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26/07/2012 | LUXEMBOURG | N°30654

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 juillet 2012, 30654


Tribunal administratif N° 30654 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2012 Audience publique extraordinaire du 26 juillet 2012 Recours formé par Madame Asije Sula, Bourscheid contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30654 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2012 par Maître Louis Tinti, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madam...

Tribunal administratif N° 30654 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2012 Audience publique extraordinaire du 26 juillet 2012 Recours formé par Madame Asije Sula, Bourscheid contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30654 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2012 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame Asije Sula, né le 13 mars 1987 à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant à L-9140 Bourscheid, 33, Groussgass, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 16 mai 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du même ministre du 16 mai 2012 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh en remplacement de Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 juillet 2012.

Le 12 mars 2012, Madame Asije Sula introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».

Le 13 mars 2012, Madame Sula fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 26 avril 2012, elle fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 16 mai 2012, notifiée par courrier recommandé du 21 mai 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame Sula qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Ladite décision est libellée de la façon suivante :

«J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 12 mars 2012.

En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi ; » En mains le rapport du Service de la Police Judiciaire du 13 mars 2012 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 26 avril 2012.

Il résulte du rapport de la Police Judiciaire que vous êtes en possession d'un passeport albanais, établi le 28 février 2012. Il ressort des cachets de votre passeport que vous êtes entrée de manière légale en territoire communautaire par la frontière slovène en date du 11 mars 2012.

Madame, vous indiquez être venue au Luxembourg parce que vous n'auriez pas de travail en Albanie.

Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune autre persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d'un parti politique.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutée dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Force est de constater que les raisons principales auxquelles vous vous rapportez Madame, pour justifier votre demande de protection internationale sont des problèmes socio-

économiques. En effet ces facteurs ne sont pas considérés dans l'analyse de demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, puisqu'ils n'entrent pas dans le champ d'application desdites Convention et loi susmentionnées.

Il ressort des informations en main du Service des Réfugiés que : « Albania is one of the poorest countries in Europe. Since 1991, the economy has struggled to recover from fall of Europe's harshest communist regime, the impact of the move to a market economy and the 1997 collapse of pyramid investment schemes. However, Albania's economy has improved substantially over recent years — albeit from a very low base, (with average annual growth rates of 6% over the 2004-8 period) and was only one of two European countries to experience positive growth in 2009 » Néanmoins « Unemployment in Albania was high at 13.7% in 2010, the same as a year earlier (…) Labour market statistics continue to be weak and are distorted by a large informal sector (…) Unemployment affects primarily those with lower skills, young people and those in remote regions. » Or, au vu de ce qui précède, force est de constater que toute la population de l'Albanie est affectée par la crise économique.

Enfin, à cela s'ajoute que selon l'article 1 (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre pays d'origine, l'Albanie doit être considérée comme pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la prédite loi, les conditions du point c) de l'article 20§1 étant donc également remplies. De même, l'analyse de votre situation personnelle ne permet pas d'ébranler ce constat.

Force est de constater que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre vos vies intolérables dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies â l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Albanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2012, Madame Sula a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 16 mai 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La demanderesse reproche au ministre d’avoir retenu à tort qu’elle tomberait dans l’une des hypothèses énumérées à l’article 20 (1), sous les points a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, voire d’avoir commis une violation de la loi, et d’avoir statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Elle estime à cet égard que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale seraient pertinents au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Ainsi, elle aurait été obligée de quitter son pays d’origine dès lors qu’elle aurait été placée dans un orphelinat dès son plus jeune âge et vivrait dans des conditions difficiles en Albanie. Elle affirme cependant avoir été prise en charge par l’Etat albanais. Elle cite un rapport d’Amnesty International de 2010 à l’appui de ses propos. Elle fait état de ce que les conditions de vie dans lesquelles elle vivrait seraient impossibles à supporter de sorte qu’elle reproche au ministre d’avoir analysé sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.

Elle ajoute qu’alors même que l’Albanie serait considérée comme un pays d’origine sûr, il n’en resterait pas moins que le ministre aurait dû prendre en considération les circonstances factuelles ayant motivé le départ de son pays d’origine et évaluer son cas et sa situation concrète caractérisée par la présence de persécutions en raison de son état d’orpheline originaire d’Albanie.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée, puisqu’il apparaîtrait clairement qu’elle ne remplirait pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et qu’elle n’aurait soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante. Il relève qu’il ressortirait de sa demande que ce sont des raisons exclusivement économiques qui seraient invoquées par la demanderesse, lesquelles ne sauraient justifier l’octroi d’une protection internationale. Il relève, de surcroît, que contrairement aux affirmations de son litismandataire dans la requête introductive d’instance, la demanderesse n’aurait pas invoqué son statut d’orpheline en Albanie comme motivation justifiant le fait pour elle d’avoir quitté son pays.

Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;

(…) » En vertu de l’article 2 a) de la même loi, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 e) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.

Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée notamment lorsqu’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi.

