Tribunal administratif N° 31514 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2012 1re chambre Audience publique du 28 novembre 2012 Recours formé par Monsieur …et Madame …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31514 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2012 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le … (Albanie), agissant en leurs noms propres ainsi qu’en leurs qualités de représentants légaux de leur enfant mineur…, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 20 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 20 septembre 2012 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gaëlle RELOUZAT, en remplacement de Maître Frank WIES, et Madame le délégué du gouvernement Betty SANDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2012.
Le 24 octobre 2011, Monsieur …, et son épouse, Madame …, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur …fut entendu le 1er août 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, Madame … ayant de son côté été entendue le 11 septembre 2012.
Par décision du 20 septembre 2012, expédiée par courrier recommandé le 21 septembre 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur …et Madame … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a), c) et g) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2012, Monsieur …et son épouse, Madame …, ci-après « les époux …-… », ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 20 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Les époux …-… exposent à l’appui de leur recours que leur famille aurait récupéré trois terrains à la suite de la chute du régime communiste en Albanie, mais qu’en 2000, l’Etat albanais aurait construit une usine sur l’un de leurs terrains sans requérir leur autorisation ni leur offrir un quelconque dédommagement.
Ils relatent que comme Monsieur …aurait dans un premier temps tenté de s’opposer à cette construction avec plusieurs de ses cousins, il aurait été menacé physiquement par les nouveaux occupants.
Son père lui ayant demandé de s’occuper de l’administration desdits terrains, il aurait tenté en vain plusieurs démarches, dont une procédure judiciaire, afin que sa famille soit rétablie en son droit de propriété. Monsieur …aurait ensuite tenté d’obtenir l’assistance du maire de sa commune, mais celui-ci aurait exigé que Monsieur …vote pour lui en contrepartie.
Les époux …-… affirment enfin que Monsieur …aurait travaillé comme observateur lors des élections de mai 2011 et qu’il aurait été agressé en cette qualité par des inconnus qui l’auraient blessé, sans que la police n’ait par la suite accepté de lui prêter assistance.
Suite à cette agression et en raison du grand nombre de menaces que Monsieur …aurait subies, les époux …-… auraient décidé de quitter le pays et d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des époux …-… dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les époux …-… reprochent au ministre dans ce cadre d’avoir retenu à tort que leur récit rentre dans l’une des hypothèses énumérées à l’article 20 (1), a), c) et g) de la loi du 5 mai 2006 et d’avoir statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Ils estiment en effet que les faits invoqués, relatifs à la prise de possession par des membres du gouvernement d’un terrain leur appartenant, ne pourraient pas être qualifiés de trop anciens pour justifier une demande de protection internationale aujourd’hui, alors que la violation de leurs droits en question s’étalerait dans le temps et perdurerait encore à l’heure actuelle et ce en dépit des différentes tentatives de la famille …de se voir rétablie dans leur droit. Dans ce contexte, ils relèvent que le fait que le nom de Monsieur …ne figure pas sur les documents remis au ministère s’expliquerait par le fait que les terrains appartiendraient en partie à son père ; or, l’occupation des terrains du père de Monsieur …par les membres du gouvernement sans aucun dédommagement s’analyserait en une privation de jouissance du droit de propriété, de sorte que les époux …-… considèrent avoir fait valoir des arguments qui entreraient dans le cadre de la convention de Genève, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait traité leur demande dans le cadre d’une procédure accélérée.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), c) et g) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) g) le demandeur a fait des déclarations incohérentes, contradictoires, improbables ou insuffisantes au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale (…) ».
Cette disposition prévoit ainsi différents cas de figure dans lesquels le ministre peut statuer dans le cadre de la procédure accélérée, étant précisé que les cas de figure cités sont alternatifs, de sorte qu’il suffit que l’un des cas soit vérifié pour que le ministre puisse faire application dudit article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, aux termes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève (…) ».
En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant la liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006, l’Albanie a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que tant le demandeur que la demanderesse ont la nationalité albanaise et qu’ils ont habité en Albanie avant de venir au Luxembourg.
