Tribunal administratif N° 29862 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2012 1re chambre Audience publique du 12 décembre 2012 Recours formé par Monsieur …, …(France), contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29862 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2012 par Maître Christian BARANDAO-BAKELE, avocat à la Cour, assisté de Maître Geoffrey PARIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité azerbaïdjanaise, ayant été retenu au Centre de rétention à Findel, demeurant à F-… (France), …, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision de retour du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 20 janvier 2012 lui ayant refusé le séjour sur le territoire luxembourgeois et lui ayant ordonné de quitter le territoire sans délai ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Vu la déclaration de Maître Christian BARANDAO-BAKELE informant le tribunal qu’il a déposé son mandat ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en ses plaidoiries à l’audience publique du 10 décembre 2012.
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Monsieur … fit l’objet en date du 19 décembre 2011 d’un mandat d’amener au Luxembourg. Ayant été libéré en date du 20 janvier 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après « le ministre », prit en date du même jour une décision de retour à son encontre, libellée comme suit :
« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;
Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Arrête :
Art. 1er.- La personne déclarant se nommer …, être née le 10/10/1981 et être de nationalité azerbaïdjanaise, est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.
Art. 2.- L’intéressé devra quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité qui reste à être déterminé, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner (…)».
En date du même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification.
Il s’avéra après enquête de la police judiciaire que Monsieur … serait demandeur d’asile en France, de sorte qu’en date du 3 février 2012, le ministre saisit les autorités françaises en vue d’une reprise en charge conformément au règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers pour statuer sur leur demande en protection internationale ; les autorités françaises ayant accepté la reprise de Monsieur … en date du 10 février 2012, il fut transféré vers la France le 28 février 2012.
Entretemps, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2012, Monsieur… a fait introduire un recours tendant à l’annulation, subsidiairement à la réformation de la décision de retour du ministre du 20 janvier 2012.
Il expose à l’appui de son recours être marié avec une ressortissante arménienne, avec qui il aurait eu deux enfants en France, son épouse étant d’ailleurs enceinte d’un troisième enfant. Il précise ensuite être arrivé en France avec son épouse le 21 juillet 2008 et y avoir déposé une demande d’asile, cette demande ayant été dûment constatée par un récépissé lui délivré par la préfecture de …, ledit récépissé valant d’ailleurs autorisation de séjour sur le territoire français jusqu’au 28 février 2011.
Monsieur… affirme encore résider avec sa famille à … depuis le 27 janvier 2011.
Si par arrêté du 14 juin 2011 le préfet de la … aurait rejeté sa demande de délivrance d’un titre de séjour en assortissant ce refus d’une obligation de quitter le territoire, Monsieur… expose avoir toutefois obtenu gain de cause devant le tribunal administratif de Strasbourg, qui aurait annulé la prédite décision préfectorale suivant jugement du 20 septembre 2011, de sorte que la préfecture de … procéderait actuellement au réexamen de son dossier.
En droit, le demandeur critique la décision de retour déférée pour violer l’article 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales qui lui garantirait le respect de sa vie privée et familiale, ainsi que l’article 33 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui assurerait la protection de la famille sur le plan juridique, économique et social.
Après avoir mis en exergue le fait que le centre de son unité familiale se situerait indubitablement en France, il affirme que la décision de retour déférée constituerait une ingérence intolérable dans sa vie familiale.
Monsieur… critique ensuite la décision de retour déférée en ce que celle-ci violerait également l’article 9 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 20 novembre 1989 et ratifiée par le Grand-Duché de Luxembourg par la loi du 20 décembre 1993, selon lequel « Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré », le demandeur considérant qu’en tant que père de deux enfants il ne saurait faire l’objet d’une mesure d’éloignement sans que celle-ci ne heurte la disposition précitée.
Enfin, il revendique à titre subsidiaire l’application de l’article 16 du règlement (CE) N° 343/2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, au motif que comme il aurait déposé une demande d’asile auprès des autorités françaises le 29 novembre 2010, il appartiendrait aux seules autorités françaises d’organiser son éloignement depuis le territoire français. Dès lors, il demande au tribunal d’ordonner sa remise aux autorités françaises compétentes.
