Tribunal administratif N° 29881 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2012 3e chambre Audience publique du 5 décembre 2012 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29881 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2012 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (République Démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 janvier 2012 portant refus d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mai 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Felix Mgbekonye, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 novembre 2012.
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En date du 14 octobre 2008, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, direction de l’immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. Par décision du 29 septembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à cette demande. Le recours contentieux introduit contre cette décision fut définitivement déclaré non fondé par un arrêt de la Cour administrative du 5 avril 2011 (n° 27952C du rôle).
Par une lettre de son mandataire du 1er juillet 2011, Madame… adressa au ministre une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour sur le fondement de l’article 15 (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », en vue d’un regroupement familial avec son fils, Monsieur …, demeurant au Luxembourg et ayant la nationalité luxembourgeoise, demande que le ministre rejeta par une décision du 18 janvier 2012 en les termes suivants :
« J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre demande en obtention d'une carte de séjour de membre de famille d'un citoyen de l'Union déposée auprès de l'administration communale de Wiltz en date du 5 juillet 2011.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, aucun document n'a été joint afin de prouver que vous soyez à charge de Monsieur …, né le …, de nationalité luxembourgeoise. Un engagement de prise en charge indûment complété ne prouve nullement que vous ayez été à charge avant l'introduction de la demande et que vous le soyez actuellement. Par ailleurs, étant donné que vous avez perçu la somme de … Euros pendant le période du 16 octobre 2008 au 16 mai 2011 de la part du Ministère de la Famille et de l'Intégration vous n'avez certainement pas été à charge de votre fils avant la demande. Par conséquent vous n'avez pas de droit de séjour en tant que membre de famille d'un citoyen de l'Union au sens de l'article 12, paragraphe (1), point d) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration et une carte de séjour de membre de famille d'un citoyen de l'Union ne saurait vous être délivrée.
Comme vous avez déposé une demande de protection internationale le 14 octobre 2008, que vous avez été déboutée le 19 janvier 2011 par jugement confirmé par la Cour Administrative le 5 avril 2011, vous ne remplissez pas les conditions de l'article 34 de la loi modifiée du 29 août 2008, votre séjour est considéré comme irrégulier, conformément à l'article 100, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu des développements qui précèdent et en application de l'article 111, paragraphe (3) c), points 1. et 2. , vous êtes obligée de quitter le territoire dans un délai de 30 jours après la notification de la présente, soit à destination du pays dont vous avez la nationalité, la République démocratique du Congo, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d'un autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.
A défaut de quitter le territoire volontairement, l'ordre de quitter sera exécuté d'office et vous serez éloignée par la contrainte.
Je vous prie, Madame, de croire en l'expression de mes sentiments distingués. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 février 2012, Madame… a fait introduire un recours en annulation contre la décision du ministre du 18 janvier 2012 portant rejet de sa demande en vue d’un regroupement familial.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours en réformation en matière de refus d’une autorisation de séjour, l’article 113 de la loi du 29 août 2008, auquel renvoie l’article 31 de la même loi, inscrit dans la section 2 du chapitre 2, relative au droit d’entrée, de séjour et de sortie des membres de la famille notamment des citoyens de l’Union européenne, prévoyant au contraire expressément un recours en annulation, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision ministérielle attaquée, recours qui, en l’espèce, est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
La demanderesse, originaire de la République démocratique du Congo, ci-après désignée par « la RDC », déclare que le père de son fils qui l’aurait quittée dès qu’elle était enceinte en 1974, aurait réapparu treize ans après et aurait emmené avec lui son fils, Ignace, pour ensuite partir en Europe et plus précisément au Luxembourg, où il aurait vécu alors depuis avec son fils.
Elle-même se serait investie en RDC dans des activités politiques et aurait collaboré avec les proches de Jean-Pierre Bemba. Elle aurait été obligée de fuir son pays d’origine pour échapper à la répression pesant sur les membres de l’opposition au régime de Kabila.
Elle souligne que ni dans le jugement du 19 janvier 2011 du tribunal administratif ni dans l’arrêt de la Cour administrative du 5 avril 2011 ayant rejeté son recours contre une décision du ministre refusant de faire droit à sa demande de protection internationale, sa crédibilité aurait été remise en cause. Elle souligne que suite aux élections présidentielles en RDC en décembre 2011 les opposants de Kabila subiraient à nouveau une très violente répression.
