Tribunal administratif N° 30002 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 mars 2012 1re chambre Audience publique du 3 décembre 2012 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30002 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mars 2012 par Maître Nicky STOFFEL, assistée de Maître Christian BARANDAO-BAKELE, tous les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Macédoine), et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, né le … , tous de nationalité macédonienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 9 février 2012 rejetant leurs demandes en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondées et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Madame le délégué du gouvernement Betty SANDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2012.
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En date du 18 avril 2011, Monsieur …et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, ci-après désignés par « les consorts …», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-
après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, les consorts …furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Monsieur …et son épouse, Madame …, furent entendus séparément en date du 17 mai 2011 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration sur les motifs à la base de leurs demandes de protection internationale.
Par décision du 9 février 2012, expédiée par courrier recommandé le 10 février 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts …de ce que leur demande avait été rejetée comme non fondée tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
«J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 18 avril 2011.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de la Police Judiciaire du 18 avril 2011 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 17 mai 2011.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays le 10 avril 2011 en entrant légalement en Hongrie. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 18 avril 2011.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que votre fille serait restée en ARYM parce que vous n'auriez pas eu assez d'argent pour l'amener. Vous dites que vous n'auriez jamais eu un travail déclaré et que vous recevriez 20.- euro d'aides sociales par mois. D'après vos dires, vous ne trouveriez pas de travail parce que vous êtes d'ethnie rom et parce que vous ne seriez pas membre du parti VMRO-DPMNE, mais vous auriez été membre d'un parti rom.
Qui plus est, vous indiquez que vous n'auriez pas demandé une aide financière parce que vous ne connaîtriez pas les administrations qui pourraient vous aider. Vous déclarez de même que vous n'auriez pas porté plainte auprès d'une autorité dans votre pays d'origine.
Vous dites que vous auriez décidé de venir au Luxembourg pour pouvoir travailler.
Comme les conditions seraient meilleures au Luxembourg vous n'auriez pas voulu vous installer dans une autre région de votre pays d'origine.
Vous déclarez que vous n'auriez pas d'autres raisons sous-tendant votre demande de protection internationale.
Vous admettez n'avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement.
Enfin, vous déclarez ne pas être membre d'un parti politique ou d'un groupe social défendant les intérêts de personnes.
Madame, vous confirmez l'intégralité des déclarations de votre mari.
La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Force est de constater que les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. Ainsi, il ressort très clairement de vos déclarations que vous auriez quitté l'ARYM pour des raisons purement matérielles et économiques.
En ce qui concerne la situation économique de l'ARYM, il faut souligner que l'indépendance politique obtenue en 1991 a été suivie par une forte dégradation de la situation économique, et ce n'est qu'à partir de 1996 que l'économie macédonienne a commencé à se rétablir petit à petit. En 2006, elle a connu une croissance de 3,1% et le Gouvernement actuel a pour objectif d'accélérer la croissance, de lutter contre la corruption et de réduire l'appareil bureaucratique. Le revenu net moyen correspondait à 336 euros en décembre 2011. Le taux de chômage est très élevé (plus de 30% en 2010), mais le nombre de sans emplois involontaires serait en réalité inférieur du fait de l'activité économique informelle, qui produit autour de 40% de la richesse nationale selon diverses estimations.
L'ampleur prise par l'exode macédonien doit également être replacée dans le contexte de la crise financière mondiale qui a éclaté à l'automne 2008. Bien que I'ARYM soit un pays de petite taille et peu intégré dans les systèmes financiers mondiaux, la crise s'y fait sentir dans tous les secteurs industriels. De nombreux emplois ont également été perdus, surtout dans les secteurs d'exportation. Dans la métallurgie, 2000 ouvriers ont été mis au chômage technique fin 2008. Au dernier trimestre 2008, plus de 3000 personnes ont perdu leur emploi.
Au premier trimestre 2009, le taux de chômage s'élevait à 32,8%. Parmi les 15-27 ans, ce taux était de 54,4%.
