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29/08/2012 | LUXEMBOURG | N°30804

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 août 2012, 30804


Tribunal administratif Numéro 30804 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 29 août 2012 Recours formé par Monsieur … … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30804 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2012 par Maît

re Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au...

Tribunal administratif Numéro 30804 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 29 août 2012 Recours formé par Monsieur … … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30804 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2012 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (Bosnie-Herzégovine), et de son épouse, Madame … …-…, née le … à … (Bosnie-

Herzégovine), tous deux de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à …., tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 25 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 25 juin 2012 portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gaëlle RELOUZAT, en remplacement de Maître Frank WIES, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 août 2012.

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Le 26 avril 2012, Monsieur … … et son épouse, Madame … …-…, ci-après dénommés « les époux …», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-

après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, les époux … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 15 juin 2012 et son épouse Madame …-… le 7 juin 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par une décision du 25 juin 2012, notifiée par envoi recommandé du 26 juin 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les époux … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que leurs demandes avaient été rejetées comme non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire endéans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 26 avril 2012.

En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de vos demandes de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous deux des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « les demandeurs, en déposant leurs demandes et en exposant les faits, n'ont soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

c) les demandeurs proviennent d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi. » En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 26 avril 2012 et les rapports de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 7 et 15 juin 2012.

Madame, il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu des scènes terribles pendant la guerre entre 1992 à 1995. Après la guerre, vous n'auriez pas pu jouir de vos droits ni exprimer vos convictions religieuses puisque 99 % de la population à … serait serbe. Vous auriez des troubles psychiques liés à la guerre pour lesquels vous auriez eu des médicaments.

Pour commémorer les victimes, vous vous rencontreriez chaque année au cimetière. Vis-à-vis du cimetière des serbes vous provoqueraient en mettant de la musique et en jetant des cailloux. Cependant, vous n'auriez jamais déposé une plainte parce que les policiers seraient également des Serbes. Vous soutenez qu'en Bosnie, les gens au pouvoir et dans les institutions officielles seraient encore les mêmes que pendant la guerre.

Vous continuez vos dires en affirmant qu'après la guerre, vous auriez déménagé à … et vous y auriez aussi travaillé. En mars 2012, vous auriez perdu votre travail et vous auriez essayé de vous installer à …. Cependant, on vous aurait dit d'aller à … pour trouver un emploi, puisque la communauté musulmane y serait plus représentée. Mais, vous affirmez que vous n'auriez nulle part trouvé du travail. De plus, vous ne pourriez pas retourner à … parce que les Serbes y seraient majoritaires et l'Etat ne construirait pas de mosquée dans les villages autour.

Monsieur, vous confirmez les dires de votre épouse et vous indiquez que vous n'auriez pas de problèmes, mais que vous seriez venu à cause de votre épouse. De plus, vous dites avoir quitté le pays parce que vous ne pourriez pas aller à … en raison de votre conviction musulmane. Vous n'auriez également pas pu rester à … parce que la fédération vous aurait dit de trouver un emploi à …. En outre, dans votre village natal, …, vous n'auriez pas non plus eu de travail. En cas de retour en Bosnie, les problèmes psychiques de votre épouse s'exacerberaient.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, vos demandes de protection internationale ne sont basées que sur des motifs d'ordre privé relevant du droit commun et d'ordre économique.

Madame, en premier lieu, il y a lieu de souligner que les événements datant de la période de 1992 à 1995 sont trop éloignés dans le temps pour fonder une demande en obtention de protection internationale en avril 2012. En effet, en brossant la situation actuelle de la Bosnie-Herzégovine, force est de constater que la situation a nettement amélioré depuis la fin du conflit : « Bosnia and Herzegovina is a potentiel candidate for EU membership. (…) Development of civil society in Bosnia and Herzegovina continues to be supported under the Civil Society Facility, with the emphasis on building the capacity of government institutions and civil society to engage in a dialogue, reinforcement of local democracy, environment and climate change. (..) Overall, the administrative resources for the Parliamentary Assembly of Bosnia and Herzegovina, the Federation Parliament and the Republika Srpska National Assembly have improved. (…) The political authorities of Bosnia and Herzegovina, as well as representatives from judicial institutions at the various levels, have engaged in a Structured Dialogue on Justice with the EU. This dialogue was launched in June 2011, within the framework of the Stabilisation and Association Process, to facilitate the revision of legislation and functioning of institutions in line with relevant European standards and aiming at ensuring an independent, effective, impartial and accountable judicial system. » En ce qui concerne les problèmes avec vos voisins serbes que vous rencontreriez chaque année au cimetière, force est de constater qu'il s'agit d'actes émanant de personnes privées. Ainsi, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. Il ressort clairement des rapports d'entretien que vous n'avez pas requis la protection des autorités de votre pays.