En droit, la demanderesse reproche au ministre une mauvaise application de l’article 12 de la loi du 29 août 2008. Plus particulièrement, elle lui reproche d’avoir émis des contestations au sujet de l’attestation de prise en charge signée par son fils. Elle fait valoir que cette attestation remplirait toutes les conditions légales et que par ailleurs son fils aurait rempli ledit formulaire conformément aux instructions y indiquées, tout en donnant à considérer que même si le formulaire avait présenté quelques lacunes, il aurait appartenu au ministre d’attirer l’attention de son fils sur ce fait. En toute hypothèse, elle soutient qu’une attestation de prise en charge incomplète ne pourrait justifier une décision de refus d’une autorisation de séjour dans son chef.
D’autre part, la demanderesse soutient que le ministre aurait ajouté une condition d’attribution d’une autorisation de séjour non prévue par la loi, en ce que l’article 12 de la loi du 29 août 2008 ne poserait pas comme condition qu’antérieurement à la demande, le ressortissant d’un Etat tiers désireux de rejoindre un citoyen de l’Union européenne doit avoir été à charge du regroupement. Cette condition d’antériorité devrait partant être écartée pour défaut de base légale et la décision prise sur ce fondement devrait encourir l’annulation.
La demanderesse fait en outre état de cinq attestations testimoniales qui prouveraient qu’elle habite chez son fils et qu’elle serait à sa charge. D’autre part, elle produit la preuve de virements bancaires concernant des factures médicales payées par son fils. Elle en conclut qu’il serait établi qu’elle aurait été à charge de son fils au jour de l’introduction de sa demande et qu’elle le serait toujours à l’heure actuelle.
Le délégué du gouvernement souligne que l’attestation de prise en charge signée par le fils de la demanderesse présenterait différentes lacunes en invoquant notamment une absence de date, un défaut d’indication du numéro de passeport de la demanderesse et de sa date de validité et de la période couverte par la prise en charge.
Il fait encore valoir que le seul fait de signer une attestation de prise en charge ne signifierait pas que la demanderesse soit à charge de son fils. Ladite attestation constituerait un engagement vis-à-vis de l’Etat à prendre en charge ou à rembourser les frais de séjour du membre de la famille, notamment des frais de santé respectivement de retour au pays d’origine, mais ne constituerait pas une preuve suffisante de la prise en charge pécuniaire de la personne concernée par le membre de famille. Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que la demanderesse aurait été à charge de l’Etat luxembourgeois pendant toute la procédure de protection internationale, soit du 16 octobre 2008 jusqu’au 16 mai 2011, et aurait touché à ce titre la somme de … euros. Pendant cette période elle n’aurait dès lors pas été à charge de sa famille. Il soutient encore qu’à l’appui de la demande d’autorisation de séjour, aucune pièce n’aurait été jointe afin de documenter des frais payés par le fils de la demanderesse, de sorte que le ministre aurait estimé que les conditions de l’article 12 (1) d) de la loi du 209 août 2008 ne seraient pas remplies. Il ajoute que toutes les pièces versées par la demanderesse à l’appui de son recours ne l’auraient pas été dans le cadre de la demande en obtention d’une autorisation de séjour et ne pourraient dès lors pas être prises en considération par le ministre dans la mesure où la légalité de la décision ministérielle s’apprécierait au jour où elle a été prise. Partant, la décision ne pourrait encourir l’annulation.
En l’espèce, le regroupement familial en faveur de la demanderesse est demandé sur le fondement de l’article 12 de la loi du 29 août 2008, inscrit dans la section 2 de ladite loi intitulée : « Le droit d’entrée, de séjour et de sortie des membres de la famille du citoyen de l’Union et du ressortissant des autres Etats parties à l’Accord sur l’Espace économique européen et de la Confédération suisse », et disposant « (1) Sont considérés comme membres de la famille :
[…] d) les ascendants directs à charge du citoyen de l’Union et les ascendants directs à charge du conjoint ou du partenaire visé au point b) […] ».