Or, au vu de ce qui précède, force est de constater que non seulement les minorités ethniques sont affectées par cette crise financière, mais toute la population de l'ARYM. Par conséquent, il convient plutôt de conclure que le fait que vous n'êtes pas en mesure de trouver un autre emploi est plutôt lié à la situation économique de l'ARYM et non votre appartenance ethnique. Quoi qu'il en soit, il convient de souligner que des raisons économiques ne sauraient justifier une demande de protection internationale.
De plus, en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une aide à l'égard de votre situation financière. Or, même en supposant une absence d'aide des autorités, force est de constater que vous ne vous êtes pas adressés aux autorités compétentes en matière d'aides sociales. Contrairement à vous, Monsieur, Madame déclare que votre famille aurait touché des aides financières s'élevant à 40 euros.
Par ailleurs, Madame, Monsieur, vous possédez la nationalité macédonienne et en vertu du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection l'ARYM est considérée comme un pays d'origine sûr.
Rappelons qu'un pays est désigné comme sûr lorsqu'il est établi qu'il n'existe généralement pas de persécution au sens de la Convention de Genève.
De plus, conformément à l'article 21 de la prédite loi, vous n'avez apporté aucune raison valable permettant de penser que I'ARYM n'est pas à considérer comme un pays d'origine sûr en raison de votre situation personnelle au regard des remarques précédentes.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'ARYM ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.
(…)» Par requête déposée le 13 mars 2012 au greffe du tribunal administratif, les consorts …ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision ministérielle précitée du 9 février 2012 portant refus de leurs demandes en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans la même décision.
A l’appui de leur recours les consorts …font valoir qu’ils seraient de nationalité macédonienne et qu’ils appartiendraient à l’ethnie rom. Monsieur …n’aurait jamais réussi à trouver de travail stable en Macédoine alors même qu’il serait inscrit depuis dix ans auprès de l’administration de l’emploi. Il ne toucherait qu’une aide sociale de 20 euros, ce qui serait insuffisant pour subvenir aux besoins de sa famille.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être introduite contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Les demandeurs soutiennent que le ministre aurait fait une interprétation inexacte des faits de l’espèce. Ils estiment en effet que ce se serait à tort que le ministre n’aurait pas admis que les faits allégués seraient de nature à établir dans leur chef une crainte fondée de persécution en Macédoine du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou des convictions politiques. En effet, les demandeurs sont d’avis que l’accès à un emploi leur aurait été rendu impossible en raison non seulement de leur appartenance à l’ethnie rom mais également de leur non-adhésion au parti majoritaire, le VMRO-DPNE. Cette exclusion systématique du marché de l’emploi devrait s’analyser en un élément de persécution tant morale que physique leur permettant de solliciter une protection internationale.
En ce qui concerne la situation générale des Rom de Macédoine, les demandeurs renvoient à plusieurs rapports et articles de presse qui feraient état des conditions de vie difficiles des Rom vivant en Macédoine tout en soulignant que ces conditions de vie difficiles seraient accentuées par les actes d’humiliation et de discrimination dont les Rom souffriraient de la part des Albanais. Les demandeurs donnent dans ce contexte à considérer que la Macédoine compterait entre 6% et 10% de Rom qui, au-delà des discriminations graves, souffriraient d’exclusion. Les causes de cette exclusion résideraient dans les difficultés administratives existant entre la Macédoine et d’autres Etats de l’Ex-Yougoslavie puisqu’en raison de ces difficultés il serait très difficile pour de nombreux Rom de prouver leur origine afin d’obtenir un statut légal en Macédoine. Les demandeurs soulignent que du fait que les pouvoirs publics refuseraient d’octroyer aux Rom le droit à la citoyenneté et de leur délivrer les documents indispensables pour l’accès au logement, à l’emploi et à l’éducation, de nombreuses familles rom seraient obligées de vivre dans une précarité économique catastrophique.
