Tribunal administratif N° 28948 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2011 1re chambre Audience publique du 17 octobre 2012 Recours formé par la société …, …, contre des décisions du bureau d’imposition Esch-Sociétés en matière d’impôt sur le revenu des collectivités, d’impôt commercial communal, d’impôt sur la fortune et d’impôt sur les revenus de capitaux
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 28948 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 août 2011 par Maître Pierre ELVINGER, avocat à la Cour, assisté de Maître Laura FAVAS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société …, ayant son siège social à L-… et établie à L-…, et représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation et sinon à l’annulation des décisions suivantes, toutes datées du 25 février 2009 :
1) Bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités 2001 ;
2) Bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités 2002 ;
3) Bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités 2003 ;
4) Bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités 2004 ;
5) Bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités 2005 ;
6) Bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités 2006 ;
7) Bulletin de l’impôt commercial communal 2001 ;
8) Bulletin de l’impôt commercial communal 2002 ;
9) Bulletin de l’impôt commercial communal 2003 ;
10) Bulletin de l’impôt commercial communal 2004 ;
11) Bulletin de l’impôt commercial communal 2005 ;
12) Bulletin de l’impôt commercial communal 2006 ;
13) Bulletin de l’impôt sur la fortune 2004 ;
14) Bulletin de l’impôt sur la fortune 2005, 2006 et 2007 ;
15) Bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1.1.2005 ;
16) Bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux 2001 ;
17) Bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux 2002 ;
18) Bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux 2003 ;
19) Bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux 2004 ;
20) Bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux 2005 ;
21) Bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux 2006 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2011 ;
Vu la demande en obtention d’une prorogation des délais introduite le 20 décembre 2011 par Maître Pierre ELVINGER au nom de la société … aux fins de déposer un mémoire en réplique ;
Vu l’ordonnance du 21 décembre 2011 accordant une prorogation en vue du dépôt des mémoires en réplique et en duplique ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 février 2012 par Maître Pierre ELVINGER au nom de la société … ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Pierre ELVINGER et Madame le délégué du gouvernement Monique ADAMS en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er octobre 2012.
___________________________________________________________________________
La société à responsabilité limitée …, ci-après « la société … », fit l’objet d’un contrôle fiscal de la part du service de révision de l’administration des Contributions directes au cours de l’année 2008, contrôle dont les conclusions furent matérialisées dans un rapport de révision datant du 19 janvier 2009, ci-après « le rapport ».
Ce rapport et le projet d’imposition établi en conséquence pour les années 2001, 2002, 2003, 2004, 2005 et 2006 furent communiqués par l’administration des Contributions directes à la société … par courrier du 26 janvier 2009 et la société … adressa par l’intermédiaire de son conseil juridique en date du 16 février 2009 une prise de position afférente à l’administration des Contributions directes.
Le bureau d’imposition Esch-Sociétés émit le 25 février 2009 à l’attention de la société … pour chaque exercice fiscal concerné chaque fois un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités (ci-après « IRC »), un bulletin de l’impôt commercial communal (ci-
après « ICC »), un bulletin de l’impôt sur la fortune et un bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux, ainsi qu’un bulletin d’établissement de la valeur unitaire, au 1.1.2005, les bulletins IRC des années 2001, 2002 et 2003 étant en fait des bulletins rectificatifs de bulletins précédemment émis.
Les différents bulletins portèrent sur les redressements, respectivement les majorations suivantes: … LUF pour l’année 2001, … € pour l’année 2002… € pour l’année 2003, … € pour l’année 2004, … € pour l’année 2005 ainsi que… € pour l’année 2006.
La société … fit adresser par son mandataire une réclamation au directeur de l’administration des Contributions directes contre ces bulletins par lettre du 22 mai 2009.
A défaut de réaction lui parvenue endéans 6 mois de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », la société … a fait introduire le 12 août 2011 un recours tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation des bulletins lui adressés, par lequel elle critique notamment le rapport de révision sis à la base des divers bulletins.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant tranché les mérites d’une réclamation contre un bulletin d’imposition.
Aux termes du prédit article 8 paragraphe 3, point 3, lorsqu’une réclamation au sens du paragraphe 228 AO a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant peut considérer la réclamation comme rejetée et il peut interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation ; dans ce cas le délai de recours de trois mois ne court pas.
Le recours en réformation introduit à titre principal, non autrement critiqué, est à cet égard recevable ; il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation.
Quant au fond, la société … soulève de prime abord la prescription à l’encontre de l’émission des bulletins d’imposition rectifiés pour les années 2001, 2002 et 2003 sur base de l’article 10, alinéas 1er et 3 de la loi du 27 novembre 1933, pour ensuite contester le bien-
fondé des redressements et des impositions opérées pour les années 2001 à 2006, la demanderesse contestant l’absence de comptabilité régulière en la forme et quant au fond ainsi que les marges bénéficiaires retenues par l’administration des Contributions directes.
a.
Quant à la prescription La société … reproche de prime abord à l’administration des Contributions directes d’avoir procédé à une révision des bulletins d’imposition sur les exercices 2001 à 2006 sans distinguer pour autant entre les exercices pour lesquels des bulletins d’imposition définitifs auraient déjà été dressés et décomptés et les autres, la demanderesse rappelant à ce sujet que des bulletins d’imposition pour les exercices 2001, 2002 et 2003 auraient déjà été émis par le bureau Sociétés Esch-sur-Alzette le 8 février 2006.
Elle s’empare dès lors du paragraphe 222 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » pour soulever la prescription quinquennale des impositions pour les années 2001, 2002 et 2003, années pour lesquelles des bulletins d’imposition ont déjà été émis, la demanderesse étant d’avis que l’administration des Contributions directes ne pourrait pas se prévaloir de faits nouveaux susceptibles de mettre en échec la prescription, parce que l’administration des Contributions directes aurait, dans le cas d’une société dénommée …, société appartenant au même bénéficiaire économique que … - à savoir Monsieur … -, demandé et obtenu des renseignements concernant la tenue de la comptabilité de la société …, sans qu’elle n’en tire aucune conclusion dans ce cas, l’administration s’étant ensuite contentée d’imposer suivant les déclarations d’impôt remises.
Or les faits sur lesquels sont basés les redressements des bulletins d’imposition pour les exercices 2001, 2002 et 2003 de la société … auraient été les mêmes que ceux dont l’administration aurait eu connaissance dans le dossier de la société …, de sorte que ces faits auraient été connus ou susceptibles d’être connus. Elle estime en effet que l’administration aurait facilement pu, à l’image des vérifications préalables réalisées pour la société …, déceler ces faits avant l’émission des bulletins d’imposition, de sorte qu’aucun redressement des bulletins d’imposition pour les exercices 2001, 2002 et 2003 n’aurait été possible alors que ce droit serait prescrit conformément au paragraphe 222 (1), 1, 2 et 4 AO et que l’hypothèse du délai de prescription plus long, en présence de faits nouveaux ne serait pas donnée, la société … mettant à ce sujet en exergue les règles traitant de la procédure d’investigation de l’administration des Contributions directes. Aussi, elle est d’avis que l’administration des Contributions directes aurait légitimement et simplement dû effectuer dans l’ensemble des restaurants de Monsieur … les mêmes vérifications préalables et demandes de renseignements qu’elle avait effectuées concernant la société … avant de procéder en bloc à l’émission de bulletins d’imposition rectificatifs pour l’ensemble des restaurants de Monsieur …, pour en conclure que les faits à l’appui desquels des bulletins rectifiés ont été émis, auraient nécessairement été « susceptibles d’être connus » par l’administration des Contributions directes ou à tout le moins auraient dû donner lieu à des doutes raisonnables dans le chef du bureau d’imposition quant à la possibilité d’émettre des bulletins d’imposition initiaux.
