Tribunal administratif N° 29468 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 novembre 2011 1re chambre Audience publique du 7 janvier 2013 Recours introduit par la société à responsabilité limitée de droit allemand … GmbH, … (Allemagne), contre deux décisions du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29468 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 novembre 2012 par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit allemand … GmbH, établie et ayant son siège social en à D-…, représentée par ses gérants actuellement en fonction, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro … , tendant à l’annulation d’une décision du 20 octobre 2011 prise par le ministre du Développement durable et des Infrastructures au travers de l’administration de la Navigation aérienne, portant rejet de l’attribution du marché pour la fourniture, l’installation et la mise en service d’un système de « ATS Message Handling System (AMHS) » et pour un contrat d’entretien pour cinq ans en matière de système de communications aéroportuaires et contre la décision d’attribution dudit marché à la société de droit autrichien XXX AG ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 9 novembre 2011, portant signification du prédit recours à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ainsi qu’à la société XXX AG, établie et ayant son siège social à A-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro … ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 novembre 2011 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu la requête en prorogation du délai légal pour déposer son mémoire en réponse, présentée par Maître Patrick KINSCH en date du 31 janvier 2012 ;
Vu l’ordonnance du 3 février 2012 accordant la prorogation sollicitée du délai légal pour déposer le mémoire en réponse ;
Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 avril 2012 par Maître Patrick KINSCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2012 par Maître Jacques WOLTER pour compte de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 mai 2012 par Maître Patrick KINSCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée du 20 octobre 2011 ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yasmina MAADI, en remplacement de Maître Jacques WOLTER, et Maître Brice OLINGER, en remplacement de Maître Patrick KINSCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 décembre 2012.
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Le 20 avril 2011, l’administration de la Navigation aérienne publia un appel d’offre pour la fourniture, l’installation et la mise en service d’un système de « ATS Message Handling System (AMHS) » et un contrat d’entretien pour cinq ans en matière de système de communications aéroportuaires.
La société à responsabilité limitée de droit allemand … GmbH, ci-après dénommée « la société … », déposa une offre dans les délais et les formes de la loi, 4 autres sociétés, dont la société de droit autrichien XXX AG remettant également des offres dans le délai de réception des candidatures soumissionnaires.
Par décision du 20 octobre 2011, le ministre du Développement durable et des Infrastructures, au travers de l’administration de la Navigation aérienne, porta rejet de l’attribution du marché à la société … et il attribua corrélativement le marché à la société de droit autrichien XXX AG.
Par requête déposée le 9 novembre 2011 et enrôlée sous le numéro 29468, la société … a introduit un recours en annulation devant le tribunal administratif contre la décision du 20 octobre 2011 de ne pas lui attribuer le marché public concernant la fourniture, l’installation et la mise en service du système de « ATS Message Handling System (AMHS) » et le contrat d’entretien afférent, ainsi que contre la décision non communiquée d’attribuer ledit marché à l’un de ses concurrents, à savoir à la société de droit autrichien XXX AG.
Par requête déposée le même jour et enrôlée sous le numéro 29469 la société … sollicita encore le sursis à exécution des décisions attaquées sinon une mesure de sauvegarde ayant le même effet, requête dont elle fut déboutée par ordonnance du 22 novembre 2011.
La société … fait exposer, à l’appui de son recours au fond, que si le cahier des charges prescrivait parmi les critères de sélection au point 1.9.1., libellé « Critère de sélection qualitative», l’obligation de présenter quatre références analogues, il serait toutefois impossible que la société XXX AG ait pu disposer de ces quatre certificats, la société … affirmant « savoir » que la société adjudicatrice ne disposerait pas des références lui permettant de justifier de sa capacité technique, et ce alors que la société XXX AG se serait vue retirer un marché qui lui avait été initialement attribué par le ministère de la Défense polonais pour le même système de messagerie mais d’application militaire. Par ailleurs, si la société XXX AG pouvait se prévaloir de références au Danemark, en Finlande et en Lettonie, il s’agirait de systèmes soit seulement partiellement compatibles, soit de systèmes dont la phase de test sur site ne serait pas encore achevée.
La société … expose ensuite, en tant que second moyen, que la société adjudicatrice, à savoir la société XXX AG, aurait présenté une offre d’un montant de 333.778 EUR, soit une offre moins chère de 38,27 % par rapport à la moyenne arithmétique des prix de toutes les offres conformes aux exigences formelles de la passation reçue à l’exclusion de l’offre la plus chère et de l’offre la moins chère. Or, elle estime que cet écart de 38,27 % par rapport à la moyenne arithmétique aurait dû conduire le pouvoir adjudicateur à solliciter une analyse de prix aux termes de l’article 80 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics.