Les demandeurs relèvent ensuite qu’en Macédoine de nombreux Rom seraient la cible d’agressions racistes sans que la police n’intervienne pour les protéger de manière adéquate.
A cela s’ajouterait qu’au lieu de leur venir en aide, les responsables de l’application des lois feraient subir aux Rom des actes de torture et autres mauvais traitements et ils resteraient pour la plupart en défaut de mener de véritables enquêtes lorsque des Rom décideraient de porter plainte.
En se basant sur un rapport d’Amnesty International de 2007, les demandeurs insistent également sur la situation difficile des femmes rom qui souffriraient en effet d’une double discrimination basée sur leur genre et leurs origines. Ainsi, les femmes rom seraient non seulement victimes de violences, mais aussi de discriminations dans l’exercice de leur droit à l’éducation, à l’emploi et à la santé. Par ailleurs, plus de la moitié des femmes rom seraient dans l’impossibilité de trouver un emploi légal faute par les autorités macédoniennes d’avoir entrepris les démarches nécessaires pour garantir à ces femmes un enseignement gratuit et obligatoire. Les femmes rom qui trouveraient un emploi feraient très souvent l’objet de violences verbales et de harcèlement de la part de leurs employeurs et elles travailleraient dans des conditions plus difficiles que les autres femmes.
Les demandeurs donnent également à considérer que comme les femmes rom n’auraient pas d’assurance-maladie, il serait très difficile, voire impossible pour ces femmes de se faire soigner ou de faire soigner leurs enfants. Il arriverait en outre que ces femmes soient confrontées à une discrimination directe de la part du personnel de santé et exclues de traitements.
Les demandeurs renvoient également à un rapport de la Caritas datant de 2006 et qui relaterait les conditions de vie difficiles des minorités Rom, Askhalis et Egyptiens qui seraient la population la plus démunie en Macédoine. Ainsi, 70% de cette population, la plus grande communauté des Rom en Europe, serait au chômage et 50 % d’entre eux seraient analphabètes. Bien qu’une aide sociale existe, elle s’élèverait seulement à 40 - 50 euros par mois pour une seule et même famille de sorte que leurs conditions de vies seraient très précaires.
Les demandeurs soulignent par ailleurs qu’Amnesty International serait préoccupé par le fait que les gouvernements macédoniens successifs ne se seraient jamais souciés des droits fondamentaux des Rom. Ainsi, le gouvernement n’aurait pris aucune mesure pour faire respecter le droit des Rom à l’instruction, à un emploi, aux soins médicaux ou encore à un logement adéquat. Seules des organisations non gouvernementales auraient entrepris des démarches en ce sens.
Les demandeurs estiment qu’en tout état de cause les déclarations qu’ils auraient faites lors de leurs auditions par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères corroboreraient la situation très pénible vécue, notamment par la communauté rom, dans plusieurs domaines de la vie en Macédoine, de sorte qu’il y aurait lieu d’en conclure qu’ils justifieraient dans leur chef de persécutions fondées sur leur appartenance à la communauté rom.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 e) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Une crainte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.
Aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, (…) ».
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leurs demandes en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène toutefois le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Il ressort en effet sans équivoque des déclarations des demandeurs que ceux-ci n’ont quitté leur pays d’origine que dans le seul but d’échapper à des conditions de vie difficiles liées aux problèmes économiques rencontrés en Macédoine. Il ne résulte toutefois pas de leurs récits que les conditions de vie difficiles invoquées auraient trouvé leur origine dans l’un des critères énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir dans leur race, leur religion, leurs opinions politiques, leur nationalité ou encore leur appartenance à un certain groupe social.
Ainsi, même si les demandeurs déclarent qu’en raison de leur appartenance à l’ethnie rom ils n’auraient eu aucun droit en Macédoine et que plus particulièrement l’accès à un emploi leur aurait été refusé en raison non seulement de leur origine ethnique mais également de leurs opinions politiques, ils ne font état d’aucun traitement discriminatoire concret dont ils auraient été personnellement et directement victimes dans leur pays d’origine, que ce soit au niveau de l’accès à l’emploi ou à tout autre niveau.
