Tribunal administratif Numéro 32111 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 8 mars 2013 Recours formé par Monsieur …, alias …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10, L. 5.05.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32111 du rôle et déposée le 27 février 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, alias …, déclarant être né le … à …Iran), et être de nationalité iranienne, actuellement retenu au Centre de rétention à Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du 14 février 2013 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2013 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2013 par Maître Ardavan Fatholahzadeh pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Ardavan Fatholahzadeh, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 mars 2013.
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En date du 26 octobre 2012, Monsieur …, déclarant se nommer … et être de nationalité iranienne, introduisit une demande de protection internationale au Luxembourg.
Ayant constaté, à la suite de recherches effectuées sur le fichier européen EURODAC d'empreintes digitales, que l'intéressé avait présenté une demande d'asile en Italie le 22 avril 2009, les autorités luxembourgeoises formulèrent le 5 février 2013 une demande de reprise en charge auprès de leurs homologues italiens sur le fondement du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après dénommé « le règlement (CE) n° 343/2003 ».
Le 12 février 2013, les autorités italiennes firent savoir aux autorités luxembourgeoises qu’en vertu de l’article 16 du le règlement (CE) n° 343/2003, elles accepteraient la reprise de Monsieur… pour l’examen de sa demande de protection internationale.
Par décision du 14 février 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », déclara le Luxembourg incompétent pour l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur….
Par arrêté du 14 février 2013, notifié à l’intéressé le 25 février 2013, le ministre ordonna le placement de Monsieur… au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :
« Vu l’article 10 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport N° JDA 25764/1/BIR du 28 novembre 2012 établi par le Service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier en pays ;
Considérant que l’intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 26 octobre 2012 ;
- qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 16 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités italiennes en date du 5 février 2013 ;
- que les autorités italiennes ont marqué leur accord de reprise en charge en date du 12 février 2013 ;
Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;
- que la mesure de placement est nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert de l’intéressé vers l’Italie ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2013, Monsieur… a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 14 février 2013.
Etant donné que l’article 10 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », tel que modifié par l’article 155-2° de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration institue, par renvoi à l’article 123 (1) de la loi du 29 août 2008, un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire.
Le demandeur soutient de prime abord qu’en l’espèce, il n’existerait aucune impossibilité d’exécuter une mesure d’éloignement en raison de circonstances de fait, puisque l’Italie aurait accepté sa reprise, de sorte qu’une condition essentielle de validité de la mesure de rétention ferait défaut.
Dans ce même contexte, il reproche encore au ministre de ne pas avoir effectué les démarches suffisantes en vue de son éloignement « dans les délais impartis par la loi », alors que le ministre n’aurait adressé aux autorités italiennes une demande de reprise en charge que le 5 février 2013, tandis qu’il aurait déposé sa demande de protection internationale déjà le 26 octobre 2012.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ces moyens.
En l’espèce, le demandeur a fait l’objet d’une mesure de rétention sur base de l’article 10 (1) d) de la loi du 5 mai 2006, qui autorise le ministre à placer un demandeur de protection internationale dans une structure fermée pour une durée maximale de trois mois, notamment lorsque le placement s’avère nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert du demandeur vers le pays qui, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, est considéré comme responsable de l’examen de la demande.
Il convient de prime abord de relever qu’aucune condition tenant à une impossibilité matérielle de procéder à un éloignement n’est inscrite dans l’article 10 de la loi du 6 mai 2006, de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme étant dénué de pertinence.
Par ailleurs, tel que cela a été relevé ci-avant, le placement dans une structure fermée est plus particulièrement soumis à la condition que le ministre se trouve dans l’hypothèse d’un transfert envisagé vers le pays qui, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, est considéré comme responsable de l’examen de la demande et que le placement s’avère nécessaire afin de ne pas compromettre ce transfert.
