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14/08/2012 | LUXEMBOURG | N°30725

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 août 2012, 30725


Tribunal administratif N° 30725 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 14 août 2012 Recours formé par Monsieur … …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30725 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2012 par Maître Hakima GOUNI,

avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif N° 30725 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 14 août 2012 Recours formé par Monsieur … …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30725 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2012 par Maître Hakima GOUNI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le …à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 11 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du même ministre du 11 juin 2012 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2012;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hakima GOUNI et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 août 2012.

Le 4 avril 2012, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».

En date du même jour, Monsieur … … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … … fut entendu le 10 mai 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 11 juin 2012, notifiée par courrier recommandé du même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire endéans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée de la façon suivante :

« J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 4 avril 2012.

En vertu des dispositions de l’article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu’il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée parce qu’il apparaît que vous tombez sous trois cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; » En mains le rapport du Service de Police Judiciaire et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères du 10 mai 2012.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez eu des difficultés à rembourser vos prêts en banque parce que vous auriez acheté de la marchandise en Pologne pour les revendre en Albanie. Vous auriez hypothéqué votre maison et lorsque la crise financière éclata, vous n’auriez plus eu de travail. Vous dites que vous auriez demandé de l’argent à vos proches et que vous ne seriez pas en mesure de les rembourser non plus.

Selon vos dires, vous pourriez régler vos dettes si vous rassembleriez vos frères et sœurs pour vendre vos biens partagés en Albanie, mais le notaire coûterait trop cher pour entamer cette procédure. Enfin, vous précisez qu’en cas de retour en Albanie, vous vendriez votre part et rembourseriez vos créanciers.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, votre demande de protection internationale est exclusivement basée sur des motifs d’ordre économique ne répondant à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

Vous faites état de problèmes avec vos créanciers, notamment votre banque et des proches. Par ailleurs, vous auriez perdu votre emploi suite à la crise financière. Ainsi, en ce qui concerne la situation économique de l’Albanie, il y a lieu de souligner que depuis 1991, l’économie a eu du mal à se remettre de la chute du régime communiste les plus sévères, l’impact du passage à une économie de marché et l’effondrement en 1997 des programmes d’investissement. Toutefois, l’économie de l’Albanie a amélioré considérablement au cours des dernières années mais à partir d’une base très faible avec des taux moyens de croissance annuelle de 6% sur la période 2004-2008. L’Albanie était l’un des deux pays européens à connaître une croissance positive en 2009.

La privatisation est en cours et a été atteinte au niveau des petites et moyennes entreprises. Le secteur des services, qui représente 58% du PIB, et le secteur de l’agriculture, remontant à 23% du PIB, encouragent la croissance économique. Seulement environ 10% du PIB de l’Albanie est générée par les exportations. Parmi ces exportations, environ 85% ont pour destination l’Union Européenne. Les envois de fonds à l’étranger jouent un rôle important, contribuant à environ 800 millions de dollars des revenus de l’économie albanaise. Le taux de chômage en 2010 s’éleva à 13,7%. Le taux de pauvreté a pu être réduit de 17% en 2002 à 12% en 2008, une des réductions les plus prononcées en Europe. Surtout la réduction extraordinaire de la pauvreté dans les régions rurales de presque 40% à 14,6% dans la même période prouve que les autorités albanaises ont fait de ce thème une priorité.

Citons à cet effet le « CIA World Factbook » mis à jour le 1er mai 2012 qui souligne que « Albania, a formerly closed, centrally-planned state, is making the difficult transition to a more modern open-market economy. Macroeconomic growth averaged around 6% between 2004-08, but declined to about 3% in 2009-11. Inflation is low and stable. The government has taken measures to curb violent crime, and recently adopted a fiscal reform package aimed at reducing the large gray economy and attracting foreign investment. Remittances, a significant catalyst for economic growth declined from 12-15% of GDP before the 2008 financial crisis to 8% of GDP in 2010, mostly from Albanians residing in Greece and Italy. The agricultural sector, which accounts for almost half of employment but only about one-fifth of GDP, is limited primarily to small family operations and subsistence farming because of lack of modern equipment, unclear property rights, and the prevalence of small, inefficient plots of land. Energy shortages because of a reliance on hydropower - 98% of the electrical power produced in Albania - and antiquated and inadequate infrastructure contribute to Albania’s poor business environment and lack of success in attracting new foreign investment needed to expand the country’s export base. FDI is among the lowest in the region, but the government has embarked on an ambitious program to improve the business climate through fiscal and legislative reforms. The completion of a new thermal power plant near Vlore has helped diversify generation capacity, and plans to upgrade transmission lines between Albania and Montenegro and Kosovo would help relieve the energy shortages. Also, with help from EU funds, the government is taking steps to improve the poor national road and rail network, a long-standing barrier to sustained economic growth. The country will continue to face challenges from increasing public debt, approaching its statutory limit of 60% of GDP. Strong trade, remittance, and banking sector ties with Greece and Italy make Albania vulnerable to spillover effects of the global financial crisis. » Il y a lieu de constater que le gouvernement a fait d’énormes progrès pour réduire la pauvreté et le chômage. Malgré ces efforts, la situation générale est précaire et la population albanaise en souffre.

