Tribunal administratif N° 31516 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2012 3e chambre Audience publique du 28 novembre 2012 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31516 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2012 par Maître Hakima Gouni, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Serbie), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour compte de leur enfants mineurs …, né … à …, …, né le … à …, et …, né le 5 janvier 2005 à …, tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 21 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 21 septembre 2012 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hakima Gouni et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2012.
Le 29 juin 2012, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du 3 juillet 2012.
En date du 19 septembre 2012, Monsieur … et son épouse, Madame …, furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale, à savoir en substance des problèmes avec le frère du demandeur souffrant de troubles mentaux et qui, en tant que membre du mouvement des Wahhabites, voudrait leur imposer ses convictions religieuses.
Par décision du 21 septembre 2012, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le 24 septembre 2012, le ministre informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-
fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement de l’article 20 (1), points a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée aux motifs que les problèmes invoqués par les demandeurs relèvent du droit commun et ne tombent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, qu’ils ne sont pas confrontés à un défaut de protection des autorités de leur pays d’origine et qu’ils ne sont pas exposés à des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2012, les consorts … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre du 21 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, subsidiairement à l’annulation de la même décision du ministre dans la mesure où elle porte refus de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 21 septembre 2012 de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir retenu que leurs déclarations ne soulèveraient que des faits sans pertinence, qu’il apparaîtrait clairement qu’ils ne rempliraient pas les conditions pour prétendre au statut de réfugié et qu’ils proviendraient d’un pays d’origine sûr. Ils se prévalent ensuite de la jurisprudence des juridictions administratives définissant le rôle du juge de la réformation pour en déduire que leurs déclarations mériteraient une analyse approfondie et une analyse des faits à la base de leur demande de protection internationale. Ils font état d’une persécution, sinon d’une crainte réelle de persécution émanant de membres de leur famille, ainsi que de la communauté musulmane intégriste de leur pays d’origine en raison de leur défaut de pratiquer leur religion musulmane. Ils invoquent encore des problèmes avec le voisinage causés par les troubles mentaux du frère du demandeur. Ils indiquent que la crainte de persécution serait raisonnable lorsqu’elle serait basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et qu’il ne serait pas nécessaire qu’il y ait effectivement eu une persécution dans le passé pour qu’une crainte de persécution soit fondée. Ils en déduisent que la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée serait à annuler pour défaut de motivation, excès de pouvoir ou irrégularité formelle.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, les demandeurs soulèvent un défaut de motivation de la décision ministérielle sous analyse, sans autrement expliquer leur moyen.
Il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et qu’elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, notamment lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé. L’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, seule une motivation sommaire étant expressément exigée, l’autorité ayant posé l’acte étant par ailleurs admise à compléter la motivation en cours d’instance contentieuse.
L’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006 dispose également que le ministre doit statuer par une décision motivée : « […] le ministre statue par une décision motivée qui est communiquée par écrit aux demandeurs. […] ». Etant donné que cette disposition n’indique pas le degré de précision à laquelle cette motivation doit correspondre, il y a lieu d’admettre qu’une motivation sommaire est suffisante.
En l’espèce, à défaut par les demandeurs de fournir la moindre indication en quoi la décision déférée pècherait par un défaut de motivation et au vu de la motivation contenue dans la décision elle-même, complétée encore par les explications apportées par la partie étatique au cours de la procédure contentieuse, le tribunal est amené à retenir que la motivation à la base de la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée fournie en l’espèce est conforme aux exigences des articles 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et 20 (2) de la loi du 5 mai 2006. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale, ou s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivants : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Par règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006, la Serbie a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr. Etant donné qu’il est constant en cause que les demandeurs ont la nationalité serbe et ont résidé en Serbie avant de venir au Luxembourg, c’est a priori à bon droit que le ministre a pu conclure qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr.
Au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21 (2) de la même loi oblige le ministre nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, en tout état de cause de procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de la demande de protection internationale, si le demandeur possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l'espèce, le ministre, après examen de la demande de protection internationale des demandeurs, a conclu qu'ils proviennent d'un pays qui, dans leur chef, est à qualifier de pays d'origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et dans les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
L'analyse de la situation personnelle décrite par les demandeurs à l’appui de leur recours ne permet cependant pas d'en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle. Il ressort au contraire de leurs rapports d’audition du 19 septembre 2012 qu’après s’être adressés à la police en raison de leurs problèmes avec le frère du demandeur, ce dernier a été emprisonné pendant seize mois et a à quatre reprises reçu des soins dans un hôpital psychiatrique1, de sorte qu’il ne saurait être retenu que les demandeurs ne peuvent pas obtenir une protection des autorités de leur pays d’origine contre les agissements du frère du demandeur.
Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu conclure que les demandeurs proviennent d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 20 (1) c), respectivement de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale.
Enfin, il échet de rappeler que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que les développements des demandeurs ayant trait au rôle du juge de la réformation sont à écarter pour défaut de pertinence.
Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être 1 Cf. rapport d’audition du demandeur du 19 septembre 2012, p.3 fondé, sans qu’il n’y a lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.
