Tribunal administratif N° 29702 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2012 3e chambre Audience publique du 12 décembre 2012 Recours formé par Monsieur …et consorts, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
__________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29702 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2012 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, assistée de Maître Christian Barandao-Bakele, avocat à la Cour, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie) et de son épouse, Madame …, née le …, à … (Serbie), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, né le … à …, et …, né le … à …, et au nom de leur fille majeure, Madame …, née le … à …, tous de nationalité serbe, demeurant ensemble L- …, tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 29 mars 2011 refusant une autorisation de séjour à Madame …, ainsi qu’à …, … et …en vue d’un regroupement familial avec Monsieur …, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 10 octobre 2012 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 octobre 2012.
Le juge rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Katrin Djaber Hussein, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 octobre 2012.
Suite à une demande afférente du 14 mars 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », refusa, par une décision du 29 mars 2011 une autorisation de séjour à Madame …, ainsi qu’à ses enfants …, … et…en vue d’un regroupement familial avec Monsieur …. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier du 14 mars 2011 reprenant l'objet sous rubrique.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, selon l'article 73, paragraphe (4) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, la demande est introduite et examinée alors que les membres de la famille résident à l'extérieur du pays.
Or, au vu des copies des quatre passeports, je constate que Madame …, Madame …, Monsieur…et Monsieur…se trouvent sur le territoire luxembourgeois depuis le 5 février 2011.
En vertu de l'article 73, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 précitée le ministre peut, dans des cas exceptionnels dûment motivés, accepter que lors de l'introduction de la demande les membres de la famille se trouvent déjà sur le territoire luxembourgeois.
Cependant, vous ne motivez nullement les raisons exceptionnelles pour lesquelles les quatre membres de votre famille déposent leurs demandes alors qu'ils sont déjà sur le territoire luxembourgeois et les demandes sont par conséquent irrecevables.
Par ailleurs, je vous signale qu'en vertu de l'article 69, paragraphe (1) de loi du 29 août 2008 précitée, le ressortissant de pays tiers peut demander le regroupement familial des membres de famille définis à l'article 70 s'il rapporte la preuve qu'il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale, s'il dispose d'un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et s'il dispose da la couverture d'une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.
Étant donné que votre revenu se compose d'une indemnité d'insertion de mensuellement 1293,61.- respectivement 1318,17.- euros, montant nettement inférieur à la moyenne du taux mensuel du salaire social minimum d'un travailleur non qualifié sur une durée de douze mois, et que vous êtes par conséquent à charge de l'Etat, vous ne remplissez pas les conditions fixées à l'article 69, paragraphe (1) de loi du 29 août 2008 précitée afin de demander le regroupement familial.
Par ailleurs, conformément à l'article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée, l'entrée et le séjour sont autorisés à certaines conditions aux enfants célibataires de moins de dix-huit ans du regroupant. Or, Madame…a dépassé cette limite d'âge.
À titre subsidiaire, Madame …, Madame …, Monsieur ……et Monsieur ……ne remplissent pas les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une des catégories d'autorisation de séjour prévues par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Conformément à l'article 101, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, l'autorisation de séjour leur est refusée.
J'attire votre attention au fait que Madame …, Madame …, Monsieur ……et Monsieur ……ont, sur base de leur passeport biométrique, le droit de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une période allant jusqu'à trois mois sur une période de six mois s'ils remplissent les conditions fixées à l'article 34 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu des copies des quatre passeports, les personnes susmentionnées doivent par conséquent quitter le territoire au plus tard le 4 mai 2011.
Au cas où ils séjourneraient sur le territoire luxembourgeois au-delà de la durée de trois mois, le séjour leur serait interdit aux termes de l'article 100 de la loi du 29 août 2008 précitée et ils seraient obligés de quitter le territoire sans délai, soit à destination du pays dont ils ont la nationalité, la Serbie, soit à destination du pays qui leur a délivré un document de voyage, soit à destination d'un autre pays dans lequel ils sont autorisés à séjourner, conformément à l'article 111 de la loi du 29 août 2008 précitée ».
Par un courrier de leur mandataire du 10 mai 2011, Madame …, ainsi que ses enfants …, … et ……introduisirent un recours gracieux contre la décision ministérielle du 29 mars 2011, précitée.
Par une décision du 10 octobre 2011, le ministre confirma sa décision du 29 mars 2011.