En effet, même si Monsieur …déclare certes avoir cherché sans succès du travail, il ne donne cependant aucune précision quant aux efforts et démarches concrètement entreprises par lui en ce sens, ni quant aux circonstances dans lesquelles il aurait essuyé des refus. Il y a d’ailleurs lieu de relever à cet égard qu’après avoir d’abord prétendu qu’il serait impossible de trouver un travail à défaut d’être membre d’un parti politique, Monsieur …a déclaré avoir voté pour le parti majoritaire VMRO-DPMNE et que malgré cela il n’aurait pas trouvé de travail, pour ensuite affirmer que certains des employeurs auprès desquels il se serait présenté auraient refusé de l’embaucher parce qu’il n’aurait pas été en mesure de présenter une carte de membre du parti VMRO-DPMNE. A la question de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères de savoir s’il pensait qu’on lui aurait donné du travail s’il avait été membre du parti VMRO-DPMNE, il a toutefois répondu « Non, même pas ». Quant à Madame …, force est de constater qu’elle a déclaré ne jamais avoir essayé de trouver du travail. Or, à défaut d’avoir au moins essayé, elle ne saurait en tout état de cause faire valoir une quelconque discrimination à l’accès à l’emploi.
En ce qui concerne encore l’affirmation de la demanderesse selon laquelle ce serait en raison de leur appartenance à l’ethnie rom que l’administration de l’emploi ne leur aurait pas trouvé d’emploi, il y a lieu de constater que cette affirmation reste en l’état de pure allégation. En effet, à la question de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères de savoir si l’administration avait informé les demandeurs qu’elle ne les aiderait pas en raison de leur origine rom, Madame … a simplement répondu « Non, mais moi je pense que c’est la raison », sans fournir d’autres éléments venant étayer son affirmation.
Au vu de ce qui précède, il n’est dès lors pas établi que l’accès à un emploi aurait été refusé aux demandeurs sur base d’un des critères fixés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 et plus particulièrement en raison de leur origine ethnique ou de leurs opinions politiques. Il ressort par ailleurs des explications du délégué de gouvernement que non seulement les ethnies minoritaires, mais toute la population de Macédoine serait touchée depuis quelques années par la crise financière et les répercussions négatives de celle-ci sur le marché de l’emploi. Il ressort également des explications du délégué du gouvernement et des sources internationales citées par lui que le gouvernement macédonien a adopté un plan national d’action pour l’emploi des Rom dont le but est notamment d’améliorer l’information des Rom dans le domaine de l’emploi, d’augmenter leur niveau d’éducation et de qualification et leurs chances sur le marché du travail.
La demanderesse a également déploré que du fait de leur origine rom, les demandeurs n’auraient pas eu les moyens de payer les frais de scolarité de leurs enfants, pour ensuite déclarer qu’ils n’auraient pas eu les moyens pour envoyer leurs enfants dans une meilleure école. Force est à cet égard de constater qu’il ne ressort pas du récit des demandeurs que l’accès à l’éducation aurait été refusé à leurs enfants en raison de leur origine ethnique ou encore de leurs opinions politiques. En ce qui concerne plus particulièrement l’accès à l’éducation, il ressort d’ailleurs des explications du délégué du gouvernement et des sources internationales citées par lui que le gouvernement macédonien a fait des efforts accrus pour faciliter l’accès des enfants rom à l’école, efforts qui se sont soldés par une augmentation continue du nombre d’élèves rom. Ainsi, en 2009 le gouvernement a notamment mis en place un projet pour améliorer l’accès des enfants rom à l’enseignement et pour permettre d’améliorer notamment l’accès aux crèches communales. Le ministère du Travail et de l’Emploi a également lancé un projet ayant pour but de préparer l’entrée à l’école de 243 enfants rom âgés entre 4 et 5 ans alors qu’à Suto Orizari/Shuto Orizare une école secondaire a été ouverte pour accueillir des enfants rom. Ainsi, le nombre d’enfants rom inscrits à l’école primaire et secondaire n’a cessé d’augmenter depuis plusieurs années. Dans le cadre de la participation de la Macédoine à la « Décennie pour l’inclusion des roms 2005-2015 », le gouvernement a par ailleurs adopté un plan national d’action pour l’éducation des Rom qui a pour objectif d’améliorer l’inclusion des Rom dans le système éducatif, la diminution du taux d’abandon scolaire, le renforcement de la capacité du milieu scolaire à identifier et à gérer les situations de conflit et l’augmentation du nombre d’enseignants rom qualifiés. Il ressort également des explications de la partie étatique que 650 élèves rom du secondaire auraient bénéficié d’un programme spécial de bourses d’études pendant l’année scolaire 2008/2009 et que de nombreux efforts sont entrepris pour favoriser l’accès des enfants rom à l’enseignement secondaire qui est désormais obligatoire en Macédoine.