2) Quant au recours en réformation, subsidiairement en annulation de la décision du ministre du 21 septembre 2012 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce. Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir tenu compte des moyens et preuves apportés à l’appui de leur demande de protection internationale, concernant notamment la situation des personnes de confession musulmane en Serbie et plus particulièrement leur situation individuelle vue sous cet angle pour en déduire un défaut de motivation suffisante de la décision déférée.
Ils déclarent encore qu’il ne serait pas sûr que la Serbie respecte les droits et libertés fondamentaux des individus et assure leur sécurité. Ils soulignent en outre que la véracité de leurs déclarations ne ferait aucun doute et ne saurait être contestée. Ils soutiennent qu’ils auraient subi des menaces directes, graves et réelles, ainsi qu’une discrimination directe, sinon indirecte en raison de leur religion musulmane. Ils se prévalent des articles 26 (3) et (5) et 31 de la loi du 5 mai 2006, tout en rappelant les définitions du réfugié et de la notion de crainte au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés pour en conclure que le statut de la protection internationale devrait leur être accordé. Ils font valoir que le ministre n’aurait pas tiré les conséquences s’imposant du fait de la persécution, des menaces et des violences dont ils auraient été victimes ou pourraient devenir victimes en cas de retour en Serbie en raison de leur religion musulmane. Ils déclarent que leurs agresseurs devraient être considérés comme acteurs de persécutions au sens de l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006. En invoquant l’article 37 de la même loi, ils affirment qu’un retour dans leur pays d’origine les exposerait à la mort, sinon à des traitements inhumains et dégradants, sinon à une atteinte grave dans un laps de temps plus ou moins court en raison de leur religion musulmane. Ils donnent enfin à considérer que les autorités serbes seraient dans l’incapacité de leur assurer une protection efficace.
En ce qui concerne le moyen fondé sur un défaut de motivation suffisante de la décision litigieuse soulevé par les demandeurs, le tribunal renvoie aux développements ci-
dessus relatifs à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et à l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006 et retient ici encore, qu’au vu des explications contenues dans la décision elle-même, complétées par celles apportées par la partie étatique au cours de la procédure contentieuse, la motivation de la décision de refus d’accorder aux demandeurs une protection internationale est conforme aux exigences des articles 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et 20 (2) de la loi du 5 mai 2006. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. […] » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose que : « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des liens auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection peut être accordée par :
a) l’Etat, ou b) des parties ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci.
(2) Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, il ressort des rapports d’auditions des demandeurs que l’auteur des actes dont se plaignent les demandeurs est une personne privée, en l’occurrence le frère du demandeur, étant relevé qu’ils ont expressément indiqué ne pas avoir des problèmes « ni avec les autorités ni aves quelqu’un d’autre »2, respectivement que le frère du demandeur serait leur « seul problème »3, de sorte que, tel que relevé ci-avant, ce dernier ne peut être qualifié d’acteur de persécutions au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2008 que sous la condition que les entités définies à l’article 29 de la loi du 5 mai 2006 ne veulent ou ne peuvent pas accorder aux demandeurs une protection adéquate.
Or, il ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal que les autorités serbes seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas intervenir afin de protéger les demandeurs contre les actes décrits par eux.
Au contraire, il ressort des rapports d’audition des demandeurs que, contrairement aux allégations des demandeurs lors de la procédure contentieuse, la police serbe leur a accordé une protection adéquate en ce que le frère du demandeur a été emprisonné pendant seize mois et a à quatre reprises reçu des soins dans un hôpital psychiatrique.4 A partir de ce constat, ensemble avec la description de la situation générale régnant en Serbie dressée par le délégué du gouvernement, le tribunal est amené à conclure que les demandeurs ont pu bénéficier d’une protection adéquate de la part des autorités de leur pays d’origine, de sorte que l’auteur des agressions n’est pas à qualifier d’acteur de persécution au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2008.
2 Cf. rapport d’audition du demandeur du 19 septembre 2012, p.4 3 Cf. rapport d’audition du demandeur du 19 septembre 2012, p.3 4 Cf. rapport d’audition du demandeur du 19 septembre 2012, p.3 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.
Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra partant porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que les demandeurs avancent, du risque de subir des atteintes graves qu’ils encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.
Or, tel que développé ci-avant dans le cadre de l’analyse de la demande en obtention du statut de réfugié, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les demandeurs ne sauraient se prévaloir de la protection des autorités de leur pays d’origine, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs la protection subsidiaire au sens de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non justifiées, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 21 septembre 2012 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
Les demandeurs font valoir qu’en raison du principe de précaution, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.
Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’il a pu assortir la décision négative d’un ordre de quitter le territoire conformément à l’article 20 (2) de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, le tribunal vient de relever que les demandeurs bénéficient dans leur pays d’origine de la protection des autorités nationales. Partant, les moyens invoqués à l’appui du recours sous analyse ne sont pas suffisants pour mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire déféré.
Il suit de ce qui précède que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 21 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 21 septembre 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision ministérielle du 21 septembre 2012 portant refus d’une protection internationale ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 21 septembre 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2012, par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28/11/2012 Le Greffier du Tribunal administratif 11