La partie étatique, de son côté, conteste que les redressements opérés par le bureau d’imposition sseraient irréguliers, parce que les faits invoqués à la base de ces impositions rectificatives auraient été « connus ou susceptibles d’être connus » par le bureau d’imposition et ne constituaient pas des « neue Tatsachen » au sens du paragraphe 222 (1) 1 AO ; bien au contraire, elle estime que les faits découverts lors du contrôle approfondi du Service de Révision constitueraient des faits nouveaux que le bureau d’imposition n’aurait pas pu découvrir lui-même lors de la procédure d’imposition.
Le paragraphe 222 AO est libellé comme suit :
« (1) Hat bei Steuern, bei denen die Verjährungsfrist mehr als ein Jahr beträgt, das Finanzamt nach Prüfung des Sachverhalts einen besonderen, im Gesetz selber vorgesehenen schriftlichen Bescheid (Steuerbescheid, Steuermessbescheid, Freistellungsbescheid oder Feststellungsbescheid) erteilt, so findet, soweit nichts anderes vorgeschrieben ist, eine Änderung des Bescheids (eine Berichtigungsveranlagung oder eine Berichtigungsfeststellung) nur statt : I. wenn neue Tatsachen oder Beweismittel bekanntwerden, die eine höhere Veranlagung rechtfertigen, und die Verjährungsfrist noch nicht abgelaufen ist (…) ».
En application dudit paragraphe 222 AO, l’administration est fondée à émettre des bulletins rectificatifs notamment chaque fois que le contribuable a fourni, dans sa déclaration fiscale, des indications inexactes, insuffisantes ou incomplètes par rapport à la nature de l’impôt concerné, cette rectification étant soumise à une double condition, à savoir l’apparition de faits nouveaux dont le bureau d’imposition n’a eu connaissance qu’après l’émission du bulletin d’impôt initial et l’absence de prescription des impôts en question.
Si la demanderesse, comme indiqué ci-dessus, entend soulever la prescription pour l’émission des bulletins d’imposition rectifiés pour les années 2001, 2002 et 2003 en mettant en avant, d’une part, la prescription quinquennale acquise, et d’autre part, l’absence de « neue Tatsache » susceptibles de justifier une rectification, il convient de relever que seule la première question a pour objet une éventuelle prescription, la seconde condition ne touchant pas à la question de la prescription, mais à celle de la régularité de la rectification.
En ce qui concerne la question de la prescription, si la demanderesse entend tirer profit de la prescription quinquennale, force est de constater que l’Etat, pour sa part, lui oppose une prescription décennale.
Il convient en premier lieu de relever qu’en matière d’impôt sur le revenu, le régime de la prescription est régi, non pas par les dispositions de l’AO, mais par celles de la loi modifiée du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau de vie et des cotisations d’assurance sociale, telle que remise en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946 qui, compte tenu de son libellé amendé, étendu et modifié, est à considérer dans son ensemble comme postérieure en date à la loi générale des impôts, même analysée sous le couvert de sa loi confirmative du 27 février 1946 concernant l’abrogation des lois de compétence de 1938 et 1939 et l’octroi de nouveaux pouvoirs spéciaux1.
L’article 10 de ladite loi du 27 novembre 1933, dans sa teneur initiale, dispose que « la créance du Trésor se prescrit par 5 ans, toutefois, en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de dix ans.
Ces prescriptions s’appliquent à tous impôts, taxes, cotisations, droits d’accise, amendes, frais et autres perceptions généralement quelconques dont est chargée l’administration des contributions, sauf la prolongation conventionnelle des droits du Trésor.
La prescription prend cours à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la créance est née ».
Il se dégage des termes de l’article 10 alinéa 1er initial que pour les prescriptions extinctives visées, la prescription quinquennale constitue la règle, tandis que la prescription décennale, conditionnée par une imposition supplémentaire du chef de déclarations incomplètes ou inexactes, avec ou sans intention frauduleuse, représentait l’exception.
L’alinéa 1er de cet article a fait l’objet en 19992 d’une modification libellée comme suit : « La créance du Trésor se prescrit par cinq ans. Toutefois, en cas de non-déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de 10 ans ».
Force est de constater qu’en l’espèce, il y a bien eu imposition supplémentaire de la demanderesse, tantôt par le biais de bulletins rectificatifs, tantôt par le biais de bulletins ayant retenu une majoration des recettes par rapport à la déclaration d’impôts initiale, jugée inexacte, de sorte que c’est à bon droit que l’administration des Contributions directes a retenu un délai de prescription décennal et non quinquennal.
Le tribunal constate par ailleurs que le représentant légal du contribuable a signé le 21 juin 2006 une renonciation explicite à la prescription en ce concerne l’IRC, l’ICC et la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux concernant les années 2001, 2002, 2003, 2004 et 2005, de sorte que la société … est actuellement particulièrement malvenue à vouloir soulever la prescription relative aux années d’imposition 2001, 2002 et 2003.
En ce qui concerne la seconde condition imposée par le paragraphe 222 AO, à savoir l’existence de « neue Tatsache », cette notion englobe tout fait ou acte quelconque qui est susceptible de constituer isolément ou ensemble avec d’autres faits ou actes une base 1 Voir trib. adm. 27 mai 1998, n° 10208 du rôle, cité sous Pas. adm. 2011, V° Impôts, n° 388, et autres références y citées.
2 Art.3, loi du 24 décembre 1999 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’exercice 2000, Mém. A, n° 148, p.2675.
d’imposition de l’impôt en cause et dont le bureau d’imposition compétent n’a eu connaissance qu’après l’émission du bulletin d’impôt initial sans que le contenu des déclarations antérieures du contribuable n’ait été de nature à donner lieu à des doutes raisonnables dans le chef du bureau d’imposition.
En l’espèce, la partie demanderesse considère que des faits révélés au bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 4 à l’occasion de l’imposition d’une société déterminée du groupe de Monsieur … - à savoir l’absence de livre de caisse documentant les mouvements de caisse et de pièces documentant ces mouvements - ne sauraient constituer des faits nouveaux opposables à une autre société du même groupe dans le cadre de son imposition établie, respectivement rectifiée par le bureau d’imposition Esch-Sociétés.
Le tribunal ne saurait suivre ce raisonnement, alors qu’il s’agit, d’une part, à chaque fois de sociétés et partant de contribuables différents, dépendant de surcroît de bureaux d’imposition différents, et d’autre part, que les faits en question ne constituent pas des « neue Tatsachen oder Beweismittel, die eine höhere Veranlagung rechtfertigen » dont l’administration aurait eu ou dû avoir antérieurement connaissance, mais des circonstances soumises à l’appréciation du bureau d’imposition militant, le cas échéant, en faveur de l’ouverture d’une procédure de révision laquelle, à terme, peut éventuellement aboutir à une rectification et à une majoration d’impôts.
