Tribunal administratif Numéro 30702 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2012 3e chambre Audience publique du 7 novembre 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30702 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2012 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Mauritanie), de nationalité mauritanienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 14 mai 2012 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 octobre 2012.
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Le 19 août 2009, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu en date du 22 septembre 2009 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 18 novembre 2009, envoyée par lettre recommandée à l’intéressé le 20 novembre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée sur base de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2009 et inscrite sous le numéro 26396 du rôle, Monsieur … fit introduire un recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du ministre du 18 novembre 2009 par laquelle celui-ci a décidé de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, et, d’autre part, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant la même date lui refusant l’octroi d’une protection internationale, et enfin, un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son égard l’ordre de quitter le territoire.
Suivant jugement du 8 février 2012, portant le numéro 26396a du rôle, le tribunal administratif annula, dans le cadre du recours en réformation dont il était saisi, la décision du ministre du 18 novembre 2009 portant refus d’une protection internationale au motif que c’était à tort que le ministre avait décidé de statuer sur le bien-fondé de la demande dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 et plus particulièrement que le ministre ne pouvait se baser ni sur le point b), ni sur le point d) de l’article 20 (1) de la même loi, et renvoya l’affaire devant le ministre en prosécution de cause.
Par décision du 14 mai 2012, notifiée par lettre recommandée le 21 mai 2012, le ministre informa Monsieur … de ce que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée sur le fondement de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande de protection internationale que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 19 août 2009.
En mains le rapport de la Police Grand-ducale, service de contrôle à l'aéroport, du 28 octobre 2009. Il ressort de ce rapport d'expertise que le passeport que vous avez déposé est un passeport falsifié.
En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 22 septembre 2009.
Une décision rejetant votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée, datée du 18 novembre 2009, a été annulée par jugement du Tribunal administratif du 8 février 2012.
Monsieur, il résulte de vos déclarations transcrites dans le rapport d'entretien du 22 septembre 2009 que vos parents auraient quitté la Mauritanie en 1991 pour aller vivre au Sénégal. Quant à vous, votre père vous aurait confié à un ami à lui en Mauritanie pour travailler en tant que serviteur. Ainsi, vous auriez été depuis 1991 au service de cet homme en faisant les tâches ménagères, en le servant, vous auriez été pour ainsi dire son esclave. Un jour, alors que vous en auriez eu marre de travailler dur, vous auriez décidé de partir en Europe pour être libre de faire votre vie comme vous le souhaitez, notamment en fondant une famille. Pour ce faire, vous auriez volé 3000 euros à votre employeur et vous vous seriez enfui en premier lieu en direction du Mali puis vous vous seriez rendu au Niger, ensuite en Lybie où vous seriez monté à bord d'un bateau pour faire la traversée jusqu'en Italie. Vous auriez ensuite pris le train pour la France en passant par la ville de Nice puis Metz et enfin vous seriez venu à Luxembourg.
Vous ajoutez que vous auriez peur que votre employeur ne vous fasse rechercher et ne vous tue. Il n'aurait jamais pensé que vous puissiez quitter votre pays d'origine étant donné que selon lui vous étiez démuni de tout document d'identité. Or, vous auriez demandé et obtenu un passeport, ce qui vous aurait permis de quitter la Mauritanie.
Enfin, vous admettez ne pas être membre d'un parti politique.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur de protection internationale qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est de constater ensuite que vous avez déposé un passeport falsifié. En effet, il ressort du rapport de la police Grand-ducale du 28 octobre 2009 que le passeport dont vous faites usage est falsifié (verfälscht), c'est-à-dire que le passeport est authentique mais la photo d'identité a été retirée et remplacée par la vôtre. Vous avez répondu à la question de l'agent en charge de l'entretien que vous auriez obtenu votre passeport auprès de la police et que « oui c'est un vrai passeport. C'est un vrai passeport. Tous les passeports sont comme ça chez nous. » Vous ajoutez que vous l'auriez obtenu en 48h et qu'il aurait été facile de l'obtenir en raison des élections, à savoir qu'il aurait été nécessaire d'être en possession d'un document d'identité afin de se voir octroyer une carte d'électeur. Vous précisez que vous auriez demandé un passeport afin de sortir de la Mauritanie et que vous l'auriez utilisé dans ce but, même si vous expliquez que ce serait en vue d'obtenir un visa, il n'est pas crédible que vous ayez pu passer des frontières sans présenter votre passeport et sans avoir reçu de tampon dans ce document. Or, force est de constater qu'aucun tampon de sortie ou d'entrée de territoire ne figure dans ce document. De plus, vous tentez de justifier l'état délabré de votre passeport en expliquant que vous l'auriez trempé dans l'eau, puis vous l'auriez essuyé « avec le feu ».
