Tribunal administratif Numéro 30778 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2012 3e chambre Audience publique du 16 janvier 2013 Recours formé par Monsieur …et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30778 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2012 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo) et de sa concubine, Madame …, née le … à …, agissant en leur nom propre et au nom et pour le compte de leur enfant mineur …, née le … à … (Serbie), tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 4 juin 2012 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hakima Gouni, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2012.
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Le 11 juillet 2011, Monsieur …et sa concubine, Madame …, accompagnés de leur enfant mineur …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations des consorts … auprès d’un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, furent actées dans un rapport daté du 11 juillet 2011.
Monsieur … fut entendu en date du 2 août 2011 et Madame … fut entendue en date du 23 août 2011 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale, à savoir en substance des menaces et agressions émanant de membres de la population albanaise au Kosovo, du défaut de la police de donner suite à leurs plaintes, ainsi que de leur peur de se rendre dans les hôpitaux kosovares en raison du fait qu’y travailleraient uniquement des Albanais.
Par décision du 4 juin 2012, notifiée par lettre recommandée envoyée le 5 juin 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … de ce que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée au motif que les faits dont ils font état ne peuvent, à eux seuls, établir dans leur chef une crainte fondée d’être persécutés dans leur pays d’origine au sens de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi que des articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006, que certains faits dont ils font état sont trop éloignés dans le temps pour fonder leur demande de protection internationale, et que les autres faits ne sont pas d’une gravité telle pour fonder à eux seuls une demande en obtention d’une protection internationale, et, par ailleurs, qu’en application de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, il ne serait pas non plus établi que l’Etat kosovar ne peut ou ne veut pas leur accorder une protection. Le ministre conclut d’autre part qu’ils ne feraient pas état de motifs sérieux et avérés de croire qu’ils risquent de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2012, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 4 juin 2012, par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à leur égard l’ordre de quitter le territoire.
A l’appui de leur recours, les demandeurs, déclarant être d’origine ethnique serbe et de nationalité kosovare, soutiennent que depuis 2003, le demandeur serait exposé à des pressions et des menaces incessantes de la part d’un groupe d’albanais. En 2003, des personnes inconnues d’origine albanaise lui auraient demandé de monter dans leur voiture et suite à son refus de ce faire, le chauffeur de la voiture aurait tenté de l’intimider en lui infligeant un coup avec la portière de la voiture. Ensuite, deux autres personnes seraient arrivées à bord d’une deuxième voiture et auraient agressé le demandeur en lui donnant un coup au visage entraînant une blessure au nez, de sorte qu’il aurait dû être hospitalisé. Le médecin en charge aurait signalé l’incident à l’unité de la KFOR et le demandeur l’aurait signalé à la police, qui l’aurait alors amené à l’hôpital de … et lui aurait promis de déployer tous les efforts afin de retrouver ses agresseurs, mais n’aurait mené aucune investigation. Par la suite, le demandeur aurait régulièrement croisé ses agresseurs en ville qui, assurés de leur impunité, l’auraient bousculé et auraient craché sur lui et sa compagne.
Les demandeurs exposent encore que deux mois avant leur arrivée au Luxembourg, ils auraient été menacés par des personnes à bord d’un véhicule, ce qui aurait déclenché un état de dépression dans le chef de la demanderesse. Une vingtaine de jours plus tard, le demandeur ayant été menacé par un individu muni d’un couteau, aurait réussi à fuir et à alerter la police, qui l’aurait cependant encouragé de quitter son pays d’origine au lieu de mener une enquête.
Les demandeurs expliquent que cette multiplication d’actes de persécutions perpétrés à leur égard, ainsi que la faible protection leur offerte par la police kosovare les auraient poussés à quitter le Kosovo.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce.
Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
En se prévalant de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs soutiennent que leurs craintes de persécutions seraient justifiées dans la mesure où ils subiraient des menaces récurrentes limitant leur liberté de circulation. Les persécutions physiques et morales répétées qu’ils subiraient seraient basées sur leur origine ethnique. Ils exposent qu’ils ne bénéficieraient même pas d’une protection minimale de la part de la police kosovare, celle-ci ne témoignant pas d’un grand zèle pour protéger les personnes issues de minorités contre les agissements de la population albanaise majoritaire. Ils en déduisent qu’ils devraient être considérés comme membres d’un groupe ethnique minoritaire persécutés en raison de cette appartenance ethnique.
