Numéro 29893 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 février 2012 3e ch ambre Audience publique du 18 décembre 2012 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … contre un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités et contre un bulletin de calcul de la base d’assiette de globale et l’impôt commercial communal en matière d’impôts
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29893 du rôle et déposée le 22 février 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles Duro, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de … sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités et du bulletin de calcul de la base d’assiette globale et de l’impôt commercial communal pour l’année 2007, émis le 23 mars 2011 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2012 par Maître Charles Duro pour compte de la demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Eric Pralong, en remplacement de Maître Charles Duro, et Madame le délégué du gouvernement Monique Adams en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2012.
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Par courrier du 21 février 2011, le bureau d’imposition Sociétés 5 du service d’imposition de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », informa, sur le fondement du paragraphe 205 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », la société à responsabilité limitée …, ci-après dénommée « la société … », de ce qu’il est envisagé de déroger à la déclaration de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2007 dans les termes suivants :
« Etant donné que pour les participations dans les sociétés … … la condition de détention minimale requise par l’article 166 L.I.R. (1) n’est pas remplie, le bénéfice de liquidation desdites sociétés n’est pas exonéré.
Traitement fiscal :
Le montant de … Euros n’est pas exonéré. […] » Par courrier du 9 mars 2011, la société …prit position par l’intermédiaire de la Fiduciaire ….
Le 23 mars 2011, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société …les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal visant l’année 2007, ci-après désignés par « les bulletins ». Le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités comporta la mention suivante : « L’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants […] Etant donné que pour les participations dans les sociétés - … - … la condition de détention minimale requise par l’article 166 L.I.R. (1) n’est pas remplie, le bénéfice de liquidation desdites sociétés (… Euros ) n’est pas exonéré. » Par courrier de sa fiduciaire du 23 mai 2011, la société …fit introduire une réclamation à l’encontre de ces bulletins auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur ».
Cette réclamation étant restée sans réponse, la société …a, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 février 2012, introduit un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation des prédits bulletins.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO, et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre la décision qui a fait l’objet d’une réclamation dans l’hypothèse où aucune décision définitive du directeur n’est intervenue dans un délai de six mois à partir de la réclamation (voir à ce sujet : Cour adm. 14 janvier 2010, n° 25846C du rôle, Pas. adm. 2011, V° Impôts, n° 688).
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre les bulletins. Un recours en réformation étant prévu en la présente matière, il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose qu’elle aurait le 7 décembre 1998 souscrit une participation à hauteur de 98 % dans le capital de la société civile immobilière de droit français … et que cette participation aurait été maintenue de manière ininterrompue jusqu’au 8 septembre 2006, date à laquelle le siège de ladite société aurait été transféré au Luxembourg et à laquelle elle aurait été transformée en une société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois. Elle ajoute que la société … S.àr.l. aurait été liquidée et que la liquidation aurait été clôturée le 7 juin 2007, tout en précisant qu’à cette date son taux de participation serait toujours resté été de 98 %.
La demanderesse déclare encore que le 29 septembre 1998, elle aurait souscrit une participation à hauteur de 98,33 % dans le capital de la société civile immobilière de droit français … et que cette participation aurait été maintenue de manière ininterrompue jusqu’au 24 août 2006, date du transfert du siège de cette société au Luxembourg et de sa transformation en une société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois. Elle précise en outre que la société … S.àr.l. aurait été liquidée et que la liquidation aurait été clôturée le 7 juin 2007, tout en relevant que son taux de participation serait toujours resté de 98,33 %.
La demanderesse fait valoir que la propriété des participations dans les sociétés à responsabilité … et … serait entrée dans son patrimoine en 1998, de sorte que la durée réelle et effective de la détention de ces participations aurait été de neuf ans.
