Tribunal administratif N° 29812 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2012 1re chambre Audience publique du 21 janvier 2013 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu de capitaux
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29812 du rôle, déposée en date du 3 février 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude CLEMES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par sa gérante actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° …, tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 4 novembre 2011 portant rejet de la demande de la société à responsabilité limitée … du 24 octobre 2011 tendant à la remise gracieuse d’impôts et des intérêts concernant la retenue sur revenus de capitaux des années 1997 et 1998 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 25 avril 2012 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Claude CLEMES et Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 janvier 2013.
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Le 24 octobre 2011, Madame … adressa à l’administration des Contributions directes au nom de la société à responsabilité limitée … une demande tendant à obtenir une remise d’impôts et des intérêts par voie gracieuse concernant la retenue sur revenus de capitaux des années 1997 et 1998 pour un montant total de … euros.
Par décision directoriale du 4 novembre 2011, le directeur de l’administration des Contributions directes rejeta la prédite demande en les termes suivants :
« Vu la requête présentée le 31 octobre 2011 par la dame …, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie à L-…, ayant pour objet une remise d’impôts et des intérêts par voie gracieuse concernant la retenue sur revenus capitaux des années 1997 et 1998 ;
Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu’il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;
Considérant que la gérante fait état d’une situation financière difficile de la société sous rubrique ;
Considérant qu’en vertu du paragraphe 131 AO, sur demande justifiée endéans les délais du paragraphe 153 AO, le directeur de l’administration des contributions directes accordera une remise d’impôt ou même la restitution dans la mesure où la perception de l’impôt dont la légalité n’est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;
Concernant la rigueur subjective, une remise gracieuse n’est justifiée que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables (cf. C.A. N° 11844C du 16 mai 2000) ;
Considérant que les arguments relatifs à la survie économique et à l’absence de liquidités afin de régler la dette fiscale n’ont pas été rapportés à suffisance de droit ;
Considérant que le simple fait qu’une société ne dispose pas de liquidités nécessaires pour payer les impôts ne constitue pas des raisons suffisantes de nature à établir dans son chef une rigueur subjective au sens du paragraphe 131 AO (cf. T.A. N° 22030 du 27 décembre 2007) étant donné qu’un contribuable ne peut pas valablement prétendre à une protection de l’intégralité de son actif investi contre l’exigence d’une réalisation en vue de satisfaire à ses obligations fiscales valablement fixées (cf. T.A. N° 20890 du 23.082006) ;
Considérant donc en ce qui concerne une rigueur subjective, force est de constater que les motifs invoqués par la requérante ne permettent pas de retenir une iniquité ;
Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies (…) ».
Par requête déposée le 3 février 2012, la société à responsabilité limitée … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de cette décision directoriale portant rejet de sa demande en obtention d’une remise gracieuse.
Le paragraphe 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en cause.
Le recours principal en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire.
La société …, s’appuyant sur les antécédents et rétroactes de ce dossier, s’empare à l’appui de son recours de la prétendue iniquité tant objective que subjective avec laquelle l’administration des Contributions Directes entendrait percevoir un montant principal de … € + … € d’intérêts résultant d’une imposition relative aux retenues sur revenus de capitaux des années 1997 à 2000.
A cet égard, elle explique avoir fait l’objet en 2002 d’une imposition basée sur une majoration importante de ses recettes par le bureau d’imposition compétent, imposition qui aurait fait l’objet d’une réclamation de sa part en date du 7 novembre 2002, la société … ayant encore par courrier du 13 janvier 2003 sollicité un délai de paiement.
Or, par courrier du 22 juillet 2003 émanant du bureau d’imposition compétent, elle aurait été informée que comme ses arguments développés à l’appui de sa réclamation ne seraient manifestement pas irrecevables, un sursis à exécution pour les impôts sur les revenus de capitaux des années 1997 et 1998 lui aurait été accordé.
Nonobstant ce sursis à exécution, la société … se serait vue notifier en date du 11 juin 2010 un extrait de compte reprenant les impôts sur les revenus des années 1997 et 1998 et après un échange de correspondance, elle aurait été informée par courrier du bureau d’imposition de Diekirch du 21 septembre 2011 que le sursis à exécution accordé le 22 juillet 2003 avait été annulé étant donné que par décision directoriale du 19 septembre 2011, le directeur de l’administration des Contributions directes aurait rejeté sa réclamation.
Aussi, la demanderesse s’insurge contre le fait que l’administration des Contributions Directes aurait décidé après 8 ans que les arguments considérés par la même administration en 2003 comme n’étant pas manifestement irrecevables aient été écartés par décision directoriale le 19 septembre 2011 et elle donne à considérer que le devoir de diligence général de l’administration sous-tendrait la liquidation dans un délai raisonnable des charges d’impôts relative à une année d’imposition pour laquelle une déclaration d’impôts a été dûment remise à l’administration, la société … estimant qu’il n’aurait certainement pas été dans l’intention du législateur de permettre à l’administration des Contributions Directes de laisser les contribuables dans une incertitude administrative durant presque 9 ans.