De plus, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, votre demande de protection internationale est exclusivement basée sur des motifs relevant du droit commun ne répondant donc à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. En effet, la crainte que vous prétendiez éprouver à l'encontre de votre ancien employeur ne saurait être qualifiée de crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu'aucun arrière-fond politique, ethnique ou religieux n'existe. De plus, votre crainte reste hypothétique, il n'est pas établi que votre ancien employeur soit à votre recherche et qu'il risquerait de vous tuer s'il vous retrouvait.
Sans oublier que votre venue en Europe est motivée également par le souhait de vous marier et de fonder une famille, vous ajoutez en outre que le travail était trop dur là-bas. Ces considérations sont manifestement étrangères au champ d'application de la Convention de Genève.
En outre, il convient de remarquer que le gouvernement mauritanien actuel a adopté une loi contre l'esclavage qui est entrée en vigueur en février 2008 et en vertu de cette loi l'esclavage est passible d'une amende et d'une peine d'emprisonnement de dix ans. Il est par conséquent improbable que votre employeur ne vous recherche pour vous réembaucher en tant que serviteur.
Enfin, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, votre crainte de représailles de la part de votre ancien employeur ne justifie pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'elle n'établit pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites état d'aucun jugement ou condamnation à mort, il n'est de plus pas avéré que vous risquiez de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans votre pays d'origine. Enfin, aucun conflit armé ne sévit à l'heure actuelle en Mauritanie.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Mauritanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2012, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est seul tenu, à l’annulation, sinon à la réformation de la décision précitée du ministre du 14 mai 2012 par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’une protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son égard l’ordre de quitter le territoire.
A l’audience des plaidoiries le mandataire du demandeur a demandé à ce que le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2012, soit écarté au motif qu’il a été déposé plus de deux mois après le dépôt de la requête introductive, tout en soutenant que dans la présente matière les délais d’instruction ne seraient pas suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre, en invoquant à cet égard une jurisprudence du tribunal administratif.
Aux termes de l’article 5 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « […] le défendeur et le tiers intéressé sont tenus de constituer avocat et de fournir leur réponse dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive » et aux termes de l’article 5 (6) de ladite loi « les délais prévus aux paragraphes 1er et 5 sont prévus à peine de forclusion. […] Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».
L’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 dispose que « Contre les décisions de refus de la demande de protection internationale, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif. Les deux recours doivent faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Le recours doit être introduit dans les délais d’un mois à partir de la notification. Le délai de recours et le recours introduit dans le délai ont un effet suspensif. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. Le mémoire en réponse doit être fourni dans un délai de deux mois à dater de la signification de la requête introductive ».
Etant donné que l’article 5 (6) de la loi du 21 juin 1999, précitée, prévoyant une suspension du délai pour fournir la réponse entre le 16 juillet et le 15 septembre, constitue le droit commun en matière de procédure administrative et dans la mesure où l’article 19 (3), précité, de la loi du 5 mai 2006, s’il a certes limité le nombre des mémoires à un seul par partie, y compris la requête introductive, et s’il a dérogé au délai ordinaire pour fournir le mémoire en réponse, ramenant le délai de droit commun de trois mois à celui de deux mois à partir de la requête introductive, n’a pas dérogé à la disposition suspendant les délais d’instruction entre le 16 juillet et le 15 septembre (cf. T.A. 21 novembre 2007, n° 23234 du rôle), le délai pour fournir la réponse a été suspendu en l’espèce entre le 16 juillet et le 15 septembre conformément à l’article 5 (6) de la loi du 21 juin 1999, précitée.
