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03/08/2012 | LUXEMBOURG | N°30933

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 août 2012, 30933


Tribunal administratif Numéro 30933 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 3 août 2012 Recours formé par Madame … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30933 du rôle et déposée le 24 juillet 2012 au greffe du tribunal administratif par M

aître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats ...

Tribunal administratif Numéro 30933 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2012 Audience publique extraordinaire de vacation du 3 août 2012 Recours formé par Madame … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30933 du rôle et déposée le 24 juillet 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Serbie), agissant en son nom personnel et au nom et pour le compte de ses enfants mineurs …, née le … à … et …, née le … à …, toutes de nationalité serbe, retenues au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 4 juillet 2012, ordonnant leur placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2012 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2012 par Maître Ardavan Fatholahzadeh pour le compte de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er août 2012.

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Par un jugement du tribunal administratif du 11 mai 2011 (n° 27643 du rôle), la demande en obtention d’une protection internationale présentée par Madame … au ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, en date du 8 octobre 2010 fut définitivement rejetée comme n’étant pas fondée.

Le 14 octobre 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », prit une décision de refus d’autorisation de séjour à l’égard de Madame ….

En date du 4 juillet 2012, le ministre prit un arrêté d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans à l’égard de Madame ….

Par un arrêté du même jour, notifié à l’intéressée le 24 juillet 2012, le ministre ordonna le placement en rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question de Madame …, ainsi que de ses enfants mineurs … et …. L’arrêté est basé sur les motifs et considérations suivants :

« Vu les articles 111 et 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu la décision de refus de séjour du 14 octobre 2011 ;

Vu la décision d’interdiction du territoire du 4 juillet 2012 ;

Attendu que l’intéressée est démunie de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressée ;

Considérant qu’un accord de réadmission a été délivré par les autorités serbes en date du 11 juin 2012 ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressée ont été engagées ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2012, Madame … agissant en son nom personnel et au nom et pour le compte de ses enfants mineurs … et … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel du 4 juillet 2012 ordonnant leur placement au Centre de rétention.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a relevé que le recours en réformation serait irrecevable pour défaut d’intérêt au motif qu’au jour des plaidoiries du présent recours la demanderesse et ses enfants mineurs ne se trouveraient plus au Centre de rétention pour avoir été rapatriés le 26 juillet 2012, tout en remarquant qu’un recours en annulation resterait possible.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse a déclaré qu’elle maintiendrait son recours « uniquement sous l’angle de l’annulation » tout en soulignant qu’elle garderait un intérêt à faire examiner la légalité de la décision déférée ordonnant son placement en rétention.

Il ressort des pièces versées au dossier administratif que la demanderesse accompagnée de ses enfants mineurs ont effectivement été rapatriés en date du 26 juillet 2012, de sorte qu’ils ne se trouvent plus au Centre de rétention au jour des plaidoiries.

Le tribunal, appelé à statuer comme juge du fond et à apprécier la situation de fait et de droit de la cause au moment où il statue, ne saurait en effet plus utilement faire droit à la demande en réformation de la décision déférée et ordonner la libération de la demanderesse et de ses enfants mineurs, étant donné qu’ils ne se trouvent plus à l’heure actuelle placés en rétention.

Le recours en réformation est néanmoins recevable dans la limite des moyens de légalité invoqués, et il est partant à déclarer sans objet pour autant qu’il conclut à la libération de la demanderesse et de ses enfants.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable dans cette mesure.

A l’appui de son recours, la demanderesse conclut à une violation de l’article 6, paragraphe (3) de la loi du 28 mai 2009 portant création et organisation du Centre de rétention, ci-après désigné par « la loi du 28 mai 2009 », dans la mesure où le ministre a ordonné son placement en rétention et celui de ses enfants pour une durée maximale d’un mois, alors que l’article en question prévoit une durée maximale de placement de 72 heures pour les familles accompagnées d’enfants mineurs.