Ni le transfert du siège des sociétés de la France au Luxembourg, ni le changement de leur forme sociale n’aurait eu une incidence sur la question de la propriété et ainsi de la détention des participations. Dans la mesure où il y aurait eu continuité de la personnalité juridique des différentes sociétés, ce serait toujours la même entité qui aurait été propriétaire des participations tout au long des années.
Dans cet ordre d’idées, la demanderesse fait valoir qu’il y aurait lieu de prendre en compte la détention effective et juridique de la participation et non pas le moment auquel une société, suite à un transfert de siège, devient contribuable au Luxembourg, tout en soulignant que la date d’acquisition des participations remonterait à la date de la constitution des deux sociétés filiales.
La demanderesse raisonne ensuite par analogie par rapport au traitement fiscal des participations des sociétés holding sous le régime de la loi modifiée du 31 juillet 1929 sur le régime fiscal des sociétés de participations financières (Holding companies), ci-après désignés par « les sociétés holding 1929 », si elles ont décidé d’abandonner leur statut de holding, dans la mesure où la durée de détention des participations sous ce statut serait prise en compte dans le calcul de la période de détention de la participation et que la justification de cette approche résiderait précisément dans la continuité de la personne juridique. Dans ce contexte, elle relève que cette continuité existerait également en cas de transfert du siège d’une société française au Luxembourg. La demanderesse conclut dès lors à une discrimination au niveau du traitement entre les sociétés holding 1929 et des sociétés étrangères ayant transféré leur siège au Luxembourg, en soulignant que le fait de refuser le principe de cette continuité de la personne juridique à une société étrangère relevant du droit d’un Etat membre de l’Union Européenne sous prétexte qu’il s’agissait antérieurement à la date de la taxation d’un non-contribuable, constituerait une « discrimination prohibée par les règles applicables en matière de droit communautaire ».
En guise de conclusion, la demanderesse soutient à titre principal que la durée de détention d’une participation devrait être calculée à partir de la date d’acquisition de la participation, ceci indépendamment du statut fiscal de la société au moment de cette acquisition, de manière qu’en l’espèce, la condition de la détention minimale de douze mois serait remplie à la date de la clôture de liquidation des deux sociétés filiales.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que le fait d’exiger que la participation satisfasse aux conditions posées à l’article 166 (2) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », pendant toute la durée minimale de détention posée à l’article 166 (1) LIR reviendrait à appliquer la loi fiscale de façon incorrecte et contraire à l’intention du législateur et qu’ainsi l’administration aurait ajouté une condition à la loi qui n’y figurerait pas. Elle fait ainsi valoir qu’une lecture combinée des différents paragraphes de l’article 166 LIR mènerait à la seule conclusion que la condition tenant à la forme de la société doit être satisfaite au moment de la perception du produit pour lequel le contribuable demande l’exonération, tout en soulignant que si le législateur avait voulu que la condition quant à la forme de la participation soit satisfaite pendante la durée minimale de douze mois, la condition relative à cette durée de détention aurait été clairement posée à l’article 166 (2) LIR traitant de la forme de la participation, plutôt qu’à la fin de l’article 166 (1) LIR traitant de la forme du bénéficiaire.
La demanderesse soutient ensuite que dans la mesure où elle aurait été elle-même soumise à l’impôt des sociétés en France pour la période antérieure au transfert de son siège au Luxembourg, l’ensemble de ses revenus y compris les résultats provenant des participations dans les sociétés … et … aurait fait l’objet d’une taxation en France au taux normal d’imposition des sociétés.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en faisant plus particulièrement valoir qu’il se dégagerait de l’article 166 (1) LIR qu’afin de pouvoir bénéficier de l’exonération y prévue, il serait requis que la société mère résidente ait la forme juridique d’une société de capitaux, sinon une forme de société prévue à l’annexe 10 du même article. Il résulterait de la ratio legis sinon de la logique même de l’article 166 LIR que l’existence de la société mère devrait précéder sinon équivaloir à la date de la prise de participation dans la filiale, de sorte que la durée d’existence de la société mère ne saurait en aucun cas être inférieure à la durée de la participation dans la société filiale afin de pouvoir bénéficier de l’exonération. Or, la demanderesse aurait transféré en date du 28 septembre 2006 son siège de la France au Luxembourg et aurait pris la forme juridique d’une société à responsabilité limitée sous la dénomination sociale de « … », et qu’avant ce transfert de siège, elle aurait constitué une société fiscalement transparente, en l’occurrence une société civile immobilière de droit français du nom de ….