En vertu de l’article 14 de la même loi « (1) Les membres de la famille définis à l’article 12 qui sont eux-mêmes citoyens de l’Union, bénéficient d’un droit de séjour tel que prévu à l’article 6, s’ils accompagnent ou rejoignent un citoyen de l’Union. Ce droit de séjour s’étend également aux membres de la famille qui sont des ressortissants de pays tiers s’ils accompagnent ou rejoignent un citoyen de l’Union, qui lui-même satisfait aux conditions énoncées à l’article 6, paragraphe (1), points 1 ou 2. […] », étant précisé que l’article 6 (1) de la loi du 29 août 2008 consacre le droit du citoyen de l’Union européenne de séjourner sur le territoire pour une durée de plus de trois mois s’il remplit l’une des conditions y énoncées.
L’article 12, ensemble l’article 14 de la loi du 29 août 2008 consacrent dès lors le droit du ressortissant de pays tiers membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne de rejoindre ce citoyen de l’Union disposant d’ores et déjà du droit de séjourner sur le territoire, à condition de rentrer dans l’un des cas de figure prévus par l’article 12, précité.
En l’espèce, la demanderesse, de nationalité congolaise, désire rejoindre son fils, qui est de nationalité luxembourgeoise et qui habite au Luxembourg.
Aux termes de l’article 12, précité, l’octroi d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial est notamment conditionné par la circonstance que l’ascendant désireux de rejoindre le citoyen de l’Union européenne doit être à charge de celui-ci. C’est justement cette condition qui est litigieuse en l’espèce.
Par rapport au premier moyen invoqué par la demanderesse et fondé sur l’existence d’une attestation de prise en charge et le contenu de celle-ci, il convient de relever que, contrairement à ce qui est soutenu par la demanderesse, le refus du ministre n’est pas fondé sur le constat que le formulaire de l’attestation de prise en charge a, le cas échéant, été rempli de manière incomplète, mais il repose sur le constat que la demanderesse n’aurait pas établi qu’elle est à la charge de son fils et que cette preuve ne serait pas rapportée par la seule attestation de prise en charge. Si le ministre a relevé que ladite attestation serait lacunaire, ce n’est pas ce constat qui a emporté son refus, mais c’est l’absence de preuve que la demanderesse est à charge de son fils qui est à l’origine du refus.
Il s’ensuit que les contestations de la demanderesse quant à la régularité de l’attestation de prise en charge sont à rejeter comme étant dénuées de pertinence.
En ce qui concerne la question de savoir si la demanderesse est à charge de son fils, il convient de relever que l’article 12 de la loi du 29 août 2008 se limite à imposer que l’ascendant y visé soit « à charge », sans autrement préciser la portée exacte de cette notion que ce soit quant au degré de dépendance financière requis ou encore quant à l’époque à laquelle l’intéressé doit être à charge. Afin d’interpréter la notion d’ascendant « à charge », il convient de se référer aux travaux parlementaires à la base de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement au commentaire des articles, dans lequel les auteurs de la loi ont relevé qu’on entend par « être à charge » au sens de l’article 12 de la loi du 29 août 2008, « le fait pour le membre de la famille d’un ressortissant communautaire établi dans un autre Etat membre au sens de l’article 43 CE, de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant […]. La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1-05) » (doc. parl. n° 5802 à la base de la loi du 29 août 2008, commentaire des articles, p. 61).
