Tribunal administratif N° 30014 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mars 2012 3e chambre Audience publique du 9 avril 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du directeur de l’administration de l’Emploi en matière d’aide au réemploi
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30014 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 mars 2012 par Maître Guy Thomas, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 12 décembre 2011 du directeur de l’administration de l’Emploi, portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une aide au réemploi ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2012 par Maître Guy Thomas au nom de Monsieur … ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, et Maître Alain North, en remplacement de Maître Guy Thomas, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 janvier 2013 ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 février 2013 ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif du 7 mars 2013 par Maître Guy Thomas au nom de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, et Maître Alain North, en remplacement de Maître Guy Thomas, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mars 2013.
Le contrat de travail de Monsieur … conclu avec la société … fut résilié pour motifs économiques avec effet au 31 mai 2010.
Après avoir été au chômage depuis le 1er juin 2010, Monsieur … fut engagé par la société … avec effet au 1er juillet 2011.Par courrier du 30 novembre 2011, complété par un courrier du 7 décembre 2011, Monsieur … introduisit une demande d’octroi de l’aide au réemploi auprès de l’administration de l’Emploi, désignée ci-après par « l’Adem ».
Par décision du 12 décembre 2011, le directeur de l’administration de l’Emploi, désigné ci-après par « le directeur », refusa de faire droit à la demande de Monsieur …. Ladite décision est libellée comme suit :
« Suite à votre demande du 05 décembre 2011 par laquelle vous sollicitez l’octroi de l’aide au réemploi, je suis au regret de devoir vous informer qu’il ressort de l’examen de votre dossier que vous ne répondez pas aux conditions d’octroi prévues par le règlement grand-ducal du 31 juillet 1995 fixant les modalités et conditions d’attribution d’une aide au réemploi.
En effet, l’article 15 (3) dudit règlement prévoit qu’une aide au réemploi peut être accordée à des chômeurs indemnisés.
Or, au moment de la reprise du travail, vous n’étiez pas inscrit comme chômeur indemnisé.
Par conséquent, je ne suis pas en mesure de faire droit à votre demande. […] ».
Par courrier du 9 mars 2012, Monsieur … introduisit un recours gracieux contre la décision du directeur du 12 décembre 2011, précitée.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2012, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur du 12 décembre 2011 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une aide au réemploi.
Dans la mesure où aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision directoriale déférée.
Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’audience des plaidoiries du 9 janvier 2013, le tribunal a soulevé d’office la question de la base légale de la décision déférée du 12 décembre 2011, étant donné que dans un jugement du 6 octobre 2010, numéro … du rôle, le tribunal administratif a retenu que les dispositions de l’article 15 du règlement grand-ducal modifié du 17 juin 1994 fixant les modalités et les conditions d’attribution 1. des aides à la mobilité géographique ; 2. d’une aide au réemploi ; 3. d’une aide à la création d’entreprises ; 4. d’une aide à la création d’emplois d’utilité socio-économique, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 17 juin 1994 », - sur lequel est exclusivement basée la décision directoriale litigieuse -, manque de base légale au motif que les chômeurs indemnisés instaurés comme bénéficiaires potentiels de l’aide au réemploi par ledit article 15 du règlement grand-ducal du 17 juin 1994 ne rentrent pas dansl’une des trois catégories de bénéficiaires potentiels de l’aide au réemploi prévues par l’article L.631-2 (1), point 9, du Code du travail. Le tribunal a alors accordé à chaque partie la possibilité de déposer un mémoire supplémentaire afin de prendre position par écrit par rapport à cette question soulevée d’office.
Dans son mémoire supplémentaire, le délégué du gouvernement reconnaît qu’aucune modification législative ne serait intervenue depuis le jugement du tribunal administratif du 6 octobre 2011, précité, de sorte que la possibilité d’accorder le bénéfice de l’aide au réemploi aux chômeurs indemnisés, telle qu’énoncée à l’article 15 du règlement grand-ducal du 17 juin 1994, manquerait toujours de base légale.
Le demandeur conclut dans son mémoire supplémentaire à l’annulation de la décision directoriale du 12 décembre 2011.
