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08/08/2012 | LUXEMBOURG | N°30710

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 août 2012, 30710


Tribunal administratif N° 30710 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 8 août 2012 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30710 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2012 par Maître Louis T

inti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 30710 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 8 août 2012 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30710 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2012 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie) et de Madame …, née le … à … (Albanie) agissant en leur nom personnel, ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, né le … à … (Albanie) et …, né le … à …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 4 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du même ministre du 4 juin 2012 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 août 2012.

Le 16 mars 2012, Monsieur … et Madame …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 10 mai 2012 et Madame … fut entendue le 11 mai 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 4 juin 2012, notifiée par courrier recommandé du 5 juin 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Ladite décision est libellée de la façon suivante :

« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 16 mars 2012.

En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de vos demandes de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous deux cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

[c]) le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi; » En mains le rapport du Service de Police Judicaire du 19 mars 2012 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 10 et 11 mai 2012.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu plusieurs années en Grèce et que depuis votre retour entre décembre 2011 et mars 2012, vous auriez eu du mal à vous réintégrer en Albanie. Vous dites que vous n'auriez pas trouvé du travail et vous n'auriez pas reçu des aides sociales parce que vous n'en auriez pas demandé. Vous déclarez que vous ne sauriez pas si une administration de l'emploi existerait en Albanie.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous ajoutez que vous auriez demandé de l'aide à l'administration de l'emploi mais vous n'auriez pas eu de travail.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, votre demande de protection internationale n'est basée que sur des motifs d'ordre économique ne répondant à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

En effet, il y a lieu de constater une incohérence frappante dans vos déclarations.

Ainsi, vous, Monsieur, dites ne pas savoir si une administration de l'emploi existait, tandis que vous, Madame, précisez avoir souvent demandé de l'aide auprès de cette administration.

Hormis ces déclarations contradictoires, la Commission Européenne soulève dans son dernier rapport régulier d'octobre 2011 les efforts faits par le gouvernement albanais en matière de protection sociale : « There has been some progress as regards social protection.

The Law on Social Assistance and Services has been amended, expanding the categories that are eligible for economic aid. The Law on Compulsory Health Insurance was also adopted, establishing a mandatory health insurance scheme and transferring its management to the Health Insurance Fund. The law divides insured persons into the categories of economically active and inactive, with the contribution of the latter category being covered by the state.

Albania has been working towards improving the management of the social insurance system, completing the database of pensions and re-organising and strengthening the administration of the social insurance system. A child allowance system was introduced in March 2011 for families benefitting from economic aid. ».

Ainsi, en termes d'emploi, il existe une administration de l'emploi dont les buts et fonctionnement sont les suivants: « The National Employment Service (NES) was established by the 1995 Law on Employment Promotion and its statute was defined in 1998 by a Decision of the Council of Ministers as the institution responsible for implementing labour market policies. In January 2003, the Strategy on Employment and Vocational Training (see section 3.1.2 above) describes the missions of the NES and priority areas for improvement of performance. (…) The services provided by the NES include the following: registration of jobseekers, cash payment of unemployment benefit, advising and counselling jobseekers, mediation (matching the offer of and the demand for work), collection of information on the labour market and implementation of the four employment promotion programmes.». L'Union Européenne finance un large nombre de projets et surtout l'Administration nationale de l'emploi pour améliorer son fonctionnement.

De plus, en ce qui concerne la situation économique de l'Albanie, il y a lieu de souligner que depuis 1991, l'économie a eu du mal à se remettre de la chute du régime communiste les plus sévères, l'impact du passage à une économie de marché et l'effondrement en 1997 des programmes d'investissement. Toutefois, l'économie de l'Albanie a amélioré considérablement au cours des dernières années mais à partir d'une base très faible avec des taux moyens de croissance annuelle de 6% sur la période 2004-2008. L'Albanie était l'un des deux pays européens à connaître une croissance positive en 2009.

La privatisation est en cours et a été atteinte au niveau des petites et moyennes entreprises. Le secteur des services, qui représente 58% du PIB, et le secteur de l'agriculture, remontant à 23% du PIB, encouragent la croissance économique. Seulement environ 10% du PIB de l'Albanie est générée par les exportations. Parmi ces exportations, environ 85% sont pour destination l'Union Européenne. Les envois de fonds à l'étranger jouent un rôle important, contribuant à environ 800 millions de dollars des revenus de l'économie albanaise.