En effet, les éléments mis en avant par la demanderesse, à savoir le fait que la fiduciaire en charge de sa comptabilité ait informé le bureau d’imposition Luxembourg Sociétés 4 en date du 6 juin 2005, en réponse à la demande de ce dernier de se voir communiquer le livre de caisse et les bandelettes de caisse pour 2003 de la société …, que les listes de la caisse auraient été établies sur base des recettes comptables journalières enregistrées et des dépenses effectuées et « annexées aux documents transmis au comptable » ne constituent pas directement les faits ayant justifié en ce qui concerne la société … la majoration d’impôts, cette dernière étant au contraire l’aboutissement d’une procédure de révision, laquelle révéla d’abord, selon le rapport, que la société … ne disposait ni de factures, ni des données de la caisse enregistreuse prouvant les recettes quotidiennes en numéraire -
lesdites données étant systématiquement et quotidiennement détruites - constat qui justifia ensuite le recours à une taxation d’office, laquelle après 5 mois d’opérations de révision aboutit finalement aux rectifications respectivement redressements actuellement critiqués.
Dès lors, cette seule information, transmise par une autre société du groupe … à un autre bureau d’imposition au sujet d’une année d’imposition déterminée, ne saurait être considérée comme de nature à avoir dû donner lieu à des doutes raisonnables dans le chef du bureau d’imposition ayant émis les bulletins actuellement déférés au tribunal, relatifs à un contribuable différent, de sorte qu’il y a lieu de considérer que le bureau d’imposition n’a eu connaissance des faits relevant, ayant justifiés la rectification, qu’après l’émission des bulletins d’impôt initiaux.
Le moyen afférent est partant à écarter pour ne pas être fondé.
b.
Quant à la taxation d’office La société … critique ensuite l’appréciation du réviseur selon laquelle sa comptabilité n’aurait pas été régulière en la forme, la demanderesse relevant à ce propos que le réviseur aurait préconisé l’absence d’une comptabilité régulière sur base du seul défaut du livre de caisse.
Or, elle estime en substance que dans la mesure où sa comptabilité aurait été claire et ordonnée, c’est-à-dire qu’elle permettait à un spécialiste de pouvoir s’y retrouver sans difficultés majeures, l’argumentation quant au rejet de la comptabilité quant à la forme serait à rejeter, la société … mettant en évidence le fait, d’une part, que sa comptabilité aurait été constituée du bilan de l’exploitation pour l’ensemble des exercices vérifiés, du compte de profits et de pertes pour l’ensemble des exercices vérifiés, du grand-livre général, des grands-
livres « clients » et « fournisseurs », des factures des entrées (achats et frais), des extraits bancaires, du livre des salaires ainsi que du rapport de caisse électronique, de sorte à être conforme au paragraphe 162 AO, et d’autre part, que la législation comptable, comme celle des sociétés, ne prescrirait ni la tenue de la comptabilité par ordinateur, ni la délivrance systématique de facture, ni la tenue d’un livre de caisse.
En ce qui concerne plus particulièrement l’absence de livre de caisse lui reprochée, la demanderesse affirme qu’un rapport de caisse sous format électronique aurait été tenu auprès de sa fiduciaire, lequel aurait d’ailleurs été mis à disposition du réviseur, ledit rapport de caisse ayant été établi sur base des recettes journalières enregistrées et des dépenses effectuées et annexées aux documents, les mouvements de caisse en recettes ayant pour leur part été enregistrés quotidiennement et continués régulièrement à la fiduciaire ; par ailleurs elle donne à considérer que plusieurs décisions de justice auraient admis la régularité de la comptabilité malgré le défaut de livre de caisse.
Le délégué du gouvernement, pour sa part, conclut à la confirmation en ce point des décisions déférées, en soulignant que ce serait un fait établi que la société … n’aurait pas tenu de livre de caisse régulier au courant des années d’imposition concernées par le contrôle et que le « relevé de recettes » présenté par les responsables de la société en question serait dépourvu de la moindre valeur probante, alors qu’il s’agirait de simples annotations manuscrites sur feuilles libres qui auraient été continuées comme telles à leur fiduciaire, tandis que les vrais relevés de recettes en numéraire tels qu’imprimés chaque jour par la caisse enregistreuse auraient été détruits de manière systématique et quotidiennement et les enregistrements de la caisse électronique, par des manipulations informatiques frauduleuses, auraient été effacés chaque jour et le compteur remis à zéro, de sorte que toute trace fiable quant aux recettes réelles de la société … aurait disparu de manière définitive.
Le tribunal constate qu’en l’espèce la vérification initiée par le service de révision tire sa justification des paragraphes 162 (9) et 193 AO. Or, aux termes du paragraphe 162 (9) AO:
« Das Finanzamt kann prüfen, ob die Bücher und Aufzeichnungen fortlaufend, vollständig und formell und sachlich richtig geführt werden. Die Prüfung ist auch insoweit zulässig, als es sich nicht um die Verhältnisse der Personen oder Unternehmen, deren Bücher geprüft werden, sondern um die Aufklärung der Verhältnisse von Arbeitnehmern handelt, die im Dienst der Personen oder Unternehmen gestanden haben oder stehen », tandis que le paragraphe 193 (1) AO dispose que « Für Zwecke der Besteuerung kann das Finanzamt auch außerhalb eines Steuerermittlungsverfahrens Nachschau halten bei den Personen, die nach § 160 Absatz 2 Aufzeichnungen zu machen haben, sowie bei solchen Unternehmern und in solchen Unternehmen, die entweder einer Steuer oder der Steueraufsicht unterliegen oder bei denen nach dem Ermessen des Finanzamts eine Steuerpflicht in Betracht kommt. Die Nachschau ist auch insoweit zulässig, als es sich nicht um die Verhältnisse des Unternehmers oder des Unternehmens, bei dem die Nachschau stattfindet, sondern um die Aufklärung der Verhältnisse von Arbeitnehmern handelt, die im Dienst des Unternehmers oder des Unternehmens stehen oder gestanden haben. » Il constate encore que le réviseur, dans le cadre de son rapport a retenu que « tout livre de caisse fait défaut. En effet, d’après les affirmations des responsables de la société, un livre de caisse renseignant les entrées et les sorties de fonds n’a pas été tenu. Les recettes n’ont pas été annotées le jour au jour, bien que la société dispose d’un système adapté à gérer simultanément et les commandes faites et la facturation. Les données collectées au cours d’une journée par ce système informatique ont été détruites systématiquement le jour suivant. Cette façon d’agir est d’autant plus condamnable que la société révisée réalise ses recettes essentiellement au comptant (numéraire et cartes de crédit). Les dispositions du code de commerce et de la loi générale des impôts ont été sciemment violées, ce qui enlève au réviseur tout moyen de contrôle en la matière. Il en va de soi que la société ne dispose non plus de preuve des recettes déclarées. La plupart des écritures comptables ne comportent pas de libellé. Ainsi il est très difficile à retracer les opérations comptabilisées » ainsi qu’en ce qui concerne plus particulièrement le livre et les documents de caisse que « un livre de caisse en due forme n’a pas été tenu. Les données de la caisse enregistreuse étant anéanties à la fin de chaque journée, il n’existe pas de documents et pièce à l’appui prouvant les recettes effectivement réalisées. Les responsables de la société ont communiqué les recettes journalières en numéraire par simple annotation d’un montant sur une feuille jointe aux pièces à l’appui relatives aux dépenses au comptant. Les recettes encaissées par cartes de crédit ou chèque-repas n’ont pas été communiquées expressément à la fiduciaire ».