En invoquant l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs expliquent que la gravité des persécutions résiderait dans les menaces subies et les actes discriminatoires constituant des actes de persécutions suffisamment graves pour violer les droits fondamentaux de l’homme.
Ils font ensuite valoir que les persécutions exercées sur eux rendraient la demanderesse dépressive.
Les demandeurs soulignent encore que les actes de persécutions dont ils feraient l’objet présenteraient un caractère répétitif dans la mesure où les actes de discrimination commis à leur égard perdureraient depuis des années. Etant donné que les autorités judiciaires de leur pays d’origine ne seraient pas à même d’assurer une protection efficace aux citoyens, leurs agresseurs devraient être considérés comme des agents de persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006 et de la Convention de Genève.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut ainsi au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection peut être accordé par :
a) l’Etat, ou b) des parties ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci.
(2) Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, en ce qui concerne l’agression et les intimidations subies par le demandeur en 2003 de la part de membres de la population albanaise, les demandeurs les rattachent à leur origine ethnique serbe, de sorte que ces agissements rentrent a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève.
Cependant, outre le fait que le médecin traitant du demandeur a informé l’unité de la KFOR de la blessure du demandeur et que le demandeur aurait lui-même eu la possibilité de s’adresser à la police kosovare qui l’a emmené à l’hôpital et lui a promis de tout faire en vue de retrouver ses agresseurs, de sorte qu’une absence de protection adéquate assurée par les autorités du pays d’origine contre des agressions d’agents étatiques conformément à l’article 28 c), précité, n’est pas établie en l’espèce, la simple affirmation des demandeurs qu’aucune investigation n’aurait été menée, à défaut d’autres éléments de précision, étant insuffisante à cet égard, il convient de relever que la situation générale au Kosovo a évolué les dernières années. En effet, il se dégage des développements de la partie étatique, non utilement contredites par les demandeurs, qu’une amélioration de la sécurité au Kosovo, allant de pair avec une diminution des crimes à l’encontre de membres des communautés minoritaires a pu être constatée depuis l’année 2004, de sorte qu’il y a de bonnes raisons de croire que des agressions en raison de leur origine ethnique susceptibles d’atteindre le degré de gravité d’une persécution ne se reproduiront pas, et qu’en toute hypothèse, les demandeurs ne seront pas confrontés à un défaut de protection des autorités de leur pays d’origine.
Quant au fait que par la suite, les prédits agresseurs du demandeur auraient bousculés les demandeurs, respectivement les auraient poussés, et leur auraient craché dessus quand ils les auraient croisés en ville, à défaut par les demandeurs de faire des indications plus exactes quant à la fréquence de ces agissements, force est au tribunal de constater que ces agissements ne présentent pas un caractère suffisamment grave pour tomber dans le champ d’application de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Quant à la menace perpétrée à l’égard des demandeurs deux mois avant leur arrivée au Luxembourg par des personnes à bord d’un véhicule, ayant déclenché un état de dépression dans le chef de la demanderesse et quant à la menace perpétrée à l’égard du demandeur par un individu muni d’un couteau, une vingtaine de jours plus tard, force est au tribunal de constater que les auteurs de ces agissements sont des membres de la population albanaise non autrement identifiés, c’est-à-dire des personnes privées, qui sont à considérer comme des acteurs de persécutions non étatiques au sens de l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006 uniquement si les autorités du pays d’origine des demandeurs définies à l’article 29 de la même loi ne veulent ou ne peuvent pas accorder aux demandeurs une protection adéquate.