Il ressort des pièces du dossier administratif que le demandeur, avant de déposer une demande de protection internationale au Luxembourg le 26 octobre 2012, avait introduit le 22 avril 2009 une demande d’asile en Italie, de sorte que le ministre a saisi les autorités italiennes d’une demande de reprise en charge sur le fondement de l’article 16 du règlement (CE) n° 343/2003 et que les autorités italiennes se sont déclarées d’accord de reprendre en charge le demandeur. Il ressort encore des éléments du dossier administratif qu’en date du 14 février 2013, le ministre s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande de protection internationale. Il s’ensuit que la condition tenant au transfert envisagé vers un pays qui, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, est considéré comme responsable de l’examen de la demande se trouve vérifiée.
Le ministre a justifié la condition tenant à la nécessité du recours au placement en rétention afin de ne pas compromettre ce transfert par le constat qu’il existe un risque de fuite dans le chef du demandeur.
Il ressort du dossier que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité et de voyage. Sur base de ce constat, le ministre a valablement pu retenir l’existence d’un risque de fuite dans le chef du demandeur, constat qui d’ailleurs n’a pas été remis en cause par le demandeur.
Il s’ensuit que le demandeur rentre dans les prévisions des dispositions de l’article 10 (1) d) de la loi du 5 mai 2006.
Quant au reproche du demandeur par rapport aux démarches entreprises par le ministre, il convient de relever que la concrétisation d’un transfert nécessite un minimum d’organisation, dont notamment des démarches de concertation entre les autorités compétentes des deux pays concernés et c’est précisément afin d’entreprendre ces démarches que le législateur a envisagé la possibilité d’un placement en rétention pour une durée de trois mois.
Cependant, étant donné qu’une mesure de placement en rétention constitue une mesure de privation de liberté, le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour organiser dans les meilleurs délais le transfert de l’intéressé vers le pays responsable de l’examen de la demande.
Force est de constater qu’en l’espèce, si les autorités luxembourgeoises ont reçu l’accord de reprise en charge de la part des autorités italiennes le 12 février 2013 et si la décision de placement en rétention a été prise le 14 février 2013, elle n’a été notifiée au demandeur que le 25 février 2013. Il se dégage encore des pièces du dossier administratif que le transfert vers l’Italie est prévu pour le 11 mars 2013. Ainsi, entre le placement au Centre de rétention et la date prévue pour le transfert se situe un délai de seulement quinze jours.
Le tribunal est amené à retenir que dans ces conditions, le ministre a entrepris les diligences nécessaires afin d’écourter le plus possible la durée du placement.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur que les autorités luxembourgeoises auraient dû commencer l’organisation de son transfert dès le dépôt de sa demande de protection internationale, dans la mesure où, d’une part, le demandeur n’a été placé au Centre de rétention que le 25 février 2013 et que c’est à partir de ce placement qu’il convient d’apprécier les diligences entreprises par le ministre, et, d’autre part, il ressort du dossier administratif que l’identification du demandeur par la prise d’empreintes en vue recherches sur le fichier européen EURODAC n’a été possible que fin novembre 2012, puisque lors d’un premier essai les empruntes du demandeur étaient illisibles (« Seine Fingerkuppen waren durch Fremdeinwirkung unleserlich demacht worden », cf. rapport de la police judiciaire du 28 novembre 2012) et qu’une fois les recherches sur le fichier EURODAC effectuées, il s’est avéré que le demandeur a été appréhendé dans différents pays européens, de sorte que forcément des recherches ont dû être effectuées afin de déterminer quel est le pays susceptible d’être compétent pour l’examen de sa demande de protection internationale.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur un défaut de diligences est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Le demandeur se prévaut ensuite d’une non-conformité de la décision litigieuse avec l’article 12 de la Constitution. Il estime que dans la mesure où au moment de l’exécution de la décision de placement, il aurait été soumis au port de menottes, il aurait fait l’objet d’une arrestation laquelle ne pourrait être ordonnée qu’en vertu d’une ordonnance motivée d’un juge conformément à l’article 12 de la Constitution.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur invoque encore une violation de l’article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en soutenant que le port de menottes constituerait une véritable peine pénale et que de ce fait, nul ne pourrait faire l’objet de menottes sans base légale, qui en l’espèce ferait défaut.