Il en résulte que la notion de « à charge » est à entendre en ce sens que le membre de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial dans le cadre de l’article 12 de la loi du 29 août 2008 doit nécessiter le soutient matériel du regroupant à un tel point que le soutien matériel fourni est nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d’origine de l’intéressé. Dans cette optique, la nécessité d’un soutien matériel doit nécessairement avoir existé avant l’introduction de la demande, de manière que l’examen de la condition de nécessité vise par la force des choses la situation antérieure à l’introduction de la demande telle qu’elle se présentait alors que le ressortissant d’un Etat tiers se trouvait encore dans son pays d’origine. Eu égard à ces considérations et à défaut de restrictions quant d’époque à laquelle le ressortissant de l’Etat tiers doit avoir été à charge contenues dans la loi du 29 août 2088, c’est à tort que la demanderesse reproche au ministre d’avoir exigé qu’avant l’introduction de sa demande elle ait été à charge de son fils au motif que cette condition irait au-delà des prescriptions de la loi. Il s’ensuit que le ministre pouvait valablement et sans violer la loi prendre en compte la situation antérieure à l’introduction de la demande et exiger que la demanderesse ait été à charge de son fils antérieurement à l’introduction de sa demande, de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Quant à l’incidence de l’attestation de prise en charge invoquée par la demanderesse, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement a relevé que la production d’une telle attestation au sens de l’article 4 de la loi du 29 août 2008 à elle seule n’est pas de nature à établir que la demanderesse est à charge de son fils, dans la mesure où une telle déclaration constitue nécessairement un engagement de prise en charge future, mais ne comporte aucun élément de preuve quant à la situation antérieure à la demande. Ainsi, il appartient à la demanderesse d’établir concrètement qu’elle est à charge de son fils. Cette conclusion est encore confortée par l’analyse fait par la Cour de Justice de l’Union européenne dans l’affaire C1-05 citée à l’appui des documents parlementaires précités, en ce que la production d’une attestation de prise en charge peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle.
Quant à l’existence d’un lien de dépendance matérielle entre la demanderesse et son fils, il convient de prime abord de relever qu’il ne se dégage pas des éléments du dossier que la demanderesse ait été à charge de son fils avant qu’elle a quitté son pays d’origine. Au contraire, il se dégage de la lecture de la décision de refus d’une protection internationale du 29 septembre 2010 que la demanderesse avait déclaré lors de son audition que si elle a rendu visite à son fils en 2006 au Luxembourg, elle était sans nouvelles de sa part depuis, de sorte que nécessairement, elle ne recevait aucune aide matérielle de son fils. Par ailleurs, elle a déclaré avoir été commerçante d’habits et de chaussures, de sorte qu’elle disposait de revenus propres. Il s’ensuit que l’existence d’un lien de dépendance matérielle entre la demanderesse et son fils lorsque celle-ci vivait encore dans son pays d’origine, ne se trouve pas établi en l’espèce. Si pendant la procédure d’examen de sa demande de protection internationale, la demanderesse était certes à charge de l’Etat luxembourgeois, elle ne l’était pas vis-à-vis de son fils. En ce qui concerne la situation postérieure au rejet définitif de sa demande de protection internationale, s’il est exact que la demanderesse a établi qu’elle vit actuellement dans le ménage de son fils et que si, le cas échant, celui-ci a pris en charge un certain nombre de ses frais, notamment des frais médicaux, cette circonstance n’est cependant pas suffisante pour justifier l’existence de la condition de dépendance matérielle requise par l’article 12 de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où la situation actuelle de la demanderesse est la conséquence directe de sa décision de se maintenir au Luxembourg malgré la décision de refus d’octroi d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans cette décision, mais ne reflète pas un lien de dépendance objectivement vérifié au sens de l’article 12 précité.
Il s’ensuit que le ministre a à bon droit pu décider que la demanderesse n’a pas rapporté la preuve qu’elle est à charge de son fils au sens de l’article 12 de la loi du 29 août 2008 et partant a rejeté sa demande en vue d’un regroupement familial.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une mauvaise application de l’article 12 de la loi du 29 août 2008 est à rejeter comme n’étant pas fondé.
La demanderesse fait ensuite état d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».
S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH et plus particulièrement de son article 8 garantissant le droit au respect à la vie privée et familiale. Dans ce contexte, l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.
Il convient encore de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. S’il est vrai que sur base dudit article l’existence d’une vie familiale effective et stable, susceptible d’être protégée, peut effectivement constituer un éventuel obstacle à un refus d’une autorisation de séjour, il faut encore que le demandeur puisse invoquer l’existence, au-delà des liens familiaux tels que ceux de mère et fils, d’une vie familiale effective et stable que le refus du ministre perturbe de façon disproportionnée. En l’espèce, une telle preuve n’est cependant pas rapportée.
En effet, il ressort des éléments du dossier que depuis son enfance le fils de la demanderesse a rejoint son père pour vivre avec lui au Luxembourg, de sorte que la demanderesse était séparée de son fils pendant de nombreuses années. Il ne se dégage pas des éléments du dossier que la demanderesse ait pendant cette période de séparation entretenu des contacts particulièrement étroits avec son fils. Au contraire, d’après le résumé de son récit retracé dans la décision de refus d’une protection internationale du 29 septembre 2010, elle lui a rendu visite en 2006 et depuis, elle était sans nouvelles de sa part au moins jusque fin 2008 quand elle est arrivée au Luxembourg pour y déposer une demande de protection internationale.