De même, en ce qui concerne la comptabilisation des recettes, le réviseur a retenu que « sur base des recettes en numéraire communiquées par les responsables de la société à la fiduciaire celle-ci a dressé un « Rapport de caisse » (fichier Excel). À part des recettes en numéraire, ce rapport reprend également les dépenses au comptant ainsi que les versements en banque. Les versements en banque y sont inscrits à la date de l’extrait de banque. Le rapport de caisse n’étant pas dressé au jour le jour, mais avec un grand retard, ne reprenant pas les recettes réalisées en leur intégralité et ne renseignant pas pour toutes les opérations à leur juste date ne peut pas tenir lieu de livre de caisse. D’autre part le réviseur n’a pas trouvé de rapport direct entre le rapport de caisse et les opérations comptables y afférentes. Ainsi les recettes en numéraire n’ont pas été comptabilisées au jour le jour, mais en un montant unique à la fin de chaque exercice. Qui plus est, pour certaines années, les recettes en numéraire comptabilisées ne correspondent pas aux recettes en numéraire reprises aux rapports de caisse (…) ».
Au regard de ces constats, il convient, à l’instar de la partie étatique, de rappeler que conformément à l’article 13 de la loi du 17 avril 1964 portant réorganisation de l’administration des Contributions directes « les procès-verbaux rédigés par les fonctionnaires [de l’administration des Contributions directes] font foi jusqu’à preuve du contraire » ; or, si en l’espèce la demanderesse discute certes la portée des constatations du réviseur et en particulier les conséquences de l’absence de livre de caisse, elle ne rapporte ni la preuve contraire de ces constatations, ni même ne conteste la réalité de ces constats : aussi, est-il constant en cause que la demanderesse ne tenait aucun livre de caisse, détruisait quotidiennement les bandes des caisses enregistreuses, respectivement effaçait quotidiennement leur contenu électronique, et n’a pas été à même de produire de factures permettant d’établir les recettes quotidiennes.
Or, les paragraphes 162 à 165 AO imposent la tenue d’une comptabilité régulière et complète quant à la forme et quant au fond. Ainsi, la comptabilité est régulière quant à la forme lorsqu’elle est agencée de façon claire et ordonnée, de façon à faciliter toute recherche et tout contrôle. Elle est régulière quant au fond lorsqu’elle renvoie une image fidèle et complète de la situation financière de l’entreprise. A cette fin, elle doit respecter les principes généraux comptables tels que le principe de continuité, de constance, de spécificité des exercices, de non compensation, de comptabilisation des charges et produits et de prudence.
La comptabilité qui est régulière d’un point de vue formel bénéficie d’une présomption de régularité quant au fond. A défaut de respecter les conditions de régularité formelle, la comptabilité perd sa force probante.
Le paragraphe 160 AO, quant à lui, impose le respect des règles comptables contenues dans les lois non fiscales.
Le tribunal relève ainsi notamment que le paragraphe 162 (7) AO impose la tenue d’un registre reprenant journellement les écritures de caisse (« Kasseneinnahmen und -
ausgaben sollen im geschäftlichen Verkehr mindestens täglich aufgezeichnet werden »), obligation qui se retrouve d’ailleurs de manière plus générale à l’article 10 du code de commerce, selon lequel « Toute comptabilité est tenue selon un système de livres et de comptes conformément aux règles usuelles de la comptabilité en partie double. Toutes les opérations sont inscrites sans retard, de manière fidèle et complète et par ordre de dates, soit dans un livre journal unique, soit dans un système de journaux spécialisés. Dans ce dernier cas, toutes les données inscrites dans les journaux spécialisés sont introduites, avec indication des différents comptes mis en mouvement, par voie de centralisation dans un livre centralisateur unique », étant souligné qu’un livre de caisse, journal destiné à retracer journellement les mouvements en espèces, constitue un tel journal spécialisé tel que préconisé par cette disposition.
Le paragraphe 162 (8) AO quant à lui rappelle l’obligation de conservation décennale des pièces comptables édictée par l’article 16 du code de commerce, cette dernière disposition imposant plus particulièrement aux commerçants une obligation générale de conservation des documents sociaux pendant une période de 10 ans à partir de la clôture de l’exercice auquel les documents se rapportent, les documents visés étant ceux énumérés aux articles 11, 12, 14 et 15 du code de commerce. C’est ainsi que l’obligation de conservation décennale a d’abord trait à la comptabilité du commerçant qui doit retranscrire, comme souligné ci-dessus, les opérations de manière fidèle et complète, par ordre de date soit dans un livre journal unique, soit dans un système de journaux auxiliaires spécialisés - tel un livre de caisse - , mais couvre également, conformément à l’article 14 du code de commerce toutes les pièces justificatives, le libellé imprécis et indéterminé de ce texte impliquant que l’obligation de conservation décennale concerne toutes les pièces justificatives quelconques ayant trait à l’exploitation de l’entreprise, tels que par exemple les commandes et les factures ou encore les documents qui intéressent la gestion du personnel.
En effet, la comptabilité n’étant pas seulement un ensemble formellement parfait, mais devant également être effectivement le reflet de toutes les caractéristiques patrimoniales de l’entreprise3, les écritures doivent être appuyées par des pièces justificatives qui doivent être conservées, les dirigeants de l’entreprise et les vérificateurs de la comptabilité - dont le cas 3 Causin E., Droit comptable des entreprises, Bruxelles, Larcier, 2002, p.284.
échéant le fisc - devant en effet pouvoir examiner la validité d’un enregistrement élémentaire en le comparant à la pièce justificative de base, contrôler la validité d’un enregistrement porté dans un compte à l’aide de la pièce récapitulative et vérifier la validité des pièces justificatives de base qui ont été utilisées pour la pièce récapitulative, s’assurer de la concordance entre les opérations saisies par les journaux et par les comptes (égalités des mouvements des journaux avec ceux du grand livre). Aussi, tout enregistrement comptable doit préciser l’origine, le contenu et l’imputation de chaque donnée ainsi que les références des pièces justificatives qui l’appuient4, l’obligation du commerçant de conserver les documents sociaux ayant essentiellement pour objet la constitution de pièces justificatives permettant de retracer et de prouver les opérations du commerçant tant dans l’intérêt du commerçant lui-même que dans l’intérêt des tiers, dont le fisc.
Or, comme constaté de manière non énervée par le réviseur, la société … n’a tenu aucun livre de caisse, à savoir un registre retraçant au jour le jour les mouvements en espèces de la caisse, ni conservé le moindre document justificatif relatif aux recettes en numéraire, lesquelles constituent pourtant l’essentiel de ses recettes, la société n’ayant soit pas émis de factures - tel que semble le plaider son litismandataire en contestant l’existence d’une obligation générale de délivrer des factures - soit a détruit les factures émises, à l’instar des bandes des caisses enregistreuses et de la mémoire des caisses enregistreuses, détruites respectivement effacées quotidiennement, procédé suspect qui amène d’ailleurs le tribunal à émettre des doutes quant à la prétendue bonne foi du restaurateur.