Il s’ensuit que le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2012, a été déposé dans le délai légal de deux mois à dater de la signification de la requête introductive d’instance. Il s’ensuit que le moyen du demandeur tendant à voir écarter le mémoire en réponse de l’Etat est à rejeter.
1. Quant au recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Force est à cet égard de relever que si le tribunal est incompétent pour connaître en la présente matière du recours principal en annulation, il est loisible au demandeur de conclure, dans le cadre du recours subsidiaire en réformation, principalement à l’annulation de la décision déférée et subsidiairement à la réformation.
A l’appui de son recours, le demandeur expose être de nationalité mauritanienne et être né le 20 mars 1977 à … en Mauritanie. Il y aurait vécu avec ses parents jusqu’à l’âge de 14 ans, mais en 1991, ceux-ci auraient quitté leur pays d’origine pour trouver refuge au Sénégal suite au conflit opposant les Maures et les Noirs mauritaniens. Depuis ce jour, il n’aurait plus revu ses parents et les seules nouvelles dont il disposerait seraient que son père serait décédé peu après leur départ en 1991, et que sa mère habiterait actuellement à … au Sénégal. Il serait resté en Mauritanie et aurait été confié par ses parents à un ami de son père, un certain …, qu’il appellerait encore aujourd’hui son tuteur, mais qui n’aurait pas eu l’intention de prendre en charge son éducation, mais, au contraire, l’aurait mis à son service exclusif. Ainsi, durant plus de dix-huit ans, il aurait été l’esclave de Monsieur … et de sa famille composée de sa femme et de deux de ses quatre enfants.
Le demandeur relate avoir été contraint d’abandonner ses études pour se consacrer au bien-être et aux intérêts de la famille de son « tuteur », et que durant les premiers mois de sa servitude, il aurait été battu quotidiennement, afin qu’il « comprenne le sens de son nouveau statut ». Le dénommé … aurait été grossiste de marchandises et aurait détenu plusieurs entrepôts.
La maison familiale aurait été composée de trois pièces, de deux chambres et de trois tentes. En sa qualité d’esclave de la famille, il aurait dû être disponible jour et nuit pour toute tâche que ses maîtres auraient décidé de lui assigner. Parmi ces tâches, il y aurait eu le nettoyage et l’entretien de la maison, les courses, le service lors des repas et la préparation et le service du thé plusieurs fois par jour. D’autre part, il aurait dû faire régulièrement des travaux dans divers commerces détenus par des amis de son maître et il lui serait également arrivé de masser ce dernier, cette liste n’étant pas exhaustive dans la mesure où il aurait été utilisé comme « homme à tout faire ».
En échange de son travail, il n’aurait perçu aucune rémunération, mais aurait été nourri et logé au domicile du dénommé …. Par ailleurs, s’il n’avait pas porté de fers aux pieds, il aurait été pas moins enchaîné à son maître dans la mesure où, en raison de la pratique courante et acceptée de l’esclavage en Mauritanie, toute plainte auprès des autorités de son pays aurait non seulement été complètement inefficace, mais l’aurait exposé à la fureur de son maître.
Afin de retrouver sa dignité d’homme, l’exil se serait imposé comme unique solution envisageable, de sorte qu’il aurait été contraint de gagner l’argent nécessaire au financement de son projet de fuite. A cette fin, il aurait mis à profit les absences de son tuteur pour travailler comme main-d’œuvre sur des chantiers à proximité du domicile où il résidait. Les absences du dénommé … n’auraient été qu’occasionnelles et de courte durée, de sorte qu’il aurait mis quatre ans pour mettre 1.000.- € de côté.
