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08/08/2012 | LUXEMBOURG | N°30695

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 août 2012, 30695


Tribunal administratif N° 30695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 8 août 2012 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30695 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2012 par Maître Nicky Stoffel, avoca

t à la Cour, assistée de Maître Christian Barandao-Bakele, avocat à la Cour, tous les deu...

Tribunal administratif N° 30695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 8 août 2012 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30695 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2012 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, assistée de Maître Christian Barandao-Bakele, avocat à la Cour, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Monténégro), de nationalité monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 1er juin 2012 de statuer sur le bien-

fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 1er juin 2012 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Katrin Djaber-Hussein, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 août 2012.

Le 27 février 2012, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Madame … fut entendue le 6 avril 2012 et le 7 mai 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 1er juin 2012, envoyée par lettre recommandée du même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que sa demande avait été refusée comme non fondée. Ladite décision est libellée de la façon suivante :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 27 février 2012.

En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous [trois] cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

c) le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi; » En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 février 2012 et les rapports de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 6 avril 2012 et du 7 mai 2012.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez célibataire depuis octobre 2011 et que votre famille ne vous accepterait pas. De même, les parents de votre ex-conjoint n'auraient pas accepté que leur fils soit en relation avec une musulmane.

Vous dites que vous n'auriez pas de travail et vous ne pourriez pas subvenir à vos besoins. Vous seriez inscrite à l'administration de l'emploi mais on ne vous aurait jamais trouvé de travail. De même, la plupart des emplois seraient occupés par des serbes et vous ne recevriez pas de travail parce que vous seriez musulmane. Vous déclarez que des allocations familiales n'existeraient pas au Monténégro.

Enfin, vous auriez dû faire une biopsie mais vous n'auriez pas pu payer les soins nécessaires.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutée dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, votre demande de protection internationale est principalement basée sur des motifs d'ordre économique et médical ne répondant à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

A titre liminaire, vos problèmes avec votre famille et celle de votre ex-conjoint sont d'ordre purement privé et familial et ne sauraient fonder une demande de protection internationale car ne rentrent clairement pas dans le champ d'application de la loi et Convention précitées. Il en va de même de vos problèmes financiers.

En ce qui concerne la situation économique du Monténégro, il y a lieu de souligner que l'économie monténégrine est en transition vers un système de marché, mais le secteur public reste important et d'autres changements institutionnels sont nécessaires. L'économie repose en grande partie sur le tourisme et l'exportation de métaux raffinés. Des entreprises publiques non rentables pèsent sur les finances publiques. Le taux de chômage et les disparités régionales en matière de développement sont les principaux problèmes politiques et économiques. Le Monténégro a privatisé son industrie dominante (complexe d'aluminium) ainsi que la plus grande partie de son secteur financier et a commencé à attirer des investissements étrangers directs dans le secteur du tourisme. La crise financière mondiale a eu un impact négatif significatif sur l'économie, en raison de la crise du crédit, une baisse dans le secteur immobilier et une baisse des exportations d'aluminium. En 2011, la croissance réelle du PIB a ralenti à 1,8% et le taux de chômage se trouvait à 11,5%. Force est de constater que non seulement les minorités souffrent des difficultés économiques mais toute la population monténégrine y est affectée.

Vous dites que vous ne pourriez pas payer de vos propres moyens les soins médicaux nécessaires et que vous seriez obligé de « mettre l'argent dans leur (les médecins) poche ».