Si la société … entend certes exciper de l’existence d’un rapport de caisse retraçant prétendument les recettes journalières enregistrées et des dépenses effectuées, force est toutefois au tribunal de constater que ledit rapport de caisse ne constitue pas un livre de caisse destiné à suivre journellement les mouvements en espèces, lesquels doivent être numérotés et justifiés par une pièce comptable portant exactement le même numéro5, mais une pièce récapitulative interne reprenant sans les détailler l’ensemble des opérations traduites par le compte « caisse » et ce sans reposer sur une quelconque pièce justificative.
Quant aux décisions de justice ayant admis la régularité de la comptabilité malgré le défaut de livre de caisse, celles-ci ne sont pas transposables au cas d’espèce où il n’est pas remédié au défaut de livre par la production de documents justificatifs relatifs aux recettes en numéraire.
C’est dès lors à juste titre que le réviseur, rejoint en cette appréciation par le bureau d’imposition compétent, a conclu au vu de ces irrégularités à une comptabilité irrégulière en la forme.
Or, si la comptabilité qui est régulière d’un point de vue formel bénéficie d’une présomption de régularité quant au fond, la comptabilité perd toutefois sa force probante à défaut de respecter les conditions de régularité formelle, l’article 18 du code de commerce notamment énonçant à cet égard que « les livres que les entreprises faisant le commerce sont obligées de tenir, et pour lesquels elles n’ont pas observé les formalités ci-dessus prescrites ne peuvent être représentées ni faire foi en justice, au profit de celles qui les ont tenus », et l’administration fiscale est habilitée à procéder à l’évaluation d’office du bénéfice comptable généré par l’entreprise par application du paragraphe 217 AO.
4 Fayel A. et Pernot, D., Comptabilité de l’entreprise, éd. Dunod, Paris 2002, p.27.
5 Voir l’article 14 du code de commerce qui impose un classement méthodique et le paragraphe 162 (6) AO qui impose la numérotation et le classement des pièces justificatives.
A cet égard, il y a d’abord lieu de rappeler quant au principe de la taxation, que le paragraphe 217 AO dispose que :
« (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschließlich solcher Besteuerungsgrundlagen, die für eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.
(2) Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das Gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ».
La taxation des revenus constitue ainsi le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt6. Ainsi, en vertu du paragraphe 217 (2) AO, la taxation des revenus est possible si le contribuable ne peut pas fournir d’explications suffisantes à l’appui de ses déclarations ou si le contribuable devant effectuer une comptabilité ne peut pas présenter sa comptabilité ou si cette dernière est incomplète respectivement formellement ou matériellement incorrecte : le paragraphe 217 AO consacre ainsi le principe de la taxation d’office par voie d’estimation du bénéfice d’après les éléments et circonstances d’exploitation dans l’hypothèse d’une irrégularité au niveau de la comptabilité non clarifiée à suffisance de droit et de fait7.
Le tribunal ne saurait suivre à ce propos l’affirmation de la partie demanderesse selon laquelle il résulterait des projets successifs de rapport que le réviseur aurait induit l’existence de recettes non déclarées sans qu’aucun indices, actes, faits ou éléments fondant cette suspicion ne soient mentionnés ou n’aient même été discutés avec le contribuable, le réviseur, comme retenu ci-avant ayant à juste titre constaté explicitement que la tenue de la comptabilité en ce qui concerne les recettes au comptant était non seulement irrégulière en la forme, mais encore et surtout non retraçable compte tenu du fait que le restaurateur avait sciemment fait disparaître toute pièce justificative, de sorte qu’il ne s’agit en l’espèce pas d’un simple soupçon, mais d’une réalité matérielle indéniable, et d’ailleurs ni énervée, ni même contestée par la demanderesse.
Il s’ensuit qu’au vu de la comptabilité de la société … irrégulière en la forme, le bureau d’imposition a valablement pu procéder par voie de taxation d’office pour asseoir les bases de ses impositions rectificatives, sans qu’il n’y ait lieu, dans ce contexte, de vérifier encore l’éventuelle irrégularité au fond de la comptabilité de la demanderesse, cette question étant toutefois abordée ci-après par le tribunal au niveau de l’analyse au fond de l’évaluation effectuée par le bureau d’imposition sur base des faits et des chiffres contenus dans le rapport de révision.
Cette conclusion n’est pas énervée par les contestations de la demanderesse relatives à l’appréciation du réviseur selon lesquelles les recettes par carte de crédit n’auraient pas été 6 Trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2011, V° Impôts n° 489 et autres références y citées.
7 Trib. adm 17 mai 1999, n° 10651 du rôle, Pas. adm. 2011, V° Impôts, n° 484 et autres références y citées.
inscrites au livre de caisse au jour le jour, la demanderesse donnant à ce sujet à considérer que les recettes par carte de crédit seraient bancaires et non de caisse, et qu’elles ne seraient comptabilisées qu’au moment où le montant payé par le biais d’une carte de crédit est effectivement inscrit sur le compte auprès du commerçant.
Certes, contrairement à l’appréciation du réviseur, réitérée par le délégué du gouvernement, s’il est de bonne pratique de transiter pour les ventes en magasin au comptant réglées par carte préalablement par un compte « Valeurs à l’encaissement » (dans une subdivision) puis ensuite de solder ce compte par le compte « Banques », cette opération étant nécessaire lorsque le règlement est différé, l’utilisation du compte « Caisse » n’est pas appropriée dans ce contexte, car il sert uniquement à enregistrer les espèces8, de sorte que c’est à bon droit que la demanderesse explique l’absence de ces recettes au niveau des écritures comptables relatifs à la caisse par le fait qu’il s’agit de recettes bancaires créditées sur un compte, et non de recettes encaissées en espèces.
Toutefois, cette erreur d’appréciation ponctuelle du réviseur n’est pas de nature à énerver le caractère généralement irrégulier de la comptabilité telle que tenue par la demanderesse, caractère généralement irrégulier basé en particulier sur l’absence de tout justificatif susceptible de retracer les recettes quotidiennes en espèces, qui représentent l’essentiel des recettes du restaurateur.
Cette conclusion s’impose également en ce qui concerne le reproche adressé au réviseur de ne pas avoir tenu compte des recettes reçues par carte VISA et créditées sur le compte d’une banque française alors que le résultat de la collecte de cette banque aurait été transmis au compte bancaire auprès de la banque luxembourgeoise du contribuable, de sorte que les montants afférents figureraient aux bilans annuels sous les comptes en banque, et que les décomptes de cartes de crédit afférents seraient versés en cause dans le cadre de la présente instance, d’autant plus que l’absence de toute facture respectivement de toute copie du récépissé ne permet pas de relier les différentes opérations figurant sur ces relevés avec les ventes réalisées effectivement par le restaurateur, certains montants y référencés paraissant d’ailleurs être d’une telle importance qu’il paraît douteux qu’il s’agit de recettes résultant de repas payés par carte VISA.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse entend encore s’emparer d’une décision du tribunal administratif dont il résulterait que l’absence de différence significative entre la marge recalculée par l’administration des Contributions directes et la marge déclarée serait un indice de régularité de la comptabilité. Or, elle estime qu’en l’espèce, étant donné que la marge déclarée par le restaurateur serait loin d’être insuffisante ou anormalement faible, alors que la différence entre la marge déclarée et la marge recalculée par l’administration serait finalement seulement d’environ 4% des recettes totales déclarées, il n’aurait pas pu être procédé par voie de taxation d’office, la demanderesse se basant de surcroît pour asseoir son argumentation sur une étude de rentabilité commandée auprès d’un traiteur-
restaurateur qui conclut qu’ « ayant des taux d’engagé de marchandises en moyenne de 22%, vos restaurants font un chiffre d’affaires exemplaire en sachant qu’il y a encore des pertes compris dans ce Food Cost ».