Il n'est donc pas démontré que celles-ci seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection contre les insultes et provocations de vos voisins. Par ailleurs, vous auriez vécu à … sans pour autant faire état d'un quelconque problème de cette nature. Ajoutons également que votre crainte de vous faire insulter par des personnes non autrement identifiées n'est pas d'une gravité suffisante pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique.

Ajoutons également que 40% et donc la majorité de la population bosnienne est de conviction musulmane. Par conséquent, il est surprenant que vous dites avoir eu beaucoup de problèmes en raison de votre appartenance religieuse. De plus, sachant que presque la moitié de la population est musulmane, il est peu crédible que vous n'auriez pas pu vous installer ailleurs dans votre pays d'origine et ainsi profiter d'une fuite interne et ainsi résoudre vos soi-disant problèmes liés à votre conviction religieuse.

Concernant vos soucis à l'encontre de la police serbe, il y a lieu de relever les progrès institutionnels qui ont été faits: « Some progress was made in police matters.

Implementation of the police reform laws is slowly advancing. Police reform agencies and boards started to be operational. During the reporting period, the Directorate for coordination of police bodies (DPC) was regularly reinforced. Amendments to the State-

level Law on police officials were adopted, including extension of the transitional provisions for recruitment of active police officers to State-level police bodies. This allows the DPC to recruit high-ranking police officers from other police agencies. The DPC incorporated the Office for Cooperation with Interpol and took over the Department for protection of people and buildings, which was previously under the State Protection and Investigation Agency (SIPA)». Bien que des progrès restent à être effectués, il ne ressort pas de nos recherches que la police ne veut ou ne peut pas vous offrir une protection.

En outre, vous faites état de problèmes psychologiques. Or, en premier lieu, il y convient de souligner que des raisons médicales ne sauraient justifier une demande de protection internationale. Toutefois, il est évident de souligner que la Bosnie a, sur les niveaux fédéraux ainsi que fédéral, fait des progrès en termes de santé publique comme le constate la Commission Européenne dans son rapport d'octobre 2011 « Good but uneven progress can be reported in public health policy. The Council of Ministers adopted a revised roadmap for EU integration for the health sector. The Federation adopted a strategy on sexual and reproductive health. The Federation and Republika Srpska adopted legislation implementing the laws on healthcare and organ transplantation. The Federation adopted amendments to the Law on health insurance harmonised with the provisions of the Law on the unified system and registration control and collection of contributions. It amended the Law on limited use of tobacco products in line with provisions of Framework Convention of the WHO on Tobacco Control. It adopted amendments to the Law on the improvement of quality, safety and accreditation in health care. The Federation adopted bylaws implementing the Law on blood and blood components. Republika Srpska adopted a rulebook on infectious diseases. The conference of health ministers met regularly. The institutional capacity to produce reliable statistical data on health improved and a common set of reporting indicators harmonised with European standards was developed. ». Le rapport continue de soulever les progrès particuliers qui ont été faits au niveau des troubles mentaux, problèmes dont vous faites référence : « Progress can be reported in the area of mental health. The Federation amended the Law on protection of persons with mental disorders improving the protection of human rights and dignity of persons with mental disorders as well as the legal protection of legally incapacitated adults. The Regional Health Development Centre for Mental Health in South-Eastern Europe in … became operational ».