En outre, il aurait été d’avis que l’obtention d’un passeport serait indispensable pour mener à bien son projet, mais craignant d’essuyer un refus de la part de l’administration compétente et souhaitant profiter du contexte de l’élection présidentielle qui aurait rendu plus rapide l’obtention de pièces d’identité afin de permettre une participation accrue aux élections, il aurait contacté une personne connue pour ses accointances avec la police qui aurait pu idéalement se charger de ce type d’opération dans les meilleurs délais. Or, l’homme contacté se serait révélé être un escroc, et, après avoir réclamé l’intégralité de l’argent en possession du demandeur, il se serait fait en 48 heures un passeport avec sa propre photo et en se faisant passer pour Monsieur … qui lui aurait remis son acte de naissance.
Par cette manœuvre, l’homme en question aurait pu conserver l’intégralité des 1.000.- €, en se dispensant de tout acte de corruption et en remplaçant grossièrement sa photo par celle du demandeur. Cet homme lui aurait par ailleurs recommandé d’invoquer la chute du document dans l’eau en cas de problème rencontré face à une administration suspicieuse quant à l’authenticité du prédit passeport.
Le demandeur conçoit que l’explication serait aussi mauvaise que la qualité de la manipulation, mais fait valoir que sa naïveté l’aurait poussé à croire le conseil. Une fois, en possession de son passeport, et sachant où son maître aurait laissé les clefs, il lui aurait volé 3.000.- € qu’il aurait cachés dans son coffre pour financer son périple. Il aurait pris la direction du Mali par les transports en commun moyennant un billet de 25.- € et aurait séjourné deux semaines à Bamako où il aurait espéré pouvoir obtenir un visa pour l’Europe, pensant que les 3.000.- € en sa possession lui assureraient indubitablement du succès dans ses démarches.
Détrompé sur ce point et constatant très rapidement l’inutilité de son passeport, il aurait suivi les conseils des autochtones, et aurait pris la direction de la Libye, d’où il aurait pu rejoindre les côtes françaises par bateau.
Il serait donc parti pour la Libye, via le Niger, en montant à bord d’un véhicule « Land-
Rover » avec d’autres personnes, qu’il aurait atteinte après paiement de 80.- € au terme de plus de deux jours de route. Une fois à Tripoli, il aurait rapidement trouvé des passeurs qui lui auraient demandé 1.500.- € pour lui permettre d’accoster en Italie après cinq jours de traversée dans une petite embarcation avec d’autres clandestins. Durant la traversée, il se serait nourri d’aliments en conserve, de pain et de biscuits qu’il aurait pris avec lui. L’Italie lui aurait été décrite comme une terre très peu hospitalière qui lui vaudrait des problèmes et un retour certain en Libye, de sorte qu’il aurait pris le train en direction de la France où il serait arrivé à Nice le même jour. Il aurait décidé d’aller à Metz où il serait arrivé à 9.00 heures du matin, où il se serait présenté à la préfecture pour déposer une demande d’asile, ce qui lui aurait été refusée en raison du fait qu’il n’avait pas de domicile.
Une fois la nuit passée chez un Africain rencontré dans la rue, le demandeur, en suivant les conseils de son hôte, aurait pris le train en direction du Luxembourg, où après avoir cherché la « préfecture » pendant plus de deux heures, il se serait rendu à la police qui l’aurait amené au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration où il aurait présenté sa demande de protection internationale le 19 août 2009.
En droit, le demandeur soutient en premier lieu que la décision déférée serait à annuler au motif que le ministre, suite au renvoi de l’affaire par le jugement précité du 8 février 2012, si, le cas échéant, il ait pu estimer qu’un nouvel entretien serait inutile, aurait au moins dû procéder à un nouvel examen de sa demande. Or, en l’espèce, le ministre n’aurait pas procédé à un tel nouvel examen, ceci en violation de l’article 2 (4) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dans la mesure où le ministre aurait en gros repris les termes de la première décision du 18 novembre 2009 ayant été annulée par le tribunal.