Le tribunal constate de prime abord que ce raisonnement est affecté d’un illogisme, alors qu’il repose sur la comparaison entre les marges déclarées par le restaurateur et les marges 8 « Pratique comptable : enregistrements des flux financiers. Quelques rappels », La Revue Fiduciaire RF comptable, n° 350, août 2008.
établies par voie de taxation d’office pour combattre précisément cette taxation d’office : en d’autres termes, la demanderesse entend se prévaloir des conclusions de la taxation d’office en tant que preuve du caractère erroné de cette même taxation.
Le tribunal constate ensuite que le jugement du tribunal administratif dont se prévaut la demanderesse, à savoir le jugement du 8 décembre 1999, n° 11179 du rôle, concerne un cas d’espèce différent de celui actuellement soumis au tribunal, et n’est dès lors pas transposable au présent cas. En effet, dans ce jugement, le tribunal n’a pas érigé, de manière générale et absolue, l’absence de différence sensible entre marges déclarées et marges recalculées par l’administration en preuve ou indice d’une comptabilité régulière, mais a, dans ce cas d’espèce, réformé une décision directoriale dans laquelle le directeur s’était uniquement basé sur une faible différence entre marges bénéficiaires déclarées et marges recalculées pour conclure à une comptabilité irrégulière, sans par ailleurs établir à suffisance de doit et de fait le caractère irrégulier de la comptabilité.
Or, en l’espèce, la situation est toute autre, l’administration des Contributions directes s’étant basée sur des faits matériels constants en cause pour retenir l’existence d’une comptabilité irrégulière justifiant le recours à la taxation d’office qui a abouti à l’établissement de marges bénéficiaires peut-être objectivement peu différentes de celles déclarées initialement par le contribuable, mais ayant néanmoins concrètement abouti à des redressements substantiels.
Enfin, si la demanderesse, nonobstant l’absence de toute pièce justificative relative à ses recettes en espèces, fait plaider que l’administration des Contributions directes n’aurait pas été en droit de lui appliquer la procédure de la taxation d’office alors que l’administration des Contributions directes n’aurait pas épuisé toutes ses possibilités d’investigation afin élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition et qu’elle maintient avoir délivré l’ensemble des documents nécessaires à la procédure de contrôle ainsi qu’à l’étude par l’administration des Contributions directes de la marge et du chiffre d’affaires généralement appliqués dans ce type de restaurant, de sorte que les conditions du paragraphe 217 AO ne seraient pas remplies, le tribunal renvoie à ses développements ci-avant dont il résulte que si la demanderesse a certes communiqué des documents comptables à l’administration, les pièces finalement primordiales, à savoir les justificatifs des recettes en espèces, n’ont pas pu être fournies à l’administration, de sorte que les déclarations afférentes de la demanderesse n’ont pas pu être retracées par l’administration, justifiant dès lors le recours à la procédure de la taxation d’office.
c.
Quant aux montants retenus La société … critique de prime abord les marges retenues par le service de révision et ensuite par le bureau d’imposition, en soutenant que les différents bulletins d’imposition auraient été établis sur base d’un rapport qui n’expliquerait ni ne justifierait les variations des montants respectifs, le reviseur se voyant en particulier reproché de pas avoir tenu compte de l’explicatif des marges bénéficiaires remis par le restaurateur et sa fiduciaire.
La demanderesse, dans cet ordre d’idées, critique le fait que le réviseur ait présenté à plusieurs reprises le résultat de ses calculs, lesquels auraient abouti successivement à des majorations de moins en moins importantes : aussi, elle critique que les modes de calcul retenus par le réviseur n’auraient à ce jour pas été détaillés plus amplement avec des documents à l’appui. En effet les importantes variations dans le calcul des majorations seraient incompréhensibles, alors que le réviseur, sans grande explication, serait passé d’une majoration initiale de ….- euros à une majoration de …- euros. Elle en conclut que l’exactitude voire la pertinence desdits calculs serait valablement remise en question, étant donné que jusqu’à ce jour les calculs ainsi que les différentes corrections entreprises par le réviseur n’auraient jamais été expliqués et qu’elle ne disposerait d’aucune documentation à l’appui.
A cet égard, elle donne à considérer que si un réviseur conclut à une absence de comptabilité ou à une inexactitude d’une déclaration fiscale, il devrait procéder lui-même à une estimation fiscale qui se devrait d’être complète, précise et motivée et en aucun cas discrétionnaire, le réviseur devant prendre en considération toutes les circonstances qui auraient de l’importance pour l’imposition, qu’elles soient favorables ou non au contribuable ;
par ailleurs, elle estime que les constatations de l’administration fiscale ne bénéficient pas d’une présomption d’exactitude et que la charge de la preuve ne repose pas sur le seul contribuable. Au contraire, la charge de la preuve serait partagée entre l’administration et le contribuable, en ce sens que ce dernier serait dans un premier temps appelé à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt ainsi que, dans le cadre de son devoir de collaboration, les informations lui réclamées le cas échéant par le bureau d’imposition en vue d’établir les bases d’imposition et qu’il incomberait par la suite à l’administration de qualifier sinon de rencontrer utilement les déclarations et pièces produites par le demandeur.
Or, elle affirme qu’en l’espèce les bulletins d’imposition redressés ne comporteraient aucun élément de motivation spécifique permettant de justifier voire de comprendre les redressements effectués par l’administration fiscale, tandis que les lettres de réclamations envoyées et recours précontentieux exercés seraient restés sans réponse jusqu’à ce jour.
En ordre subsidiaire, la société … soulève l’approximation de la méthode utilisée pour la détermination unilatérale de ses résultats sur la base de l’estimation d’un montant de recettes théoriques. Elle souligne que l’administration des Contributions directes se serait appuyée exclusivement sur la méthode de calcul par reconstitution interne en prenant comme référence arbitraire la marge bénéficiaire obtenue pour l’exercice 2006 appliquée à l’ensemble des cinq restaurants de Monsieur …, sans prendre en compte le fait que les marges bénéficiaires pourraient être sensiblement différentes d’une année sur l’autre, et d’un lieu à l’autre. A cet égard, s’emparant du principe de l’annualité de l’impôt qui impose la fixation de l’impôt en fonction des bases d’imposition propres de l’année concernée sans que des bases d’imposition y étrangères et en relation avec d’autres années puissent entraîner automatiquement et péremptoirement une augmentation ou une diminution du résultat imposable de l’année concernée, elle conclut à ce que des augmentations forfaitaires des marges bénéficiaires telles que constatées par le service de révision ne seraient pas acceptables en tant que telles.
Dès lors, affirmant qu’il serait évident qu’une telle estimation ne saurait tenir compte de manière exacte d’un nombre très considérable de paramètres tels que l’ensemble des chutes de viandes ou de poisson lors de la découpe, de l’existence d’accord de commercialisation négociés avec les fournisseurs du restaurant, des repas servis au personnel ou encore des cadeaux commerciaux offerts aux clients, elle estime qu’il serait davantage précis et adéquat de pouvoir se référer utilement à d’autres méthodes de calcul de la marge bénéficiaire, telle que notamment la méthode de la comparaison externe avec des entreprises de la même branche utilisée de manière récurrente et la société …, en conséquence, sollicite l’instauration d’une expertise en bonne et due forme par un ou plusieurs hommes de l’art, ayant pour mission de rechercher par les méthodes les plus adéquates le bénéfice normalement réalisé dans ce genre d’établissement.
