Tribunal administratif Numéro 30924 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2012 3e chambre Audience publique du 23 janvier 2013 Recours formé par Monsieur … contre une décision du procureur général d’Etat du Grand-Duché de Luxembourg en matière de permis de conduire
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30924 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2012 par Maître Michèle Merten, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, employé privé, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du délégué du procureur général d’Etat du 4 avril 2012 constatant la déchéance du sursis intégral dont été assortie une peine d’interdiction de conduire judiciaire prononcée par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 19 octobre 2006 et invitant la police grand-ducale de lui retirer son permis de conduire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2012 par Maître Michèle Merten au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michèle Merten et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 janvier 2013.
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Par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, neuvième chambre, siégeant comme juge unique en matière correctionnelle, du 19 octobre 2006, Monsieur … fut condamné à une interdiction de conduire de 15 mois assortie du sursis intégral, du chef d’avoir circulé avec un taux d’alcool d’au moins 0,55 mg par litre d’air expiré, en l’espèce 0,68 mg/l.
Par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, du 17 janvier 2012, Monsieur … fut à nouveau condamné à une interdiction de conduire de 19 mois assortie du sursis intégral pour avoir circulé avec un taux d’alcool d’au moins 0,55 mg par litre d’air expiré, en l’espèce 0,81 mg par litre d’air expiré.
Le 4 avril 2012, le délégué du procureur général d’Etat constata la déchéance du sursis intégral dont a été assortie la peine prononcée par le jugement précité du 19 octobre 2006 du tribunal d’arrondissement et invita la police grand-ducale à retirer le permis de conduire de Monsieur ….
Le 7 mai 2012, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre la décision précitée du 4 avril 2012 et par décision du 12 juin 2012, Madame la déléguée du procureur général d’Etat confirma celle du 4 avril 2012.
Par requête déposée le 24 juillet 2012 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 30924 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation contre la décision du 4 avril 2012, précitée.
Le délégué du gouvernement conteste la compétence des juridictions administratives pour connaître tant du recours en annulation que du recours en réformation.
Le demandeur fait valoir à cet égard que la décision déférée serait à qualifier d’acte administratif individuel, de sorte que le tribunal administratif serait compétent pour en connaître. En effet, l’acte attaqué du 4 avril 2012 serait une décision prise dans le cadre de l’exécution des peines et constituerait dès lors une mesure de l’administration prise en dehors de toute activité juridictionnelle. Le demandeur soutient encore que le procureur général d’Etat, en prenant l’acte litigieux à son encontre aurait agi en sa qualité d’autorité administrative.
Aux termes de l’article 95bis de la Constitution : « (1) Le contentieux administratif est du ressort du tribunal administratif et de la Cour administrative. […].
(4) Les attributions et l’organisation des juridictions administratives sont réglées par la loi. […] ».
Il s’ensuit que les juridictions administratives n’ont pas une compétence générale pour connaître du contentieux administratif, mais que leurs compétences ratione materae respectives leurs sont attribuées par la loi.
Quant à sa compétence pour connaître du recours principal en annulation et du recours subsidiaire en réformation, le tribunal est amené à constater qu’aucune disposition légale spécifique ne lui attribue compétence pour connaître d’un recours en annulation ou en réformation introduit contre une décision du procureur général d’Etat constatant la déchéance du sursis dont été assortie une peine d’interdiction de conduire, de sorte qu’il est incompétent pour connaître du recours en réformation et pour ce qui est de la question de sa compétence pour connaître du recours en annulation elle est à analyser sur le fondement de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », aux termes duquel « (1) Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. » Il s’ensuit que la compétence des juridictions administratives pour connaître d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 2, précité, de la loi du 7 novembre 1996 est conditionnée par la qualification de l’acte faisant l’objet du recours ainsi que de l’autorité qui a pris la décision, sous réserve qu’aucun autre recours ne soit admissible d’après les lois et règlements.
A cet égard, force est au tribunal de constater que le procureur général d’Etat est un magistrat relevant de l’ordre judiciaire, de sorte que les décisions qu’il est amené à prendre dans le cadre de son activité relèvent de l’ordre judiciaire lorsqu’elles tendent à l’élaboration d’une décision juridictionnelle et que, dans le cas contraire, il peut soit poser des actes administratifs, comme tels soumis au contrôle du juge administratif, soit poser des actes de pure administration interne n’affectant pas les droits des administrés et partant soustrait à tout recours contentieux.1 En effet, il convient de distinguer entre les décisions prises par le procureur général d’Etat ayant trait à la nature et aux limites d’une peine infligée par la juridiction judiciaire, qui échappent à la compétence des juridictions administratives pour relever de la sphère de compétence exclusive des autorités judiciaires, et celles ayant trait aux modalités et conditions de pure exécution d’une peine prononcée par la juridiction judiciaire.
En l’espèce, le tribunal est amené à conclure que la décision du procureur général d’Etat constatant la déchéance du sursis intégral dont était assortie une peine d’interdiction de conduire, si elle ne constitue certes pas une décision qui tend à l’élaboration d’une décision juridictionnelle à proprement parler, elle est cependant de nature à aménager la nature d’une peine prononcée par une juridiction judiciaire, en l’occurrence l’exécution d’une interdiction de conduire assortie auparavant d’un sursis intégral, de sorte que le tribunal administratif, en vertu des principes dégagés ci-avant, est incompétent pour connaître d’un recours principal en annulation introduit contre un tel acte.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en annulation ;
1 Voir en ce sens TA prés. 25 février 2002, n° 14569 du rôle, Pas. adm. 2011, V° Actes administratifs, n° 9 et les autres décisions y citées se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 23 janvier 2013 par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
Claudine Meili Claude Fellens 4