Je constate ainsi que vous n’alléguez aucun fait susceptible d’établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d’opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d’appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vous n’invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l’évaluation de votre demande de protection internationale, des raisons économiques ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu’ils n’établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Albanie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2012, Monsieur … a fait introduire, un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 11 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

A l’appui de son recours, Monsieur … expose avoir fait l’objet en Albanie de menaces à plusieurs reprises de la part des membres de la famille de la personne qui lui avait prêté de l’argent ; qu’en l’espèce, il aurait en effet décidé de prospérer dans le commerce et aurait emprunté de fortes sommes d’argent à une banque et par la suite à un de ses amis pour rembourser la banque en question, cet ami ayant même dû vendre son appartement pour lui prêter l’argent. Suite à la crise économique qui sévit partout dans le monde et en particulier en Europe, il se serait trouvé dans l’impossibilité de rembourser rapidement son ami qui serait dans une situation très précaire ; or, ce dernier ayant de la famille haut placée dans la police albanaise, ces membres de la famille l’auraient menacé et pris de panique, il aurait décidé de quitter femme et enfants pour sauver sa vie.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir évalué correctement sa situation en décidant d’user de la procédure accélérée au motif qu’il tomberait sous les paragraphes a), b) et c) de l’article 20§ 1 de la loi du 5 mai 2006, appréciation que le demandeur conteste formellement.

En effet, Monsieur … estime que les faits l’ayant poussé à quitter son pays s’articuleraient autour d’un pôle essentiel, à savoir la menace d’atteinte à son intégrité physique conformément aux articles 31, 32 et 37 de la loi du 5 mai 2006 : en raison de la qualité même des personnes ayant proféré les menaces, à savoir des policiers, il ne serait plus à même d’être protégé par les autorités albanaises.

C’est pourquoi le demandeur reproche au ministre, en se limitant à faire uniquement état de problèmes d’ordre privé ne justifiant pas une demande de protection internationale, de ne pas avoir correctement évalué sa situation, consistant dans le fait d’avoir été persécuté par des policiers-membres de la famille du prêteur et s’être vu menacé de mort, cette situation ayant dû, à son avis, amener le ministre à statuer plutôt sur sa demande dans le cadre de la procédure ordinaire du traitement de la demande de protection internationale.

Monsieur … se prévaut encore du rapport d’Amnesty International de 2011 dont il cite des extraits pour arriver à la conclusion que l’Albanie ne pourrait pas être considérée comme un pays d’origine sûr.

Le demandeur est en tout état de cause d’avis que les conditions d’obtention du statut de la protection internationale seraient réunies dans son chef, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait décidé de statuer sur le bien-fondé de sa demande en protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée.

En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;

(…) ».

Cette disposition prévoit ainsi différents cas de figure dans lesquels le ministre peut statuer dans le cadre de la procédure accélérée, étant précisé que les cas de figure cités sont alternatifs, de sorte qu’il suffit que l’un des cas soit vérifié pour que le ministre puisse faire application dudit article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.

Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.

A cet égard, force est au tribunal de constater que l’Albanie figure sur la liste des pays d’origine sûrs établie par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006.

Aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un pays désigné comme pays d’origine sûr est considéré comme un pays d’origine sûr pour le demandeur de protection internationale lorsqu’il possède la nationalité de ce pays ou s’il y avait précédemment sa résidence habituelle, et s’il n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité albanaise et qu’il a résidé en Albanie avant de venir au Luxembourg.

D’autre part, en ce qui concerne les explications du demandeur sur la situation générale en Albanie et tendant à faire admettre que son pays d’origine ne constituerait pas un pays d’origine sûr, malgré la circonstance qu’il figure sur la liste des pays d’origine sûrs précitée, force est au tribunal de constater que s’il est exact que le rapport d’Amnesty International de 2011 cité par extraits par lui fait état d’efforts à déployer par l’Etat albanais, il ne ressort pas de ce rapport que tout citoyen albanais aurait des raisons de craindre de faire l’objet de persécutions en Albanie.

Quant aux références du demandeur à de mauvais traitements infligés par des agents de police ou encore sur la traite de filles et de jeunes femmes, force est de constater que ces questions ne sont en aucun rapport avec le récit du demandeur, de sorte qu’il y a lieu de conclure que les faits mis en avant par ledit rapport d’Amnesty International ne sont pas pertinents en l’espèce.

Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur n’invoque pas des faits démontrant que l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef.

Partant, c’est à bon droit que le ministre, après analyse de la situation concrète du demandeur, a conclu qu’il provient d’un pays d’origine sûr, de sorte que c’est encore à bon droit qu’il a décidé de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

Dès lors, le recours afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision portant rejet de la demande de protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire.

