Tribunal administratif N° 30386 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 avril 2012 3e chambre Audience publique du 19 mars 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30386 du rôle et déposée le 17 avril 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Roby Schons, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 29 février 2012 portant retrait de quatre points du capital dont est doté son permis de conduire et constatant que le solde des points restants est devenu nul ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 août 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh, en remplacement de Maître Roby Schons, et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mars 2013.
Par un jugement du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 11 octobre 2011, Monsieur … a été condamné au paiement d’une amende et à une interdiction de conduire pour une durée de huit mois du chef d’un délit de grande vitesse commis le 16 juin 2011.
Par lettre recommandée du 29 février 2012, le ministre du Développement durable et des Infrastructures, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … que quatre points du capital dont est doté son permis de conduire avaient été retirés en raison de ce dépassement de la limite de vitesse considéré comme délit (délit de grande vitesse) en date du 16 juin 2011 et que le solde des points restants était devenu nul.
Par arrêté du 2 mars 2012, le ministre, considérant que Monsieur … avait commis plusieurs infractions à la législation routière sanctionnées par une réduction du nombre de points dont est doté son permis de conduire en vertu de l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, désignée ci-après par « la loi du 14 février 1955 », qu’à chaque infraction ayant donné lieu à une réduction de points, il avait été averti du nombre de points retirés et du solde résiduel de points et que le capital de points affecté à son permis de conduire était épuisé, suspendit pour une durée de douze mois le droit de conduire un véhicule automoteur de Monsieur …, ainsi que ses permis de conduire internationaux, ceci en vertu des articles 2bis et 13 de la loi du 14 février 1955 et de l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 avril 2012, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête auquel le tribunal est seul tenu, à l’annulation de la décision ministérielle du 29 février 2012.
Aucune disposition du Code de la route, ni aucun autre texte de loi ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée.
Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient que le retrait automatique de son permis de conduire, ayant abouti à une suspension du droit de conduire, aurait été opéré en violation de la loi, sinon de ses droits de la défense, dans la mesure où il n’aurait pas été informé en temps utile des conséquences de la perte des points dont est affecté son permis de conduire. A l’appui de son argumentation, il invoque un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par « la Cour », du 6 octobre 2011, requête n°43490/08, dans l’affaire … contre Luxembourg, ci-après désignée par « l’affaire … », en ce que la Cour avait retenu une violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) dans le cadre d’un litige relatif au retrait automatique de points du capital de points dont est doté le permis de conduire de l’intéressé suite à une condamnation pénale de ce dernier dans la mesure où celui-ci n’avait pas été informé en temps utile qu’une condamnation pénale éventuelle pourrait entraîner en plus une déduction des points du capital dont est doté son permis de conduire, et soutient que les moyens invoqués par le demandeur dans l’affaire … pourraient être transposés au cas de l’espèce.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. Il fait valoir que toutes les déductions de points antérieures à celle ayant fait l’objet de la décision du 29 février 2012 auraient acquis force de « chose jugée », puisque le demandeur n’aurait introduit aucun recours contre ces décisions, tout en précisant que toutes les décisions auraient été valablement notifiées au demandeur. Il souligne encore que suite à l’affaire …, il aurait été convenu avec les autorités judiciaires que lors de l’émission des citations à prévenu ou en cas d’une information lorsqu’il s’agit d’une ordonnance pénale, les personnes concernées seraient informées de ce qu’une condamnation judiciaire irrévocable pourra entraîner une réduction de points, information qui aurait été faite en l’espèce.
Le moyen unique invoqué par le demandeur est fondé en substance sur une violation de l’article 6 de la CEDH, qui dispose que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) » Dans l’affaire … citée par le demandeur à l’appui de son argumentation, la Cour a retenu une violation de l’article 6 de la CEDH aux termes du raisonnement suivant :
« 28. La Cour rappelle que dès lors qu’une sanction relève du domaine pénal, elle doit pouvoir être contrôlée par un tribunal répondant aux exigences de l’article 6 § 1, même si la Convention ne s’oppose pas à ce que les poursuites et les sanctions relatives aux délits mineurs relèvent en premier lieu des autorités administratives (Öztürk c. Allemagne, 21 février 1984, § 21–22, série A no 73).