Il convient toutefois de rappeler deux particularités du présent litige, à savoir que les chiffres retenus en l’espèce par l’administration des Contributions directes sont tirés d’un rapport de révision, et que l’imposition a été établie, à défaut de pièces justificatives et de comptabilité régulière en la forme, par la voie de la taxation d’office.
Or, comme relevé ci-avant, les différents chiffres retenus par l’administration des Contributions directes, en ce compris les prix de revient d’un nombre représentatif de plats et de boissons, lesquels tiennent compte du poids ainsi que des pertes, chutes et autres des matières premières utilisées, ont été établis par le réviseur sur base de ses constatations effectuées lors de la réalisation des différents plats soit en pratique, soit en théorie, conjointement avec le chef de cuisine et l’un des responsables du restaurant concerné, de sorte que ces constatations, comme retenu ci-dessus, font dès lors foi jusqu’à preuve du contraire, de sorte qu’il appartient en l’espèce à la demanderesse de rapporter la preuve, concrètement, que ces chiffres et constats sont erronés, cette preuve lui incombant résultant d’ailleurs également en vertu de l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».
Quant aux impositions retenues, actuellement critiquées pour être discrétionnaires, celles-ci ont été établies, à défaut de toute pièce justificative probante fournie par le contribuable, par voie de taxation, laquelle, conformément à sa dénomination allemande (« Schätzung »), consiste « à déterminer et à utiliser une valeur probable et (ou) approximative, lorsque la détermination de la valeur réelle et exacte n’est pas possible9 ». Ce procédé comporte nécessairement et par définition une marge d’incertitude et d’inexactitude et la prise en compte pour l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération10.
Il est vrai que le principe d’ordre public de la détermination exacte des bases d’imposition oblige les autorités fiscales à mettre tout en œuvre pour arriver à une imposition sur des bases qui correspondent le plus exactement possible à la réalité. Au cas cependant où le contribuable met le bureau d’imposition dans l’impossibilité de déterminer de manière exacte le revenu imposable, il est censé se contenter de cette approximation, qu’elle opère en sa faveur ou en sa défaveur, et il ne saurait utilement réclamer devant le directeur contre un bulletin d’impôt établi par voie de taxation, respectivement par après devant les juridictions administratives au seul motif que la cote d’impôt fixée ne correspond pas exactement à sa situation réelle. Il ne saurait dans une telle hypothèse prospérer dans sa réclamation que s’il rapporte la preuve que ses revenus s’écartent de manière significative des bases d’imposition fixées par le bulletin d’impôt11.
Dans le cadre de la preuve à rapporter ainsi, ses déclarations ne bénéficient en effet d’aucune présomption de véracité. Aussi, le contribuable qui veut renverser la présomption découlant d’une taxation d’office doit se ménager des preuves12.
9 J. Olinger, La Procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes fiscales n°s 81 à 85, novembre 1989, page 117 n° 190, ainsi que trib. adm. 26 avril 1999, no 10156 du rôle, Pas. adm. 2011, Vo Impôts, n° 486 et autres références y citées.
10 Cour adm. 30 janvier 2001, n° 12311C du rôle, Pas. adm. 2011, Vo Impôts, n° 490 et autres références y citées.
11 Cour adm. 19 février 2009, n° 24907C, Pas. adm. 2011, Vo Impôts, n° 496 et autres références y citées.
12 Par analogie Cour adm. 19 mai 2009, n° 25152C Pas. adm. 2011, Vo Impôts, n° 500.
C’est sur cette toile de fond que le tribunal se propose d’examiner les décisions lui déférées par rapport aux moyens développés par la demanderesse, étant encore souligné que le tribunal n’a pas vocation à procéder de sa propre initiative à l’examen de la situation fiscale du contribuable sur base du dossier fiscal afférent, mais uniquement à examiner les décisions administratives lui soumises, le tribunal n’étant en effet pas appelé à faire œuvre d’administration par rapport à une situation générale donnée, mais à juger une décision administrative par rapport aux moyens lui opposés par un administré, quitte à réformer celle-
ci en les points jugés illégaux ou erronés.
La demanderesse critique ainsi que le bulletin d’imposition ait été établi sur base du rapport de révision qui limite, pour 2006, le poste « marchandises au personnel » à .. € avant d’adapter ce poste sur … € pour rajouter un poste marchandises personnel extra à concurrence de … € et elle affirme que les marchandises au personnel seraient à leur coût réel à évaluer à un montant proche du double. Elle estime ainsi plus précisément que le rapport de révision ne tiendrait compte que du montant des fournitures au personnel correspondant au « prix légal » s’agissant de celui prévu en moyenne au titre d’avantages en nature suivant le « règlement grand-ducal du 28 décembre 1999 » (sic), et ce alors que le coût réel devrait être appliqué à l’entreprise et non un montant à caractère forfaitaire et social pour l’imposition du personnel.
Le tribunal ne saurait cependant admettre ce reproche pour une double raison : d’une part, il résulte du rapport de révision que le réviseur, contrairement aux contestations de la demanderesse, a évalué les marchandises offertes au personnel au coût réel13, mais que le coût réel retenu diffère de celui préconisé par le restaurateur, basé sur les prix de fin 2008 - qui par définition n’ont pas pu être effectivement appliqués aux marchandises pour la période couverte par la révision (2001 à 2006) ni être pris en compte par le rapport clôturé le 19 janvier 2009 -, tandis que le réviseur s’est basé sur les prix du début de l’année 2008, encore que ceux-ci aient été supérieurs aux prix constatés pour la période vérifiée, et d’autre part, que la demanderesse, au-delà de ses affirmations, reste en défaut de verser une quelconque pièce justifiant ses affirmations quant à un coût supérieur à appliquer.
La société … affirme ensuite que le bulletin d’imposition n’aurait pas non plus tenu compte d’un autre reproche formulé à l’égard du dernier rapport en date, à savoir celui que la détermination du prix de revient d’une pension complète et d’une demi-pension se serait fait selon un prix de référence pour la pension complète de … € par jour et pour la demi-pension de … € par jour, alors que le coût réel se chiffrerait à … € respectivement … € par jour, montant qui ne tiendrait pas compte du fait que le personnel s’approvisionne encore au courant de la journée.
Le tribunal ne saurait à cet égard que constater, outre que cette argumentation reste en l’état de pure allégation, la demanderesse ne versant aucune pièce documentant cette affirmation, et que le tribunal en l’état actuel d’instruction du dossier ne saurait déceler où le réviseur aurait retenu un prix de référence pour la pension complète de … € par jour et pour la demi-pension de … € par jour, ledit rapport ne mentionnant pas de tels chiffres, de sorte que l’argumentation de la demanderesse n’est pas retraçable, que le réviseur a expressément indiqué pourquoi il n’a pas suivi le restaurateur en ses explications, ce dernier tablant en effet sur 365 jours travaillés par an, c’est-à-dire sans tenir compte des jours de repos, de congés légaux et des jours fériés, alors que le réviseur s’est quant à lui basé sur le relevé détaillé du personnel qui a profité soit d’une pension complète, soit d’une demi-pension.
