Tribunal administratif N° 31149 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2012 2e chambre Audience publique du 1er octobre 2012 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31149 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2012 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie) et de son épouse, Madame …, née le … à … (Montenégro), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, né le … à … (Serbie), …, né le … à … et …, née le … à …, tous de nationalité serbe et demeurant actuellement ensemble à …, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 24 juillet 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 24 juillet 2012 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 août 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Louis Tinti, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 septembre 2012.
En date du 21 mai 2012, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants …, … et …, ci-après dénommés « les consorts … », introduisirent une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, les consorts … furent entendus par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur … et Madame … furent en outre entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, en date du 18 juillet 2012 sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 24 juillet 2012, notifiée par courrier recommandé du 31 juillet 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
La décision est libellée de la façon suivante :
« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 21 mai 2012.
En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de vos demandes de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous trois des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « les demandeurs, en déposant leurs demandes et en exposant les faits, n'ont soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) il apparaît clairement que les demandeurs ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) les demandeurs proviennent d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi ».
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 21 mai 2012 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 18 juillet 2012.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez été au Luxembourg il y a quatre années pendant quatre mois. Vous auriez travaillé pour l'entreprise allemande … pour construire un … à …. Vous auriez aussi été en Allemagne il y a trois ans, ainsi qu'en 2011. En outre, vous auriez été plusieurs fois en Autriche et aux Pays-Bas au cours des sept dernières années.
Selon vos dires, vous auriez introduit une demande de protection internationale parce que vous auriez des problèmes familiaux. Votre beau-frère aurait été assassiné par votre cousin en 2001. Il aurait reçu une peine de prison de quatorze ans. Il y a quatre ans, il aurait perdu un œil lors d'une bagarre en prison. Vous auriez alors été accusé par les autres membres de la famille que vous auriez organisé cette bagarre et vous recevriez constamment des menaces. Comme votre cousin aurait perdu un œil, il bénéficierait d'une réduction de peine de deux ans et vous auriez entendu qu'il pourrait sortir cette année.
Vous n'auriez jamais déposé de plainte auprès de la police, puisqu'elle n'agirait pas.
Vous indiquez que vous n'auriez pas pu déménager parce qu'à …, il y aurait 90% de musulmans, mais le reste de la Serbie se composerait majoritairement d'orthodoxes.
Madame, vous confirmez les dires de votre époux.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, vos demandes de protection internationale ne sont basées que sur des motifs relevant de la compétence du droit commun ne répondant à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. Il y aurait des problèmes familiaux entre votre famille et votre belle-famille. Or, de tels problèmes ne rentrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la prédite loi du 5 mai 2006 et ne sauraient être considérés comme des actes de persécution. En effet, les menaces reçues doivent être considérées comme des délits de droit commun commis par des personnes privées du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation serbe.
S'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. Vous affirmez que vous n'auriez pas porté plainte parce que le système judiciaire ne fonctionnerait pas convenablement en Serbie. Il ne ressort pas des rapports d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre des personnes qui vous auraient menacé.
Il y a lieu de rappeler dans ce contexte que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée. Or, puisque vous n'avez jamais déposé de plaintes, il ne peut être établi que les autorités nationales auraient refusé de prendre en compte vos problèmes.
Vous dites que vous n'auriez pas pu vous adresser à la police parce qu' « il y a une différence entre la police de chez nous et d'ici. Là-bas ils attendent qu'il se passe quelque chose avant qu'ils agissent. Selon eux il faut qu'une tête tombe avant qu'ils agissent » (p. 3/6).
Or, il ressort des informations dont dispose le Service des Réfugiés que, au cas où la police serbe ne ferait pas convenablement son travail dans certaines circonstances, il existe plusieurs possibilités de dénoncer d'éventuels abus de pouvoir de la part des policiers. Dans le courant de 2008, des initiatives ont été prises pour améliorer les méthodes habituelles de travail en vue d'une intervention plus responsable de la part de la police. Le Ministère serbe de l'Intérieur, en collaboration avec l'OSCE, a par exemple rédigé des brochures d'information destinées au public, pas uniquement en serbe mais aussi dans les autres langues parlées en Serbie, parmi lesquelles le romani, l'albanais et le croate, concernant la marche à suivre pour porter plainte contre des agents de police. L'organe de contrôle interne susmentionné prend des mesures disciplinaires contre les agents suspectés d'abus de pouvoir et de corruption, et veille à l'effectivité des poursuites judiciaires si nécessaire. Bien que la situation soit encore améliorable, surtout pour ce qui est des effectifs et de la formation, ce système consistant à traiter les plaintes de façon discrète fonctionne convenablement. Ainsi par exemple, de janvier à août 2010, 307 plaintes ont été introduites au pénal et 2600 procédures administratives ouvertes à l'encontre de la police, ce qui constituait une augmentation significative par rapport aux années précédentes.