A l’audience publique des plaidoiries, Maître Christian BARANDAO-BAKELE, avocat à la Cour initialement constitué, informa le tribunal qu’il n’occupait plus pour Monsieur … et qu’il n’assistait plus Maître Geoffrey PARIS.
La procédure devant les juridictions administratives étant entièrement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur a déposé son mandat après avoir déposé une requête introductive d’instance, est indifférent. Du moment que la requête introductive d’instance a été déposée et que la partie défenderesse a déposé un mémoire en réponse, le jugement est rendu contradictoirement entre parties1.
Dans la mesure où ni la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de décision de retour, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit, de sorte que le tribunal est en tout état de cause incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation tendant à voir appliquer au demandeur le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 précité et à se voir remettre aux autorités françaises.
En ce qui concerne le recours principal en annulation, la partie étatique soulève l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt au motif que comme que le demandeur aurait été 1 Trib. adm. 24 janvier 2000, n° 11558, Pas. adm. 2011, V° Procédure contentieuse, n° 688.
transféré vers la France auprès de sa famille et de ses enfants en date du 28 février 2012, il n’aurait aucun intérêt à se prévaloir d’une ingérence dans sa vie familiale.
Or, force est de constater en l’espèce que le demandeur, confronté à travers le mémoire en réponse du délégué du gouvernement à ce moyen d’irrecevabilité, n’a pas pris position y relativement, et en particulier n’a ni eu recours à la faculté lui accordée de déposer un mémoire en réplique dans le délai imparti, ni n’a le cas échéant pris position oralement y relativement, le demandeur n’ayant pas été représenté à l’audience publique du 10 décembre 2012, le seul développement du litismandataire initial du demandeur relatif à l’intérêt à agir de son mandant se limitant à l’affirmation figurant dans la requête introductive d’instance que « Le présent recours a été intenté sur justification d’un intérêt à agir, et, aucune exception d’irrecevabilité ne saurait être utilement élevée à l’encontre de la présente action » étant insuffisant pour établir un quelconque intérêt à agir Or, toute partie demanderesse introduisant un recours contre une décision administrative doit pouvoir se prévaloir d’une lésion à caractère individuel dérivant directement de l’acte attaqué et distinct de l’intérêt général. Il est nécessaire qu’il existe un lien suffisamment direct entre la décision, objet du recours et la situation personnelle du requérant. Autrement dit, l’intérêt à agir implique un lien personnel avec l’acte attaqué et une lésion individuelle par le fait de l’acte. Le recours ne sera déclaré recevable que si la décision attaquée est susceptible de causer un préjudice au demandeur, respectivement si ce dernier peut justifier d’une lésion à caractère individualisé et retirer de l’annulation de la décision une satisfaction certaine et personnelle2.
Force est de constater que le demandeur reste en défaut d’établir, voire seulement d’alléguer un quelconque avantage que l’annulation de l’acte litigieux pourrait lui procurer. En effet, le demandeur ayant mis en exergue le fait que sa vie familiale se situerait en France et ayant réclamé le droit d’y retourner, et ne s’étant prévalu d’aucun lien quelconque avec le Grand-Duché de Luxembourg, le tribunal, à défaut de toute précision fournie par le demandeur, ne saurait déceler un quelconque intérêt dans son chef à poursuivre l’annulation d’une décision de retour qui, d’une part, a pour objet de constater le séjour irrégulier du demandeur sur le territoire luxembourgeois - volet non critiqué - et, d’autre part, lui ordonne de quitter le territoire luxembourgeois « à destination du pays dont il a la nationalité qui reste à être déterminé, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner », à savoir en l’espèce la France, ce pays ayant de surcroît, avant la date d’introduction du recours, accepté de reprendre Monsieur…, ce que celui-ci a d’ailleurs demandé à titre subsidiaire.
Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.
Par ces motifs, 2 Trib. adm. 22 octobre 2007, n° 22714, Pas. adm. 2011, V° Procédure contentieuse, n° 35.
le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours principal en annulation irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 décembre 2012 par :
Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Paul Nourissier, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/12/12 Le Greffier du Tribunal administratif 5