Madame, Monsieur, vous seriez également dans l'impossibilité de trouver un emploi dans votre pays d'origine. Or, des raisons économiques ne sauraient fonder une demande en obtention d'une protection internationale. Toutefois, il y a lieu de relever que la Bosnie-Herzégovine souffre de la crise financière et économique mondiale et l'économie locale a du plomb dans les ailes : « Bosnia has a transitional economy with limited market reforms. The economy relies heavily on the export of metals as well as on remittances and foreign aid. A highly decentralized govemment hampers economic policy coordination and reform. (…) However, the country experienced a decline in GDP of nearly 3% in 2009 reflecting local effects of the global economic crisis. One of Bosnia's main economic challenges since the recession began has been to reduce spending on public sector wages and social benefits to meet the IMF's criteria for obtaining funding for budget shortfalls. (…) A sizeable current account deficit and high unemployment rate remain the two most serious macroeconomic problems. (..) Unemployment and poverty are high. Ethnic and political stalemate slow reform and discourage investment. Bosnia relies heavily on West Europe for trade and credit.

Finalement, il convient de souligner que la Bosnie-Herzégovine est un pays qui, d'après le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006, est considéré comme pays d'origine sûr.

Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation de votre demande de protection internationale, des motifs d'ordre privé relevant du droit commun, d'ordre économique et des motifs religieux ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de Bosnie-Herzégovine, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2012, les époux … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 25 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 25 juin 2012 portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

A l’appui de leur recours, les époux … exposent que Madame …-… serait musulmane de nationalité bosnienne et qu’elle serait née dans la municipalité de ….

Pendant la guerre qui s’est déroulée de 1992 à 1995, elle et l’ensemble des membres de sa communauté et de son village auraient été persécutés. Sa maison familiale aurait été détruite mais son père n’aurait pas reçu de fonds pour la reconstruire. En tant qu’adulte, Madame …-… aurait déménagé à … qui se trouverait sur le territoire de la Fédération de Bosnie et elle y aurait trouvé un travail. Elle aurait toutefois été licenciée seulement quatre mois plus tard et son poste aurait été octroyé à une personne originaire de ….

Lorsque Madame …-… aurait voulu s’inscrire au bureau de chômage à …, il lui aurait été demandé de chercher du travail à … d’où elle serait originaire. Lorsque Madame …-… se serait rendue à …, les autorités lui auraient toutefois dit de s’adresser aux autorités de la Fédération de Bosnie au motif qu’elle serait de religion musulmane et que la communauté musulmane serait plus représentée dans cette région. A cela s’ajoute que lorsqu’elle aurait voulu recevoir des fonds pour reconstruire la maison familiale détruite pendant la guerre, cette demande aurait été rejetée. Comme Madame …-… aurait régulièrement dû faire face à des rejets de la part des différentes administrations ainsi que de la part de personnes privées, tel que son ancien employeur, les époux … auraient finalement décidé de quitter la Bosnie-Herzégovine.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des époux … dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir évalué correctement leur situation en décidant d’user de la procédure accélérée au motif qu’ils tomberaient sous les paragraphes a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, appréciation que les demandeurs contestent formellement.

En effet, les époux … estiment que Madame …-… aurait à diverses reprises lors de son audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères exposé les persécutions qu’elle aurait subies étant enfant pendant la guerre. Elle aurait également fait état des discriminations dont elle aurait été victime de la part des autorités de la République serbe en raison de sa religion et celles dont elle aurait été victime de la part des autorités étatiques à … et ce en raison de son origine géographique. Ainsi, Madame …-… serait rejetée d’une part parce qu’elle ne serait pas originaire du canton de … et d’autre part parce qu’elle serait bosniaque dans une région à majorité serbe. Les époux … font encore valoir que même si les persécutions dont Madame …-… aurait été victime dateraient des années 1992-1995, les tensions seraient en train de se raviver en Bosnie-

Herzégovine du fait notamment de la volonté affichée des autorités de la République serbe de faire sécession. Il en découlerait que les discriminations dont ferait état Madame …-… ne sauraient être qualifiées de questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante.

Les demandeurs reprochent ainsi au ministre de ne pas avoir analysé les faits soulevés par eux de manière assez approfondie.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.

La décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».

Aux termes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr, soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de ladite demande en obtention d’une protection internationale ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Par ailleurs, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.

Il est constant en cause que la Bosnie-Herzégovine figure sur la liste des pays sûrs établie par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006.

Aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un pays désigné comme pays d’origine sûr est considéré comme un pays d’origine sûr pour le demandeur de protection internationale lorsqu’il possède la nationalité de ce pays ou s’il y avait précédemment sa résidence habituelle, et s’il n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité bosnienne et qu’ils ont résidé en Bosnie-Herzégovine avant de venir au Luxembourg.

S’il est certes exact que l’énumération d’un pays sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, force est au tribunal de constater que les moyens invoqués en l’espèce par les demandeurs et notamment la simple affirmation non autrement étayée que les tensions se raviveraient en Bosnie-Herzégovine et que les exactions s’y feraient plus fréquentes ne sont pas de nature à renverser cette présomption.

Il suit des considérations qui précèdent que les demandeurs n’invoquent pas des faits démontrant que la Bosnie-Herzégovine ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans leur chef.

Partant, c’est à bon droit que le ministre, après analyse de la situation concrète des demandeurs, a conclu qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr, de sorte que c’est encore à bon droit qu’il a pu décider de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

Dès lors, le recours afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs déclarent que le ministre aurait fait une erreur d’appréciation en refusant de leur accorder un statut conféré par la protection internationale. Ils rappellent à ce sujet que le génocide perpétré à … serait le pire génocide commis en Europe depuis la seconde guerre mondiale et que Madame …-… qui n’aurait été âgée que de 5 ans à l’époque, aurait été obligée de se réfugier dans la cave pour survivre et qu’elle aurait perdu plusieurs membres de sa famille. Les demandeurs rappellent également que les exactions auraient été commises sous la houlette des autorités de l’époque et que même à l’heure actuelle lorsqu’elle se rendrait sur le cimetière dans sa région natale qui se trouverait en République serbe, elle serait encore insultée et humiliée par la population locale sans que les autorités locales n’interviendraient. Madame …-… serait toujours traumatisée par les événements de l’époque et le fait qu’elle soit de nouveau rejetée en raison de ses croyances religieuses et de son origine géographique ne ferait que raviver ses mauvais souvenirs. Le fait qu’elle appartiendrait au groupe religieux majoritaire en Bosnie ne changerait rien à la situation qui ne serait d’ailleurs toujours pas pacifiée. A cela s’ajoute que toute fuite interne lui serait impossible car les personnes déplacées souffriraient également de discriminations.

Madame …-… n’aurait pu bénéficier d’aucune protection des autorités, de sorte qu’elle n’aurait pas non plus fait de démarches en ce sens. Finalement les époux … exposent que Madame …-… n’aurait pas pu bénéficier d’une thérapie adéquate dans son pays et qu’elle aurait seulement reçu des médicaments pour traiter ses traumatismes occasionnés par la guerre. Il résulterait de tout ce qui précède qu’il aurait été impossible à Madame …-… de continuer à vivre dans son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire. En vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».

Une crainte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.

Aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, (…) ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans leur pays d’origine.

La reconnaissance de la protection internationale n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur de protection internationale qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ainsi que des moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène toutefois le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

En effet, il résulte des déclarations des demandeurs telles qu’actées dans leurs procès-verbaux d’audition qu’ils ont essentiellement quitté leur pays en raison du traumatisme profond dont souffrirait toujours Madame …-… depuis la guerre qui a sévi de 1992 à 1995 et pour échapper à une situation de précarité économique.

Lors de son entretien avec l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères, Madame …-… a tout d’abord exposé qu’elle aurait vécu des scènes terribles étant enfant pendant la guerre qui s’est déroulée de 1992 à 1995. Elle souffrirait encore à l’heure actuelle de troubles psychologiques dus au traumatisme qu’elle aurait vécu. Madame …-