Aussi, elle affirme que la décision d’attribuer le marché à la société XXX AG nonobstant son offre anormalement basse sinon incomplète au regard des exigences du cahier des charges serait à considérer comme une atteinte au principe d’égalité d’accès à la commande publique, puisque, compte tenu des fortes contraintes en matière de sécurité qu’implique le contrôle du trafic aérien, la question de la conformité de l’offre au cahier des charges ainsi qu’aux normes et à la législation communautaire ainsi que la question de son caractère complet se poserait avec acuité, la distorsion de prix relevée par la demanderesse constituant plus particulièrement un indice de nature à détecter une offre anormalement basse qui aurait dû alerter le pouvoir adjudicateur.
Dans le même ordre d’idées, la société … estime encore que l’aspect pécuniaire aurait dû à lui seul alerter le pouvoir adjudicateur, puisque le prix proposé par la société XXX AG ne correspondrait en aucun cas au prix observé sur le marché. En tout état de cause, l’offre anormalement basse présenterait un risque économique pour le pouvoir adjudicateur dans la mesure où l’entreprise retenue tenterait postérieurement d’obtenir la réfection du contrat par voie d’avenants afin d’être en mesure d’exécuter ses obligations, de sorte que la décision d’attribuer le marché à la société XXX AG contreviendrait également au principe général de bonne administration.
La société … en conclut que la décision d’attribuer le marché à la société XXX AG serait partant entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
Enfin, la société … entend encore se prévaloir d’irrégularités qui entacheraient le cahier des charges afférent au marché litigieux. A ce sujet, elle donne à considérer que le pouvoir adjudicataire devrait, pour permettre au soumissionnaire de faire une offre de manière éclairée, fournir un cahier des charges complet et détaillé. Or, compte tenu des fortes contraintes en matière de sûreté civile qui existeraient en matière de contrôle aérien, secteur qui demeurerait un monopôle étatique naturel, il serait paradoxal que le pouvoir adjudicateur ait privilégié l’attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse, alors pourtant qu’en cette matière la sûreté primerait toute autre considération et aurait un coût.
Dès lors, elle estime que la décision d’attribuer le marché à la société XXX AG serait encore entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
La loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics ne prévoyant pas la possibilité d’exercer un recours en réformation, seul un recours en annulation est possible contre les décisions querellées.
L’Etat soulève cependant l’irrecevabilité du recours en annulation pour défaut d’objet en expliquant qu’au vu du recours en annulation introduit par la société …, le ministre du Développement durable et des Infrastructures aurait procédé à un réexamen de la procédure ayant mené à l’adjudication, réexamen qui l’aurait amené à constater que l’un des moyens de la société …, à savoir celui tiré de la méconnaissance des dispositions réglementaires relatives à l’obligation de solliciter une analyse des prix, serait fondé, de sorte que le ministre compétent aurait procédé au retrait de la décision d’attribution du marché par arrêté ministériel du 2 avril 2012 et que le recours sous analyse serait devenu sans objet.
La société …, de son côté, entend résister à ce moyen d’irrecevabilité en relevant que si l’arrêté ministériel du 2 avril 2012 a effectivement retiré la décision d’attribution du marché à la société XXX AG en raison du défaut d’analyse de prix, cette décision de retrait ne ferait toutefois que partiellement droit à sa demande, alors que l’arrêté ne se serait pas prononcé sur le sort de la procédure d’adjudication elle-même.
Or, elle estime que le retrait devrait permettre d’obtenir un résultat équivalent à celui d’une annulation contentieuse tout en faisant l’économie d’une instance juridictionnelle et que le retrait d’une décision ne pourrait qu’être total, un retrait partiel n’étant pas admis. Aussi, comme un jugement d’annulation aurait annulé dans un premier temps la mise en adjudication pour illégalité puis la décision d’attribution subséquente, l’arrêté ministériel, en ne retirant que la décision d’attribution du marché sans se prononcer sur la procédure d’adjudication, pourtant elle-
même entachée d’illégalité, ne serait que partielle, de sorte qu’il incomberait au tribunal de prononcer « l’annulation de l’ensemble de la soumission publique du 3 juin 2011 » afin de remettre sur le marché la soumission.