Le taux de chômage en 2010 s'éleva à 13,7%. Le taux de pauvreté a pu être réduit de 17% en 2002 à 12% en 2008, une des réductions les plus prononcées en Europe. Surtout la réduction extraordinaire de la pauvreté dans les régions rurales de presque 40% à 14,6% dans la même période prouve que les autorités albanaises ont fait de ce thème une priorité.

Citons à cet effet le « CIA World Factbook » mis à jour le 1er mai 2012 qui souligne que « Albania, a formerly closed, centrally-planned state, is making the difficult transition to a more modern open-market economy. Macroeconomic growth averaged around 6% between 2004-08, but declined to about 3% in 2009-11. Inflation is low and stable. The government has taken measures to curb violent crime, and recently adopted a fiscal reform package aimed at reducing the large gray economy and attracting foreign investment. Remittances, a significant catalyst for economic growth declined from 12-15% of GDP before the 2008 financial crisis to 8% of GDP in 2010, mostly from Albanians residing in Greece and Italy.

The agricultural sector, which accounts for almost half of employment but only about one-

fifth of GDP, is limited primarily to small family operations and subsistence farming because of lack of modern equipment, unclear property rights, and the prevalence of small, inefficient plots of land. Energy shortages because of a reliance on hydropower - 98% of the electrical power produced in Albania - and antiquated and inadequate infrastructure contribute to Albania's poor business environment and lack of success in attracting new foreign investment needed to expand the country's export base. FDI is among the lowest in the region, but the government has embarked on an ambitious program to improve the business climate through fiscal and legislative reforms. The completion of a new thermal power plant near Vlore has helped diversify generation capacity, and plans to upgrade transmission lines between Albania and Montenegro and Kosovo would help relieve the energy shortages. Also, with help from EU funds, the government is taking steps to improve the poor national road and rail network, a long-standing barrier to sustained economic growth. The country will continue to face challenges from increasing public debt, approaching its statutory limit of 60% of GDP.

Strong trade, remittance, and banking sector ties with Greece and Italy make Albania vulnerable to spillover effects of the global financial crisis. » Il y a lieu de constater que le gouvernement a fait d'énormes progrès pour réduire la pauvreté et le chômage. Malgré ces efforts, la situation générale est précaire et la population albanaise en souffre. Qui plus est, vous dites avoir vécu en Albanie que pendant trois mois.

On ne peut pas nier que ce court laps de temps ne vous permettrait pas de trouver tout de suite du travail dans un climat économique difficile, d'autant plus que vous auriez vécu pendant une dizaine d'années en Grèce.

Les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation de vos demandes de protection internationale, des raisons économiques ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Albanie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2012, les consorts … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 4 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs reprochent au ministre d’avoir retenu à tort qu’ils tomberaient dans l’une des hypothèses énumérées à l’article 20 (1), sous les points a) et c) de la loi du 5 mai 2006, voire d’avoir commis une violation de la loi, et d’avoir statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Ils estiment à cet égard que les faits invoqués à la base de leur demande de protection internationale seraient pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Ainsi, ils auraient été obligés de quitter leur pays d’origine, étant donné leur impossibilité de trouver un travail rémunéré et d’accès à l’éducation de leurs deux enfants mineurs du fait que les autorités albanaises réclameraient le paiement de la somme de 30.000 leks albanais par enfant, ce qui constituerait une atteinte grave à leur droit fondamental à l’éducation consacré par l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée, puisqu’il apparaîtrait clairement qu’ils n’auraient soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante. Il relève qu’il ressortirait clairement de leur demande que ce sont des raisons exclusivement économiques qui seraient invoquées par les demandeurs à l’appui de leur demande, lesquelles ne sauraient justifier l’octroi d’une protection internationale. Par ailleurs, les demandeurs proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 et du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs.

Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».

En vertu de l’article 2 a) de la même loi, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 e) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.

Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée notamment lorsqu’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi.

Il ressort des déclarations des demandeurs telles qu’actées aux rapports d’audition que la raison principale les ayant poussés à quitter leur pays de provenance trouve son origine dans leur impossibilité de trouver un travail rémunéré pour subvenir à leurs besoins élémentaires et dans le fait que les autorités albanaises leur auraient réclamé la somme de 30.000 leks albanais par enfant, pour les inscrire à l’école.

