Tribunal administratif N° 32263 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 avril 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 12 avril 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L.29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32263 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2013 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Zimbabwe), de nationalité zimbabwéenne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 28 mars 2013 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 5 avril 2013 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 avril 2013.
Le 6 février 2004, Monsieur … déposa une demande de protection internationale qui fut refusée par décision du ministre des Affaires Etrangères et de l’Immigration du 28 février 2005 sur base de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile. Monsieur … n’introduisit pas de recours contentieux contre la décision ministérielle du 28 février 2005.
En date du 17 octobre 2008, le ministre des Affaires Etrangères et de l’Immigration prit à l’encontre de Monsieur … une décision de refus de séjour, assortie d’un ordre de quitter le territoire, ainsi qu’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
En date du 28 mars 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-
après dénommé « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … une décision de retour, ainsi qu’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.
Par un deuxième arrêté du même jour, le ministre ordonna son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté, notifié le 29 mars 2013, est basé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 28 mars 2013 ;
Vu la décision de refus de séjour du 17 octobre 2008 lui notifiée le même jour ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu'au vu de la situation particulière de l'intéressé, il n'existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu'une mesure de placement alors que les conditions d'une assignation à domicile conformément à l'article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement en rétention précitée du 28 mars 2013.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur fait d’abord valoir que la décision ministérielle ne serait pas suffisamment motivée. En effet, l’article 120 de la loi du 29 août 2008, instituerait certes une faculté pour le ministre de placer une personne en rétention, mais n’instaurerait pas une obligation systématique, de sorte qu’il lui appartiendrait de démontrer en quoi il était nécessaire de le placer en rétention.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite dans son chef ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur est démuni de toute pièce d’identité et qu’il s’est maintenu sur le territoire luxembourgeois malgré la décision de refus de séjour et de l’ordre de quitter le territoire du ministre des Affaires Etrangères et de l’Immigration du 17 octobre 2008 précitée, de sorte que le séjour du demandeur est à qualifier d’irrégulier. Ainsi, en vertu de l’article 111 de la loi du 29 août 2008, le risque de fuite est présumé dans le chef du demandeur, de sorte que la décision critiquée est suffisamment motivée par le constat de la partie étatique, par référence à la décision de retour du 28 mars 2013 qui elle-même renvoi à la décision du 17 octobre 2008, que le demandeur se trouve en séjour irrégulier sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.
Par ailleurs, le tribunal est amené à relever que le seul constat du ministre qu’il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement est suffisant pour motiver le recours à une mesure de placement au Centre de rétention, une motivation sommaire étant en effet suffisant à cet égard.
Quant au bien-fondé de ce constat, le demandeur ne soumet au tribunal aucun élément concluant quant à des attaches particulières au Luxembourg susceptibles d’établir l’existence de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de fuite conformément à l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, de sorte que le constat du ministre qu’il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement, n’encourt aucune critique.
Il s’ensuit que le moyen laisse d’être fondé.
Le demandeur fait encore valoir que son placement en rétention au « Centre Pénitentiaire de Schrassig », ci-après désigné par « le CPL », serait à considérer comme un traitement dégradant constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté et serait dès lors contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en ce que la privation de sa liberté de circulation serait quasiment identique à celle d’un délinquant de droit commun et qu’à l’exception d’un droit de correspondance plus étendu et d’une dispense de l’obligation de travail, ses droits élémentaires resteraient amplement compromis.
Force est au tribunal de constater que le demandeur ne se trouve pas incarcéré ou retenu au CPL, mais retenu au Centre de rétention, de sorte que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen pour défaut de pertinence.
A titre superfétatoire, le tribunal est amené à relever que l’article 3 de la CEDH dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Or, une rétention au Centre de rétention ne saurait, de par sa nature, être considérée comme dégradante et inhumaine. Dès lors que le demandeur se limite à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme traitement dégradant, et à défaut par lui d’indiquer concrètement en quoi ce traitement serait inhumain ou dégradant pour sa personne, la comparaison vague de sa situation avec celle d’un délinquant de droit commun également privé de sa liberté de circulation étant insuffisante à cet égard étant rappelé, tel que relevé ci-avant, que le demandeur est retenu dans une autre structure fermée que les détenus. Le moyen du demandeur est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne le moyen fondé sur l’article 5 de la CEDH, force est de constater qu’il n’érige pas la liberté individuelle en principe absolu et intangible, mais prévoit expressément la possibilité de déroger à ce principe notamment pour permettre le placement en rétention d’un individu, dans la mesure où le paragraphe 1, point f.) dudit article 5 dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (… ) f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».
Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays.
Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions de l’article 5 de la CEDH.
Le demandeur reproche ensuite au ministre de ne pas documenter de manière suffisante les démarches qu’il a accomplies en vue d’organiser son éloignement, et conclut à un défaut de diligences suffisantes. Ainsi, la nécessité requise pour ordonner le placement ferait défaut.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen.
Il convient de prime abord de relever que si une prorogation d’une mesure de rétention est soumise à la condition qu’elle soit « nécessaire » afin de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien, l’article 120 de la loi du 29 août 2008 ne soumet pas une première décision de placement en rétention à cette condition.
Etant donné que la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé, c’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite. En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité et de voyage et qu’il a donné des informations contradictoires quant à sa date de naissance, son identité et sa provenance géographique, rendant ainsi nécessaire des démarches afin que son éloignement puisse être organisé. En effet, le demandeur ayant déclaré dans le cadre de sa demande de protection internationale être originaire du Zimbabwe, un test linguistique a été effectué en date du 10 juillet 2008. Le rapport de l’expertise linquistique du 19 août 2008 a retenu que le demandeur n’est pas originaire du Zimbabwe, mais d’Afrique de l’Ouest et probablement de Gambie. Néanmoins, l’ambassade de Gambie a exclu l’origine gambienne du demandeur suite à un entretien avec ce dernier en date du 22 octobre 2008. Le ministre des affaires Etrangères et de l’Immigration a ensuite saisi, en date du 24 octobre 2008, l’ambassade du Zimbabwe, en vue de l’obtention d’un laissez-passer. Le demandeur a été présenté à l’ambassade du Zimbabwe en date du 14 novembre 2008, laquelle a exclu l’origine zimbabwéenne du demandeur, qui se déclara alors originaire de Sierra Leone.
En ce qui concerne les démarches concrètement entreprises en l’espèce par le ministre pour organiser cet éloignement, il ressort des pièces versées en cause, et notamment du dossier administratif, que le même jour de la notification de l’arrêté de placement en rétention du 28 mars 2013 une demande de laissez-passer a été adressée aux autorités compétentes de Sierra Leone, pays dont le demandeur s’est déclaré originaire tel que cela ressort de l’entretien avec l’ambassade du Zimbabwe en date du 14 novembre 2008 précité, de sorte qu’à l’heure actuelle, les autoriéts luxembourgeoises sont dans l’attente d’une réponse de la part des autorités de Sierra Leone.
Dès lors, le tribunal est amené à conclure que les démarches sus-décrites sont à considérer comme suffisantes, de manière que l’organisation de l’éloignement est exécutée en l’espèce avec toute la diligence requise au regard des exigences de l’article 120 (3) de la loi du 29 août 2008, étant, d’une part, rappelé que les autorités luxembourgeoises sont tributaires à cet égard de la collaboration des autorités étrangères, et d’autre part, relevé que la circonstance que le demandeur ne collabore en l’espèce pas à son identification, tel que cela se dégage des développements ci-dessus, rend d’autant plus difficile la préparation de son éloignement.
Le moyen du demandeur fondé sur un défaut de diligences en vue d’exécuter son éloignement est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Finalement le demandeur, sur base d’un certificat médical versé en cause, estime que son état de santé ne permettrait pas qu’une mesure, telle que celle déférée, puisse être prise à son encontre.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.
Force est au tribunal de constater que le rapport médical versé par le demandeur date du 25 octobre 2011 et concerne un problème de diabète. Il ressort également du dossier administratif et plus précisément d’un certificat médical issu du médecin du CPL en date du 7 septembre 2007 que le demandeur souffre d’un diabète type 2 non insulinodépendant. Dès lors, le tribunal est amené à retenir que l’état de santé du demandeur tel qu’il se dégage des certificats précités, à défaut d’autres éléments, n’est pas incompatible avec le placement de ce dernier au Centre de rétention.
Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens invoqués que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non fondé et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attachée de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 12 avril 2013, de 16.00 heures, par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12/4/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 6