Il ressort des déclarations de la demanderesse telles qu’actées au rapport d’audition que la raison principale l’ayant poussée à quitter son pays de provenance trouve son origine dans des problèmes économiques auxquels elle doit faire face (« La raison pour laquelle je suis partie, c’est que je vivais très mal en Albanie. Je vivais dans un bâtiment avec d’autres gens. Je recevais juste une petite assistance de l’Etat. L’Etat ne faisait rien du tout pour moi » pages 2/4 du rapport d’audition de la demanderesse). Il y a également lieu de relever que son état d’orpheline soulevé dans le cadre du présent recours comme constituant une condition de nature à rendre sa vie impossible en Albanie n’a pas été jugée comme constituant une motivation l’ayant amenée à quitter son pays d’origine dès lors que la demanderesse n’en a pas fait état dans son rapport d’audition. Il n’en demeure pas moins que cet état, loin de constituer une circonstance indiquant que la demanderesse serait victime de persécution dès lors qu’aucune pièce ou élément soumis à l’examen du tribunal ne permet de tirer cette conclusion, conforte bien plus la constatation de l’existence de problèmes économiques comme origine de la fuite de la demanderesse de son pays d’origine. Il y a encore lieu de relever que si une enfance passée dans un orphelinat constitue certes une situation difficile, il n’en reste pas moins que la demanderesse est actuellement majeure et ne nécessite plus de protection particulière.

Force est dès lors au tribunal de constater que le motif avancé par la demanderesse à la base de sa demande de protection internationale est exclusivement d’ordre économique et qu’elle ne fait pas état dans son chef dans son pays de provenance d’une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés par la loi du 5 mai 2006, à savoir du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement d’un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi.

Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu considérer que le motif avancé par la demanderesse à l’appui de sa demande de protection internationale est sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de sa demande et qu’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, au sens de l’article 20 (1), a) et b) de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative et dans la mesure où le tribunal vient de constater que les conditions énumérées aux points a) et b) dudit article sont remplies en l’espèce, le ministre a valablement pu statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est partant à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner la situation concrète en Albanie nonobstant l’existence du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, voire de vérifier si la demande de protection internationale de Madame Sula entre dans les conditions du point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La demanderesse reproche au ministre d’avoir fait une interprétation erronée de ses déclarations. A cet égard, elle affirme que l’incapacité de l’Etat albanais à permettre à des citoyens orphelins de disposer de conditions de vie dignes serait de nature à justifier dans son chef d’une forme de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006. Cette situation de conditions d’existence inhumaines et dégradantes serait aussi contraire à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », et serait la conséquence de son appartenance à un « groupe social » de la population albanaise au sens de l’article 32 d) de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.

Comme rappelé ci-avant, aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et en vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’elle ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

Il ressort en effet sans équivoque des déclarations de la demanderesse, telles qu’actées dans son rapport d’audition précité du 26 avril 2012, qu’elle n’a quitté son pays d’origine qu’en raison de problèmes économiques auxquels elle devait faire face (« La raison pour laquelle je suis partie, c’est que je vivais très mal en Albanie. Je vivais dans un bâtiment avec d’autres gens. Je recevais juste une petite assistance de l’Etat. L’Etat ne faisait rien du tout pour moi », page 2/4 du rapport d’audition de la demanderesse). Il s’ensuit que contrairement aux affirmations de la demanderesse non autrement étayées, elle ne peut se prévaloir d’avoir fait l’objet de persécutions en raison de son appartenance au « groupe social » des orphelins en Albanie, dès lors que même à considérer ses affirmations comme avérées selon lesquelles elle aurait vécu dans des conditions de précarité en Albanie du fait de son statut d’orpheline, lesdites conditions, toutes regrettables soient-elles, ne sauraient s’apparenter à une forme de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006 ou à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH.

Ainsi, force est au tribunal de constater que la demanderesse est restée en défaut d’établir que les conditions de vie qu’elle décrit, certes peu agréables, constitueraient une forme de persécution fondée sur un des motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa nationalité ou son appartenance à un certain groupe social.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié de la demanderesse.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder à la demanderesse le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

A l’appui de ce volet du recours, la demanderesse fait valoir que la circonstance pour elle de se retrouver contraint à vivre depuis de nombreuses années et sans perspective d’évolution dans des conditions de vie extrêmement pénibles s’inscrirait dans les prévisions de l’article 37 précité.

Force est de constater à cet égard, d’une part, que l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 se réfère à des traitements ou des sanctions « infligées », tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’ « atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de précarité et de pauvreté, à lui seul, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit en l’absence d’autres éléments que c’est à juste titre que le ministre a retenu que la demanderesse n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’elle courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 16 mai 2012 a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

En l’espèce, la demanderesse sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que la demanderesse n’a à aucun moment fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 16 mai 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée :

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 16 mai 2012 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 16 mai 2012 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, premier juge, Thessy Kuborn, premier juge, Anne Gosset, juge, et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 26 juillet 2012 par le premier juge Annick Braun en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 juillet 2012 Le Greffier du Tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 30654
Date de la décision : 26/07/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-07-26;30654 ?

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