A l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement a encore conclu au rejet de ce moyen.
Aux termes de l’article 12 de la Constitution : « La liberté individuelle est garantie. – Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. – Nul ne peut être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. - Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures. – Toute personne doit être informée sans délai des moyens de recours légaux dont elle dispose pour recouvrer sa liberté ».
Il résulte de cette disposition, qui distingue entre l’arrestation et le placement, que seule l’arrestation d’une personne est subordonnée à la condition d’une ordonnance motivée du juge, une telle condition n’étant pas requise en cas de placement d’une personne en rétention.
En l’espèce, d’après les éléments d’appréciation soumis au tribunal administratif, force est de constater que le demandeur a fait l’objet d’une décision de placement en rétention et non pas d’une arrestation. Le seul fait, non utilement contredit par la partie étatique, que le demandeur aurait été menotté au moment de l’exécution de la mesure de rétention, c'est-à-dire lors de son transfert au Centre de rétention, ne suffit pas pour faire retenir que le demandeur aurait fait l’objet d’une arrestation, étant relevé encore que la décision de la police judiciaire de soumettre le demandeur au port de menottes, mesure qui d’après les explications fournies par le délégué du gouvernement s’explique par des raisons de sécurité, ne fait pas l’objet de la décision placement qui est déférée au tribunal, mais constitue une modalité d’exécution de cette décision, qui n’est pas susceptible de porter atteinte à la légalité de la décision de placement en tant que telle. Il s’ensuit qu’aucune ordonnance motivée du juge n’était requise pour le placer en rétention, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 12 de la Constitution est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ailleurs, c’est à tort que le demandeur soutient que le fait de le soumettre au port de menottes violerait l’article 7 de la CEDH.
En effet, au-delà du constat que, tel que cela a été retenu ci-avant, le port de menottes n’est pas l’objet de la décision de placement déféré au tribunal et n’est partant pas susceptible d’affecter la légalité de la décision de placement, force est de constater que, contrairement à ce que soutient le demandeur, le port des menottes auquel il a pu être soumis lors de l’exécution de la mesure de placement ne constitue pas une peine, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 7 de la CEDH consacrant le principe de la légalité des peines est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Le demandeur se rapporte ensuite à prudence de justice en ce qui concerne la compatibilité de son placement en rétention avec l’article 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE ». Au dispositif de la requête introductive, le demandeur sollicite encore sa libération conditionnée à toute autre mesure à décider par le tribunal par application de l’article 15 de ladite directive.
Or, à défaut de toute précision permettant au tribunal de saisir la portée de ce moyen et plus particulièrement de déterminer en quoi le demandeur estime pouvoir invoquer l’effet direct de la directive 2008/115/CE à travers un défaut ou une mauvaise transposition, le moyen afférent est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Enfin, le demandeur demande à ce que le tribunal ordonne son placement dans un autre établissement plus approprié à sa situation personnelle.
A défaut par le demandeur d’étayer utilement cette demande et plus particulièrement à défaut d’expliquer en quoi le Centre de rétention ne serait pas approprié à sa situation personnelle et ne correspondrait pas à la notion de structure fermée au sens de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006, la demande afférente est à rejeter. Si à l’audience des plaidoiries, le demandeur a encore fait état de problèmes cardiaques en renvoyant à des pièces médicales pour soutenir que le Centre de rétention ne serait pas approprié, force est de constater qu’il ne ressort pas des pièces soumises à l’appréciation du tribunal que l’état de santé du demandeur soit de nature à faire admettre que le Centre de rétention serait à qualifier de structure inappropriée pour lui. Au contraire, cette pièce démontre que l’état de santé du demandeur a été pris en considération dans la mesure où il a été transféré au Centre hospitalier pour des examens médicaux.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 8 mars 2013 à 11.00 heures par le vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8/3/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 7