La société … affirme encore que l’inéquité dans la perception de l’impôt serait également d’ordre subjectif en ce qu’elle se ressentirait directement dans la personne du contribuable, la demanderesse affirmant en effet que la perception après quasi 9 années des montants redûs aurait entraîné la liquidation totale du magasin … à …, la demanderesse relevant que le paiement dudit impôt remontant à une imposition du 31 octobre 2002 et portant sur les exercices 1997 et 1998 l’aurait obligée à faire ce choix prématuré, alors qu’elle ne disposerait pas des liquidités nécessaires pour apurer même avec des paiements échelonnés cette imposition de 2002.
Elle conclut dès lors à la réformation de la décision entreprise dans le sens d’une remise d’impôts et d’intérêts alors que la perception de l’impôt entraîne dans son chef une rigueur incompatible avec l’équité tant objective que subjective dans la personne du contribuable.
Le délégué du gouvernement, de son côté, conclut à la confirmation de la décision directoriale déférée et en conséquence au rejet du recours tel que formulé par la société ….
Une remise d’impôt au sens du paragraphe 131 AO se conçoit dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière soit subjectivement dans la personne du contribuable. Une demande de remise d’impôt s’analyse dès lors exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette.
En effet, au vœu du paragraphe 131 AO, une remise d’impôt se conçoit « dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable », et ce à condition que la demande afférente ait été introduite par le contribuable « endéans les délais du § 153 AO », c’est-à-dire endéans l’année qui suit les faits justifiant la remise d’impôt. Afin de pouvoir bénéficier d’une remise d’impôt, il faut de prime abord que la légalité de l’imposition ne soit pas contestée, étant donné que la voie de la remise est exclusive de celle contentieuse de la fixation de l’impôt.
Or, en l’espèce, le tribunal constate que la société … a dans un premier temps tenté par le biais d’une réclamation introduite le 7 novembre 2002 de contester tant les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 1997, 1998, 1999 et 2000, les bulletins de l’impôt commercial communal des années 1997, 1998, 1999 et 2000, ainsi que les bulletins de la retenue sur revenus de capitaux des années 1997, 1998, 1999 et 2000, tous émis le 31 octobre 2002, réclamation rejetée par la décision directoriale du 19 septembre 2011, pour ensuite, au vu de cette décision, introduire le 31 octobre 2011, une demande de remise gracieuse.
Ensuite, en ce qui concerne la rigueur objective mise en avant par la demanderesse, rigueur objective qui peut résulter d’une fausse application de la loi fiscale ayant entraîné au détriment du contribuable la fixation d’un montant trop élevé, tout comme elle peut résulter des délais et effets de la procédure d’imposition1, la société … se prévaut en substance du fait que l’administration des Contributions Directes l’aurait laissé dans une incertitude administrative durant presque 9 ans et n’aurait pas poursuivi avec la diligence requise la liquidation dans un délai raisonnable des charges d’impôts litigieuses.
Or, le tribunal constate, de concert avec le délégué du gouvernement, que la demanderesse avait, parallèlement à l’introduction de sa réclamation précitée, sollicité par courrier du 13 janvier 2003 un délai de paiement qu’elle se vit accorder en application du paragraphe 251 AO. Aux termes du paragraphe 251 AO, « Durch Einlegung eines Rechtsmittels wird die Wirksamkeit des angefochtenen Bescheids nicht gehemmt, insbesondere die Erhebung einer Steuer nicht aufgehalten. Die Behörde, die den Bescheid erlassen hat, kann die Vollziehung aussetzen, geeignetenfalls gegen Sicherheitsleistung ».
Il s’ensuit que le sursis à exécution au sens du paragraphe 251 AO ne se conçoit que lorsqu’une décision de l’administration des Contributions directes, susceptible d’être exécutée, a fait l’objet d’un recours contentieux lequel n’a pas encore été toisé, ledit sursis consistant ainsi en une mesure provisoire, permettant au fisc de suspendre à titre de précaution l’exécution d’une décision en attendant l’issue du recours afférent, de sorte que, par 1 Trib. adm. 6 février 2002, n° 13346, confirmé par arrêt du 11 juin 2002, n° 14725C, Pas. adm. 2011, V° Impôts, n° 411, et autres références y citées.
définition, le sursis éventuellement accordé, cesse ses effets dès que la réclamation a été définitivement tranchée.
