Tribunal administratif Numéro 30787 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 22 août 2012 Recours formé par Monsieur … … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Emploi, du Travail et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30787 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2012 par Maître Jean Tonnar, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (Monténégro), et de Madame … …, née le … à … (Monténégro), agissant tant en leur nom propre qu’en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur … …, née le … à … (Monténégro), tous de nationalité monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 13 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation sinon à l’annulation de la décision du même ministre du 13 juin 2012 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à la réformation sinon à l’annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 août 2012 par Maître Jean Tonnar ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Audrey Beha, en remplacement de Maître Jean Tonnar, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 août 2012.
Le 26 avril 2012, Monsieur … … et Madame … … introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée par « la loi du 5 mai 2006 ».
En date du même jour, Monsieur … et Madame … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.
Le 30 mai 2012, Monsieur … et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’immigration, sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 13 juin 2012, notifiée par lettre recommandée expédiée le 19 juin 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé par « le ministre », informa Monsieur … et Madame … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que leur demande avait été refusée comme non fondée tout en leur enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 26 avril 2012.
En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous deux cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
c) le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi.» En mains le rapport du Service de Police Judiciaire datant du 26 avril 2012 et les rapports de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 30 mai 2012.
Il ressort du rapport de la Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays le 22 avril 2012 pour vous rendre en camionnette au Luxembourg. Vos passeports se trouveraient dans la camionnette.
Monsieur, vous dites que vous auriez vécu en Bosnie-Herzégovine, que vous seriez allé au Monténégro en 1994 et que dès lors vous y vivriez. Vous auriez travaillé en tant que travailleur journalier, ce qui aurait suffi pour nourrir votre famille et pouvoir payer votre appartement. En outre, vous auriez eu une carte de sécurité sociale pour vous faire soigner gratuitement. Les raisons sous-tendant votre demande de protection internationale seraient liées au fait qu'actuellement vous ne pourriez pas trouver de travail et que vous n'auriez pas de quoi vivre. Vous évoquez que la situation serait très compliquée pour les bosniaques au Monténégro et que ce serait impossible de trouver un travail à cause de votre ethnie. Vous dites que ce serait la faute du gouvernement actuel de Monsieur Milo DUKANOVIC qui défendrait seulement ses proches amis et aurait créé un cercle bien fermé d'hommes riches autour de lui. Ainsi, ce ne serait non seulement très difficile pour les bosniaques de trouver un emploi au Monténégro, mais également pour les Serbes et les Albanais.
Madame, vous confirmez les déclarations de votre conjoint. Vous auriez pris la décision de partir du Monténégro pour des raisons financières. Vous seriez inscrite à l'Administration de l'emploi, mais vous n'auriez pas de travail. Vous dites que vous ne pourriez pas subvenir à vos propres besoins, ni à ceux de votre enfant qui serait née prématurément. Cependant vous certifiez qu'elle serait en bonne santé. Vous n'invoquez aucune autre raison d'avoir quitté votre pays d'origine.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, vos demandes de protection internationale sont essentiellement basées sur des motifs d'ordre économique ne répondant à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.
En premier lieu, les événements de 1994 que vous évoquez, Monsieur, sont trop éloignés dans le temps et donc d'une pertinence insuffisante pour votre demande de protection internationale.
En ce qui concerne la situation générale du Monténégro, il y a lieu de souligner que l'économie du Monténégro est en transition vers un système de marché, mais le secteur public reste important et d'autres changements institutionnels sont nécessaires. L'économie repose en grande partie sur le tourisme et l'exportation de métaux raffinés. Des entreprises publiques non rentables pèsent sur les finances publiques. Le taux de chômage et les disparités régionales en matière de développement sont les principaux problèmes politiques et économiques. Le Monténégro a privatisé son industrie dominante (complexe d'aluminium) ainsi que la plus grande partie de son secteur financier et a commencé à attirer des investissements étrangers directs dans le secteur du tourisme. La crise financière mondiale a eu un impact négatif significatif sur l'économie, en raison de la crise du crédit, une baisse dans le secteur immobilier et une baisse des exportations d'aluminium. En 2011, la croissance réelle du PIB a ralenti à 1,8% et le taux de chômage se trouvait à 11,5%. Force est de constater que non seulement les minorités souffrent des difficultés économiques mais toute la population monténégrine y est affectée.
Vous dites que le gouvernement actuel serait corrompu et que les minorités en général auraient des difficultés à vivre au Monténégro. Or, en ce qui concerne vos doléances quant au gouvernement, il y a lieu de souligner que Monsieur Milo DUKANOVIC n'est plus au pouvoir depuis 2010 et que d'avis général, le Monténégro est un bon exemple de tolérance multiethnique.