Or, tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, la loi du 5 mai 2006 n’oblige pas le ministre de procéder en toute hypothèse à un nouvel entretien dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, le dossier lui a été renvoyé pour réexamen après que le tribunal a décidé que c’est à tort que le ministre a examiné la demande dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
S’il est vrai que suite à l’annulation de la décision du 18 novembre 2009, le ministre, procédant cette fois-ci dans le cadre de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, a dû effectuer un nouvel examen de la demande de protection internationale, au regard notamment du constat du tribunal que c’est à tort que le ministre a estimé qu’il apparaîtrait clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, le tribunal est amené à retenir qu’en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments du dossier que le ministre n’ait pas procédé à un tel nouvel examen. S’il est exact que le ministre a repris en gros les termes de sa première décision au titre de la motivation de son refus et s’il est encore vrai qu’il n’a pas tenu compte plus particulièrement de l’appréciation faite par le tribunal dans son jugement du 8 février 2012 quant à la question de savoir si les faits sont susceptibles de rentrer dans le champ d’application de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugiés, ces circonstances à elles seules ne permettent pas de retenir un défaut de réexamen de la demande, au regard plus particulièrement des explications fournies par le délégué du gouvernement qui a fait valoir que malgré l’annulation de la décision du 18 novembre 2009 au motif que le ministre ne pouvait pas examiner la demande dans le cadre de la procédure accélérée, le ministre a estimé que les motifs de refus de la demande tels qu’ils ont été invoqués dans la première décision sont toujours justifiés. En effet, le fait de reprendre les mêmes motifs de refus ne permet pas nécessairement de retenir que le ministre n’a pas réexaminé la demande, mais mène au constat que le ministre a, après réexamen du dossier, estimé, indépendamment de la question du bien-fondé de son appréciation et au-delà du constat qu’il est regrettable qu’il ait décidé de ne pas tenir compte de l’appréciation d’ores et déjà faite par le tribunal dans son jugement du 8 février 2012, pouvoir se fonder sur les mêmes motifs de refus que ceux figurant dans la décision du 18 novembre 2009.
Il s’ensuit que le moyen d’annulation motivé sur un prétendu défaut de réexamen de la demande est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Quant à l’examen du bien-fondé de sa demande, le demandeur souligne que le ministre n’aurait pas pu remettre en doute la crédibilité de son récit, plus particulièrement au regard de l’appréciation d’ores et déjà faite par le tribunal dans son jugement du 8 février 2012 en ce qui concerne l’utilisation de son passeport.
Le délégué du gouvernement fait valoir que la circonstance que le passeport du demandeur serait, au regard d’une expertise de la police grand-ducale, falsifié, ainsi que le fait que les explications du demandeur quant à l’utilisation de son passeport pour sortir de son pays d’origine laisseraient subsister des points obscurs en ce qui concerne son voyage, permettrait d’ébranler la crédibilité du demandeur.
Le demandeur soutient ensuite que ce serait à tort que le ministre a retenu que les motifs de persécution ne seraient pas liés aux motifs de persécution énoncés par la convention de Genève, en renvoyant au jugement du tribunal du 8 février 2012 et en soutenant que la nouvelle décision du ministre se heurterait à l’autorité de chose jugée sur ces points découlant dudit jugement.
Le demandeur conteste ensuite l’appréciation du ministre de la situation en Mauritanie en ce qui concerne l’esclavage en se prévalant à cet égard des conclusions tirées par le tribunal dans son jugement du 8 février 2012. Dans ce même contexte, il reproche encore au ministre d’avoir violé l’article 26 (3) de la loi du 5 mai 2006, dans la mesure où il n’aurait pas pris en compte les faits pertinents sur la situation générale de son pays d’origine. Plus particulièrement, il souligne que si l’esclavage a été aboli en 1981, et qu’en février 2008 est entré en vigueur une loi incriminant l’esclavage, cette loi ne serait pas correctement appliquée.
Le demandeur critique la définition de l’esclavage contenue dans cette loi, en ce qu’elle se limiterait à reprendre la définition contenue dans la Convention internationale de Genève relative à l’esclavage du 25 septembre 1926. Par ailleurs, la loi ne traiterait pas de la notion de servitude et ne concernerait pas le trafic d’êtres humains de manière générale. Par ailleurs, aucune mesure n’aurait été prise pour informer les potentielles victimes de ladite loi. Le demandeur fait valoir en outre que l’esclavage persisterait toujours à l’heure actuelle en Mauritanie en renvoyant à cet égard à diverses sources internationales.
