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28/01/2013 | LUXEMBOURG | N°27409

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 janvier 2013, 27409


Tribunal administratif Numéro du rôle 27409 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2010 1re chambre Audience publique du 28 janvier 2013 Recours formé par Monsieur … et Madame XXX, Mersch, contre un arrêté grand-ducal 29 juillet 2010 en matière de changement de prénom et de nom patronymique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27409 du rôle et déposée le 26 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour,

inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée par Maître Anne-Céc...

Tribunal administratif Numéro du rôle 27409 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2010 1re chambre Audience publique du 28 janvier 2013 Recours formé par Monsieur … et Madame XXX, Mersch, contre un arrêté grand-ducal 29 juillet 2010 en matière de changement de prénom et de nom patronymique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27409 du rôle et déposée le 26 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée par Maître Anne-Cécile SCHWERER, avocat, toutes deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Togo) et de Madame XXX, née le …(Autriche), demeurant ensemble à L- … , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 29 juillet 2010 portant refus de l’autorisation de changer les prénoms et le nom patronymique de leur fille dénommée … BBB en BBB… … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2011 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Yvette NGONO YAH au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 2011 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2011 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH et Madame le délégué du gouvernement Betty SANDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2012.

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Par requête datée du 25 novembre 2009, Monsieur … et sa compagne Madame XXX, s’adressèrent au Procureur d’Etat afin de solliciter l’autorisation de changer le nom patronymique et les prénoms de leur fille … BBB en BBB… … en motivant leur demande par le fait qu’ils souhaiteraient donner le nom patronymique de Monsieur … à leur enfant.

Suite à des avis défavorables du procureur d’Etat et du procureur général d’Etat, datés respectivement du 27 mai et du 2 juin 2010, et à un avis défavorable du Conseil d’Etat du 29 juin 2010, la requête en changement fut rejetée par arrêté grand-ducal du 29 juillet 2010, lequel fut transmis à Monsieur … et Madame XXX par courrier du ministre de la Justice du 10 août 2010.

Par requête du 26 octobre 2010, Monsieur … et sa compagne Madame XXX introduisirent un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 29 juillet 2010.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif que la loi ne prévoirait pas la possibilité d’un recours au fond en la matière.

En ce qui concerne la compétence du tribunal administratif pour connaître du présent recours, force est effectivement de constater qu’aucune disposition de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms, ci-après « la loi du 11-12 germinal an XI » ne prévoit de recours de pleine juridiction contre une décision de refus de changement de prénom et de nom patronymique, de sorte que seul un recours en annulation a valablement pu être introduit en l’espèce.

Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.

Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs rappellent qu’ils ont une fille commune dénommée … BBB, née le 20 juillet 2008 à Luxembourg. Ils soulignent que Monsieur … aurait eu la nationalité togolaise jusqu’au 31 mars 2009, nationalité à laquelle il aurait cependant renoncé dès octobre 2005 et ceci suite à la promesse de nationalisation lui délivrée le 10 juin 2005 par les autorités luxembourgeoises. Les demandeurs font valoir que dans la mesure où Monsieur … aurait ainsi renoncé à sa nationalité d’origine et qu’aucun des deux parents n’auraient eu la nationalité luxembourgeoise lors de la naissance de leur fille, ils auraient donné la nationalité de Madame BBB à cette dernière, à savoir la nationalité autrichienne. Ils expliquent que dans la mesure où la loi autrichienne prévoirait cependant qu’un enfant né hors mariage devrait prendre le nom de famille de sa mère, ils auraient dû attribuer le nom patronymique de Madame BBB à l’enfant. Les demandeurs mettent en exergue le fait qu’ils auraient néanmoins veillé à ce que l’enfant conserve dans son identité le nom patronymique de son père, en décidant que leur fille porterait le nom patronymique de celui-ci, à savoir …, en tant que prénom. Finalement ils précisent que tant l’enfant que son père auraient entretemps acquis la nationalité luxembourgeoise.