Par requête déposée le 10 janvier 2012 au greffe du tribunal administratif, Monsieur …et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, ainsi que leur fille majeure … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 29 mars 2011, ainsi que de la décision confirmative du 10 octobre 2011.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond à l’égard d’une décision rendue en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions litigieuses. Le tribunal n’est partant pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent que le demandeur résiderait régulièrement sur le territoire luxembourgeois depuis plus de vingt années en vertu d’un titre de séjour lui délivré par les autorités luxembourgeoises. Ils exposent qu’ils se seraient mariés le 28 avril 1977 et que depuis l’arrivée du demandeur au Luxembourg, ils auraient entretenu leurs liens familiaux par de nombreuses visites réciproques. Ainsi, leurs deux enfants mineurs seraient nés pendant la période où le demandeur et la demanderesse auraient déjà vécu dans des pays différents. Ils indiquent enfin que leur demande en vue d’un regroupement familial serait notamment motivée par les conditions socio-économiques en Serbie.
En droit, face au constat du ministre que leur demande en obtention d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial serait irrecevable au motif qu’ils n’auraient pas établi qu’ils rentreraient dans un cas exceptionnel dûment motivé lui permettant d’accepter que ladite demande puisse être introduite après l’entrée sur le territoire luxembourgeois des intéressés, tel que prévu par l’article 73 (5) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », les demandeurs donnent à considérer qu’ils auraient eux-mêmes introduit la demande en question et qu’ils n’auraient pas été informés de l’obligation de motiver qu’ils se trouveraient dans un pareil cas exceptionnel. Ils estiment que le ministre, après avoir constaté qu’ils auraient introduit leur demande depuis le territoire luxembourgeois, aurait pu les inviter à compléter leur demande par une lettre de motivation.
Ils expliquent que le but visé par l’article 73 de la loi du 29 août 2008 serait d’éviter des fraudes et des abus dans des hypothèses ou des titulaires d’une autorisation de séjour relevant d’une des catégories prévues par la loi du 29 août 2008 profiteraient de leur présence sur le territoire luxembourgeois pour introduire une demande en vue d’un regroupement familial et mettraient ainsi les autorités luxembourgeoises devant le fait accompli. Ils relèvent ensuite que leur nationalité serbe leur permettrait de venir au Luxembourg et de repartir à leur gré à la seule condition que le séjour ne dépasse pas la durée de trois mois, sans avoir besoin d’un visa. Ils font remarquer dans ce contexte que même s’ils avaient introduit leur demande en obtention d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial depuis la Serbie, ils auraient eu le droit de venir au Luxembourg sans devoir attendre la réponse à cette demande. Ils en déduisent que le ministre ne saurait leur imposer de motiver qu’ils se trouvent dans un cas exceptionnel au sens de l’article 73 (5) de la loi du 29 août 2008 et qu’en déclarant leur demande irrecevable pour défaut de motivation, il aurait commis un « abus d’autorité », respectivement un excès de pouvoir.
Quant à l’exigence de la justification de ressources stables, régulières et suffisantes dans le chef du regroupant posée par l’article 69 (1) de la loi du 29 août 2008 afin de pouvoir demander un regroupement familial, les demandeurs donnent à considérer que le demandeur aurait commencé à travailler au Luxembourg en l’année 1990, que depuis il aurait occupé plusieurs emplois, qu’il aurait été commerçant de 2001 à 2007 et que dès lors la seule circonstance qu’au moment de l’introduction de la demande d’une autorisation de séjour pour son épouse et leurs trois enfants en vue d’un regroupement familial, il n’aurait touché qu’une indemnité d’insertion, ne serait pas suffisante pour établir qu’il ne remplirait pas les conditions de l’article 69 (1). Ils soulignent qu’il en serait autrement si le demandeur était à la charge de l’Etat luxembourgeois de manière durable et continuelle. Or, il ferait par contre partie d’un programme de réinsertion, il aurait déjà régulièrement travaillé auparavant et il souhaiterait retrouver « un emploi correctement rémunéré ».
Ils font encore valoir que le demandeur disposerait d’un logement approprié lui permettant de loger son épouse et ses enfants dans des conditions décentes pour avoir signé un contrat de bail à durée indéterminée, qu’il disposerait de la couverture d’une assurance-
maladie et qu’il entendrait faire bénéficier les membres de sa famille également de cette couverture.