En guise de conclusion, le demandeur fait valoir que sa situation d’homme seul sans famille et sans ressources, ayant été victime d’esclavage pendant dix-huit ans et sans perspective d’avenir, l’exposerait à retomber dans les griffes d’esclavagistes au vu du laxisme dont les autorités mauritaniennes feraient encore aujourd’hui preuve face à cette pratique. Au pire des cas, il retomberait entre les mains de son ancien maître. Or, au regard des sources internationales citées par lui, il n’aurait dans aucune des deux hypothèses une chance d’obtenir la moindre protection des autorités mauritaniennes, puisque celles-ci iraient jusqu’à nier les faits d’esclavage qui leur sont dénoncés. Ce serait à la lumière de ce contexte général que le ministre aurait dû procéder à l’évaluation individuelle de sa demande.
Le demandeur soutient ensuite en substance que ses craintes de persécution seraient fondées, que les mauvais traitements dont il aurait d’ores et déjà fait l’objet et dont il ferait immanquablement l’objet en cas de retour dans son pays d’origine, devraient être qualifiés d’actes de persécution au sens de l’article 31 (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006. Le fait d’avoir été soumis pendant plus de dix-huit ans à l’esclavage serait suffisamment grave au sens de l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006. Par ailleurs, la condition d’esclave constituerait une violation directe de l’article 4 (1) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), et serait constitutif d’un traitement contraire à l’article 3 de la même Convention. Dans ce même contexte, le demandeur se prévaut encore de la présomption de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il aurait appartenu au ministre ayant refusé de reconnaître le caractère fondé de ses craintes de rapporter la preuve de l’existence de bonnes raisons de penser que les persécutions d’ores et déjà subies par lui ne se reproduiront pas. Ainsi, même à supposer qu’il ait la chance de ne pas retomber en esclavage en cas de retour dans son pays d’origine, les menaces de persécution, en l’occurrence des menaces de mort pesant sur lui de la part de son ancien maître en raison de sa fuite laisseraient légalement présumer cette crainte avec raison d’être persécuté en cas de retour en Mauritanie.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut ainsi au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme (…) ».
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Tout d’abord en ce qui concerne les développements du demandeur concernant la crédibilité de son récit, le tribunal est amené à relever que les points du récit du demandeur qualifiés par le ministre comme obscurs sont limités au trajet pour venir au Luxembourg et à l’authenticité du passeport, respectivement aux conditions d’utilisation de ce passeport. Tel que cela a d’ailleurs déjà été relevé dans le jugement du 8 février 2012, précité, malgré la circonstance que le ministre était conscient des informations contradictoires et douteuses quant au passeport du demandeur, il n’a pas pour autant émis de réserves quant à la crédibilité de son récit en ce qui concerne les motifs à la base de sa demande de protection internationale, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que ces éléments n’ont pas influencé la décision quant au fond. En toute hypothèse, la circonstance que le passeport du demandeur a été manipulé, ce que le demandeur ne conteste pas puisqu’il admet avoir remis à une personne une certaine somme d’argent pour obtenir un passeport et qu’il s’est avéré par la suite que celui-ci a échangé la photo figurant sur le passeport, n’est, à défaut d’autres contestations de la partie étatique, pas de nature à ébranler la crédibilité du récit dans son ensemble, les conditions dans lesquelles un demandeur de protection internationale a quitté son pays d’origine et les documents utilisés à cet effet n’étant pas forcément de nature à influencer la crédibilité des faits invoqués pour justifier sa demande.
Il s’ensuit que le tribunal est amené à retenir comme crédible le récit du demandeur en ce qui concerne les faits invoqués pour justifier sa demande.