En vertu de l’article 95 de la Constitution, le tribunal n’applique les arrêtés et règlements généraux que pour autant qu’ils sont conformes aux lois.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision déférée portant refus d’accorder une aide au réemploi au demandeur est basée exclusivement sur l’article 15 (3) du règlement grand-ducal du 31 juillet 1995, ayant modifié le règlement grand-ducal du 17 juin 1994.
Le règlement grand-ducal du 17 juin 1994, dans sa version initiale, énumérait en son article 14 les catégories de salariés pouvant bénéficier de l’octroi d’une aide au réemploi et disposait : « Une aide au réemploi peut être attribuée par le fonds pour l’emploi au salarié faisant l’objet d’un licenciement pour un motif économique, au salarié menacé de façon immédiate de faire l’objet d’un tel licenciement, et au salarié faisant, conformément à une convention collective, l’objet d’un transfert pour motif économique dans une autre entreprise, à condition qu’il accepte d’être reclassé dans un emploi comportant un niveau de rémunération inférieur à sa rémunération antérieure ».
L’article 15 du règlement grand-ducal du 17 juin 1994, dans sa version initiale, énumérait les salariés pouvant solliciter une aide au réemploi et disposait : « (1) peuvent solliciter auprès de l’administration de l’emploi l’attribution de l’aide au réemploi visée à l’article qui précède, les salariés licenciés pour motifs économiques et les salariés menacés de façon immédiate de faire l’objet d’un tel licenciement, notamment dans les cas ci-après: 1.
(…)., 2. (…) ».
Le règlement grand-ducal du 31 juillet 1995 est venu modifier les articles 14 et 15 précités du règlement grand-ducal du 17 juin 1994 en y ajoutant les chômeurs indemnisés comme catégorie de salariés pouvant bénéficier de l’octroi d’une aide au réemploi.
Dès lors, l’article 14 du règlement grand-ducal du 17 juin 1994, dans sa version telle qu’elle a été modifiée par le règlement grand-ducal du 31 juillet 1995, dispose : « Une aide au réemploi peut être attribuée par le fonds pour l’emploi au salarié (…) ainsi qu’au chômeur indemnisé, à condition qu’il accepte d’être reclassé dans un emploi comportant un niveau de rémunération inférieur à sa rémunération antérieure ». L’article 15 du même règlement grand-ducal, dans sa version modifiée, dispose que : « (1) peuvent solliciter auprès de l’administration de l’emploi l’attribution de l’aide au réemploi visée à l’article qui précède, les salariés licenciés pour motifs économiques et les salariés menacés de façon immédiate de 3 faire l’objet d’un tel licenciement, notamment dans les cas ci-après: 1. (…) ; 2. (…) ; 3. Les chômeurs indemnisés (…) ».
Tant le règlement grand-ducal du 17 juin 1994 que celui du 31 juillet 1995 énuméraient dans leurs visas comme base légale en premier lieu la loi modifiée du 30 juin 1976 portant 1. création d’un fonds pour l’emploi; 2. réglementation de l’octroi des indemnités de chômage complet, et notamment son article 2.
Par la loi du 31 juillet 2006 portant introduction d’un Code du travail, certains articles de la loi précitée du 30 juin 1976 ont été abrogés, dont notamment l’article 2 concernant entre autre l’aide au réemploi. Le texte de l’ancien article 2 de la loi du 30 juin 1976 a été repris, en substance, notamment à l’article L.631-2 du Code du travail.
Suite à ces modifications, le règlement grand-ducal du 25 juin 2009 portant modification du règlement grand-ducal du 17 juin 1994, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 25 juin 2009 », a modifié le premier visa du règlement grand-ducal du 17 juin 1994 qui a pris la teneur suivante : « Vu l’article L.631-2, paragraphe (1), point 9 du Code du travail ». Dès lors, l’article L.631-2, paragraphe (1), point 9 du Code du travail constitue la base légale tant du règlement grand-ducal du 17 juin 1994, que du règlement grand-ducal du 31 juillet 1995 qui ne constitue qu’une modification du règlement grand-ducal du 17 juin 1994.