Les demandeurs se prévalent ensuite de leur droit au respect de leur vie familiale tel que protégé par l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ci-après désignée par « la DUDH », et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Ils définissent le regroupement familial comme la situation dans laquelle les membres d’une famille rejoindraient un autre membre de cette famille, le « regroupant », résidant de manière légale dans un autre pays. Ils donnent à considérer que la communauté internationale aurait reconnu la famille comme l’élément fondamental de la société et que par conséquent ils bénéficieraient d’un droit à l’unité familiale. Ils énumèrent plusieurs chartes et conventions internationales qui protègeraient la famille et inciteraient les Etats adhérents à favoriser le droit au regroupement familial.
En outre, les demandeurs exposent qu’ils seraient mariés depuis 1977 et auraient quatre enfants. Ils relèvent qu’en tant qu’époux et parents, ils auraient l’obligation de vivre ensemble avec leurs enfants au domicile familial et que dans la mesure où le demandeur disposerait d’un titre de séjour au Luxembourg, son épouse et ses enfants auraient a priori le droit de choisir d’y établir leur domicile.
Ils affirment que le regroupement familial représenterait depuis des années l’une des causes principales de l’immigration dans l’Union européenne et constituerait un élément important pour l’intégration des ressortissants de pays tiers qui ont résidé dans l’Union européenne avant les membres de leur famille.
Ils font valoir que la notion de famille au sens de l’article 8 de la CEDH inclurait, même en l’absence de cohabitation, l’existence de liens entre les personnes. Ils expliquent que le demandeur aurait toutes ses attaches et toute sa vie au Luxembourg, étant donné qu’il y vivrait depuis plus de vingt années, de sorte qu’un refus de délivrer une autorisation de séjour à son épouse et à ses enfants l’obligerait à quitter le Luxembourg s’il tenait à vivre avec sa famille. Par ailleurs, un pareil refus rendrait impossible une réunion définitive de leur famille et constituerait dès lors une atteinte grave au droit au respect de la vie familiale protégée par l’article 8 de la CEDH, d’autant plus que cette atteinte ne serait pas justifiée au sens de l’article 8 (2) de la CEDH. Ils ajoutent qu’un pareil refus serait encore disproportionné au motif, d’une part, que la demanderesse et leurs enfants pourraient prouver leur identité, ainsi que la « relation effective existante », et, d’autre part, il n’existerait aucun élément de nature à établir qu’ils constitueraient un danger pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publiques.
A titre subsidiaire, les demandeurs estiment que la demanderesse et leurs enfants devraient pouvoir bénéficier d’une autorisation de séjour pour des raisons d’ordre privé. A cet égard, ils citent les articles 38 1. c) et 78 (1) c) de la loi du 29 août 2008 pour reprocher au ministre de ne pas avoir correctement apprécié leur situation. Ainsi, ils rappellent qu’ils seraient mariés depuis 1977, qu’ils auraient vécu ensemble pendant treize ans avant le départ du demandeur pour le Luxembourg, que malgré ce départ, ils auraient continué à entretenir des liens personnels, intenses et stables, tel que le prouverait la naissance de leurs enfants … et … après le départ du demandeur pour le Luxembourg. Leur fille majeure … aurait toujours vécu avec la demanderesse et serait toujours matériellement dépendante de ses parents, de sorte qu’elle aurait continué à vivre sous le toit de sa mère. Ils déclarent que l’article 78 de la loi du 29 août 2008 serait à interpréter à la lumière de l’article 8 de la CEDH. L’existence d’une relation maritale stable et effective de plus de trente ans et préexistante à l’entrée sur le territoire luxembourgeois du demandeur dans le chef des époux…devrait entraîner l’application de l’article 8 de la CEDH. Ils en déduisent que le refus de respecter leur droit d’entretenir des relations et d’avoir des attaches personnelles étroites constituerait une atteinte disproportionnée et injustifiée au droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 78 de la loi du 29 août 2008, combiné avec l’article 8 de la CEDH.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
La décision ministérielle déférée du 29 mars 2011 a été prise principalement sur le fondement de l’article 73 (4) et (5) de la loi du 29 août 2008 en ce que le ministre a considéré les demandes en obtention d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial comme irrecevables. La décision ministérielle du 10 octobre 2011 est une confirmation pure et simple de celle du 29 mars 2011 ne contenant aucun élément supplémentaire.