Si l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue certes qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, l’énumération d’un pays d’origine sûr dans ladite liste est toutefois suffisante pour que le ministre décide en application de l’article 20 (1) c) de statuer à des fins procédurales dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de leur demande, alors que d’une part, une telle décision ne constitue qu’un acte préparatoire à la décision finale statuant sur la demande et, d’autre part, que la légalité de la décision finale adoptée dans le cadre de la procédure accélérée, et notamment les motifs qui ont conduit l’autorité compétente à rejeter la demande de protection internationale comme infondée, confrontés au récit des demandeurs et à leur propre argumentation relative à la situation sécuritaire de leur pays d’origine, feront l’objet d’un examen approfondi par le tribunal dans le cadre du recours en réformation contre la décision de rejet de ladite demande1, et ce conformément au susdit article 21 (2) qui exige, au-delà de l’inscription du pays en question sur la liste de pays d’origine sûrs, un examen individuel de la demande de protection internationale. Il convient en effet de rappeler à cet égard que l’intention initiale du législateur était que le juge ne procède, au-delà de l’option procédurale retenue par le ministre, à l’examen individuel de la situation personnelle du demandeur que dans le cadre du - seul - recours en réformation ouvert à l’encontre de la décision de rejet, l’insertion dans le texte légal de la possibilité d’introduire un recours en annulation contre la décision du ministre d’opter pour la procédure accélérée ayant été effectuée de manière prématurée en réaction à une question préjudicielle adressée à la Cour de Justice des Communautés européennes et finalement de manière superflue, la Cour de Justice des Communautés européennes, par l’arrêt précité du 28 juillet 2011, ayant en effet décidé que la décision d’opter pour une procédure accélérée ne constitue qu’une décision préparatoire ne devant pas faire l’objet d’une possibilité de recours autonome.
1 Voir CJCE, 28 juillet 2011, Brahim Samba Diouf c/ Luxembourg, aff. C-69/10, n° 55 et 56.
Or, le juge administratif, confronté actuellement à une voie de recours superfétatoire, est appelé à interpréter le texte légal conformément à l’intention du législateur, alors que l’application textuelle de la disposition en question conduirait à un résultat incohérent ou non rationnellement justifié : aussi, le tribunal se borne, dans le cadre du présent recours en annulation, à vérifier, si légalement le ministre a pu opter pour une procédure accélérée compte tenu de l’inscription du pays d’origine des demandeurs sur la liste des pays d’origine sûrs, l’analyse de la situation individuelle et personnelle des demandeurs devant être opérée conformément au vœu initial du législateur dans le cadre du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision de rejet, solution par ailleurs plus favorable aux parties en cause, le tribunal pouvant dans ce cadre statuer comme juge du fond.
Partant le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait besoin d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et g) de la loi du 5 mai 2006 et les développements afférents des demandeurs.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Les demandeurs estiment à cet égard que le ministre aurait fait une interprétation erronée des faits de l’espèce, alors qu’à leur avis, la seule question restant à trancher serait de savoir si les autorités albanaises seraient prêtes à leur accorder leur protection. Or, ils affirment qu’il résulterait du rapport d’audition que Monsieur …aurait été menacé par des policiers et que le maire de la commune où le terrain en question est situé aurait tenté d’obtenir son vote afin d’exécuter une tâche dont il serait officiellement en charge. Dès lors, ils estiment que la corruption dont aurait été victime Monsieur …, qui tentait simplement d’obtenir un document prouvant la propriété desdits terrains, ne ferait que renforcer la violation des droits dont il aurait été victime, de même que cela prouverait le manque de volonté des autorités albanaises de le soutenir dans sa démarche.
Ils reprochent ensuite au ministre de leur avoir opposé l’existence de lois albanaises visant à lutter contre la corruption, alors que ces lois seraient loin d’être suivies d’effet en ce qui concerne la corruption au niveau politique, ce qui retirerait tout caractère pertinent à l’argumentation du ministre.
Ils en déduisent qu’il résulterait de leur argumentation qu’ils prétendraient à juste titre principalement à la reconnaissance du statut de réfugié et subsidiairement à l’octroi de la protection subsidiaire dans leur chef.
Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale aux époux …-….
En vertu de l’article 2 a) de la loi modifiée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 e) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
En effet, force est de constater que les époux …-… avancent à l’appui de leur demande de protection internationale et du présent recours deux événements distincts, à savoir, d’une part, le fait que Monsieur …aurait été agressé le 26 mai 2011 par des personnes masquées, et, d’autre part, l’appropriation par l’Etat albanais, respectivement par des membres du gouvernement albanais, de terrains appartenant à sa famille.
En ce qui concerne le premier incident, le tribunal constate qu’il s’agit manifestement d’un incident isolé, lié d’après les dires du demandeur au fait qu’il était à l’époque des faits observateur des élections en Albanie, qualité dont le demandeur ne dispose plus après ces élections, de sorte qu’il n’est pas établi que le demandeur soit actuellement encore exposé à un quelconque risque lié au fait qu’il ait été en 2011 observateur lors des élections, Monsieur …ne faisant d’ailleurs pas état de quelconques persécutions ou menaces consécutives à cette agression. Si Madame …-… de son côté affirme certes que son mari aurait continué à recevoir des menaces suite à cette agression, cette affirmation n’est pas crédible, alors que le principal intéressé - son mari - n’a pas fait état de quelconques suites. Le tribunal relève d’ailleurs, en ce qui concerne cet incident, une contradiction entre les récits respectifs des deux époux, Monsieur …ayant affirmé ne pas avoir été à l’hôpital suite à cette agression, qu’il situe vers 23 heures 30 à la sortie d’un café, tandis que son épouse soutient qu’il aurait été soigné dans un hôpital ou dans une clinique après s’être fait attaquer l’après-midi en rentrant de son travail.