Madame, Monsieur, vous dites que vous n'auriez pas pu quitter … parce que le reste de la Serbie se composerait majoritairement d'orthodoxes. En outre, vous n'auriez pas les moyens financiers pour déménager. Or, il y a lieu de relever que non seulement il y a plus de 15% de musulmans dans le district de …, mais également dans le district de … au Sud de la Serbie. Ainsi, il ne ressort pas du dossier qu'il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre région de la Serbie pour ainsi profiter d'une possibilité de fuite interne. En outre, des raisons économiques ne sauraient davantage justifier une demande d'asile politique.
Monsieur, notons également qu'au cours des dernières années, vous auriez été au Luxembourg, en Allemagne, au Pays-Bas et en Autriche pour travailler (p. 2/10). Or, les problèmes dont vous faites état remonteraient à 2008. Il est donc surprenant que vous n'auriez pas introduit une demande d'asile lors de vos visites en 2011, si la gravité particulière des actes dont vous dites être victimes serait effectivement telle qu'à les faire valoir comme actes de persécution.
Enfin, en vertu de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection et du règlement grand-ducal du 1er avril 2011 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, la République de Serbie doit être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève. Le constat de pays d'origine sûr n'a pas pu être contredit par l'examen individuel de vos demandes de protection internationale. Cet aspect est d'autant plus conforté par le fait qu'en date du 1er mars 2012 la République de Serbie a obtenu le statut de candidat officiel à l'Union Européenne.
Madame, Monsieur, vous ne faites donc pas état de problèmes, discriminations ou persécutions concrètes et personnelles, de sorte que vous ne soulevez que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et que par conséquent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ne sont clairement pas remplies.
Par conséquent, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation de vos demandes de protection internationale, des motifs relevant de la compétence du droit commun ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Serbie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.
(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2012, les consorts … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 24 juillet 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
A l’appui de leur recours, et quant aux faits, les demandeurs font exposer être de nationalité serbe et de religion musulmane et avoir été obligés de quitter leur pays d’origine, à savoir la Serbie, en raison du fait d’avoir été victime de menaces graves de la part du cousin du demandeur, à savoir le dénommé … qui serait sur le point d’être libéré après avoir purgé une peine de réclusion criminelle du chef de l’assassinat du frère de la demanderesse. Ils ajoutent dans ce contexte que les menaces dont ils auraient fait l’objet de la part du dénommé … se seraient accentuées depuis quatre années, c’est-à-dire depuis que le dénommé … aurait fait l’objet d’un « incident » au cours duquel il aurait perdu un œil, incident dont il leur attribuerait la responsabilité, du fait qu’il serait convaincu qu’ils auraient cherché à se venger du meurtre du frère de Madame ….
Quant à la possibilité d’obtenir une protection interne de la part des autorités serbes, les demandeurs font état de la prétendue inefficacité de celles-ci, de sorte qu’ils auraient renoncé à déposer plainte auprès de la police.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir évalué correctement leur situation en décidant d’user de la procédure accélérée, au motif qu’ils tomberaient sous les paragraphes a), b) et c) de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, appréciation que les demandeurs contestent formellement.
En effet, les demandeurs estiment qu’ils auraient invoqué des faits présentant une pertinence au regard des critères établis par la loi du 5 mai 2006 en vue de la reconnaissance d’un statut de protection internationale, en ce qu’ils ont fait état de menaces qui pèseraient sur eux dans leur pays d’origine de la part d’une personne privée contre laquelle les forces de l’ordre ne seraient pas en mesure de les protéger.
Ils estiment encore dans ce contexte que la Serbie ne saurait être considérée, en ce qui les concerne, d’un pays d’origine sûr au vu du risque pour leur vie auquel ils seraient confrontés en cas de retour dans leur pays d’origine.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.
La décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), b) et c) de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, force est au tribunal de constater que les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
En ce qui concerne le cas énuméré au point c) de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, force est de constater qu’aux termes de l’article 21 de cette même loi : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international de droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ses droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal du 1er avril 2011 ayant modifié celui du 21 décembre 2007 fixant la liste des pays d’origine sûr au sens de la loi du 5 mai 2006, la Serbie a été reconnue comme étant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité serbe et qu’ils ont habité en Serbie avant de venir au Luxembourg. Il y a partant lieu d’en conclure que c’est a priori à bon droit que le ministre a pu conclure que les demandeurs proviennent d’un pays d’origine sûr. S’il est certes exact que l’énumération d’un pays sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, force est au tribunal de constater que les moyens invoqués en l’espèce par les demandeurs ne sont pas de nature à renverser cette présomption.