Le tribunal relève également qu’à la question de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères de savoir si les demandeurs avaient demandé, outre l’aide sociale dont ils auraient bénéficié, une aide financière supplémentaire auprès des autorités macédoniennes, notamment pour payer les études de leurs enfants ou pour pouvoir acheter des vêtements, les demandeurs ont tous les deux répondu par la négative en justifiant cette inaction par le fait qu’ils ne connaîtraient pas les institutions qui pourraient leur octroyer des aides ou encore que même si des aides existeraient, personne ne les en aurait informés.
Ces raisons d’ordre économique ne sauraient en tout état de cause fonder une demande de protection internationale, surtout que les demandeurs sont restés en défaut de démontrer que leur situation économique précaire serait fondée sur un des critères de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, les opinions politiques, la nationalité ou l’appartenance à un certain groupe social.
En ce qui concerne finalement la déclaration non autrement étayée de la demanderesse que son époux aurait été maltraité par le parti VMRO-DPMNE, outre le fait que la demanderesse ne fournit aucune précision quant aux prétendues maltraitances dont aurait été victime sont époux, il y a lieu de relever que ce dernier n’a à aucun moment lors de son audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères mentionné avoir été victime de maltraitances. Le tribunal est dès lors dans l’impossibilité d’apprécier le bien-
fondé de cette affirmation qui reste à l’état de pure allégation.
Quant à la situation générale de la communauté rom en Macédoine, s’il n’est pas contesté que les membres de cette communauté sont en proie à des discriminations et à des exclusions sociales, il ressort toutefois des explications du délégué du gouvernement ainsi que des sources internationales citées par lui que la situation des Rom a changé ces dernières années. Les autorités macédoniennes ont entrepris des efforts pour assurer les droits des minorités et notamment ceux de la communauté rom. L’intégration sociale des Rom et leurs conditions de vie se seraient par ailleurs considérablement améliorées depuis 2005. Les autorités macédoniennes ont ainsi notamment financé la mise en œuvre d’une stratégie nationale pour la « Décennie des Rom », notamment en fournissant aux Rom une assistance sur le plan de l’enseignement, du logement, de l’emploi et du développement des infrastructures. Par ailleurs, des centres d’information pour les Rom, dont le but est d’accompagner les Rom dans la recherche d’une école pour leurs enfants, l’accès aux soins médicaux et la sécurité sociale, se voient accorder un soutien de la part des autorités macédoniennes.