Depuis son indépendance en 2006, le gouvernement du Monténégro a mis en place un système de santé, en mettant l'accent sur l'amélioration des services de santé d'urgence. Le secteur de la santé au Monténégro est en pleine évolution, avec des plans importants prévus pour améliorer et développer le système de soins de santé. Ceci est entrepris dans le cadre d'un processus continu, avec l'aide de partenaires internationaux. Le système de santé est composé d'établissements privés et publics. Il y a des professionnels bien formés et dans le cas d'une urgence non médicale, ces établissements exigent normalement des paiements en espèce avant de fournir des soins. Une quantité considérable de temps et d'argent a été investi dans le développement du système de santé dans le cadre d'un réexamen entrepris en 2001 -

la «Politique sur les services de santé dans la République du Monténégro jusqu'à l'année 2020 » — et la « Stratégie pour le développement des soins de santé au Monténégro », mise en œuvre en 2003. Ces initiatives ont soutenu le renforcement du secteur de la santé globale au Monténégro, dans le but de construire des capacités institutionnelles et d'améliorer la qualité, l'efficacité et l'accès aux soins de santé primaires. En 2008, le gouvernement monténégrin a consacré 5,72% du PIB pour les dépenses sur le secteur de la santé. Or, force est de constater que le gouvernement monténégrin est en train de mettre en œuvre des réformes comme le constate le rapport de l'Union Européenne de 2011 : « Overall, some progress has been made in the fields of consumer and health protection. Montenegro continues to make progress towards alignment with the EU consumer policy and the EU health strategy. However, further efforts are required to align national legislation with the acquis and build up administrative capacity. In the area of consumer protection, support for consumer organisations needs to be increased and awareness-raising activities stepped up.

Concerning health, both monitoring and evaluation need to be strengthened when it comes to communicable diseases, notably with regard to vulnerable communities. Implementation of a modern blood transfusion system is still pending. Attention needs to be paid to alignment with EU legislation in the fields of tissues, cells and organs. ». Il y a force de constater que le gouvernement monténégrin est activement en train de mettre en œuvre un cadre légal et pratique en place pour offrir une aide médicale abordable et effective.

De même, vous déclarez que tous les emplois seraient occupés par des serbes et que vous ne trouveriez pas de travail parce que vous seriez musulmane. Or, bien que la corruption existe encore au Monténégro, le gouvernement fait des efforts substantiels pour contrer cette pratique : « Progress can be reported in the fight against corruption, one of the key priorities set out in the Opinion. Montenegro has made significant efforts to strengthen the legal framework needed for combating corruption and to address outstanding recommendations of the Group of States against Corruption (GRECO). Amendments to the Law on conflict of interest were enacted in July 2011, with the aim of remedying legislative gaps identified in GRECO first and second evaluation rounds. ». Qui plus est, il y a lieu de soulever le rapport du Conseil de l'Europe du 24 juin 2011 concernant le « Respect des obligations et engagements du Monténégro » : « Nous nous félicitons des mesures prises pour renforcer la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, notamment : l'adoption d'une stratégie de lutte contre la corruption et la criminalité organisée (2010-2014) ainsi que du plan d'action relatif à sa mise en ouvre (2010-2012), par le Gouvernement, le 29 juin 2010 ; la mise en place d'une Commission nationale de lutte contre la corruption, chargée du suivi de la mise en ouvre du plan d'action, le 30 septembre 2010 ; l'introduction de nouvelles mesures de lutte contre la corruption (telles que la protection des donneurs d'alerte, le contrôle des opérations de privatisation, le financement des partis politiques ainsi que d'autres mesures spécifiques dans des secteurs particulièrement sensibles tels que le système de santé, la passation des marchés publics, les agréments et la gouvernance locale) ; les modifications apportées au Code pénal en avril 2010 et l'adoption d'un nouveau Code de procédure pénale en juillet 2010 — qui devraient faciliter les poursuites contre les infractions de corruption en renforçant le rôle principal du parquet dans les enquêtes pénales, y compris le recours à des techniques d'enquête spéciales, l'inversion de la charge de la preuve pour les biens d'origine suspecte au regard de la loi et l'extension de la confiscation des avoirs d'origine criminelle ; la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité et de son protocole, entrés en vigueur en juillet 2010. (…) Les autorités ont reconnu que la corruption existe dans le système éducatif et le système de la santé. Un plan d'action sectoriel de lutte contre la corruption dans l'éducation a été élaboré et la Direction pour les initiatives de lutte contre la corruption a réalisé une évaluation des risques dans six domaines, y compris le secteur de la santé, qui devrait se traduire par des mesures concrètes. ». Surtout dans le domaine de la santé, le Monténégro a ratifié la Charte sociale européenne révisée le 3 mars 2010, acceptant 66 de ses 98 paragraphes, dont l'article 11 qui prévoit : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection de la santé, les Parties s'engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques et privées, des mesures appropriées tendant notamment: à éliminer, dans la mesure du possible, les causes d'une santé déficiente; à prévoir des services de consultation et d'éducation pour ce qui concerne l'amélioration de la santé et le développement du sens de la responsabilité individuelle en matière de santé; à prévenir, dans la mesure du possible, les maladies épidémiques, endémiques et autres, ainsi que les accidents. ». Il est opportun de noter que la corruption est en déclin et que le gouvernement monténégrin se rapproche davantage des acquis européens.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas établi que la seule raison pour laquelle vous n'auriez pas trouvé de travail serait lié à votre confession musulmane.