En effet, les minorités sont bel et bien représentées, y compris aux plus hauts niveaux : l'actuel vice-président du parlement est bosniaque et l'actuel ministre des Droits et Libertés des minorités est albanais. Par ailleurs, il y a lieu de constater que la Commission Européenne soulève dans son dernier rapport d'octobre 2011 des progrès importants du gouvernement monténégrin en introduisant des réformes au sein de l'appareil étatique : A new Law on civil servants and State employees, based on the principles of merit-based recruitment and promotion, was adopted by the parliament in July 2011. It lays down the main foundations for the establishment of a de-
politicised and professional public administration acting effectively and impartially. It improves protection of persons who report possible cases of corruption (whistleblowers) and prescribe the obligation to adopt plans of integritv in the public sector. (…) Overall, Montenegro has taken important steps to address the main challenges posed by the public administration reform. The Government adopted and started to implement a public administration reform strategy. An improved legal framework in the area of civil service and state administration aiming at efficiency, de-politicisation and merit-based recruitment has been adopted. Legislation regulating administrative procedures has been amended and a further comprehensive reform has been launched. The HRMA (Human Resources Management Authority) has been strengthened. » Ainsi, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Par ailleurs, Madame, Monsieur, vous possédez la nationalité monténégrine et en vertu du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection le Monténégro est considéré comme un pays d'origine sûr. Rappelons qu'un pays est désigné comme sûr lorsqu'il est établi qu'il n'existe généralement pas de persécution au sens de la Convention de Genève.
De plus, conformément à l'article 21 de la prédite loi, vous n'avez apporté aucune raison valable permettant de penser que le Monténégro n'est pas à considérer comme un pays d'origine sûr en raison de votre situation personnelle au regard des remarques précédentes.
Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation de vos demandes de protection internationale, des raisons économiques ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Monténégro ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2012, Monsieur … et Madame … ont fait introduire en leur nom propre ainsi qu’au nom et pour compte de leur enfant mineur … … un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre du 13 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation sinon à l’annulation de la même décision du ministre dans la mesure où il refuse de faire droit à leur demande de protection internationale et à la réformation sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans cette même décision.
1. Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre cette décision, un recours en annulation a par contre pu être valablement introduit contre la décision du ministre prévisée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de ce volet de la requête, les demandeurs font valoir que le ministre aurait retenu à tort l’application au cas d’espèce de l’article 20, paragraphe 1er de la loi du 5 mai 2006 dans la mesure où ils auraient indiqué lors de leurs entretiens respectifs que leur impossibilité d’accéder à un emploi au Monténégro serait liée à leur appartenance à la communauté bosniaque, les membres de cette dernière seraient en effet systématiquement écartés de tout emploi potentiel. Ils en concluent que les informations qu’ils ont transmises lors de leurs entretiens respectifs ne seraient dès lors ni manifestement incrédibles ni dénuées de tout fondement dans la mesure où leur difficulté d’accéder au marché de l’emploi au Monténégro serait à qualifier de persécutions motivées par leur appartenance ethnique sinon d’atteintes graves.
D’autre part, la situation économique au Monténégro se serait fortement dégradée et le mécontentement de la population entraînerait de nombreuses manifestations qui se tourneraient fréquemment contre les minorités. En outre, s’il serait exact que le Monténégro aurait été qualifié de pays d’origine sûr par règlement grand-ducal et s’ils auraient leur résidence habituelle dans ce même pays, ils auraient néanmoins clairement indiqué que leurs difficultés d’accéder au marché de l’emploi seraient liées à leur appartenance à une ethnie minoritaire, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait fait application de la procédure accélérée.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée, étant donné qu’elle aurait été exclusivement basée sur des motifs d’ordre économique lesquels ne rentreraient dans aucun des critères de fond prévus par la Convention de Genève et la loi du 5 mai 2006.
Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
[…] c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
[…] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, il convient de relever que les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte que le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
En ce qui concerne le cas énuméré au point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, force est de constater qu’aux termes de l’article 21 de cette même loi : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs, le Monténégro a été retenu comme constituant un pays d’origine sûr, de sorte que le ministre a a priori pu conclure à bon droit que les demandeurs, qui avaient leur résidence habituelle dans ce pays avant de se rendre au Luxembourg proviennent d’un pays d’origine sûr.