La partie étatique fait valoir que les sociétés civiles et autres sociétés fiscalement transparentes ne sauraient invoquer le bénéfice de la directive mère-filiale, dans la mesure où elles seraient exclues de son champ d’application.
Dès lors, pour les besoins de la directive mère-filiale, et en particulier de l’article 166 LIR, la demanderesse n’aurait commencé à « exister » qu’à partir du 28 septembre 2006, date à laquelle elle aurait pris une forme de société expressément visée par la directive et par la loi luxembourgeoise, et que ce serait seulement à partir de cette même date que les participations détenues par cette nouvelle société pourraient être prises en considération, notamment pour le calcul du délai de participation minimal requis par l’article 166 LIR. Il s’en suivrait qu’à la date de la liquidation des sociétés filiales en date du 7 juin 2007, le délai de participation minimal requis afin de pouvoir bénéficier de l’exonération n’aurait pas été rempli.
Le représentant étatique fait encore valoir que le raisonnement mené par la demanderesse par rapport au statut d’une société holding 1929 serait faux et serait dès lors à écarter, dans la mesure où ces sociétés n’auraient pas changé leur forme juridique, en l’occurrence, comme en l’espèce, celle d’une société de capitaux, mais auraient uniquement abandonné leur statut fiscal, de sorte que la problématique y relative serait étrangère à celle soulevée dans la présente cause.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse donne à considérer que l’interprétation de l’article 166 (1) LIR faite par la partie étatique irait ultra legem, en soulignant que ce serait à la date de la mise à disposition des revenus qu’il faudrait se placer pour apprécier la durée de la participation. A cet égard, la demanderesse fait valoir que la disposition légale en question n’exigerait nullement que pendant toute la durée de la détention la forme juridique du bénéficiaire du revenu exonéré soit identique. Ce qui compterait serait qu’à la date de la perception du revenu, la forme sociétaire du bénéficiaire soit celle prévue par la loi.
La demanderesse souligne que cette interprétation serait corroborée par la lecture du paragraphe 8 de l’article 166 LIR suivant lequel, à défaut de satisfaire à la condition de détention ininterrompue de douze mois, l’exonération est, le cas échéant, annulée par une imposition rectificative. Dans la mesure où le libellé de cette disposition confirmerait que seule la durée de la détention serait le critère à prendre en considération et où ledit paragraphe 8 n’envisagerait aucunement la question d’un changement de forme sociale au cours de la période de douze mois suivant la mise à disposition des revenus et ne prévoirait aucunement que dans une telle hypothèse l’exonération serait annulée par une imposition rectificative, ce serait la durée de la détention qui serait le critère pertinent et non pas la durée de la forme sociale, laquelle ne serait à prendre en compte qu’au moment de la mise à disposition des revenus.