Quant aux motifs des persécutions invoqués, il est constant que dans son jugement du 8 février 2012, dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision de refus du ministre ayant statué dans le cadre de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, le tribunal a retenu que l’esclavage auquel le demandeur entend échapper est motivé par des considérations ethniques respectivement raciales, rentrant ainsi dans le champ d’application de la convention de Genève. Le tribunal, dans le cadre du recours sous examen, n’entend pas se départir de cette analyse, dans la mesure où, alors même que la novelle décision a été prise sur le fondement de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, les faits invoqués par le demandeur et que le ministre a été amené à qualifier au regard des conditions de fond de l’octroi du statut de refugié sont restés identiques et où la partie étatique ne lui a par ailleurs pas soumis des moyens susceptibles d’énerver son analyse.
Il s’ensuit que c’est à tort que le ministre a retenu que les faits invoqués par le demandeur ne rentrent pas dans le champ d’application de la convention de Genève.
Quant au reproche du demandeur selon lequel le ministre aurait analysé sa situation individuelle sans tenir compte du contexte général dans lequel elle s’inscrit, et ce en violation de l’article 26 (3) a) de la loi du 5 mai 2006, ce moyen laisse d’être fondé, étant donné que le ministre, par une décision motivée, a analysé la situation individuelle du demandeur telle qu’elle s’inscrit dans le cadre de la situation générale régnant actuellement en Mauritanie. Pour le surplus, les divergences des parties quant à l’appréciation de la situation générale régnant en Mauritanie relève de l’examen du bien-fondé de la demande de protection internationale.
Le moyen afférent est partant à rejeter comme non fondé.
Quant au bien-fondé de la demande de protection internationale, si la gravité des faits dont le demandeur a été victime est certaine, la question pertinente qui se pose en l’espèce afin de déterminer si le demandeur est fondé à se prévaloir d’une crainte avec raison d’être persécuté, est celle de savoir si, en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur encourt un risque réel soit de subir des persécutions de la part de son ancien maître, soit d’être pris en esclavage par d’autres personnes en raison de sa situation personnelle. Dans la mesure où le risque invoqué provient dans les deux hypothèses ainsi envisagées de personnes privées, la qualification de persécution ne saurait être retenue que pour autant que le demandeur ait établi que les autorités étatiques de la Mauritanie ne peuvent ou ne veulent pas lui accorder une protection suffisante, ceci conformément aux dispositions de l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’en définitive, la question essentielle qui se pose est celle de savoir si le demandeur peut bénéficier d’une protection adéquate des autorités de son pays d’origine.
Il convient de prime abord de relever que contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, le tribunal, dans le cadre de l’affaire ayant abouti au jugement précité du 8 février 2012, n’a pas examiné le bien-fondé de la demande de protection internationale du demandeur. Il s’est limité à examiner si le ministre pouvait à bon droit retenir que le demandeur tombe dans les cas de figure visés par l’article 20 b) ou d) de la loi du 5 mai 2006 et ainsi appliquer la procédure accélérée y prévue, sans se prononcer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale du demandeur, plus particulièrement en ce qui concerne la question de la situation générale existant en Mauritanie au regard des craintes dont fait état le demandeur. Si le tribunal s’est penché sur l’existence d’une loi ayant incriminé l’esclavage en Mauritanie, il l’a fait sous l’angle de la question de savoir si le ministre a pu à bon droit retenir qu’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Le tribunal est arrivé à la conclusion que les faits de l’espèce ne permettent pas de justifier ce constat par le ministre. La conclusion ainsi retenu par le tribunal ne signifie cependant pas ipso facto que la situation générale en Mauritanie soit telle que le demandeur soit, au regard de sa situation personnelle, fondé à réclamer l’octroi du statut de réfugié, respectivement celui de protection subsidiaire. Il s’ensuit que les moyens fondés sur les solutions retenues par le tribunal dans son jugement du 8 février 2012 sont à rejeter comme non fondés.