Ensuite les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir fait droit à leur demande en soulignant qu’ils souhaitent que leur fille porte le nom patronymique de son père, afin d’extérioriser et de rétablir sa véritable identité, ce que la loi autrichienne ne leur aurait pas permis au moment de la naissance de leur enfant. Ils expliquent que pour attribuer le nom patronymique du demandeur à leur fille, il serait nécessaire que celle-ci change tant de prénoms que de nom patronymique et ceci afin d’éviter une association de nom et prénom ridicule, à savoir … …, de sorte qu’ils auraient choisi d’appeler leur fille BBB… …. Les demandeurs soutiennent que leur demande présenterait dès lors un intérêt légitime suffisamment sérieux et grave et ne saurait être qualifiée comme étant de pure convenance. Ils en concluent qu’il existerait des circonstances exceptionnelles et des raisons importantes à la source de leur demande, de sorte que l’arrêté grand-ducal devrait encourir l’annulation.

Le délégué du gouvernement quant à lui souligne que dans la mesure où l’enfant des demandeurs aurait acquis la nationalité luxembourgeoise avec effet au 31 mars 2009, son nom serait exclusivement régi par le droit luxembourgeois. Il se base ensuite sur la fixité du nom patronymique, laquelle constituerait une règle d’ordre public et social, pour rappeler que le changement du nom patronymique ne saurait être autorisé qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des motifs graves et sérieux. Il souligne encore que dans leur demande en changement de nom de leur fille, Monsieur … et Madame BBB se seraient bornés à solliciter le nom du père, sans pour autant motiver leur choix, de sorte qu’il n’aurait pas été possible au ministère de la Justice de percevoir des motifs graves et sérieux à la base de ladite demande. La partie étatique met encore en exergue le fait que le législateur luxembourgeois aurait mis le nom de la mère et le nom du père d’un enfant sur un pied d’égalité et permettrait ainsi d’attribuer soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms à un enfant. Finalement, il précise que si les demandeurs avaient fourni à l’appui de leur demande les mêmes précisions qu’ils ont fournies au cours de la phase contentieuse, leur demande aurait probablement fait l’objet d’une réponse différente.

Avant tout progrès en cause, il échet de constater, de concert avec le délégué du gouvernement, que dans la mesure où il résulte des pièces versées en cause que tant Monsieur … que sa fille ont acquis la nationalité luxembourgeoise à partir du 31 mars 2009, le nom de l’enfant est exclusivement régi par le droit luxembourgeois et ceci en vertu de l’article 3 du Code civil suivant lequel l’état civil est régi par la loi nationale de l’intéressé, l’application de la loi luxembourgeoise n’étant d’ailleurs pas contestée par les demandeurs.

En vertu de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aucun citoyen ne peut porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance. L’article 4 de la prédite loi du 11-21 germinal an XI, dans sa teneur lui conférée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et prénoms, déroge au principe de la fixité des noms et prénoms en disposant que toute personne qui aura quelque raison de changer de nom ou de prénoms en adressera la demande motivée au gouvernement. En vertu de l’article 5 de la même loi, le gouvernement se prononcera dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique.

Il découle des textes de loi précités que le principe de la fixité du nom patronymique est une règle d’ordre public et social. Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé1.

Par ailleurs, il échet de rappeler d’une part, que suivant la règle de la fixité, sinon de la pérennité du nom patronymique, laquelle participe à l’ordre public, les raisons devant justifier le changement de nom patronymique sont appelées à s'analyser en des circonstances exceptionnelles à énoncer dès la demande adressée au gouvernement, qui doit être dûment motivée. Cette exigence d'une motivation spécifique dès la demande formulée auprès du gouvernement se justifie, d'une part, en raison des circonstances exceptionnelles pouvant seules sous-tendre valablement un changement de nom patronymique et, d'autre part, par le caractère nécessairement éclairé non seulement de l'autorité de décision à travers les avis rendus à son escient par le Conseil d'Etat, ainsi que le procureur d’Etat compétent ensemble le procureur général d'Etat, mais encore dans le chef de ces derniers mêmes2.

D’autre part, il y a encore lieu de rappeler que dans le cadre du recours en annulation la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise.