En ce qui concerne son raisonnement par analogie par rapport au régime des sociétés holding 1929, la demanderesse, après avoir rappelé son argumentation suivant laquelle en cas d’abandon de son statut par une société holding 1929, toute la durée de la détention de ses participations serait prise en compte, au motif de la continuité de la personne juridique et suivant laquelle ce raisonnement devrait être transposé au cas de l’espèce, fait valoir que le régime des sociétés holding 1929 n’aurait pas été réservé aux sociétés de capitaux puisque l’article 1er de la loi du 31 juillet 1929, précitée, accordait ce régime à toute société luxembourgeoise sans autre forme de précision, de sorte que seul en seraient exclues les associations. Par ailleurs, l’objet social d’une société holding étant civil, une société civile pourrait tout à fait être une société holding 1929, de sorte que ce serait à tort que la partie étatique fait valoir que le régime en question aurait bénéficié seulement aux sociétés de capitaux. Il serait dès lors évident qu’il y aurait en l’espèce traitement discriminatoire, puisque l’appréciation qui serait faite de la situation ne serait pas la même selon que la société était déjà luxembourgeoise ab initio ou, comme en l’espèce, en présence d’un transfert de siège de la France au Luxembourg. La seule différence entre la société holding 1929 et la société étrangère résiderait dans la nationalité de la société holding et il n’y aurait aucune raison objective permettant de traiter différemment les anciennes sociétés holding 1929 des sociétés-
mères étrangères ayant transféré leur siège au Luxembourg. La demanderesse en conclut que l’interprétation de l’article 166 LIR faite par la partie étatique se traduirait de facto par une discrimination à raison de la nationalité de la société et serait constitutive d’une entrave à la libre circulation des personnes d’un Etat-membre de l’Union européenne à l’autre, tout en soulignant que « le cas échéant » ceci devrait faire l’objet d’une question préjudicielle devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
En l’espèce, il se dégage de la mention figurant au bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de 2007, ensemble les explications fournies par la partie étatique dans la présente instance, que le motif du refus d’accorder l’exonération prévue par l’article 166 LIR au bénéfice de liquidation touché par la demanderesse et provenant de la liquidation des deux sociétés à responsabilité limitée … et … dans lesquelles la demanderesse détenait des participations réside dans le constat que la condition tenant à la durée minimale de la détention de douze mois, inscrite à l’article 166 (1) LIR, ne serait pas remplie en l’espèce au motif que la demanderesse aurait acquis une des formes sociétaires inscrites à l’article 166 (1) LIR seulement en date du 28 septembre 2006 lors de son transfert de siège de la France vers le Luxembourg et de l’adoption de la forme de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois. Dès lors, ce ne serait qu’à partir de cette date que devrait être calculée la durée de la détention de la participation, de manière qu’au jour de la clôture de la liquidation des deux sociétés filiales, la durée de la détention de la participation aurait été inférieure à douze mois.
Aux termes du paragraphe (1) de l’article 166 LIR « Les revenus d’une participation détenue par :
1. un organisme à caractère collectif résident pleinement imposable et revêtant une des formes énumérées à l’annexe de l’alinéa 10, 2. une société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l’annexe de l’alinéa 10 […] sont exonérés lorsque, à la date de la mise à la disposition des revenus, le bénéficiaire détient ou s’engage à détenir ladite participation pendant une période ininterrompue d’au moins douze mois et que pendant cette période le taux de participation ne descend pas au dessous du seuil de 10 pour cent ou le prix d’acquisition au-dessous de … euros. […] », tandis qu’en vertu du paragraphe (2) du même article « L’exonération s’applique aux revenus qui proviennent d’une participation au sens de l’alinéa 1er détenue directement dans le capital social » des organismes à caractère collectif et sociétés plus amplement définis aux points 1 à 3 du paragraphe (1) de l’article 166 LIR.
Il se dégage des dispositions de l’article 166 (1) et (2) LIR que les revenus d’une participation dans le capital social d’une des sociétés et organismes à caractère collectif visés aux points 1 à 3 du paragraphe (2) de l’article 166 LIR détenus directement par une des catégories de sociétés ou organismes à caractère collectif visés au paragraphe (1) de l’article 166 LIR sont exonérés de l’impôt sur le revenu des collectivités lorsque, à la date de la mise à disposition des revenus, le bénéficiaire détient ou s’engage à détenir ladite participation pendant une période ininterrompue d’au moins douze mois et que pendant toute cette période le taux de participation ne descend pas au-dessous du seuil de 10 pour cent ou le prix d’acquisition au-dessous de … euros. L’exonération y prévue est dès lors soumise à quatre conditions cumulatives, à savoir, premièrement, celle tenant au bénéficiaire des revenus, qui doit correspondre aux formes de sociétés énoncées au paragraphe (1) de l’article 166 LIR, être résident au Luxembourg et y être pleinement imposable ou constituer un établissement stable indigène d’une des sociétés énumérées au même paragraphe, deuxièmement, celle tenant à la société filiale, qui doit correspondre aux sociétés et organismes à caractère collectif énumérés au paragraphe (2) de l’article 166 LIR, troisièmement, celle tenant à la nature et au niveau de la participation, et, enfin, quatrièmement, celle tenant à la durée minimale de détention de la participation prévue par le paragraphe (1) du même article, à savoir une durée ininterrompue de douze mois.