… a ensuite déclaré qu’en tant que musulmane d’origine bosniaque elle n’aurait pas de droits dans sa ville de naissance car 99% des gens à … seraient des Serbes. Pourtant, après qu’elle aurait perdu son travail à … – étant précisé que selon les déclarations de Madame …-…, … se trouve à proximité de … -, les autorités lui auraient dit de retourner à …. Elle n’aurait pas réussi à trouver de travail à … car les gens nés à … seraient privilégiés. Elle relève également qu’elle n’aurait pas eu le droit d’exprimer ses convictions religieuses et que l’Etat n’aurait pas construit de mosquée dans les villages autour de …. Par ailleurs, sa famille n’aurait pas bénéficié d’aides financières pour reconstruire leur maison à … après la guerre. Finalement, Madame …-… a déclaré que chaque année le 11 juillet, les familles qui ont perdu certains de leurs membres pendant la guerre se réuniraient au cimetière de … et qu’à cette occasion ils seraient à chaque fois provoqués par des Serbes qui mettraient de la musique et jetteraient des cailloux. L’époux de Madame …-… a confirmé en grandes lignes les déclarations de son épouse tout en précisant que lui-même n’aurait pas rencontré de problèmes dans son pays d’origine alors même qu’il est également musulman d’origine bosniaque et qu’il aurait avant tout décidé de venir au Luxembourg pour que son épouse ne soit plus confrontée quotidiennement aux souvenirs du traumatisme qu’elle aurait vécu pendant la guerre.

En ce qui concerne tout d’abord le traumatisme subi par Madame …-… suite aux expériences qu’elle aurait vécu pendant la guerre, le tribunal relève qu’aussi pénibles que les souvenirs doivent être pour Madame …-…, il n’en demeure pas moins que ces évènements, certes très traumatisants, sont trop éloignés dans le temps pour pouvoir fonder une demande de protection internationale. Il ressort par ailleurs des sources internationales citées par le délégué du gouvernement et le ministre que la situation régnant actuellement en Bosnie-Herzégovine n’est aucunement comparable à celle y ayant régné il y a plus de 17 ans, et ce même sans nier qu’il y a certainement toujours des tensions et problèmes liés aux graves traumatismes vécus par la population pendant la guerre. D’ailleurs et tel que souligné par le délégué du gouvernement, depuis le 24 avril 2002, la Bosnie-Herégovine est membre du Conseil de l’Europe et elle fait dans ce contexte l’objet d’un suivi rigoureux du respect de ses engagements en matière de droit et en matière de droits de l’homme. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que si la Bosnie-

Herzégovine figure sur la liste des pays sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 c’est parce qu’il a été jugé qu’il n’y existe pas, généralement et de façon constante, de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne ensuite l’affirmation de Madame …-… suivant laquelle elle ne pourrait pas retourner à … du fait que de manière générale les musulmans d’origine bosniaque n’auraient pas de droits à … parce que 99% des gens habitant là-bas seraient des Serbes, force est de constater que cette affirmation reste à l’état de pure allégation et n’est pas confortée par les quelques exemples cités par les demandeurs. En effet, pour étayer cette affirmation, Madame …-… expose notamment qu’elle aurait dû payer 2,50 euros pour son acte de naissance qui devrait être renouvelé tous les 6 mois. Le tribunal relève toutefois qu’il n’est pas établi que le fait pour Madame …-… d’avoir dû payer pour un acte de naissance soit constitutif d’un acte discriminatoire qui trouverait sa source dans un des motifs prévus par l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006. Ce même constat vaut pour l’affirmation suivant laquelle elle devrait attendre des heures lorsqu’elle souhaiterait aller chercher un certificat de nationalité ou un acte de naissance.

Pour ce qui est de l’affirmation de Madame …-… qu’elle n’aurait pas réussi à trouver de travail à … du fait que seules des personnes nées à … y seraient embauchées, force est au tribunal de constater que Madame …-… n’a fait état ni lors de son entretien avec l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères, ni dans son recours contentieux d’une discrimination personnelle et concrète qui ferait qu’elle se serait vu refuser l’accès au marché de l’emploi. Ce constat n’est pas ébranlé par le fait qu’elle aurait été licenciée au bout de trois mois dans la pharmacie dans laquelle elle aurait travaillé à … et qu’elle aurait été remplacée par une personne née à …. En effet, le seul fait qu’elle aurait été licenciée et remplacée par une personne étant née à … n’est en tout état de cause pas de nature à établir qu’elle aurait subi une discrimination à l’emploi, ce d’autant plus que les motifs à la base de son licenciement ne sont pas connus. La seule affirmation générale et non autrement étayée que les demandeurs ne jouiraient pas de tous les droits à … parce qu’ils n’y seraient pas nés et que les gens nés à … seraient privilégiés est en tout état de cause insuffisante pour établir l’existence d’un traitement discriminatoire dans leur chef. Il en est de même de l’affirmation suivant laquelle un agent du bureau de chômage à … aurait dit à Madame …-… de faire valoir ses droits dans sa ville de naissance alors qu’il est impossible au tribunal d’apprécier le fonctionnement du système de chômage bosnien. Le tribunal relève d’ailleurs que Monsieur … a déclaré quant à lui qu’alors même qu’il est également musulman d’origine bosniaque, il n’aurait personnellement jamais eu de problème pour vivre à … et qu’il aurait travaillé occasionnellement comme travailleur saisonnier.