Or, si les demandeurs précisent certes dans le cadre de leur recours sous analyse que leur choix de donner le nom patronymique de Madame BBB à leur fille s’expliquerait par le fait que lors de la naissance de celle-ci, son père aurait d’ores et déjà renoncé à sa nationalité togolaise, de sorte qu’ils ont dû attribuer la nationalité autrichienne à leur enfant et que la loi autrichienne prévoirait qu’un enfant né hors mariage doit porter le nom patronymique de sa mère, il n’en reste pas moins que dans leur demande introduite en date du 25 novembre 2009 auprès du Procureur d’Etat, ils se sont limités à énoncer les motifs à la base de ladite demande comme suit :

« Prendre le nom de mon père (…) ».

Force est dès lors de retenir qu’au moment de la prise de décision, l’autorité administrative avait comme seuls éléments d’appréciation en ce qui concerne le bien-fondé de la demande de Monsieur … et de Madame BBB, le fait que ceux-ci souhaitaient attribuer le nom patronymique du demandeur à leur fille.

Or, il y a lieu de constater, à l’instar de la partie étatique, que le législateur, par le biais de la loi du 23 décembre 2005 relative aux noms des enfants, a mis le nom patronymique de la mère et du père sur un pied d’égalité, l’article 57, alinéa 3 du Code civil introduit par ladite loi du 23 décembre 2005, précisant en effet que l’enfant peut acquérir soit le nom de son père, soit le nom de sa mère, soit leurs deux noms, de sorte que le droit de choisir le nom qui est dévolu à l’enfant appartient aux parents, au moment de la naissance de l’enfant, lorsque la filiation d’un enfant est établie simultanément à l’égard de ses deux parents, comme cela a été le cas en l’espèce.

1 Trib. adm. 13 novembre 1997, n°9854 du rôle; Trib. adm. 16 janvier 2002 n°13851 du rôle, Pas. adm. 2012, V°Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°5 2 Trib. adm. 12 mai 2005, n° 20084 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°4 Il résulte en effet des travaux parlementaires relatifs à la prédite loi du 23 décembre 2005, que le législateur, en modifiant l’article 57 du Code civil, permettant ainsi aux parents de choisir le nom qu’ils souhaitent attribuer à leurs enfants, a entendu parfaire l’égalité entre les hommes et les femmes en accordant aux deux parents des droits égaux3. Le libellé de l’article 57, alinéa 3 en ce qu’il prévoit « lorsque la filiation d’un enfant est établie simultanément à l’égard de ses parents, au plus tard le jour de la déclaration de la naissance, ces derniers choisissent le nom qui lui est dévolu » relate d’ailleurs expressément cette liberté de choix accordée désormais aux parents.

Force est dès lors de retenir que dans la mesure où le nom patronymique de la mère et du père d’un enfant sont en parfaite égalité aux yeux de la loi, la seule volonté des demandeurs d’attribuer le nom patronymique de Monsieur … à leur fille telle qu’exprimée à travers de leur demande, et ceci sans autre motivation ni précision, ne saurait être considérée comme une circonstance exceptionnelle, respectivement une raison importante susceptible de déroger à la fixité du nom et de justifier le changement de prénoms et de nom patronymique tel que sollicité par les demandeurs.

Cette conclusion pas énervée par les explications complémentaires fournies par les demandeurs au cours de la procédure contentieuse, étant donné que le tribunal vient de retenir ci-

avant que dans le cadre du recours en annulation la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier dont l’autorité a connaissance au moment où elle statue : en effet, il ne saurait être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile4. Dans la mesure où l’autorité compétente n’avait au moment de sa prise de décision pas connaissance des raisons exactes ayant poussé les demandeurs à solliciter le changement des prénoms et du nom patronymique de leur fille, raisons qui n’ont été précisées qu’au cours de leur recours contentieux, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de l’arrêté grand-ducal déféré.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours en annulation est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

déclare le recours en annulation subsidiaire recevable en la forme ;

3 Doc. parl. N° 48436, Rapport de la Commission juridique du 30 novembre 2005, p.3.

4 Trib. adm. 13 juin 2012 n°29126 du rôle, Pas. adm. 2012, V°Recours en annulation, n°15 au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 janvier 2013 par :

Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit s. Schmit s. Sünnen 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 27409
Date de la décision : 28/01/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-01-28;27409 ?

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