Par ailleurs, vous déclarez qu'il n'existerait pas d'allocation familiale au Monténégro.

Or, il ressort des recherches du Service des Réfugiés que tout le monde a accès aux allocations tant qu'on soit enregistré à l'administration de l'emploi et qu'on soit en possession d'un document d'identité valable, pré-requis que vous remplissez. Il n'est donc aucunement démontré que vous n'auriez pas droit aux allocations familiales, voire que celles-ci n'existent pas.

En outre, selon l'article 1 (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre pays d'origine, le Monténégro doit être considéré comme pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la prédite loi.

L'analyse individuelle de votre situation personnelle ne permet pas d'ébranler ce constat.

Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation de votre demande de protection internationale, des raisons économiques et médicales ainsi que vos problèmes liés à votre famille et celle de votre ex-conjoint ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Monténégro ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2012, Madame … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 1er juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet du recours, la demanderesse fait état de ce qu’elle aurait été obligée de quitter son pays d’origine en raison des discriminations subies de la part des autorités étatiques, du fait de sa confession musulmane, concernant l’accès à l’emploi, ainsi que, étant donné l’absence de ressources financières en son chef, concernant l’accès à des soins médicaux.

Elle reproche au ministre d’avoir retenu à tort qu’elle n’aurait invoqué que des faits sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de sa demande de protection internationale, le ministre n’ayant ainsi pas correctement évalué sa situation. Elle soutient que du fait des discriminations dont elle aurait été victime, elle remplirait les conditions nécessaires à l’obtention d’une protection internationale.

Elle ajoute qu’alors même que le Monténégro serait considéré comme étant un pays d’origine sûr, il n’en resterait pas moins que le ministre aurait dû prendre en considération les circonstances factuelles ayant motivé le départ de son pays d’origine et évaluer son cas et sa situation concrète. Quant à la situation générale au Monténégro, la demanderesse se réfère à un rapport de 2011 d’Amnesty International sur le Monténégro dont il ressortirait que son pays d’origine devrait renforcer la lutte contre la criminalité organisée et veiller au respect de la liberté d’expression, de sorte que le Monténégro ne serait pas à considérer comme un pays sûr, du moins à son égard.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée, étant donné qu’elle aurait exclusivement fait état de motifs d’ordre économique, personnel et familial, qui auraient justifié le départ de son pays d’origine. Ainsi, la demanderesse n’aurait soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. De même, d’après le représentant étatique, il apparaîtrait très clairement, conformément au point b) du même article 20, paragraphe (1), du récit de la demanderesse qu’elle ne remplirait pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Ainsi, des raisons d’ordre économique et familial ne sauraient fonder à elles seules une demande de protection internationale puisque de tels motifs ne seraient pas prévus par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, ainsi que par la loi du 5 mai 2006. Finalement, le délégué du gouvernement relève que la demanderesse est originaire du Monténégro qui devrait être considéré comme un pays d’origine sûr en vertu du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs, et que l’examen de sa situation concrète n’aurait pas remis en question cette qualification de son pays d’origine.

Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Par ailleurs, il convient de relever que les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-

fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.

En ce qui concerne le cas énuméré au point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, force est de constater qu’aux termes de l’article 21 de cette même loi : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, précité, le Monténégro a été retenu comme constituant un pays d’origine sûr, de sorte que le ministre a a priori pu conclure à bon droit que la demanderesse provient d’un pays d’origine sûr.

C’est à tort que la demanderesse soutient que ledit règlement grand-ducal serait à écarter en l’espèce compte tenu de sa situation particulière.

En effet, il est certes vrai qu’au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr n’est pas suffisant pour conclure ipso facto qu’il soit statué sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, étant donné qu’aux termes de l’article 21 (2) le ministre est obligé de procéder à un examen individuel de la demande de protection internationale et d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de la situation personnelle du demandeur.

Or, en l’espèce, force est au tribunal de constater que le ministre, après examen de la demande de protection internationale de la demanderesse, a conclu qu’elle provient d’un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu’il appartient à cette dernière d’établir les raisons concrètes susceptibles de renverser ce constat. Cependant, le seul élément objectif que la demanderesse a présenté à cet égard est un rapport de 2011 d’Amnesty International sur la situation au Monténégro, dont il ressort que ce dernier devrait renforcer sa lutte contre la criminalité organisée et veiller au respect de la liberté d’expression, sachant que la demanderesse n’a au vu de ses dires pas personnellement et directement pâti de cette situation. Ce rapport n’est partant pas suffisant pour retenir que nonobstant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, précité, le Monténégro ne pourrait pas être considéré comme constituant un pays d’origine sûr pour la demanderesse.

Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu conclure que la demanderesse provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 20 (1) c), respectivement de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, la demanderesse reproche au ministre d’avoir fait une interprétation erronée de ses déclarations pour ne pas avoir considéré que les faits exposés lors de son audition, à savoir les discriminations étatiques, du fait de sa confession musulmane, concernant l’accès à l’emploi, constitueraient des motifs suffisants pour l’obtention de la protection internationale.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.

Il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et qu’en vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » étant définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’elle ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

Il ressort en effet sans équivoque des déclarations de la demanderesse, telles qu’actées dans les rapports d’audition précités des 6 avril et 7 mai 2012, qu’elle n’a quitté son pays d’origine que du fait de l’impossibilité de trouver du travail et d’accéder à des soins médicaux en résultant. L’affirmation vague et non-circonstanciée que cette impossibilité serait due à ses croyances religieuses n’est cependant pas suffisamment établie, surtout que la demanderesse a admis lors de son audition du 6 avril 2012, en réponse à la question de savoir pourquoi elle ne recevrait pas de travail malgré son inscription à l’administration de l’emploi, qu’il serait « (…) difficile de trouver du travail si on n’a pas de connaissances. ».

Ainsi, force est au tribunal de constater que la demanderesse est restée en défaut de faire valoir des motifs autres que des motifs d’ordre personnel et économique à la base de sa demande de protection internationale, et qui seraient de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution dans son pays de provenance pour les motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder à la demanderesse le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Le tribunal constate que la demanderesse base son recours, concernant la demande de protection subsidiaire, sur les mêmes moyens que ceux exposés à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les faits et motifs invoqués par la demanderesse manquent de fondement, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes événements ou arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elle encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité.

Plus particulièrement, la demanderesse reste en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Il s’ensuit en l’absence d’autres éléments que c’est à juste titre que le ministre a retenu que la demanderesse n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’elle courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 1er juin 2012 a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

En l’espèce, la demanderesse sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que la demanderesse n’a à aucun moment fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 1er juin 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 1er juin 2012 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 1er juin 2012 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire de vacation du 8 août 2012 par :

Marc Sünnen, vice-président, Andrée Gindt, juge, Paul Nourissier, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 08.08.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 30695
Date de la décision : 08/08/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-08-08;30695 ?

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