S’il n’est pas contesté que depuis le rejet définitif de sa demande de protection internationale suite à l’arrêt de la Cour administrative du 5 avril 2011, la demanderesse vit dans le ménage de son fils, cette seule circonstance n’est pas suffisante pour retenir, d’une part, l’existence d’une vie familiale stable et effective, et, d’autre part, une ingérence disproportionnée, contraire à l’article 8 de la CEDH, dans une telle vie familiale par l’effet du refus du ministre du 18 janvier 2012.
Il suit des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une violation de l’article 8 de la CEDH est à rejeter comme étant non fondé.
Enfin, la demanderesse soutient que l’ordre de quitter le territoire pris à son encontre violerait de manière l’article 129 de la loi du 29 août 2008, combiné avec l’article 3 de la CEDH.
A cet égard elle se prévaut en substance de la situation actuelle régnant en RDC en renvoyant à cet égard à un rapport de Human Rights Watch du 22 janvier 2012 et à un rapport conjoint des sept experts des Nations Unies sur la situation en RDC daté du 9 mars 2011. Elle en conclut que si elle était renvoyée dans son pays d’origine, sa vie serait gravement menacée en raison de ses engagements politiques dans le passé.
Le délégué du gouvernement soutient que la situation générale régnant en RDC n’aurait pas changé depuis l’arrêt de la Cour administrative du 5 avril 2011. Il ajoute qu’à part d’avoir organisé une marche de soutien en faveur de Jean-Pierre Bemba, la demanderesse n’aurait pas eu d’activités politiques dans son pays d’origine qui la placerait dans une position exposée.
Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, un étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. Si l’article 3 de la CEDH proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir de tels traitements présente une certaine intensité.
Si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé à la demanderesse pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH.
Il convient dès lors d’examiner si en l’espèce, les effets de l’ordre de quitter le territoire risquent de se heurter à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, respectivement à l’article 3 de la CEDH.
Afin d’apprécier la légalité de la décision litigieuse, le tribunal doit, dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi, se placer au jour de la décision du ministre, soit en l’espèce au 18 janvier 2012, sans pouvoir prendre en compte la situation telle qu’elle se présente au jour où il statue.
La demanderesse soutient en substance que le risque pour sa vie découlerait de ses activités politiques d’opposant à Kabila telles que déployées dans le passé.
Par rapport à cette crainte, la Cour administrative a retenu dans son arrêt du 5 avril 2011, sur le fondement des rapports internationaux invoqués par les parties à l’instance, que la situation politique en RDC était restée relativement stable en 2009 et 2010 pour en conclure que les éléments d’appréciation lui soumis ne permettraient pas de conclure que la demanderesse risquerait encore à l’heure actuelle d’être exposée à des persécutions ou des atteintes graves, à savoir la peine de mort, la torture ou des traitements inhumains ou dégradants, au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
En ce qui concerne la situation existante au jour où le ministre a pris la décision actuellement sous examen, il est certes exact qu’il se dégage des rapports internationaux invoqués par la demanderesse que la situation par rapport au respect des droits de l’homme en RDC est préoccupante et que des opérations militaires menées par les forces armées de la République démocratique du Congo contre des groupes armés, respectivement en représailles à des opérations commises par de telles groupes sont d’actualités. Néanmoins, au regard de la conclusion retenue par le tribunal administratif et par la Cour administrative dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale de la demanderesse, par rapport au risque pour elle d’encourir plus particulièrement des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine en raison de ses activités politiques, le tribunal est amené à retenir que les faits tels qu’ils étaient à la disposition du ministre au moment de la prise de la décision sous examen en date du 18 janvier 2012 n’étaient pas d’avantage de nature à imposer le constat que la demanderesse risquait sa vie en cas de retour dans son pays d’origine en raison de ses activités politiques contre Kabila.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 et de l’article 3 de la CEDH est à rejeter comme étant non fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme étant non-fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 5 décembre 2012 par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
Claudine Meili Claude Fellens 9