29. Dans l’affaire … précitée, la Cour a constaté qu’un contrevenant était mis en mesure de contester les éléments constitutifs de l’infraction pouvant servir de fondement à la sanction pénale du retrait de points. Elle a relevé que l’intéressé avait aussi pu contester la réalité de l’infraction pénale, et soumettre aux juges répressifs tous les moyens de fait et de droit qu’il a estimés utiles à sa cause, sachant que sa condamnation entraînerait en outre le retrait d’un certain nombre de points (… c. France, précité, §§ 47 et 48). Cette information, dès le début de la procédure pouvant aboutir à un retrait de points, avait ainsi mis le contrevenant dans une situation lui permettant d’apprécier l’opportunité des moyens de défense à adopter face à l’accusation dont il faisait l’objet.
30. La Cour constate qu’en droit luxembourgeois, la sanction du retrait de points intervient automatiquement, dès lors qu’est établie la réalité d’une des infractions énumérées à l’article 2 § 2 de la loi de 1955, telle la surcharge d’un véhicule, par le biais d’une condamnation devenue définitive.
31. En l’espèce, contrairement à l’affaire …, le requérant n’a pas été informé du retrait de points dans le cadre de la procédure pénale. En effet, le simple fait que la législation prévoit le retrait de points, ne saurait, en l’absence d’un renvoi à cette législation au moment où le requérant disposait encore de la faculté de contester les faits qui lui étaient reprochés, être considéré comme portant suffisamment à sa connaissance l’étendue des sanctions qu’il encourait. Dès lors, la Cour retient que le requérant n’a été informé du retrait de points qu’à l’issue de la procédure pénale, c’est-à -dire au moment où l’ordonnance pénale était devenue irrévocable. Or, à ce stade, il ne pouvait plus, au regard de l’automaticité du retrait de points, utilement contester les faits qui lui étaient reprochés. Partant, cette information tardive n’a pas mis le requérant dans une situation lui permettant de préparer utilement et en connaissance de tous les éléments, et plus particulièrement de l’intégralité de la sanction encourue, sa défense contre l’infraction qui lui était reprochée.
32. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. » En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il se dégage de la citation à prévenu du 20 juillet 2011, figurant au dossier administratif, convoquant le demandeur à l’audience des plaidoiries du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, qui s’est soldée par le jugement correctionnel du 11 octobre 2011, précité, et qui a entraîné le retrait des quatre points restant du capital dont est doté le permis de conduire du demandeur suivant la décision du ministre du 29 février 2012, que le demandeur a été informé de ce qui suit : « Une condamnation irrévocable à une peine à l’issue de la procédure introduite par la présente citation est susceptible d’entraîner en plus une REDUCTION DE POINTS DU PERMIS DE CONDUIRE conformément à l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques. » Il s’ensuit que le demandeur a été informé dès le début de la procédure pénale et en tout cas préalablement à l’audience des plaidoiries devant le tribunal correctionnel qu’une condamnation irrévocable à l’issue de cette procédure pourrait entraîner une perte de points dont est doté son permis de conduire. Le tribunal est amené à retenir que cette information préalable était suffisante pour permettre au demandeur de faire valoir ses droits de la défense et pour qu’un procès équitable au sens de l’article 6 de la CEDH soit garanti, selon les critères retenus par la Cour dans l’affaire … citée par extraits ci-avant.
Quant aux décisions antérieures portant retraits de points du capital dont est doté le permis de conduire du demandeur, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement a fait valoir que celles-ci ont, à défaut de recours introduit par le demandeur endéans les délais légaux, étant précisé encore qu’il se dégage des pièces du dossier administratif que ces décisions ont été valablement notifiées au demandeur et qu’elle contiennent par ailleurs l’indication des voies de recours, acquis autorité de chose décidée, et ne font d’ailleurs pas l’objet du présent recours, de sorte que le demandeur ne saurait pas invoquer l’article 6 de la CEDH à leur égard.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 euros formulée par le demandeur est à rejeter.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 19 mars 2013 par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20/3/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 4