13 Voir p. 11/11 du rapport de révision.
La société … reproche ensuite à l’administration des Contributions directes de ne pas avoir tenu compte des observations du restaurateur relatives aux pourcentages des déchets des marchandises qui peuvent aller notamment pour la viande et les poissons jusqu’à 60 %, la demanderesse critiquant plus particulièrement le fait que le réviseur n’aurait pas tenu compte des digestifs et apéritifs offerts et qu’il aurait retenu que le restaurant n’aurait recours qu’à des marchandises congelées, alors qu’il vendrait une quantité importante de saumon frais, pour lequel il y aurait des pertes de 60 %, tandis que les soles, les scampis et les calamars présenteraient une perte d’à peu près 20 %, de même que pour tous les poissons congelés individuellement il y aurait une perte de 20 %. Dans le même ordre d’idée, la demanderesse affirme encore que le réviseur n’aurait pas tenu compte d’un certain nombre de marchandises comme les vins, cognacs, portos et martinis blancs utilisés pour la cuisine.
Le tribunal constate à ce propos d’un côté que la demanderesse reste là encore en défaut de verser une quelconque pièce documentant ses affirmations relatives aux pertes devant être prises en compte ; or, il constate de l’autre côté que le réviseur, dans le cadre des procédures de vérification a, comme relevé ci-avant, fait réaliser contradictoirement des plats représentatifs, et qu’il a constaté au cours de ces réalisations les poids des marchandises utilisées ainsi que le pourcentage de perte14, constats qui ne sont pas énervés par les seules contestations et allégations de la demanderesse. Le tribunal relève par ailleurs que, contrairement aux affirmations de la demanderesse, le réviseur n’a pas retenu que le restaurant n’aurait recours qu’à des marchandises congelées, mais qu’il a constaté que le restaurant utilisait principalement des poissons congelés - nuance importante - ce constat étant compatible avec l’affirmation non autrement documentée de la demanderesse que le restaurant vendrait une quantité importante de saumon frais, l’un n’excluant pas l’autre. Enfin, il résulte encore du rapport de révision que le réviseur, outre le taux de chutes et pertes empiriquement constaté, a encore arrondi tous ses calculs substantiellement en faveur du contribuable, le réviseur ayant retenu pour ses calculs des poids de marchandises plus importants que ceux indiqués par le restaurateur, arrondi les prix de revient vers le haut et les marges vers le bas et ce notamment afin de tenir compte des différents éléments indiqués par le restaurateur qui seraient de nature à diminuer les marges bénéficiaires, et en particulier des pertes non constatées empiriquement15.
Le tribunal ne saurait dès lors suivre la demanderesse en ce que celle-ci affirme de manière péremptoire que le réviseur n’aurait pas tenu compte des remarques du restaurateur - le contraire résultant du rapport - et que le réviseur n’aurait instruit qu’à charge du contribuable.
Quant à la prétendue expertise réalisée par un traiteur-restaurateur à la demande du contribuable, celle-ci n’est pas de nature à satisfaire à la charge de la preuve incombant en l’espèce à la demanderesse, ladite expertise étant totalement opaque quant aux méthodes de calcul appliquées et l’origine des chiffres utilisés - étant rappelé que les recettes en espèces engrangées telles que déclarées ne sauraient être acceptées à défaut de toute pièce justificative -, et ne justifie aucunement sa conclusion selon laquelle « Ayant des taux d’engagé de marchandises en moyenne de 22%, vos restaurants font un chiffre d’affaire exemplaire », une telle conclusion, non justifiée par un quelconque élément de comparaison objectif, devant être considérée comme une simple allégation dépourvue de toute valeur.
Quant à la demande de nomination d’un expert chargé de se prononcer sur la base de calcul retenue par l’administration, il convient de rappeler, d’une part, que cette demande ne rencontre pas l’obligation imposée au contribuable taxé de rapporter la preuve des faits 14 Voir p.5/11, 10/11 et 11/11 du rapport de révision.
15 Voir p.7/11 du rapport de révision.
réduisant la cote d’impôt et d’autre part, qu’aux termes de l’article 351 du Nouveau code de procédure civile, une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver, une mesure d’instruction ne pouvant en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve. Or en l’espèce, les recettes en espèces, et partant les marges bénéficiaires en résultant, auraient pu être aisément établies par la production des factures et des relevés des caisses enregistreuses, pièces que la demanderesse a sciemment détruites.
En ce qui concerne le fait que le restaurateur avait signé un accord de commercialisation dans le cadre duquel elle aurait consenti à l’octroi d’une réduction su r présentation d’une carte zébra à concurrence de 15%, fait qui selon la demanderesse aurait entraîné des remises faisant un montant total annuel approximatif de … € dont le réviseur n’aurait pas tenu compte, force est au tribunal de constater que si la demanderesse verse certes ledit accord de commercialisation, dont il ressort que le restaurateur accordera effectivement « une remise de 15 % sur la facture globale pour 1 à 4 personnes, toutes les boissons étant comprises » sur présentation de bons ou de cartes de membres (non identifiés), cet accord à lui seul - et en particulier en l’absence de la production de toute facture - n’est pas de nature à établir que de telles remises aient effectivement été consenties, et encore moins que le total des remises se soit chiffré à un montant annuel de … €, cette affirmation devant là encore être considérée comme restant en l’état de pure allégation.
Enfin, si la demanderesse invoque de manière générale le principe général du droit de la confiance légitime, en ce sens qu’elle demande à l’autorité administrative qu’elle se conforme à son attitude qu’elle avait suivie dans le passé, à savoir accepter sa déclaration, réalisée de la même manière que celles des années précédentes, sans émettre de bulletins d’imposition rectifiés, il convient de souligner qu’un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines16.
Or, en l’espèce, outre que conformément au principe de l’annualité de l’impôt, inscrit à l’article 1er de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu - principe d’ailleurs également invoqué par le contribuable -, la fixation de l’impôt doit se faire en fonction des bases d’imposition propres de l’année concernée sans que des bases d’imposition y étrangères et en relation avec d’autres années puissent entraîner automatiquement et péremptoirement une fixation déterminée de l’année concernée, la demande formulée par la société … se heurte à la possibilité dont dispose l’administration des Contributions directes de procéder annuellement au contrôle des déclarations d’impôts conformément au paragraphe 204 AO et à son droit, voire à son devoir, en cas de doutes, de procéder à des investigations supplémentaires conformément au paragraphe 171 AO, l’administration des Contributions directes ne pouvant en effet se voir opposer pour les exercices fiscaux postérieurs le fait qu’elle n’ait pas procédé - pour quelques raisons que ce soit - à des investigations supplémentaires à l’occasion d’un ou de plusieurs exercices fiscaux antérieurs.
16 Voir par analogie trib.adm 25 janvier 2010, n° 25548, confirmé sur ce point par arrêt du 18 mai 2010, 26683C, Pas. adm. 2011, V° Etrangers, n° 248, ainsi que trib.adm. 12 décembre 2011, n° 27543, www.ja.etat.lu.
Il se dégage dès lors des développements qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé, aucun autre moyen n’ayant été soulevé par la société … à l’encontre des bulletins déférés.
La demanderesse réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- €., demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
le déclare cependant non fondé et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
met les frais à charge de la demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2012 par :
Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 octobre 2012 Le Greffier du Tribunal administratif 19