Or, il se dégage des déclarations des demandeurs qu’ils n’ont pas déposé une plainte suite à la première menace. Si lors du dépôt de leur plainte suite à la deuxième menace, des policiers parlant albanais les auraient encouragés de partir de leur pays d’origine, il ne se dégage pas des éléments du dossier que les demandeurs aient entrepris des démarches pour dénoncer ce comportement reprochable auprès des autorités supérieures. Face à ce défaut des demandeurs de rechercher la protection de la police suite à la première menace, voire celle d’instances supérieures compétentes pour des abus de pouvoir d’agents de police suite à la deuxième menace, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort d’aucun élément lui soumis que les autorités kosovares seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas intervenir afin de protéger les demandeurs contre les actes décrits par eux, étant rappelé que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Il se dégage au contraire des explications de la partie étatique, non utilement contredites par les demandeurs, que la police kosovare est multiethnique dans la municipalité de …, dont sont originaires les demandeurs, et qu’il est possible de porter plainte contre des agents de police ayant abusé de leur pourvoir auprès de l’inspectorat de police du Kosovo qui est l’organe compétent pour toute plainte envers les forces de l’ordre, fonctionnant d’ailleurs de matière effective, tel que cela ressort de sources internationales citées par le délégué du gouvernement.
Quant à la peur des demandeurs de se rendre dans les hôpitaux kosovares au motif qu’y travailleraient uniquement des personnes d’origine albanaise, le tribunal est amené à relever que cette peur n’est appuyée par aucun élément concret et qu’il se dégage de la décision ministérielle, laquelle fait d’ailleurs référence à des sources internationales, que le personnel des hôpitaux et des centres médicaux de la municipalité de … dont sont originaires les demandeurs est multiethnique et que l’accès au soins est garanti au Kosovo pour toutes les ethnies et minorités, de sorte que la peur des demandeurs de subir des persécutions de ce fait n’est pas fondée.
En ce qui concerne l’affirmation des demandeurs qu’ils ne pourraient pas circuler librement dans leur pays d’origine, respectivement leur ville d’origine, appuyée par aucun concret du récit, le tribunal est amené à retenir qu’elle est utilement contredite par les développements du ministre dans la décision litigieuse du 4 juin 2012 relatives à une évolution positive de la situation des minorités au Kosovo, relevant que toutes les ethnies sont capables de circuler librement au Kosovo et au fait que la municipalité de … dont sont originaires les demandeurs est particulièrement bien sécurisée par les forces de l’ordre locaux.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 e), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits qu’il avance, du risque réel de subir des atteintes graves que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate que les demandeurs basent leur recours y relatif sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
En ce qui concerne les menaces que le demandeur aurait subies en 2003 de la part de membres de la population albanaise, force est au tribunal de constater, sur base des mêmes considérations que celles développés ci-dessus, que le vécu du demandeur en 2003 ne permet pas de justifier qu’à l’heure actuelle, il puisse éprouver une crainte de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour au Kosovo.
Quant au fait que par la suite, les prédits agresseurs du demandeur auraient bousculés, respectivement poussés les demandeurs, et leur auraient craché dessus quand ils les auraient croisés en ville, il a été retenu ci-avant que ces agissements ne sont pas d’une gravité telle pour être qualifiés de persécutions. Sur le fondement des mêmes considérations, le tribunal est amené à retenir que ces agissements ne répondent non plus à aucune des catégories d’atteintes graves énumérées aux points a) à c) de l’article 37, précité, dans la mesure ils ne revêtent pas un degré de gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 37, précité. Par ailleurs, le tribunal ne dispose pas des éléments permettant de retenir qu’au regard de ces agissements, il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir la peine de mort ou l’exécution, la torture, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Quant aux problèmes des demandeurs avec la population albanaise, et plus particulièrement quant aux menaces et agressions émanant de cette dernière, le tribunal est amené à conclure, tel que développé ci-avant dans le cadre de l’analyse de la demande en obtention du statut de réfugié, qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que les demandeurs ne sauraient se prévaloir de la protection des autorités de leur pays d’origine, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs la protection subsidiaire au sens de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006.
Quant à la peur des demandeurs de se rendre aux hôpitaux kosovares au motif qu’il y aurait seulement du personnel d’origine albanaise et à la prétendue restriction de leur liberté de circulation, force est au tribunal de constater qu’il ne dispose pas des éléments permettant de retenir que de ce fait il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité et plus particulièrement la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il se dégage de tout ce qui précède et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courent le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non justifiées, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 4 juin 2012 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
En l’espèce, les demandeurs se limitent à solliciter l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire sans formuler un quelconque moyen à l’appui de leur demande.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. o) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire.
L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont à aucun moment fait état d’une crainte justifiée de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à leur encontre.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 4 juin 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais ;
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 16 janvier 2013 par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16/1/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 10