L’article L.631-2, paragraphe (1) du Code du travail dispose que : « Le Fonds pour l’emploi est destiné à couvrir les dépenses résultant : (…) 9. de l’emploi d’une aide temporaire au réemploi de salariés licenciés, menacés de perdre leur emploi ou faisant conformément à une convention collective l’objet d’un transfert dans une autre entreprise qui se trouvent reclassés dans un emploi comportant un niveau de salaire inférieur à leur salaire antérieur ; (…) ». L’article L.631-2, paragraphe (3) du Code du travail ajoute que : « L’aide temporaire prévue au point 9 du paragraphe (1) peut être accordée aux salariés sous la forme soit d’une indemnité temporaire et dégressive de garantie, soit d’une prime forfaitaire à la mobilité. Un règlement grand-ducal détermine les conditions et modalités d’application de cette disposition, ainsi que son champ d’application sectoriel; les aides accordées éventuellement à ce titre par les Communautés Européennes sont portées directement en recette au Fonds pour l’emploi. (…) ».
Force est de constater que les articles 14 et 15 originaires du règlement grand-ducal du 17 juin 1994 reprennent les trois catégories de salariés pouvant bénéficier de l’octroi d’une aide temporaire au réemploi telles qu’énoncées au point 9 de l’article L.631-2, paragraphe (1) du Code du travail ci-avant relaté. Le règlement grand-ducal du 31 juillet 1995 est venu y ajouter les chômeurs indemnisés.
Dans la mesure où elles constituent une délégation de pouvoir conférée par le législateur au pouvoir exécutif, les mesures habilitantes contenues dans une disposition législative sont à appliquer à la lettre dans le cadre formel du texte portant habilitation en suivant pour autant que possible son libellé.
Ainsi, l’habilitation portée par l’article L.631-2, paragraphe (3) du Code du travail, en ce qu’un règlement grand-ducal déterminera les conditions et modalités d’application de cette disposition, ainsi que son champ d’application sectoriel, est à appliquer en ce sens que la notion « champ d’application sectoriel » vise les différents secteurs d’activité pour lesquelsl’aide au réemploi peut être prévue et que tant les conditions que les modalités d’application y visées ne peuvent consister qu’en des mesures de pure application du point 9 du paragraphe (1) du même article, sans pouvoir autrement élargir le cercle des bénéficiaires potentiels de l’aide au réemploi y prévue, sous peine de dénaturer de façon prohibée les termes employés par le législateur.
Etant donné que les chômeurs indemnisés ajoutés comme bénéficiaires potentiels de l’aide au réemploi par le règlement grand-ducal du 31 juillet 1995 ne rentrent pas dans l’une des trois catégories prévues par l’article L.631-2, paragraphe (1), point 9 du Code du travail, telles que fidèlement reprises par le règlement grand-ducal du 17 juin 1994, les dispositions d’allocation de l’aide au réemploi les visant manquent de base légale et ne sauraient dès lors être appliquées par le tribunal.1 Dans la mesure où le point 3 de l’article 15 (1) du règlement grand-ducal du 17 juin 1994, tel qu’il vient d’être retenu, manque de base légale, le non-respect de cette disposition invoquée par le directeur à l’appui de sa décision n’a pas pu constituer un motif de refus valable.
Dans son mémoire supplémentaire du 7 février 2013, le délégué du gouvernement avance encore un motif supplémentaire de refus de l’aide au réemploi en affirmant que le demandeur ne saurait de toute façon pas bénéficier de l’aide au réemploi, étant donné que son ancien employeur, la société …, n’aurait pas été déclaré éligible conformément à l’article 15 (2) du règlement grand-ducal du 17 juin 1994.
A défaut par le délégué du gouvernement d’assortir son moyen d’avantage de précisions, le tribunal n’est cependant pas en mesure d’en apprécier le bien-fondé. Or, il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence d’une partie et de faire des suppositions sur le sens que celle-ci a entendu donner à son moyen au risque non seulement de dénaturer le moyen que la partie a entendu soulever, mais encore au risque d’une violation des droits de la défense. Il s’ensuit que les développements de la partie étatique relatifs à l’article 15 (2) du règlement grand-ducal du 17 juin 1994 sont à écarter pour libellé obscur.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’annuler la décision directoriale déférée du 12 décembre 2011.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
1 Tribunal. adm. 6 octobre 2010, n° 26526 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Travail, n° 207 partant annule la décision du 12 décembre 2011 du directeur de l’administration de l’Emploi portant refus d’accorder une aide au réemploi à Monsieur … ;
renvoie le dossier au directeur de l’administration de l’Emploi en prosécution de cause ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 9 avril 2013 par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9/4/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 6