Par ailleurs, même à admettre la véracité du récit des demandeurs, cette agression émane en tout état de cause de personnes privées a priori sans lien avec l’Etat. Or, la crainte d’être persécuté ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution2.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 reconnaît la possibilité pour des personnes persécutées par des acteurs non étatiques d’obtenir une protection internationale si l’Etat ne veut ou ne peut lui accorder une protection, tandis que l’article 29 (2) définit la protection comme suit : « Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Or, il ne résulte pas du récit des demandeurs que les autorités albanaises seraient dans l’incapacité de fournir aux époux …-… une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006. En effet, si les demandeurs affirment certes que la police aurait avoué être impuissante à poursuivre les auteurs de l’agression, alors que ces auteurs, masqués, ne pouvaient pas être identifiés, cette circonstance n’est cependant pas, à elle seule, de nature établir l’absence de volonté et de capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions, alors que l’exigence d’une protection suffisante n’impose pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant en effet pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que les époux …-… ne sauraient prétendre à l’obtention du statut de réfugié sur base de la seule agression subie par Monsieur …le 26 mai 2011.
En ce qui concerne le second évènement mis en avant, à savoir la prétendue accaparation par l’Etat albanais de terrains appartenant à la famille …, ainsi que les menaces leur adressées et la prétendue incapacité des autorités albanaises à assurer la protection de leurs droits, le tribunal relève de prime abord un certain nombre d’incohérences émaillant le récit des demandeurs. Ainsi, si Monsieur …affirme d’abord être personnellement propriétaire des terrains en question, et ce depuis 1990 - c’est-à-dire alors qu’il n’avait que 13 ans - pour expliquer ensuite que ces terrains seraient à son père, de sorte qu’il ne saurait personnellement tirer prétexte d’une prétendue violation de ses droits, le demandeur n’étant pas propriétaire des terrains en question. Le tribunal constate ensuite que si le demandeur affirme que les problèmes de sa famille trouveraient en partie leur origine dans le fait qu’elle 2 Trib. adm. 13 juillet 2009, n° 25558, Pas. adm. 2011, V° Etrangers, n° 107.
ne disposerait plus de documents prouvant son titre de propriété (« Après mon départ de l’Albanie [en octobre 2011], le bâtiment du cadastre a été détruit suite à un accident.
Maintenant on ne trouve plus les documents qui prouvent qu’un de mes terrains m’appartenait »), il verse toutefois divers documents, apparemment des titres de propriété et des extraits cadastraux, tous établis au nom de son père, … …, datés de 2000, 2002, 2004 et 2010, de sorte à énerver l’affirmation que sa famille ne disposerait pas ou plus de titres de propriété.
Quoiqu’il en soit, les problèmes mis à cet égard en avant par les demandeurs, basés sur une expropriation illicite, ne reposent sur aucun des motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs n’étant en effet pas menacés du fait de leur race, de leur religion, de leurs opinions politiques, de leur nationalité ou de leur appartenance à un certain groupe social, de sorte que les prétendues persécutions mises en avant ne reposent sur aucun des motifs relevant de la Convention de Genève et partant du statut de réfugié.
Le recours est dès lors à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant aux époux …-… le bénéfice du statut de réfugié.
En ce qui concerne le refus du ministre de leur accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal retient, à défaut de tout moyen spécifique avancé par les époux …-…, que ceux-ci basent leur recours sur les mêmes moyens que ceux exposés à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, ni la privation alléguée de leur propriété - sous la réserve énoncée ci-avant que les demandeurs n’apparaissent pas être personnellement propriétaires des terrains en cause - ni la corruption dont ils auraient été victimes ne sauraient être qualifiées d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs n’ayant en effet subi d’atteintes graves ni à leur intégrité physique ni à leur intégrité psychique.
Partant, le recours est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant aux époux …-… le bénéfice de la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, l’Albanie n’étant pas seulement à considérer abstraitement comme pays d’origine sûr du fait de son énumération sur la liste des pays d’origine sûrs, mais également concrètement, compte tenu de la situation individuelle des demandeurs, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être introduite contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
En l’espèce, les époux …-… sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les époux …-… n’ont à aucun moment fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’atteintes graves telles que définies à l’article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire, la même conclusion s’imposant pour les mêmes motifs par rapport au moyen des demandeurs tiré d’une violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, les demandeurs n’étant en effet pas exposés en cas de retour en Albanie à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 20 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 septembre 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 20 septembre 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 novembre 2012 par :
Marc Sünnen, vice-président, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
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