Aussi, la demanderesse, laquelle est personnellement à l’origine de ces délais dont elle a pu profiter aux termes du sursis lui accordé, ne saurait actuellement se prévaloir de cette même faveur exceptionnelle de l’administration pour en tirer une quelconque rigueur objective. Le tribunal ne décèle par ailleurs aucune attitude incohérente dans le chef de l’administration qui consisterait à lui avoir d’abord accordé le sursis à exécution au vu de ce que ses arguments contenus dans la réclamation ne seraient pas « manifestement irrecevables », pour ensuite lui retirer le bénéfice de ce sursis au motif que sa réclamation aurait été rejetée par le directeur, le fait que le sursis ait été retiré dès la survenance de la décision directoriale découlant de la nature même du sursis à exécution, accordé à titre provisoire et à titre de précaution en attendant que les mérites de la réclamation aient été tranchés.
Il convient par ailleurs de rappeler que lorsqu’une réclamation au sens du paragraphe 228 AO a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant peut considérer la réclamation comme rejetée et il peut interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation ; aussi, en l’espèce, la demanderesse n’était pas comme allégué tenue d’attendre dans l’incertitude pendant 9 ans après l’introduction de sa réclamation le 7 novembre 2002, alors qu’elle pouvait considérer celle-ci comme rejetée dès le 7 mai 2003, de sorte qu’elle était fixée sur son sort dès cette date et aurait pu, sinon dû, soit soumettre ses contestations au tribunal administratif, soit s’attendre à devoir payer sa dette fiscale.
Il s’ensuit qu’à défaut de tout autre moyen aucune rigueur objective ne peut être dégagée des éléments du dossier soumis au tribunal.
Quant à une éventuelle rigueur subjective, laquelle peut se justifier lorsque la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables, force est de constater que s’il résulte certes des pièces fournies que la demanderesse a sollicité du ministère des Classes Moyennes une autorisation pour pouvoir procéder à la liquidation totale du magasin … et a obtenu en date du 23 janvier 2012 l’autorisation de liquider ses marchandises jusqu’au 22 juillet 2012 et que la demanderesse affirme que cette liquidation aurait été rendue nécessaire au vu de l’obligation de payer les impôts et intérêts réclamés, le tribunal constate, toutefois, d’une part, que non seulement la demanderesse n’a fourni aucune pièce au tribunal permettant d’étayer sa prétendue situation financière difficile, étant souligné que ni la demande en autorisation de cessation d’activité et de liquidation adressée au ministère des Classes Moyennes, ni l’autorisation afférente ne mentionnent la raison d’être de la cessation d’activité, de sorte à ne pas établir de lien direct entre la perception des impôts et intérêts exigés et la cessation d’activité du contribuable, la société … ayant par ailleurs dans sa demande de remise gracieuse encore mentionné l’existence d’autres dettes, telles que notamment des dettes bancaires, des dettes envers l’administration de l’Enregistrement et des dettes envers les associés de la société, étant à cet égard plus particulièrement souligné que les parts sociales de la société sont détenues intégralement par l’associée-gérante Madame … Il s’ensuit qu’il n’est pas établi en cause que le règlement des impôts dus entraînerait la faillite de la société et serait à l’origine de la cessation d’activité mise en avant par la société …, d’ailleurs intervenue bien avant que le tribunal n’ait été appelé à statuer sur le sort à réserver à la demande de remise gracieuse.
D’autre part, le tribunal relève encore que si la demanderesse affirme ne pas disposer de liquidités suffisantes pour payer ses dettes fiscales, elle n’avance ni explications ni pièces excluant l’existence d’autres actifs qui lui permettraient de payer sa dette fiscale.
Enfin, d’une manière générale, le simple fait qu’une société ne dispose pas des liquidités nécessaires pour procéder au paiement des impôts lui fixés par l’administration fiscale et le risque encouru par elle de tomber en faillite au cas où elle devrait procéder audit paiement ne constituent pas, à eux seuls, des raisons suffisantes de nature à établir dans son chef une rigueur subjective au sens de la loi, qui devrait entraîner une remise gracieuse des impôts qui ont légalement pu lui être fixés par l’administration fiscale2, et ce d’autant plus qu’en l’espèce la majoration d’impôts désignée par la société comme constituant une rigueur subjective tire son origine de distributions cachées de bénéfices au profit de son associée-
gérante telle que retenues par l’administration des Contributions directes.
Aussi, en l’absence d’autres éléments permettant d’établir dans le chef de la société une rigueur subjective, le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il s’ensuit que la demanderesse n’a pas produit d’éléments en cause permettant au tribunal de réformer la décision directoriale déférée, de sorte que son recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
le déclare cependant non fondé et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation ;
met les frais à charge de la demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 janvier 2013 par :
Marc Sünnen, vice-président, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original 2 Trib. adm. 27 décembre 2007, n° 22030.
Luxembourg, le 21 janvier 2013 Le Greffier du Tribunal administratif 7