Quant au moyen que le Monténégro ne serait pas à qualifier de pays d’origine sûr dans le cas concret des demandeurs, force est de constater que s’il est certes vrai qu’au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme s pays d’origine sûr n’est pas suffisant pour conclure ipso facto qu’il soit statué sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, étant donné qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, le ministre est obligé de procéder à un examen individuel de la demande de protection internationale et d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de la situation personnelle du demandeur.
Or, en l’espèce, force est au tribunal de constater que le ministre, après examen de la demande de protection internationale des demandeurs, a conclu qu’ils proviennent d’un pays qui, dans leur chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu’il appartient à ces derniers d’établir les raisons concrètes susceptibles de renverser ce constat. Cependant, les seules indications vagues que leurs situations financière et sécuritaire seraient compromises en raison de leur appartenance à la minorité des bochniaques, sans indiquer concrètement, en quoi leur appartenance à l’ethnie bochniaque serait à l’origine de cette situation difficile, sont insuffisantes pour renverser le constat que le Monténégro constitue un pays d’origine sûr.
Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu conclure que les demandeurs proviennent d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006, respectivement de l’article 21 de cette même loi, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale.
Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.
2) Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de ce volet de la requête introductive d’instance, les demandeurs font valoir qu’ils ne pourraient pas retourner au Monténégro sans craindre pour leur vie. D’autre part, malgré le statut de réfugié dont bénéficierait le demandeur au Monténégro, ils ne pourraient pas postuler pour un emploi sans subir des discriminations, discriminations qui devraient être analysées en tant que persécution au sens de la Convention de Genève. Ils estiment qu’ils n’auraient aucun moyen de subsistance et ils se retrouveraient dans un dénuement le plus total sans aucun espoir de voir leur situation s’améliorer. Quant aux réformes dont a fait état le ministre dans le cadre de la décision déférée, les demandeurs font valoir qu’ils ne seraient pas appliquées en fait et que les minorités seraient toujours discriminées sans que le gouvernement ne prenne les mesures nécessaires.
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale» se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et en vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Il ressort en effet des déclarations des demandeurs, telles qu’actées dans les rapports d’audition précités du 30 mai 2012, qu’ils ont quitté leur pays d’origine du fait de l’impossibilité de trouver du travail. L’affirmation vague et non-circonstanciée que cette impossibilité serait due à leur appartenance à l’ethnie des bochniaques, est insuffisante pour lier le fait qu’ils n’ont qu’un accès difficile au marché de l’emploi à une prétendue discrimination en raison de leur appartenance à une ethnie minoritaire, surtout comme ils admettent que le Monténégro, tel que relevé à juste titre par le ministre et le délégué du gouvernement, se trouve dans une phase économique de transition difficile, de sorte que le tribunal est amené à conclure que la difficulté pour les demandeurs de trouver un emploi est plutôt liée à la situation économique générale difficile du Monténégro qu’au fait de leur appartenance à une ethnie minoritaire.
Ainsi, force est au tribunal de constater que les demandeurs sont restés en défaut de faire valoir des motifs autres que des motifs d’ordre personnel et économique à la base de leur demande de protection internationale, et qui seraient de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée de persécution dans leur pays de provenance pour les motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir du fait de leur race, de leur religion, de leurs opinions politiques, de leur nationalité ou à leur appartenance à un certain groupe social.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
A cet égard, le tribunal est amené à constater que les demandeurs basent leur recours, en ce qui concerne la protection subsidiaire, sur les mêmes moyens que ceux exposés à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Force est au tribunal de constater que les demandeurs n’allèguent pas de risquer la peine de mort ou l’exécution ou encore d’être victimes, en cas de retour dans leur pays d’origine, de menaces graves et individuelles contre leur vie en raison de violences aveugles en cas de conflit armé interne ou international. D’autre part, le tribunal est amené à conclure que le fait que les demandeurs ont des difficultés de trouver un emploi n’est pas à qualifier de torture ou de traitements ou de sanctions inhumains ou dégradants leur infligés dans leur pays d’origine, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de la l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé à bon droit l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre le prédit ordre de quitter le territoire. Le recours en annulation a par contre été valablement dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […]». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme : « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.
Or, le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont à aucun moment fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 13 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 juin 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 13 juin 2012 portant refus d’une protection internationale ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 juin 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 13 juin 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Claude Fellens, vice-président, Alexandra Castegnaro, juge, et lu à l’audience publique de vacation extraordinaire du 22 août 2012 à 17.00 heures par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Erny May, greffier en chef de la Cour administrative.
Erny May Carlo Schockweiler 11