Quant à la situation générale en Mauritanie par rapport à la problématique de l’esclavage, il convient de relever qu’il se dégage des explications fournies par les parties ainsi que des sources internationales versées de part et d’autre que l’esclavage a été aboli en Mauritanie en 1981 et qu’une loi du 13 décembre 2007, entrée en vigueur en février 2008, incrimine l’esclavage et réprime les pratiques esclavagistes. Il convient de préciser qu’en vertu de l’article 4 de la loi en question « quiconque réduit autrui en esclavage […] est puni d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende », tandis que l’article 15 de la même loi consacre le droit pour toute association des droits de l’homme de dénoncer les infractions à cette loi et à assister les victimes. S’il est exact qu’il se dégage des sources internationales invoquées par le demandeur que l’application de cette loi demeure difficile dans la mesure où l’esclavage reste une réalité en Mauritanie, et que ces sources mentionnent encore des cas d’arrestations de manifestants contre l’esclavage, il ne se dégage pas des sources internationales à la disposition du tribunal que la situation en Mauritanie soit telle que l’esclavage soit toujours encouragé par les autorités nationales, ni que tout Mauritanien noir risque de ce seul fait de se retrouver en esclavage, ni encore que les autorités nationales ne seraient pas à même ou pas disposées d’offrir une protection adéquate contre des mesures d’esclavage, qui, par la force des choses au regard de la loi précitée, sont illégales. Bien au contraire, il se dégage du rapport annuel 2012 de l’organisation Amnesty International sur la Mauritanie cité par le demandeur que si récemment encore des personnes retenues en esclavage ont été libérées grâce à l’aide d’organisations de défense des droits de l’homme, de manière à faire admettre que l’esclavage reste toujours une actualité à l’heure actuelle en Mauritanie, il n’en reste pas moins qu’il se dégage du même rapport que la Cour criminelle de … à déclaré six personnes coupables d’avoir réduit en esclavage ces victimes et à ordonné le versement d’une indemnité à leur famille.
Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir que les craintes mises en avant par le demandeur d’être réduit à l’esclavage en cas de retour dans son pays d’origine du seul fait de son appartenance à la partie de la population des Mauritaniens noirs, respectivement de subir des actes de persécution de la part de son ancien maître auquel il s’est échappé ne permettent pas de justifier sa demande en obtention du statut de réfugié, dans la mesure où il n’est pas établi que le demandeur ne puisse pas bénéficier de la protection de ses autorités nationales, au regard plus particulièrement de la loi pénalisant l’esclavage en Mauritanie et au regard du rapport d’Amnesty International, précité, témoignant que les infractions à cette loi ne restent pas impunies, ce d’autant plus que la prédite loi consacre expressément le droit pour les organisations de défense des droits de l’homme d’assister les victimes dans leur démarche.
L’une des conditions d’octroi du statut de réfugié n’étant pas remplie, à savoir celle tenant à l’absence d’une protection des autorités de son pays d’origine au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mi 2006, combiné à l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié formulée par le demandeur, sans qu’il n’y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le demandeur, l’examen de ceux-ci devenant surabondant.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, pour en conclure qu’il risquerait de faire l’objet de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Mauritanie.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, à savoir qu’il n’est pas établi que le demandeur ne puisse pas obtenir une protection des autorités de son pays d’origine contre des actes de persécutions, il n’est pas non plus établi que les autorités mauritaniennes ne soient pas disposées ou pas à même de lui accorder une protection adéquate contre des faits susceptibles d’être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 37, précité, étant relevé que la condition posée par l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006 est identique que le demandeur invoque des persécutions ou des atteintes graves.
Il s’ensuit et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il court le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 14 mai 2012 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur soutient en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut de protection internationale encourt la réformation, l’ordre de quitter devrait également être annulé.
Or, il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder au demandeur un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.
En ordre subsidiaire, le demandeur conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, que l’article 3 de la CEDH. Le demandeur estime en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 c) et e) de la loi du 5 mai 2006. Il considère que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. Le demandeur soutient que la situation de détresse dans laquelle il serait plongé en cas de retour en Mauritanie, mêlée au sentiment d’angoisse de subir des nouvelles tortures, serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. Il soutient encore que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. o) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire.
L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Mauritanie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef du demandeur de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH1, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Mauritanie soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 14 mai 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
1 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais ;
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 7 novembre 2012 par le premier juge, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7/11/2012 Le Greffier du Tribunal administratif 16