La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/08/2012 | LUXEMBOURG | N°33167

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 août 2012, 33167


Tribunal administratif Numéro 33167 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2013 Audience publique extraordinaire de vacation du 14 août 2012 Recours formé par Monsieur … …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10 L.5.05.2006)

________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33167 du rôle et déposée le 5 août 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Kar

p, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif Numéro 33167 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2013 Audience publique extraordinaire de vacation du 14 août 2012 Recours formé par Monsieur … …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10 L.5.05.2006)

________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33167 du rôle et déposée le 5 août 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, déclarant être né le … à … (Bosnie-Herzégovine), et être de nationalité bosnienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 30 juillet 2013 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 août 2013 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour de Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal le 13 août 2013 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 août 2013.

________________________________________________________________________

En date du 15 juillet 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-

après désigné par « le ministre », prit à l’égard de Monsieur … … un arrêté constatant que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois est irrégulier, ledit arrêté, ayant été assorti d’un ordre de quitter le territoire, est fondé sur les considérations suivantes :

« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant que l'intéressé n'est ni en possession d'une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d'une autorisation de travail ;

Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé (…) ».

Le 15 juillet 2013, le ministre ordonna le placement de Monsieur … … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté, qui fut notifié à l’intéressé le 19 juillet 2013, est basé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 15 juillet 2013 ;

Attendu qu'au vu de la situation particulière de l'intéressé, il n'existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu'une mesure de placement alors que les conditions d'une assignation à domicile conformément à l'article 125 (1) ne sont pas remplies ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches (…) ».

Par courrier du 26 juillet 2013 adressé, par l’intermédiaire de son litismandataire, au Service des Réfugiés du ministère des Affaires étrangères, Monsieur … déposa une demande de protection internationale.

Par arrêté du 30 juillet 2013, le ministre rapporta le prédit arrêté de placement du 15 juillet 2013 et ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification sur le fondement de l’article 10 (1) a) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 ». Ledit arrêté, qui fut notifié à l’intéressé en date du même jour, est fondé sur les considérations suivantes :

« Vu l’article 10 (1) a) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté de placement en rétention du 15 juillet 2013;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 26 juillet 2013 par l’intermédiaire de son avocat ;

- que cette demande a été déposée dans le but de prévenir son éloignement du territoire luxembourgeois ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à l’instruction de la demande de protection internationale (…) » Par requête déposée le 5 août 2013 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement en rétention du 30 juillet 2013.

En ce qui concerne la recevabilité du recours sous analyse, il échet de relever que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal, étant donné que l’article 10 (4) de la loi du 5 mai 2006, tel que modifié par l’article 155-2° de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, ci-

après désigné par « la loi du 29 août 2008 », institue, par renvoi à l’article 123 (1) de la loi du 29 août 2008, un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative prise sur le fondement de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait en premier lieu état d’un défaut de motivation de l’arrêté ministériel déféré. Il soutient que ledit arrêté ne serait nullement motivé, sinon pas suffisamment motivé en ce que le ministre se serait contenté de se référer aux lois applicables sans autre explication et énoncerait, par ailleurs, un risque de fuite qu’aucun élément du dossier ne viendrait corroborer.

Le délégué du gouvernement rétorque que la décision ministérielle serait motivée à suffisance et conclut au rejet de ce premier moyen.

Il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, dans les seules hypothèses énumérées de manière limitative à l’alinéa 2 dudit article 6. Or le cas d’espèce sous examen ne tombe dans aucune des hypothèses ainsi énumérées, de sorte qu’une violation de l’article 6 alinéa 2 précité ne saurait être retenue. Comme il n’existe en outre aucun texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision administrative, sans demande expresse de l’intéressé, le moyen sous examen doit être rejeté pour ne pas être fondé, étant relevé qu’en ce qui concerne l’existence de motifs se trouvant à la base de la décision sous examen, il échet de relever que celle-ci énumère, suivant le libellé de la décision ci-avant citée in extenso, un certain nombre de motifs sur lesquels le ministre s’est basé en prenant la décision litigieuse, de sorte que le reproche tiré d’un défaut d’existence de motifs doit également être rejeté. Pour le surplus, il convient de relever que la constatation, soulevée par le demandeur, quant à l’absence de faits corroborant en l’espèce l’existence d’un risque de fuite, relève plutôt de la remise en cause du bien-fondé des motifs avancés dans l’arrêté litigieux que de l’indication ou de l’existence des motifs se trouvant à sa base.