Plus particulièrement en ce qui concerne la condition de la détention minimale, l’article 166 LIR envisage deux hypothèses, à savoir celle où le bénéficiaire des revenus, au moment de leur perception, détient la participation déjà depuis au moins douze mois, et celle où à ce moment, il s’engage à la détenir pendant au moins cette durée. S’agissant en l’espèce de l’imposition d’un boni de liquidation, la durée minimale de détention doit forcément précéder immédiatement les liquidations des sociétés filiales intervenues le 7 juin 2007, soit avoir existé au moins à partir du 7 juin 2006.
Il n’est pas contesté que la demanderesse détenait depuis l’année 1998 des participations de respectivement 98 % et 98,33 % dans les sociétés … et …, qui à l’époque étaient constituées sous la forme de sociétés civiles immobilières de droit français et avaient leur siège social en France. Il n’est pas non plus contesté qu’au moment de l’acquisition de ces participations, la demanderesse était constituée sous la forme d’une société civile immobilière de droit français du nom de … et avait son siège social en France, de manière à ne pas avoir répondu à ce moment aux conditions tenant au bénéficiaire énoncées au paragraphe (1) de l’article 166 LIR. Ce n’est que le 28 septembre 2006, que la demanderesse a transféré son siège social au Luxembourg, a pris la forme d’une société à responsabilité limitée et est devenue un contribuable luxembourgeois pleinement imposable au sens de l’article 166 (1) LIR revêtant l’une des formes sociales prévues au même article.
La question litigieuse en l’espèce est celle de savoir si le bénéficiaire des revenus qui prétend au bénéfice de l’exonération prévue par l’article 166 LIR doit répondre aux conditions tenant au bénéficiaire des revenus énumérées au paragraphe (1) dudit article 166 LIR pendant toute la durée de la détention de la participation ou s’il suffit qu’il en remplit les conditions au moment de la perception des revenus indépendamment de son statut antérieur.
S’il est exact que le paragraphe (1), dernier alinéa de l’article 166 LIR ne précise pas expressément que pendant toute la durée de détention de la participation y énoncée, le bénéficiaire satisfasse aux conditions posées par l’alinéa 1er du paragraphe (1) de l’article 166 LIR, cette exigence découle néanmoins de la logique de l’agencement de l’article 166 LIR, dans la mesure où le bénéficiaire visé au dernier alinéa du paragraphe (1) de l’article 166 LIR et qui doit détenir ou s’engager à détenir la participation pendant au moins douze mois doit nécessairement être celui qui répond aux conditions de forme et de fond posées par le premier alinéa du même paragraphe. Ainsi, une participation n’est susceptible d’être détenue par lui dans les conditions de l’article 166 LIR que pour autant qu’il tombe dans le champ d’application personnel dudit article pendant toute la durée de la détention. S’il est encore vrai que plus particulièrement en cas de transfert de siège social par une société de la France vers le Luxembourg et en cas d’adoption parallèle par cette société d’une nouvelle forme sociale, au regard du droit des sociétés, il y a continuité de la personnalité juridique, il n’en demeure pas moins que dans une telle hypothèse de transfert de siège au Luxembourg, la société en question acquiert la qualité de contribuable luxembourgeois au sens de l’article 159 LIR seulement à travers ce transfert de siège et que le droit fiscal interprète un tel transfert comme la constitution d’une nouvelle société qui au moment de l’acquisition de la qualité de contribuable luxembourgeois établit un bilan d’ouverture au même titre qu’une société nouvellement constituée. Dans la mesure où plus précisément en ce qui concerne le régime d’exonération des sociétés mère-filiale, la qualité de contribuable résident, d’une part, et la forme de la société, d’autre part, constituent des conditions d’application dudit régime, et dans la mesure où d’un point de vue fiscal, la société en question n’a commencé à exister qu’à partir du moment où elle est devenue contribuable résident, la durée de la participation est nécessairement appréciée à partir de la date à laquelle elle a acquis la qualité de contribuable résident et où elle acquis une des formes de sociétés requises par l’article 166 (1), alinéa 1er LIR, sans égard aux participations éventuellement antérieurement détenues (voir en ce sens Etudes fiscales « Sociétés mère et filiales » par Roger Molitor, mai 2009, page 132).
Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par la demanderesse au paragraphe 8 de l’article 166 LIR, qui ne fait que préciser que dans l’hypothèse où il n’est pas satisfait à la condition de détention minimale, qui constitue nécessairement celle où le bénéficiaire des revenus s’est engagé à détenir la participation pendant une période ininterrompue de douze mois, l’exonération sera le cas échéant annulée et il sera procédé à une imposition rectificative, le cas où il n’est pas satisfait à la condition de détention minimale y visé pouvant constituer à la fois l’hypothèse d’une cession de la participation avant l’expiration de la période de douze mois et celle où le bénéficiaire ne remplit plus les conditions du paragraphe (1), alinéa 1er de l’article 166 LIR.
Dans ces conditions, la demanderesse n’étant devenu contribuable résident qu’à partir du 28 septembre 2006 et ayant adopté seulement à cette date une des formes sociétaires énoncées à l’alinéa 1er de l’article 166 (1) LIR, la condition de détention minimale de douze mois n’était pas remplie dans son chef au moment de la perception du boni de liquidation résultant de la liquidation de ses deux sociétés filiales en date du 7 juin 2007, de sorte que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a retenu que le bénéfice de liquidation touché par a demanderesse ne peut pas bénéficier de l’exonération au titre de l’article 166 LIR.
Quant à l’argumentation de la demanderesse fondée sur le traitement fiscal d’une société mère de droit luxembourgeois ayant abandonné son statut de holding 1929 par rapport au traitement fiscal d’une société étrangère ayant transféré son siège social au Luxembourg et ayant adopté une des formes sociales prévues à l’article 166 (1) LIR, qu’elle qualifie de discriminatoire en raison de la nationalité de la société portant entrave à la libre circulation des personnes, force est de prime abord de constater que l’article 166 (1) LIR n’est pas discriminatoire en soi en ce que ses conditions et plus particulièrement celle tenant à la détention de la participation s’appliquent indistinctement à toutes les sociétés y visées, sans distinction de la nationalité, l’annexe de l’alinéa 10 visant non seulement des sociétés de droit luxembourgeois, mais également des sociétés revêtant les formes de sociétés des différents Etats membres de l’Union européenne y énumérées.