En ce qui concerne la circonstance que Madame …-… n’aurait pas non plus réussi à trouver de travail à …, force est de constater qu’elle ne fait état d’aucune discrimination personnelle et concrète dont elle aurait été victime en voulant accéder au marché de l’emploi. Outre le fait que le tribunal ignore les démarches concrètes entreprises par Madame …-… pour trouver un emploi, il résulte par ailleurs des sources internationales citées par le délégué du gouvernement qu’en Bosnie-Herzégovine comme dans de nombreux autres pays la crise financière et économique sévit et que par conséquent tous les citoyens bosniens, sans distinction de leur ethnie ou religion, sont touchés par les répercussions de cette crise notamment sur le marché de l’emploi. Ce constat vaut d’ailleurs également en ce qui concerne les difficultés rencontrées par Madame …-… pour trouver un emploi à …. A cela s’ajoute que Madame …-… a d’ailleurs elle-même déclaré lors de son audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères qu’il n’y avait pas de travail.

Quant à l’affirmation suivant laquelle Madame …-… n’aurait pas eu le droit de consulter un médecin à …, force est de constater qu’elle déclare elle-même qu’elle n’a même pas essayé de consulter un médecin. Madame …-… ne saurait dès lors faire valoir un prétendu traitement discriminatoire dont elle aurait été victime en voulant accéder aux soins médicaux.

En ce qui concerne le fait que la famille de Madame …-… se serait vue refuser l’octroi d’une aide financière pour reconstruire leur maison à … détruite pendant la guerre, force est au tribunal de relever qu’il ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour apprécier le bien-fondé de cette affirmation. A cela s’ajoute que les demandeurs n’établissent de toute façon pas qu’alors même qu’ils auraient rempli les conditions requises, ils auraient été exclus des aides financières du seul fait de leur race, de leur religion, de leurs opinions politiques, de leur nationalité ou de leur appartenance à un certain groupe social. La simple affirmation selon laquelle les personnes au pouvoir seraient encore les mêmes que celles qui auraient tué leurs ancêtres pendant la guerre n’est en tout état de cause pas suffisante pour ébranler ce constat.

Concernant les problèmes d’ordre médical soulevés par Madame …-… et qui seraient liés au traumatisme de guerre dont elle souffrirait toujours, le tribunal relève qu’il ressort du rapport d’audition de Madame …-… qu’elle est sous traitement médicamenteux depuis plusieurs années et qu’elle a donc bien pu consulter des médecins.

Le fait que les médecins ne lui auraient pas prescrit de thérapie ou qu’ils n’auraient pas pu soulager ses troubles de manière satisfaisante ne saurait en tout état de cause s’analyser en un traitement discriminatoire.

Madame …-… a également déclaré qu’à … il lui aurait été impossible d’exprimer ses convictions religieuses parce que les Musulmans n’y seraient pas les bienvenus.

Ainsi, les Musulmans n’auraient pas pu reconstruire des mosquées détruites pendant la guerre. Le tribunal ne saurait être en mesure d’apprécier le bien-fondé de cette affirmation étant donné qu’il ne dispose pas de plus amples information relatives aux raisons pour lesquelles les autorités n’auraient pas autorisé la reconstruction des mosquées détruites. Par ailleurs, force est de constater qu’il résulte des propres dires de la demanderesse qu’à … où les époux … ont habité avant de venir au Luxembourg il y a bien une mosquée et que Madame …-… est dans l’impossibilité de dire si à … il y a ou non une mosquée.