Le demandeur reproche encore au ministre d’avoir motivé l’arrêté du 30 juillet 2013 par la circonstance qu’il existerait « un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à l’instruction de la demande de protection internationale », en contestant l’existence d’un risque de fuite dans son chef, étant donné qu’en sa qualité de demandeur de protection internationale, il n’aurait pas l’intention de quitter le territoire luxembourgeois mais de s’y établir.

Or, force est de tout d’abord au tribunal de constater que contrairement à une mesure de placement fondée sur l’article 120 de la loi du 29 août 2008, qui est prise dans le but de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, une mesure de placement en rétention prise sur base de l’article 10 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 n’est, conformément aux termes de ladite disposition, pas conditionnée par la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement. Si en l’espèce, une décision constatant l’irrégularité du séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et assortie d’un ordre de quitter le territoire a été prise à l’égard du demandeur le 15 juillet 2013, celle-ci constitue une décision distincte de la mesure de placement en rétention sous examen, qui d’ailleurs ne se réfère pas à la décision d’éloignement. La mesure de placement en rétention sous examen, qui est fondée sur l’article 10 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, n’a ni pour objet, ni pour finalité l’éloignement du demandeur. Au contraire, il se dégage du libellé dudit arrêté ministériel qu’il n’a pas été pris en vue d’un éloignement immédiat du demandeur, mais que le ministre a justifié la mesure par la circonstance, d’une part, que « la demande [de protection internationale] a été déposée dans le but de prévenir son éloignement du territoire luxembourgeois » et, d’autre part, qu’il existerait « un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à l’instruction de la demande de protection internationale », de sorte qu’il convient de retenir que le demandeur a été placé en rétention afin de garantir qu’il soit à la disposition de l’administration pour que sa demande de protection internationale puisse être instruite, étant encore précisé que son audition se déroulera le 19 août 2013.

Il y a ensuite lieu de relever que la condition d’un risque de fuite en ce que le demandeur serait susceptible de se soustraire à l’instruction de sa demande de protection internationale et indiqué par le ministre comme motif justifiant la mesure de placement, ne figure pas parmi les différents cas visés par l’article 10 (1) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que l’existence d’un tel risque de fuite, à le supposer établi, ne saurait en tout état de cause motiver à lui seul le placement du demandeur dans le cadre légal invoqué en l’espèce. Force est cependant de constater que le ministre a invoqué un autre motif justifiant le placement du demandeur en rétention, à savoir que la demande de protection internationale déposée en date du 26 juillet 2013 par le demandeur l’aurait été dans le but de prévenir son éloignement.

Le ministre ayant justifié le placement en rétention par la condition prévue à l’article 10 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, motif suffisant à lui seul pour justifier la mesure litigieuse et non contesté par le demandeur dans le cadre du présent recours, le moyen fondé sur l’absence d’un risque de fuite dans le chef du demandeur est à rejeter comme étant dépourvu de pertinence.

Le demandeur soulève finalement la violation de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et du principe de non-refoulement y prévu, en soutenant que la mesure de placement serait conditionnée par la loi par une possibilité effective de refoulement qui justement ne serait pas donnée en l’espèce puisqu’en sa qualité de demandeur d’une protection internationale, il ne pourrait pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement.

Comme constaté ci-dessus, le demandeur a fait l’objet d’une mesure de rétention prise sur base de l’article 10 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, qui n’a ni pour objet, ni pour finalité l’éloignement du demandeur mais de garantir qu’il soit à la disposition de l’administration pour que sa demande de protection internationale puisse être instruite, de sorte qu’il s’ensuit que l’article 33 de la Convention de Genève ne s’oppose pas au placement en rétention d’un étranger ayant déposé une demande de protection internationale sur le fondement l’article 10 (1) a) de la loi du 5 mai 2006.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, Anouk Dumont, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 14 août 2013 par le juge Paul Nourissier, en présence du greffier en chef de la Cour administrative Erny May, greffier assumé.

s. Erny May s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original.

Luxembourg, le 22 novembre 2016 le greffier assumé 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 33167
Date de la décision : 14/08/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-08-14;33167 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award