En ce qui concerne l’hypothèse du traitement fiscal d’une société holding 1929 ayant abandonné son statut par rapport à celui d’une société de droit étranger devenant une société résidente pleinement imposable en ce qui concerne l’appréciation de la condition de détention, la différence de traitement alléguée par la demanderesse ne résulte pas de l’article 166 (1) LIR lui-même, mais constitue une conséquence de la qualification de l’abandon du statut de holding par rapport à la situation d’un transfert de siège sociale de l’étranger vers le Luxembourg. Dans le cas d’une société holding de 1929, malgré l’abandon de son statut fiscal, il y a permanence juridique du contribuable, dans la mesure où la société holding a toujours été un contribuable résident en vertu de son siège social et de son principal établissement et que le changement du statut fiscal a uniquement affecté l’assujettissement de ce contribuable à l’impôt, de sorte que dans le calcul de la durée de la détention de la participation sont inclus celles détenues sous le statut de holding 1929 (cf. Etudes fiscales « Sociétés mère et filiales » par Roger Molitor, mai 2009, page 144) , tandis que dans l’hypothèse du transfert du siège social au Luxembourg, la société devient seulement à ce moment contribuable luxembourgeois. Les deux situations mises en avant par la demanderesse n’étant pas comparables, aucune discrimination contraire au droit communautaire ne saurait être retenue en l’espèce. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter comme n’étant pas fondé, sans qu’il ne soit nécessaire de poser une question préjudicielle à la CJUE.
Le refus de l’exonération étant motivé à suffisance par le constat du non-respect de la durée de la détention minimale posée à l’article 166 (1) LIR en ce que la demanderesse ne répondait pas pendant toute cette période aux conditions tenant au bénéficiaire des revenus, il n’y a pas lieu d’examiner l’argumentation subsidiaire de la demanderesse basées sur l’article 166 (2) LIR, cet examen devenant surabondant.
En ce qui concerne l’affirmation de la demanderesse que pendant la période où elle avait son siège social en France, ses revenus, y compris ceux provenant de la participation dans les sociétés … et …, auraient fait l’objet d’une taxation en France, sans en tirer une conclusion en droit, à défaut d’autres précisions quant au sens que la demanderesse a entendu donner à ce moyen, le tribunal ne peut que le rejeter dans la mesure où il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties.
Enfin, la demanderesse fait état de ce que dans sa déclaration d’impôt ayant fait l’objet de l’imposition litigieuse figurerait une erreur en ce qu’un produit de … euros aurait été intégré dans le poste « autres produits d’exploitation » à la ligne 4 du compte de produits et pertes, correspondant en fait au transfert de charges facturées aux locataires d’un immeuble situé en France, de sorte que ce produit serait imposable en France et exonéré au Luxembourg en vertu des dispositions de l’article 3 de la Convention franco-luxembourgeoise visant à éliminer les doubles impositions. Elle conclut qu’il y aurait lieu à redresser l’imposition effectuée sur ce point.
Il y a lieu de rappeler que conformément à l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable.
Il convient encore de relever que si le tribunal est certes investi du pouvoir de statuer en tant que juge du fond, il n’en demeure pas moins que s'il est saisi d’un recours contentieux contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer s’effectue en principe dans le cadre des moyens invoqués par la partie demanderesse pour contrer les points spécifiques de l’acte déféré faisant grief, sans que son contrôle ne consiste à procéder à un réexamen général et global de la situation fiscale du contribuable. La mission du juge administratif, lorsqu’il est investi du pouvoir de réformer, consiste en effet à substituer à une décision administrative jugée illégale sa propre décision, de sorte qu’il incombe au demandeur en réformation de fournir à l’appui de sa requête des éléments suffisamment précis pour permettre, le cas échéant, l’exercice utile de ce pouvoir de réformation (cf. trib. adm. 31 mai 2006, n° 20705 du rôle, Pas. adm. 2011, V° Impôts, n° 666).
Or, la simple affirmation, non autrement documentée à l’aide de pièces comptables ou d’autres pièces justificatives, que des revenus déclarés au titre de l’imposition par le fisc luxembourgeois l’auraient été par erreur et devraient en réalité être imposées en France, est insuffisante pour permettre au tribunal d’apprécier tant la réalité de la prétendue erreur de déclaration que le bien-fondé du moyen afférent, de sorte qu’à défaut d’autres éléments, la demande tendant au redressement des bulletins sur ce point est à rejeter comme non fondée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation ;
le déclare recevable en la pure forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 18 décembre 2012 par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
Claudine Meili Claude Fellens 10