Ces constats ne sont pas énervés par l’affirmation non autrement étayée des demandeurs qu’en tant que Rom ils ne seraient pas respectés et qu’ils n’auraient pas de droits, ni par les observations des demandeurs relatives à la situation générale des Rom en Macédoine qui pèchent par leur imprécision, de sorte qu’il est impossible au tribunal, compte tenu des contestations du délégué du gouvernement, de les vérifier. En effet, à part un rapport d’Amnesty International de 2011, aucun document, tel que les « rapports et articles » invoqués sans autre précision, ou encore le rapport de la Caritas de 2006 ou celui d’Amnesty International de 2007, n’est versé parmi les pièces. Il convient de rappeler que la simple invocation de rapports faisant état, de manière générale, de conditions de vie difficiles, de discriminations ou de violations des droits de l’Homme dans un pays, ne suffit pas à établir que tout ressortissant de ce pays a des raisons de craindre d’être persécuté ou encourt un risque réel d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Il incombe en effet au demandeur de démontrer in concreto qu’il a personnellement des raisons de craindre d’être persécuté ou qu’il encourt un risque réel d’atteinte grave. Il y a par ailleurs lieu de relever que si les demandeurs font état en se basant sur les prédits rapports de manière générale de difficultés pour les Rom de prouver leur origine afin d’obtenir un statut légal en Macédoine, ou encore d’agressions racistes dont beaucoup de Rom seraient victimes, voire encore des conditions difficiles dans lesquelles devraient vivre les femmes rom qui seraient non seulement victimes de discriminations dans l’exercice de leur droit à l’éducation, à l’emploi et à la santé, mais également de violences, ces situations ne sont en aucun rapport avec le récit des demandeurs. En effet, d’une part, les demandeurs et leur enfant disposent tous de passeports et, d’autre part, Madame … a déclaré elle-même qu’elle n’aurait pas cherché à trouver de travail, sans faire état de la moindre discrimination à l’emploi ou à l’éducation. Les demandeurs n’ont d’ailleurs pas non plus dénoncé la moindre discrimination à l’accès aux soins de santé dans leur chef. En ce qui concerne le rapport d’Amnesty International de 2011 qui est versé en tant que pièce, force est de constater que pour ce qui est de la situation des Rom en Macédoine, ce rapport fait surtout état du fait de la situation de nombreux enfants rom qui n’auraient toujours pas de papiers d’identité et qui seraient surreprésentés dans les écoles pour jeunes handicapés mentaux, situation qui est elle-aussi sans lien avec le récit des demandeurs. Il en est de même de la condition des femmes rom qui est dénoncée dans ce rapport et qui a trait aux difficultés rencontrées par ces dernières pour dénoncer des actes de violence domestique ou encore aux discriminations dont elles auraient été victimes dans leurs rapports avec l’administration publique. Dès lors, les éléments à disposition du tribunal ne lui permettent pas de considérer que la situation des Rom en Macédoine soit telle que tout membre de cette communauté risquerait des persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006.
Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas soumis au tribunal des éléments suffisants de nature à contredire l’appréciation faite par le ministre sur la situation générale des Rom en Macédoine, étant précisé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des demandeurs et d’instruire le dossier.
Ainsi, force est au tribunal de constater que les demandeurs n’ont pas fait état et n’ont pas établi des raisons de nature à justifier dans leur chef dans leur pays d’origine une crainte justifiée de persécutions pour les motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir du fait de leur race, de leur religion, de leurs opinions politiques, de leur nationalité ou de leur appartenance à un certain groupe social.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté les demandes en obtention du statut de réfugié présentées par les demandeurs comme étant non fondées. Le recours des demandeurs est par conséquent à déclarer comme non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Le tribunal constate qu’à l’appui de leurs demandes de protection subsidiaire, les demandeurs n’invoquent aucun moyen spécifique, de sorte qu’il y a lieu de conclure que lesdites demandes sont basées sur les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leurs demandes de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, il y a lieu de constater que le tribunal ne s’est pas vu soumettre de la part des demandeurs des éléments susceptibles d’établir, sur base des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre des demandes tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité. Plus particulièrement, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2005 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
En l’espèce, les demandeurs se limitent à solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans formuler un quelconque moyen à l’appui de leur demande.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte qu’à défaut d’un quelconque moyen, le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 février 2012 portant rejet d’un statut de protection internationale aux consorts …;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 9 février 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 décembre 2012 par :
Marc Sünnen, vice-président, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s.Arny Schmit s.Marc Sünnen 12