L’article 73 (4) et (5) de la loi du 29 août 2008, ayant trait aux conditions d’obtention d’une autorisation de séjour en qualité de membre de famille d’un ressortissant de pays tiers, dispose que :
« (4) La demande [en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de la famille] est introduite et examinée alors que les membres de la famille résident à l’extérieur de pays.
(5) Le ministre peut, dans des cas exceptionnels dûment motivés, accepter que lors de l’introduction de la demande, les membres de la famille se trouvent déjà sur le territoire luxembourgeois. » Aux termes de l’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008, une demande en obtention d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial doit en principe être introduite et examinée par le ministre à un moment où les membres de la famille du regroupant, ressortissant de pays tiers, souhaitant rejoindre ce dernier sur le territoire luxembourgeois, c’est-à-dire les regroupés, résident encore à l’extérieur du territoire luxembourgeois. Le ministre a, en vertu de l’article 73 (5) de la loi du 29 août 2008, la faculté d’accepter que lors de l’introduction de la demande les regroupés se trouvent déjà sur le territoire luxembourgeois, si les intéressés motivent dûment qu’ils se trouvent dans un cas exceptionnel justifiant une dérogation à la règle générale ci-avant énoncée.
L’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008 est le reflet de l’obligation plus générale inscrite à l’article 39 (1) de la même loi, qui, par son renvoi à l’article 38, point 1. de cette loi énumérant notamment les autorisations de séjour des membres de famille, s’applique également aux autorisations de séjour d’un membre de famille d’un ressortissant de pays tiers en vue d’un regroupement familial et en vertu duquel « la demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1 […] doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. La demande doit sous peine d’irrecevabilité être introduite avant l’entrée sur le territoire du ressortissant d’un pays tiers », et qui connaît un tempérament prévu à l’article 39 (2) de la même loi suivant lequel « dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s’il rapporte la preuve qu’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise, et si le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique. » Quant à la conséquence d’une inobservation de l’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008, il échet de relever que l’article 101 (1) de la même loi dispose que « l’autorisation de séjour du ressortissant de pays tiers peut lui être refusée ou son titre de séjour peut être refusé ou retiré ou refusé d’être renouvelé:
1. s’il ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 38 et celles prévues pour chaque catégorie dont il relève ou s’il séjourne à des fins autres que celle pour laquelle il a été autorisé à séjourner ; […] ».
L’article 38 de la loi du 29 août 2008 quant à lui dispose que « sous réserve de l’application des conditions de l’article 34, paragraphes (1) et (2), et sans préjudice des dispositions plus favorables adoptées par le biais d’accords bilatéraux ou multilatéraux avec des pays tiers, le ressortissant de pays tiers a le droit de séjourner sur le territoire pour une période supérieure à trois mois si, dans les conditions fixées par la présente loi:
1. il est muni d’une autorisation de séjour temporaire à titre de:
[…] f) membre de la famille; […] » Dans la mesure où l’article 38 de la loi du 29 août 2008 se limite à énumérer les différentes catégories d’autorisations qui confèrent à un ressortissant de pays tiers le droit de séjourner au Luxembourg pour une période supérieure à trois mois et à renvoyer, en ce qui concerne les exigences pour l’obtention des différentes catégories d’autorisations, aux conditions fixées par ailleurs dans cette même loi, le renvoi par l’article 101 (1) 1. à l’article 38 doit être compris en ce sens que l’autorisation de séjour peut être refusée si le ressortissant de pays tiers ne rentre pas dans l’une des catégories prévues par l’article 38 ou ne satisfait pas aux conditions spécifiques de la ou des catégories dont il entend se prévaloir, ces conditions se trouvant fixées dans d’autres dispositions de la loi du 29 août 2008 non autrement délimitées par les articles 101 et 38, y compris les dispositions des articles 39 et 73 (4) de la même loi ayant trait à l’obligation d’introduire la demande à l’extérieur du territoire luxembourgeois.