A l’appui de son recours, le demandeur, se référant au récit présenté en début de sa requête introductive d’instance, reproche au ministre d’avoir basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits, et ce alors qu’il apparaîtrait clairement de ses déclarations qu’il aurait dû fuir son pays parce qu’il y était endetté auprès d’une personne qui faisait pression sur lui à l’aide des membres de sa famille qui feraient partie de la police ; par conséquent, il estime qu’il y aurait lieu de constater, contrairement à la position ministérielle, que les policiers proférant des menaces à son encontre devraient être considérés dans le cas d’espèce comme agents de persécution au sens des dispositions de l’article 28 a) de la loi du 5 mai 2006, son récit énonçant encore des éléments de persécution morale et physique qui l’auraient déterminé à fuir son pays d’origine.

Enfin, il estime que ses déclarations corroboreraient encore la situation extrêmement pénible vécue par les Albanais quant à l’accès à une protection policière et judiciaire suffisante, de sorte qu’il conviendrait de retenir qu’il justifierait dans son chef des persécutions fondées au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et en vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine. En effet, aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, (…) ».

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition, amène le tribunal à conclure qu’il apparaît qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

En effet, et contrairement à ce que le demandeur affirme au cours de la procédure contentieuse, il résulte des déclarations du demandeur, telles qu’actées au procès-verbal d’audition, lequel a été signé par le demandeur qui y a certifié ne pas avoir retenu de fait ou information essentielle portant un changement significatif au contexte de sa demande de protection internationale et n’avoir pas donné d’informations ne correspondant pas à la réalité ou retenu des informations ou faits, que Monsieur … a uniquement quitté l’Albanie pour des raisons économiques, liées à ses difficultés à rembourser ses créanciers. S’il affirme certes que les neveux de l’un de ses amis qui lui aurait prêté de l’argent appartiendraient au cadre supérieur de la police albanaise, et que cet ami essaierait de lui faire peur, il ne résulte cependant d’aucune déclaration du demandeur que celui-ci aurait subi des menaces de mort, ou d’autres menaces dirigées contre son intégrité physique, que ce soit de son ami ou des neveux de ce dernier, l’ami de Monsieur … ayant seulement menacé de se tuer soi-même au vu des dettes non remboursées de Monsieur … (« Il est allé voir ma femme et ma mère et il a dit qu’il se sent très mal, à tel point qu’il veut se tuer ») : si de telles menaces - qui ne visent pas personnellement le demandeur -

peuvent éventuellement constituer un chantage affectif, elles ne sauraient toutefois en aucun cas revêtir le degré de gravité requis par la loi : il convient en effet de souligner, comme relevé ci-

avant, qu’aux termes de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, un acte doit présenter un degré de gravité certain pour pouvoir être considéré comme une persécution au sens de la Convention de Genève, c’est-à-dire qu’il doit constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ce qui en l’espèce n’est pas le cas.

Le demandeur ne paraît d’ailleurs lui-même pas être outre mesure inquiété par ces « menaces », puisque qu’au-delà d’affirmer que « ce n’est pas bien que mon ami soit tombé malade », il se contente de rétorquer, à la question de l’agent relative aux conséquences d’un retour en Albanie, que « si jamais je retourne en Albanie, je vais essayer de vendre ma part [dans les biens familiaux], de rembourser toute ce que j’ai. C’est tout », sans faire état d’une quelconque menace ou d’un quelconque risque.

En ce qui concerne les problèmes financiers mis incidemment en avant de manière générale par le demandeur, il y a d’abord lieu de rappeler que l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 énumère les acteurs des persécutions, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité de persécutions lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de précarité ou de pauvreté, à lui seul, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention du statut de réfugié au sens de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que le demandeur n’a pas démontré - ni même affirmé - qu’en cas de retour en Albanie, il serait personnellement victime de mauvais traitements d’une gravité suffisante, que ce soit par leur nature ou que ce soit par leur accumulation, pour pouvoir être assimilés à des persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur.

Le recours du demandeur est par conséquent à déclarer comme étant non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».

L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique, de sorte qu’il y a lieu de conclure que ladite demande est basée sur les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur, dans la mesure où il a été jugé que les faits et motifs invoqués par celui-ci manquent en tout état de cause de gravité, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes événements ou arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Par ailleurs, il ne ressort ni du dossier ni des arguments du demandeur que la situation qui prévaut actuellement en Albanie correspond à un contexte de violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 37 précité.

Il s’ensuit en l’absence d’autres éléments que c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 11 juin 2012 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique de la décision de refus de la demande de protection internationale.

A l’appui de ce volet du recours, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire au motif qu’un retour en Albanie entraînerait des conséquences graves pour lui.

Or, le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur n’a pas fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’atteintes graves telles que définies à l’article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 11 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 11 juin 2012 portant refus d’une protection internationale au demandeur ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 11 juin 2012 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire de vacation du 14 août 2012 par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Marc Sünnen, vice-président, Andrée Gindt, juge, en présence du greffier Erny May, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.

s. Erny May s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original.

Luxembourg, le 22 novembre 2016 le greffier 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 30725
Date de la décision : 14/08/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-08-14;30725 ?

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