Force est de constater que le ministre compétent a pris en date du 2 avril 2012 un arrêté de retrait de la « décision d’attribution du marché susmentionné », motivé comme suit :
« Vu que la soumission publique du 3 juin 2011 relative à la fourniture, installation et mise en service d’un système de « ATS Message Handling System (AMHS) » et d’un contrat d’entretien pour cinq années dans l’intérêt de l’Administration de la navigation aérienne a été adjugée en violation de l’article 80 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10° de la loi communale du 13 décembre 1988 ;
Vu qu’il y a donc lieu de retirer la décision du 19 octobre 2011 attribuant le marché sous rubrique à la firme XXX AG, … , Autriche au motif que le pouvoir adjudicateur n’a pas sollicité une analyse des prix avant d’adjuger le marché ;
Vu l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations de l’Etat et des communes ;
Sur la proposition du Directeur de l’Administration de la navigation aérienne (…) ».
La notion de « retrait » d’une décision administrative est conçue comme étant l’acte par lequel l’administration annule en tout ou partie une de ses décisions, le retrait ayant pour effet que la décision disparaît rétroactivement de l’ordonnancement juridique. Plus précisément, en prononçant le « retrait » d’une décision, l’autorité administrative procède à l’annulation de la décision qui en fait l’objet, de sorte que la décision sera réputée ne jamais avoir existé. Aussi, au niveau de ses effets, le retrait par l’autorité administrative d’une décision a les mêmes effets qu’une décision d’annulation prononcée par la juridiction administrative, en ce sens que, dans les deux cas les décisions disparaissent rétroactivement de l’ordonnancement juridique1.
Aussi, dans la mesure où la décision du 19 octobre 2011 portant attribution du marché litigieux à la société XXX AG a disparu rétroactivement de l’ordonnancement juridique suite au retrait opéré par le ministre, le recours en annulation est irrecevable pour défaut d’objet en ce qu’il portait précisément contre la décision d’attribution dudit marché à la société XXX AG, et ce sans que le ministre n’ait à se prononcer sur le sort à réserver à la soumission publique, une telle question dépassant les effets du retrait administratif.
Le tribunal, toutefois, relève que le recours sous analyse ne se limite pas à rechercher l’annulation de la décision du 19 octobre 2011 d’attribution du marché litigieux à la société XXX AG, mais porte également sur la décision du 20 octobre 2011 prise par le ministre du Développement durable et des Infrastructures au travers de l’administration de la Navigation aérienne de ne pas attribuer ledit marché à la société …, laquelle n’est pas touchée par l’arrêté ministériel de retrait, de sorte que le recours, dans cette mesure, a encore un objet.
Il s’ensuit que le recours en annulation, par ailleurs introduit à l’encontre de cette décision du 20 octobre 2011 dans les formes de la loi, est recevable.
Toutefois, le tribunal doit constater qu’en ce qui concerne cette décision, la demanderesse se contente d’affirmer que le cahier des charges serait entaché d’irrégularités, et ce au motif que le cahier des charges aurait privilégié l’offre économiquement la plus avantageuse au détriment de la sécurité, les deux autres moyens figurant dans sa requête introductive visant spécifiquement la décision d’attribution du marché à la société XXX AG, qui a fait l’objet de l’arrêté de retrait sus-mentionné.
Or, un tel moyen, qui ne s’appuie sur aucune argumentation juridique circonstanciée, qui omet de préciser quelles dispositions déterminées du cahier des charges auraient, de l’avis de la société demanderesse, dû être modifiées et qui finalement ne consiste qu’en une affirmation, ni soutenue effectivement, ni développée, n’est pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le moyen.
1 H. Campill, « Conséquences de l’incompatibilité de décisions administratives définitives et de jugements définitifs des juridictions administratives des États membres avec la législation européenne », Rapport luxembourgeois, Colloque de Varsovie du 15 au 17 juin 2008, Association des Conseils d’Etat et des Juridictions Suprêmes de l’Union Européenne, pp. 2 et 4.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours irrecevable pour défaut d’objet en ce qu’il est dirigé contre la décision ministre du Développement durable et des Infrastructures du 19 octobre 2011 portant attribution du marché litigieux à la société XXX AG ;
reçoit le recours en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision ministre du Développement durable et des Infrastructures du 20 octobre 2011 de ne pas attribuer ledit marché à la société … ;
au fond et dans cette mesure déclare le recours en annulation non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 janvier 2013 par :
Marc Sünnen, vice-président, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen 6