De manière générale, le tribunal relève qu’il ressort des sources internationales citées par le délégué du gouvernement que les autorités en Bosnie-Herzégovine continuent à évoluer avec l’assistance d’organisations européennes telle que l’OSCE dans le sens d’une lutte accrue contre la discrimination et d’une défense des droits de l’homme.

Madame …-… a finalement déclaré que chaque année pour le 11 juillet les membres de sa famille qui auraient survécu à la guerre se retrouveraient au cimetière pour commémorer la mémoire de leurs morts. A cette occasion, ils seraient à chaque fois provoqué par des Serbes qui feraient des barbecues le long de la route, mettraient de la musique et jetteraient des cailloux.

Si le comportement, certes condamnable, affiché par certains citoyens serbes une fois par an est a priori fondé sur un des critères de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la religion et l’ethnie des demandeurs, il n’en demeure pas moins que ces incidents tant pris isolément que par leur effet cumulé ne sauraient être considérés comme ayant pu atteindre un niveau de gravité tel qu’ils puissent être qualifiés de persécutions au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, ce comportement ne constituant en particulier pas une violation grave des droits fondamentaux de l’homme.

Par ailleurs et à titre superfétatoire, il y a encore lieu de rappeler que les auteurs des agissements préqualifiés sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat. Les demandeurs ne sauraient dès lors faire valoir un risque réel de subir des persécutions que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective des demandeurs contre ces persécutions ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection.

L’essentiel est ainsi d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécutions de la part d’entités non étatiques, le risque réel d’être persécuté est considéré comme fondé si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection: c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 reconnaît la possibilité pour des personnes persécutées de la part d’acteurs non étatiques d’obtenir une protection internationale si l’Etat ne veut ou ne peut lui accorder une protection, tandis que l’article 29 (2) définit la protection comme suit : « Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Or, en l’espèce, il ressort des rapports d’audition des demandeurs qu’ils n’ont jamais porté plainte suite aux agissements de leurs concitoyens serbes au motif que cela ne servirait de toute façon à rien parce que les policiers seraient également serbes. Dans ces circonstances les demandeurs sont en tout état de cause malvenus d’invoquer un défaut de volonté des autorités policières bosniennes d’identifier, de poursuivre et de punir le comportement affiché par leurs concitoyens serbes.

Au vu de ce qui précède, il n’est dès lors pas démontré que les autorités bosniennes seraient dans l’incapacité de fournir aux époux … une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas fait état et n’ont pas établi des raisons de nature à justifier dans leur chef dans leur pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’octroi du statut de protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c) « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Le tribunal constate que les demandeurs fondent leur demande d’octroi du statut de protection subsidiaire sur les mêmes faits que ceux exposés à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été retenu que les faits et motifs invoqués par les demandeurs manquent de fondement, le tribunal n’aperçoit aucun élément susceptible d’établir sur la base des mêmes évènements ou arguments, qu’il existerait dans le chef des demandeurs un risque réel de subir des atteintes graves, telles que la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Par ailleurs, il ne ressort ni du dossier ni des arguments des parties que la situation qui prévaut actuellement en Bosnie-Herzégovine correspond à un contexte de violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation des demandeurs, déclaré les demandes de protection internationale comme non justifiées.

Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

3. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 25 juin 2012 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique de la décision de refus de la demande de protection internationale.

A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence du caractère fondé de leur recours en réformation.

Or, le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont pas fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’atteintes graves telles que définies à l’article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Les demandeurs font encore exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Ils font valoir qu’un retour en Bosnie Herzégovine les exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Aux termes de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Si l’article 3 de la CEDH, proscrit ainsi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Bosnie-Herzégovine, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef des demandeurs de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH1, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs en Bosnie-Herzégovine soit dans ces circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH.

1 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 25 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 25 juin 2012 portant refus d’une protection internationale au demandeur ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 25 juin 2012 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire de vacation du 29 août 2012 par :

Marc Sünnen, vice-président, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.

s. Anne-Marie Wiltzius s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier assumé 19


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 30804
Date de la décision : 29/08/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-08-29;30804 ?

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