En disposant que « la demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1 […] doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire » et en visant sans distinction toutes les catégories d’autorisations énumérées à l’article 38, point 1., lettres a) à g), l’article 39 doit être vu comme véhiculant non pas une simple formalité non substantielle, mais une condition d’octroi valant pour toutes ces catégories d’autorisations et faisant partie intégrante des conditions spécifiques pour chacune de ces catégories au sens de l’article 101 de la loi du 29 août 2008.1 Dans la mesure où l’obligation inscrite à l’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008 et visant l’introduction d’une demande en vue d’un regroupement familial d’un membre de famille d’un ressortissant de pays tiers, est, tel que cela a été retenu ci-avant, le reflet de la règle générale inscrite à l’article 39 de cette loi, la même conclusion s’impose en ce qui concerne plus particulièrement l’obligation d’introduire la demande à un moment où les membres de famille du regroupant résident encore à l’extérieur du pays visée audit article 73 (4).
Etant donné que, conformément à leur demande du 14 mars 2011, les demandeurs avaient sollicité la délivrance d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial visée à l’article 38, point 1., lettre f) de la loi du 29 août 2008, la condition posée par l’article 39 de la même loi, rappelée à l’article 73 (4) de la même loi, quant à l’introduction d’une demande avant l’entrée sur le territoire luxembourgeois doit être qualifiée de condition faisant partie du régime d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial, de sorte que le ministre peut refuser l’autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial par le seul constat que la condition tenant à l’obligation de présenter le demande en obtention de l’autorisation de séjour à partir de l’extérieur du territoire luxembourgeois n’est pas remplie.
Il est constant en cause que Madame …, ainsi que ses enfants …, … et ……ont quitté la Serbie le 5 février 2011, tel que cela ressort des copies de leurs passeports versées parmi les pièces du dossier et qu’ils ont introduit leur demande en obtention d’une autorisation de 1 cf. Cour adm. 16 décembre 2010, n° 27247C du rôle, Pas.adm. 2011, V° Etrangers, n°269 séjour en vue d’un regroupement familial avec son époux, respectivement leur père, Monsieur …, bénéficiant d’un titre de séjour en qualité de travailleur salarié en cours de validité, en date du 14 mars 2011, soit après avoir quitté leur pays d’origine. Il convient de souligner que les demandeurs reconnaissent, quoique de façon implicite, que Madame…et ses enfants se sont trouvés sur le territoire luxembourgeois au moment de l’introduction de ladite demande.2 Il s’ensuit que le ministre pouvait à bon droit constater que la demande n’a pas été introduite conformément aux exigences de l’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008, à savoir à une époque où les regroupés se sont trouvés à l’extérieur du territoire luxembourgeois.
Quant à un éventuel cas exceptionnel dûment motivé qui permettrait au ministre d’accepter, le cas échéant, que la demande puisse être introduite après l’entrée sur le territoire luxembourgeois des regroupés, les demandeurs soutiennent qu’ils n’auraient pas été conscients de cette obligation de motivation. Or, en vertu de l’adage nemo censetur ignorare legem, cette simple affirmation ne saurait exempter les demandeurs de respecter les conditions posées par l’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008.
C’est à tort que les demandeurs soutiennent qu’ils n’auraient pas besoin de motiver qu’ils se trouveraient dans un cas exceptionnel au sens de l’article 73 (5) de la loi du 29 août 2008 au motif qu’étant de nationalité serbe, Madame…et ses enfants pourraient de toute façon venir au Luxembourg sans visa et à la seule condition de ne pas y rester pendant une durée supérieure à trois mois et que même s’ils avaient introduit leur demande en obtention d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial depuis la Serbie, ils n’auraient pas eu besoin d’attendre la réponse à cette demande avant de pouvoir venir au Luxembourg. En effet, s’il est vrai que les citoyens serbes peuvent entrer sur le territoire luxembourgeois munis de leur seul passeport à condition de ne pas y rester pendant une durée supérieure à trois mois, cette possibilité est justement limitée à une période de temps assez brève et elle n’est certainement pas destinée à détourner les dispositions de la loi du 29 août 2008 réglant les autorisations pour des séjours sur le territoire luxembourgeois dépassant une durée de trois mois. Dans la mesure où l’idée même du regroupement familial est de réunir les membres d’une famille sur un même territoire de façon durable, les demandeurs tombent en l’espèce dans le champ d’application de l’article 73 (5) de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’il leur incombait de fournir la due motivation de se trouver dans un cas exceptionnel permettant au ministre d’accepter que leur demande en obtention d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial puisse être introduite après leur entrée sur le territoire luxembourgeois.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut par les demandeurs de justifier qu’ils se trouvent dans un cas exceptionnel dûment motivé au sens de l’article 73 (5) de la loi du 29 août 2008, ni d’ailleurs que le retour dans leur pays d’origine constitue une charge inique au sens de l’article 39 (2) de la même loi, que le ministre a à bon droit pu déclarer irrecevable la demande en obtention d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial introduite le 14 mars 2011 et a partant pu opposer une fin de non recevoir à leur demande, en ce sens qu’il ne saurait prendre en compte leur demande au motif que les demandeurs ne remplissent pas la condition préalable à l’examen au fond de leur demande.
