessaisissement ne peut se poser que devant une juridiction. Comme il vient d’être relevé ci-avant, le directeur n’est plus à considérer comme une juridiction, il ne peut pas se trouver dans une hypothèse où il pourrait se dessaisir d’une affaire.
Par ailleurs, en l’absence de base légale ou réglementaire de nature à fonder le motif basé sur une prétendue litispendance qui pourrait exister entre une décision du directeur et un jugement du tribunal administratif ou une hypothèse dans laquelle le directeur pourrait se dessaisir d’une affaire, il échet de déclarer fondé le moyen du demandeur dirigé contre ledit motif, qui est d’ailleurs le seul à avoir été invoqué explicitement par le directeur à l’appui de la décision sous examen, de sorte que la décision litigieuse n’a pas pu se fonder sur ce motif et que partant sa légalité est affectée.
Dans son mémoire en réponse, l’Etat a encore soulevé trois motifs additionnels sur lesquels la décision litigieuse serait basée, à savoir, tout d’abord, sur le fait qu’une réclamation n’aurait pas pu être introduite « contre la décision prise par [l’]administration [des Contributions directes] d’accepter le paiement du montant [retenu en ce qui concerne l’imposition des tantièmes] ».
Or, comme la décision contre laquelle la réclamation a été dirigée constitue un bulletin d’impôt non écrit4, la réclamation a valablement pu viser une telle décision, de sorte que ce premier motif complémentaire est à rejeter pour ne pas être fondé comme l’a relevé à bon droit le demandeur.
Le deuxième motif complémentaire invoqué par l’Etat est basé sur le fait que la réclamation introduite par le demandeur serait encore irrecevable du fait par lui de ne pas avoir soumis au bureau d’imposition compétent une demande en restitution des sommes retenues sur les tantièmes.
Ce motif est également à rejeter pour être non fondé, étant donné que conformément aux développements du demandeur, le fait qu’il existe une possibilité d’introduire une demande en restitution des sommes trop perçues par l’administration n’est pas de nature à faire obstacle à l’introduction valable d’une réclamation dirigée contre un bulletin d’impôt, même non écrit.
Enfin, et en troisième lieu, l’Etat estime que la réclamation du demandeur aurait à bon droit été déclarée irrecevable, en raison de son introduction tardive auprès du directeur.
3 cf. Gérard Cornu, ibidem 4 cf trib. adm. 23 juillet 2003, n° 15907 du rôle ; trib. adm. 6 mai 2013, n° 28239 du rôle S’il est vrai que suivant les §§ 228 et 246 AO, une réclamation doit être introduite dans un délai de trois mois contre un bulletin tel celui sous examen, il n’en demeure pas moins que ce délai ne commence à courir qu’à partir du moment où le bulletin a été notifié au « Berechtigten » voire à partir du moment où il en a eu connaissance ou à partir du moment où il peut être supposé qu’il en a eu connaissance.
En l’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le bulletin, non écrit d’ailleurs, ait été porté à la connaissance du demandeur à une date déterminée. Partant, il est impossible pour le tribunal de connaître la date à laquelle ledit délai de trois mois a commencé à courir, de sorte que ce motif est également à déclarer illégal.
Comme les quatre motifs invoqués par l’Etat à l’appui de la décision directoriale sous examen du 15 décembre 2011 viennent d’être déclarés illégaux, le présent recours doit être déclaré fondé et la décision directoriale encourt l’annulation.
Quant à la demande présentée par le demandeur tendant à voir ordonner à l’administration des Contributions directes de lui restituer « l’impôt prélevé à la source sur cette rémunération », cette demande est à déclarer irrecevable à défaut de base légale autorisant les juridictions administratives à ordonner de telles injonctions à l’encontre de l’administration fiscale5.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
rejette la demande de jonction avec l’affaire inscrite sous le numéro 28239, déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2011 ;
déclare le recours en réformation fondé, partant annule la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 15 décembre 2011 et renvoie le dossier en prosécution de cause audit directeur ;
déclare irrecevable la demande tendant à obtenir la restitution par l’administration des Contributions directes de l’impôt prélevé à la source, telle que présentée par le demandeur ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi délibéré par:
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, 5 v. trib.adm. 6 janvier 1999, n°10599 du rôle, Pas. adm. 2012, v° Impôts n°753 et autres références y citées.
et lu à l’audience publique du 6 mai 2013 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
Monique Thill p. Carlo Schockweiler emp.
Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 mai 2013 Le greffier du tribunal administratif 7