Tribunal administratif Numéro 28685 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2011 2e chambre Audience publique du 15 octobre 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28685 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2011 par Maître Claudia Monti, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Congo), de nationalité congolaise, demeurant à …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 25 février 2011 portant refus de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … basée sur le regroupement familial ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Claudia Monti et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juillet 2012 ;
Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 3 août 2012 par Maître Claudia Monti au nom du demandeur ;
Vu le mémoire complémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 août 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 septembre 2012.
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Par courrier du 29 décembre 2010, Monsieur … introduisit auprès du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », par l’intermédiaire de son litismandataire, une demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … basée sur le regroupement familial conformément à l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».
Par décision du 25 février 2011, le ministre refusa de faire droit à la demande d’autorisation de séjour précitée aux motifs et considérations suivants :
« J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 29 décembre 2010 ainsi qu'à la demande en obtention d'une autorisation de séjour en qualité de membre de famille dans le chef de Madame … qui m'est parvenue en date du 19 novembre 2010.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à la requête. En effet, selon l'article 69, paragraphe (1), point 1. de loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d'un titre de séjour d'une durée de validité d'au moins un an et qui a une perspective fondée d'obtenir un droit de séjour de longue durée et qui séjourne depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois peut demander le regroupement familial des membres de famille définis à l'article 70 s'il rapporte la preuve qu'il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et [à] ceux des membres de [sa] famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale.
Selon l'article 6 du règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, le niveau des ressources du ressortissant de pays qui sollicite le regroupement familial des membres de sa famille est apprécié par référence à la moyenne du taux mensuel du salaire social minimum d'un travailleur non qualifié sur une durée de douze mois.
Or, Monsieur … est bénéficiaire du revenu minimum garanti qui est de par la loi destiné à garantir un minimum vital à lui-même ainsi qu'à son fils et non à d'autres personnes. De ce fait, votre mandant ne pourra pas subvenir aux besoins de son épouse.
À titre subsidiaire, Madame … ne remplit pas les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une des catégories d'autorisation de séjour prévues par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Conformément à l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée, l'autorisation de séjour lui est refusée (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision de refus du 25 février 2011.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient que le recours serait à déclarer irrecevable pour avoir été introduit en dehors du délai légal. Dans ce contexte, il relève tout d’abord que la décision déférée daterait du 25 février 2011, tandis que le recours n’aurait été introduit qu’en date du 31 mai 2011, de sorte que celui-ci serait à déclarer tardif et partant irrecevable.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale ne fixent un délai de recours en matière de refus de demande d’autorisation de séjour, il y a lieu de se référer à l’article 13, paragraphe 1er, de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives selon lequel « (1) Sauf dans les cas où les lois ou les règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance (…) » Selon l’article 1258 du Nouveau code de procédure civile « lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, il expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la signification qui fait courir le délai ».
En l’espèce, il est constant que le jour de la notification de la décision attaquée qui a fait courir le délai est le jour de la notification en mains propres de ladite décision, à savoir le 1er mars 2011. Partant, conformément à l’article 1258 du Nouveau code de procédure civile, précité, applicable au litige eu égard au fait que le délai litigieux est exprimé en mois, le délai de recours contentieux a expiré le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour de la notification de la décision attaquée, c’est-à-dire le 1er juin 2011.
Le recours du demandeur du 26 mai 2011 a partant été déposé dans le délai légal.
Le délégué du gouvernement fait encore valoir que le recours en réformation dirigé contre la décision du 25 février 2011 serait irrecevable, étant donné qu’aucune disposition légale n’instaurerait de recours au fond en la matière des autorisations de séjour.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaurent de recours au fond en la matière des autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle de refus déférée et le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur, bénéficiant du statut de réfugié suivant décision du ministre du 4 mars 2010, expose avoir dû fuir, ensemble avec son fils …, son pays d’origine, le Congo, en 2004. Faute de disposer de moyens financiers suffisants, Madame …, mère de l’enfant … et épouse du demandeur depuis le 5 juin 2010, le mariage ayant été célébré par procuration, serait restée au Congo où elle aurait vécu cachée depuis son départ. Depuis son départ du Congo, il serait cependant toujours resté en contact par voie téléphonique avec son épouse et dès qu’il lui aurait été matériellement possible, il l’aurait fait venir au Luxembourg, sachant qu’en mai 2012, Madame … aurait donné naissance à une petite fille.
Quant au fond, le demandeur soutient que la décision déférée qui emporterait comme conséquence la séparation des enfants de leur mère violerait leurs droits fondamentaux reconnus par l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, l’article 10 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, les articles 3 et 8 de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « CEDH », les articles 7 et 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi que l’article 9.1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Il y a lieu de préciser qu’il appartient au tribunal, au vu de l’ensemble des actes de procédure et pièces versées au dossier, de déterminer la suite de traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, de sorte qu’il s’agit tout d’abord de statuer sur le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la CEDH qui reconnaît directement des droits aux personnes.
Aux termes de l’article 8 de la CEDH « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » L’article 8 de la CEDH est applicable en cas de refus de délivrance d’une autorisation de séjour dans la mesure où même si le ministre dispose en vertu des dispositions nationales de la faculté de procéder au refus de délivrance d’une autorisation de séjour, et s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH.
Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.
Il convient dans ce contexte de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. Pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus du titre de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.
Il y a lieu de constater que le demandeur justifie, en l’espèce, l’existence d’une vie familiale ou privée au sens de l’article 8 de la CEDH susceptible d’être protégée par le biais de cette disposition.
Il se dégage en effet des pièces soumises au tribunal par le demandeur que ce dernier, malgré son départ du Congo en 2004, a maintenu, dans la mesure du possible, le contact, par voie téléphonique avec Madame … et qu’il a accompli toutes les démarches pour officialiser leur mariage au Congo, démarches qui se sont concrétisées par la célébration de leur mariage par procuration devant le bourgmestre de la commune de … le … juin 2010. Par ailleurs, dès son arrivée au Luxembourg en 2011, Madame … a repris la vie familiale avec le demandeur et leur fils ….
Il s’ensuit qu’au regard de ces éléments du dossier, le demandeur a justifié l’existence d’une vie familiale susceptible d’être protégée à travers l’article 8 de la CEDH, de sorte que la décision déférée encourt l’annulation, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens.
Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 25 février 2011 refusant l’autorisation de séjour à Madame … et renvoie le dossier en prosécution de cause devant ledit ministre ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 15 octobre 2012 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 octobre 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 5