En effet, l’analyse de la situation personnelle des demandeurs ne permet pas d’en dégager des éléments suffisants impliquant que ce constat ministériel s’en trouve ébranlé, étant relevé que les éléments d’information soumis par les demandeurs ne sont pas de nature à mettre en doute la présomption que la Serbie est à qualifier de pays d’origine sûr au sens du règlement grand-ducal précité. En effet, le simple fait d’avoir fait l’objet de menaces de la part du meurtrier du frère de la demanderesse n’est pas de nature à faire conclure que dans le chef des demandeurs la Serbie n’est pas à considérer comme constituant un pays d’origine sûr.
Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu conclure que les demandeurs proviennent d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 20, paragraphe (1) c), respectivement de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale.
Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20, paragraphe (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006.
2) Quant au recours en réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs font valoir en substance qu’ils rempliraient les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié politique. Ils se réfèrent à cet égard plus particulièrement à un rapport d’audit sur la situation de la justice en Serbie réalisé en 2012 par les magistrats honoraires … pour compte de … (…) pour conclure, au vu du contenu dudit rapport, que la Serbie ne serait pas en mesure de les protéger au vu du fonctionnement défaillant des autorités de police et des autorités judiciaires. Ils estiment ainsi que le système judiciaire serbe serait actuellement ébranlé par une situation de crise à laquelle s’ajouteraient des insuffisances au niveau des forces de police serbes qui se trouveraient confrontées à une criminalité organisée de nature à menacer « les équilibres internes du pays ».
En considération de ces éléments ayant trait à la situation générale régnant actuellement en Serbie, les demandeurs soutiennent qu’ils ne pourraient bénéficier d’une protection efficace de la part desdites autorités serbes en cas de libération prochaine du meurtrier du frère de la demanderesse. Ils ajoutent qu’en raison de leur appartenance à la communauté religieuse des musulmans, il leur serait impossible de pouvoir bénéficier d’une protection interne, à l’extérieur du Sandjak, étant donné que « le reste de la Serbie » serait composé majoritairement d’orthodoxes.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et en vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.
Une crainte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine. En effet, aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, (…) ».
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions, ainsi que les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
En effet, il ressort sans équivoque des déclarations des demandeurs, telles qu’actées aux procès-verbaux d’audition du 18 juillet 2012 que les demandeurs ont uniquement quitté leur pays d’origine, à savoir la Serbie, en raison des problèmes, notamment sous forme de menaces, qu’ils auraient rencontrés avec le meurtrier du frère de la demanderesse, qui souhaiterait se venger sur eux.
Le tribunal estime qu’il n’est pas établi que ces problèmes et menaces auraient trouvé leur origine dans un des critères prévus à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Il y a partant lieu de retenir de ce qui précède que les craintes dont les demandeurs font état et le risque éventuel afférent se rattachent partant exclusivement à un litige privé avec un dénommé …, sans être fondés sur leur appartenance à une race, une religion, une nationalité, une tendance politique ou un certain groupe social.
Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas fait état et n’ont pas établi des raisons de nature à justifier dans leur chef dans leur pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.
Le recours des demandeurs est par conséquent à déclarer non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre de leur accorder le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs soutiennent vivre « dans une situation de terreur quotidienne sans que les autorités répressives soient en mesure d’empêcher l’acte de vengeance projeté (…) par le meurtrier du frère de [la demanderesse] », de sorte qu’ils devraient entrer dans le champ d’application de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne les problèmes dont les demandeurs ont ainsi fait état et qu’ils déclarent avoir rencontrés dans leur pays d’origine avec le dénommé …, voire avec des personnes liées à celui-ci, le tribunal relève que ces problèmes sont également insuffisants pour établir dans leur chef un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Force est également au tribunal de relever que les demandeurs ont déclaré n’avoir jamais encore directement fait l’objet de menaces de la part du dénommé … et d’avoir seulement entendu par l’intermédiaire de personnes proches de celui-ci qu’il proférerait des menaces à leur égard. Ces menaces n’ont d’ailleurs jamais été suivies d’actes concrets à l’heure actuelle.
Il y a lieu de constater que le tribunal ne s’est pas vu soumettre de la part des demandeurs des éléments susceptibles d’établir, sur base des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre de la demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que les demandeurs encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité. Plus particulièrement, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit en l’absence d’autres éléments que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
Les demandeurs sollicitent l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans cependant formuler de moyens à l’appui de leur recours.
Le tribunal vient de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire. A défaut d’un quelconque moyen, le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 24 juillet 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 24 juillet 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 24 juillet 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 1er octobre 2012 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 octobre 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 12