Force est au tribunal de constater que les motifs avancés par les demandeurs à la base de leur demande de protection internationale, d’une part, concernant leur impossibilité de trouver un travail rémunéré, sont d’ordre économique et, d’autre part, concernant la scolarité de leurs enfants, ne sont pas établis, étant donné qu’au moment de leur départ de leur pays d’origine, leurs enfants, alors âgés de 4, respectivement de 3 ans, n’étaient a priori pas encore en âge d’être scolarisés, de sorte qu’ils ne font pas état dans leur chef dans leur pays de provenance d’une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énumérés par la loi du 5 mai 2006, à savoir du fait de leur race, de leur religion, de leurs opinions politiques, de leur nationalité ou de leur appartenance à un certain groupe social, respectivement d’un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi.

Concernant le moyen tiré de la violation de l’article 26 de la déclaration universelle des droits de l’homme, il y a lieu rappeler que cet article prévoit la gratuité de l'éducation, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental, enseignement qui n’est pas en cause en l’espèce au regard de l’âge des enfants des demandeurs (3 et 4 ans), de sorte que le moyen n’est pas fondé.

Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu considérer que les motifs avancés par les demandeurs à l’appui de leur demande de protection internationale sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de leur demande, au sens de l’article 20 (1), a) de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative et dans la mesure où le tribunal vient de constater que les conditions énumérées au point a) dudit article sont remplies en l’espèce, le ministre a valablement pu statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est partant à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner la situation concrète en Albanie nonobstant l’existence du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait une interprétation erronée de leurs déclarations. A cet égard, ils affirment avoir fait l’objet de persécutions ou d’atteintes graves étant donné leur impossibilité d’accès à l’emploi et d’accès à l’éducation de leurs deux enfants mineurs du fait que les autorités albanaises réclameraient le paiement de la somme de 30.000 leks albanais par enfant, ce qui constituerait une atteinte grave à leur droit fondamental à l’éducation consacré par l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et en vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leur audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

Il résulte en effet sans équivoque des déclarations des demandeurs, telles qu’actées dans leurs rapports d’audition précité des 10 et 11 mai 2012, qu’ils n’ont quitté leur pays d’origine en raison de l’impossibilité d’accès à l’emploi et d’accès à l’éducation de leurs deux enfants mineurs du fait que les autorités albanaises réclameraient le paiement de la somme de 30.000 leks albanais par enfant.

Ainsi, force est au tribunal de constater que les demandeurs n’ont fait valoir, d’une part, concernant leur impossibilité de trouver un travail rémunéré, que des motifs d’ordre économique et, d’autre part, concernant la scolarité de leurs enfants, des motifs qui ne sont pas établis, étant donné qu’au moment de leur départ de leur pays d’origine, leurs enfants, alors âgés de 4, respectivement de 3 ans, n’étaient pas encore en âge d’être scolarisés.

Les demandeurs sont partant restés en défaut d’établir que leur départ de leur pays d’origine aurait été basé sur un des motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, les opinions politiques, leur nationalité ou leur appartenance à un certain groupe social. Il devient dès lors sans objet d’analyser si les demandeurs n’avaient pas pu faire l’objet d’une protection étatique face aux agissements d’acteurs non étatiques, voire si les faits remplissent les conditions de l’article 31 (1) et (2) b) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Le tribunal constate que les demandeurs, concernant la demande de protection subsidiaire, se basent sur les mêmes moyens que ceux exposés dans le cadre de leur demande du statut de réfugié.

Au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les faits et motifs invoqués par les demandeurs manquent de fondement, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes événements ou arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité.

Plus particulièrement, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, surtout qu’au moment de leur départ de leur pays d’origine, leurs enfants n’étaient pas encore en âge d’être scolarisés, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Il s’ensuit en l’absence d’autres éléments que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 4 juin 2012 a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont à aucun moment fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 4 juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée :

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 4 juin 2012 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 4 juin 2012 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire de vacation du 8 août 2012 par :

Marc Sünnen, vice-président, Andrée Gindt, juge, Paul Nourissier, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 08.08.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 30710
Date de la décision : 08/08/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-08-08;30710 ?

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