Le délégué du gouvernement rétorque que la décision de placement déférée aurait prévu un délai d’un mois conformément à l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008. Il explique qu’il s’agirait d’un délai préfixe, prolongeable, étant donné l’incertitude attachée à la durée des opérations de rapatriement. Il précise qu’afin de respecter le délai de 72 heures applicable au placement de familles accompagnées d’enfants mineurs, la décision déférée n’aurait été notifiée à la demanderesse que 72 heures avant le retour vers son pays d’origine.

La loi du 28 mai 2009 prévoit expressément la possibilité du placement en rétention d’enfants mineurs et de leurs familles, l’article 6, paragraphe (3) de cette même loi disposant en effet que :

« (3) Les personnes ou familles accompagnées de mineurs d’âges placées au Centre en vue de leur éloignement séjournent dans une unité distincte qui leur est réservée. La durée de leur placement ne peut excéder 72 heures ».

L’article 7, paragraphe (2) de la loi du 28 mai 2009 prévoit encore que :

« (2) Une attention particulière est accordée à la situation des personnes vulnérables, à savoir les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs et les personnes qui ont été victimes de torture, de viol ou d’une autre forme grave de violence psychologique, physique ou sexuelle ».

Il résulte de la lecture combinée des deux dispositions légales qui précèdent que les mineurs peuvent être placés en rétention à condition de bénéficier d’une attention particulière et que ladite mesure de placement prend fin au plus tard au bout de 72 heures.

En ce qui concerne plus particulièrement la durée maximale de placement de 72 heures, il y a encore lieu de souligner qu’il résulte des travaux parlementaires et plus particulièrement du commentaire des articles que : « Ces personnes ou familles [accompagnées d’enfants mineurs] ne pourront en aucun cas être retenues plus de 72 heures au Centre. Elles y seront placées lorsque les modalités de leur rapatriement sont établies et que leur éloignement est réalisable dans les 72 heures de leur arrivée au Centre. »1 Force est dès lors de constater que le législateur a particulièrement insisté sur la limitation de la mesure de placement dans le temps à 72 heures dans le cas où un mineur serait concerné, en raison de son état de personne vulnérable.

En l’espèce, l’arrêté ministériel litigieux prévoit le placement de la demanderesse et de ses enfants « pour une durée d’un mois à partir de la notification du présent arrêté ».

Or, comme le tribunal vient de le retenir ci-avant, la durée de la mesure de placement visant une famille accompagnée d’enfants mineurs ne saurait en aucun cas excéder 72 heures, de sorte qu’il y a lieu d’annuler ledit arrêté pour violation de l’article 6, paragraphe (3) de la loi du 28 mai 2009. Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle il fait état d’un prétendu délai préfixe d’un mois prévu à l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le législateur ayant expressément prévu d’y déroger dans les cas de placement de familles accompagnées d’enfants mineurs.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’observation du représentant étatique quant à l’incertitude attachée à la durée des opérations de rapatriement des personnes placées en rétention, force est de constater que le ministre a la possibilité, comme il l’a d’ailleurs fait en l’espèce, de ne notifier l’arrêté ordonnant le placement en rétention d’enfants mineurs que 72 heures avant leur retour vers leur pays d’origine.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’arrêté ministériel déféré du 4 juillet 2012 est à annuler dans le cadre du recours en réformation, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens et arguments développés par les parties à l’instance.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en réformation recevable dans la limite de ses moyens de légalité ;

au fond, le déclare justifié et annule dans la limite des moyens de légalité la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 4 juillet 2012 ;

le déclare irrecevable pour le surplus ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

1 Travaux parlementaires n° 5947, Commentaire des articles, p.8 condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Thessy Kuborn, premier juge, Anne Gosset, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire de vacation du 3 août 2012 par le premier juge, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.

s. Sabrina Knebler s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 août 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 30933
Date de la décision : 03/08/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-08-03;30933 ?

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