La décision litigieuse étant motivée à suffisance de droit et de fait par le seul constat de la violation par les demandeurs des prescriptions de l’article 73 (4) de la loi du 29 août 2008, l’examen du moyen fondé sur une violation de l’article 69 de la même loi, en ce que le 2 Requête introductive d’instance déposée le 10 janvier 2012, p.5 demandeur disposerait de ressources stables, régulière et suffisantes, d’un logement approprié, ainsi que de la couverture d’une assurance maladie, devient surabondant.
Quant au moyen des demandeurs ayant trait au respect de leur vie privée et familiale fondé principalement sur l’article 8 de la CEDH, il convient de rappeler que s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH. Dans ce contexte, l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.
En effet, l’article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une famille. S’il est vrai que sur base dudit article l’existence d’une vie familiale effective et stable, susceptible d’être protégée, peut effectivement constituer un obstacle à un refus d’une autorisation de séjour, il faut encore que le demandeur puisse invoquer l’existence, au-delà des liens familiaux ou de la simple contribution pécuniaire en vue de la satisfaction de besoins matériels, d’une vie familiale effective et stable que le refus d’un titre de séjour perturberait de façon disproportionnée, et cumulativement l’impossibilité de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.
Or, il convient de relever le choix des demandeurs de mener une vie familiale à distance et donc de renoncer à une vie familiale étroite au cours des dernières vingt années.
En effet, le demandeur a quitté son pays d’origine il y a vingt ans pour venir s’installer au Luxembourg, de sorte que c’est l’initiative du demandeur lui-même qui est à l’origine de la rupture de la vie familiale étroite et non les décisions ministérielles sous analyse, même si son départ était motivé par l’amélioration du bien-être économique de sa famille. La présence sur le territoire luxembourgeois de la demanderesse et de leurs enfants pendant la période du 5 février 2011, date d’entrée sur le territoire luxembourgeois renseignée par les copies de leurs passeports versées en cause, au 30 avril 2011, date de départ du territoire luxembourgeois renseignée par un procès-verbal de la Police grand-ducale dressée le 5 mai 2011, versé parmi les pièces du dossier administratif, soit pendant une période de seulement trois mois, est insuffisante pour retenir dans le chef des demandeurs une vie familiale susceptible d’être protégée au sens de l’article 8 de la CEDH, dans la mesure où une période assez brève de trois mois ne saurait suffire aux demandeurs pour construire une vie familiale étroite qui n’a pas existé pendant vingt ans.
Par ailleurs, force est au tribunal de constater que les demandeurs n’ont pas apporté des éléments permettant d’établir l’existence dans leur chef d’une impossibilité de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays, et notamment leur pays d’origine, la Serbie, la simple affirmation que les conditions socio-économiques seraient difficiles en Serbie, sans l’étayer par la moindre précision ou explication, étant insuffisante à cet égard.
L’argument des demandeurs qu’ils ne représenteraient aucun danger pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publiques n’est pas pertinent en l’espèce dans la mesure où le ministre ne leur a fait aucun reproche de cette nature.
Le moyen fondé sur une violation du droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au moyen fondé sur une violation de l’article 78 de la loi du 29 août 2008 en ce que le ministre n’aurait pas accordé à Madame…et ses enfants une autorisation de séjour pour des raisons privées, force est au tribunal de constater qu’à l’appui de ce moyen, les demandeurs font essentiellement état de leur vie familiale et déclarent que l’article 78 devrait être interprété à la lumière de l’article 8 de la CEDH. Etant donné que le tribunal vient de retenir que le ministre n’a pas violé l’article 8 de la CEDH en l’espèce, le moyen afférent est également à rejeter.
Il suit dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme n’étant fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2012 par le vice-président, en présence du greffier Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/12/2012 Le Greffier du Tribunal administratif 10