Tribunal administratif Numéro 28107a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mars 2011 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2012 Recours formé par la société anonyme …, … contre deux bulletins de cotisation émis par la Chambre de Commerce du Grand-Duché de Luxembourg en matière de cotisations professionnelles
JUGEMENT
Revu la requête inscrite sous le numéro 28107 du rôle et déposée le 14 mars 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Pierre Winandy, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par ses « organes en fonction », tendant à l’annulation, sinon à la réformation de deux bulletins de cotisation émis par la Chambre de Commerce en date du 10 décembre 2010 portant sur les cotisations à payer respectivement pour les années 2007 et 2010 ;
Vu le jugement du tribunal administratif du 26 mars 2012 ;
Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2012 par Maître Jean-Pierre Winandy pour compte de la société anonyme … ;
Vu le mémoire additionnel déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2012 par Maître Patrick Kinsch pour compte de la Chambre de Commerce ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maîtres Jean-Pierre Winandy et Patrick Kinsch en leurs plaidoiries respectives lors de l’audience publique du 30 avril 2012 à laquelle l’affaire avait été refixée pour la continuation des débats.
En date du 10 décembre 2010, la Chambre de Commerce du Grand-Duché de Luxembourg, ci-après dénommée la « Chambre de Commerce », émit à l’égard de la société anonyme …, ci-après dénommée la « société … », deux bulletins de cotisation pour les années 2007 et 2010.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2011, la société … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des deux bulletins de cotisation émis en date du 10 décembre 2010 portant respectivement sur les années 2007 et 2010.
Par jugement rendu en date du 26 mars 2012, le tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation et a déclaré recevable le recours en annulation, tout en invitant les parties, avant tout autre progrès en cause, à prendre position par rapport à la question de savoir si l’article 16, alinéa 2 de la loi du 26 octobre 2010 portant réorganisation de la Chambre de Commerce est conforme aux articles 36, 76, alinéa 2 et 108bis de la Constitution, en autorisant chacune des parties à prendre un mémoire supplémentaire afin de prendre position par rapport à la question ainsi soulevée et en refixant l’affaire à une audience ultérieure pour la continuation des débats.
Dans son mémoire complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2012, la demanderesse estime que le renvoi à la Cour constitutionnelle de la question soulevée par le tribunal dans son jugement précité du 26 mars 2012 s’imposerait au vu du raisonnement développé par le tribunal dans le jugement en question, en ce que le pouvoir réglementaire institué en vue de l’exécution des lois serait réservé au Grand-Duc sur base de l’article 36 de la Constitution, et ceci même après la réforme constitutionnelle de l’année 2004.
Par ailleurs, la partie demanderesse soutient que l’intention du législateur d’accorder à la Chambre de Commerce un pouvoir réglementaire ne ressortirait pas de manière univoque des travaux parlementaires et plus particulièrement de l’avis du Conseil d’Etat pris dans le cadre de l’adoption de la loi précitée du 26 octobre 2010. Elle admet toutefois que la solution retenue par l’article 16 de la loi précitée du 26 octobre 2010 serait dénuée de la moindre ambigüité.
Dans son mémoire additionnel déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 avril 2012, la Chambre de Commerce estime que la question de constitutionalité soulevée par le tribunal serait dépourvue de fondement. Dans le cadre de ses développements, la Chambre de Commerce fait état de ce qu’il existerait trois types de pouvoir réglementaire prévus par la Constitution, à savoir, tout d’abord, le pouvoir réglementaire « pour l’exécution des lois », tel que réglementé par les articles 36 et 37, alinéa 4 de la Constitution, ensuite le pouvoir réglementaire d’attribution ou sur habilitation, prévu par l’article 32, paragraphe 2 de la Constitution et enfin le pouvoir réglementaire autonome qui constituerait le pouvoir réglementaire au sens strict, à savoir celui découlant d’une disposition spéciale de la Constitution elle-même.
En excluant de prime abord que ce dernier pouvoir réglementaire puisse être visé dans le cadre de la présente instance litigieuse, la Chambre de Commerce estime néanmoins que le pouvoir réglementaire pour l’exécution des lois ne serait pas « univoque » dans la mesure où cette notion pourrait se référer soit à l’exécution spontanée des lois, soit à toute mesure d’exécution, même expressément prévue par la loi qui, dans la mesure où elle serait restée muette sur certains points particuliers, délèguerait expressément lesdits points au pouvoir réglementaire. La Chambre de Commerce estime qu’il semblerait que cette deuxième conception de la notion de pouvoir réglementaire aurait tendance à prévaloir au Luxembourg, c’est-à-dire une notion large du pouvoir réglementaire institué pour l’exécution des lois.
A supposer que le pouvoir de fixer le taux de cotisation attribué à la Chambre de Commerce relèverait de l’exécution de la loi précitée du 26 octobre 2010, la Chambre de Commerce est d’avis qu’il n’y aurait aucune raison de penser que la Constitution aurait voulu interdire au législateur de conférer à un établissement public le pouvoir d’arrêter des mesures réglementaires de ce type. En effet, l’article 108bis de la Constitution permettrait que la Chambre de Commerce pourrait « prendre des règlements » sans que cette notion de règlement ne soit restreinte d’une quelconque manière dans ladite disposition constitutionnelle.
La Chambre de Commerce n’est par ailleurs pas d’accord avec le fait que les dispositions d’ordre constitutionnel devraient être interprétées de manière stricte et elle estime qu’il n’aurait pas été nécessaire pour le législateur de prévoir à l’article 108bis de la Constitution une référence expresse à des règlements à prendre en vue de l’exécution des lois, dans la mesure où la notion de règlement y a été insérée et que ce terme d’ordre général devrait également viser ceux à prendre en vue de l’exécution des lois.
Comme la question de la conformité à la Constitution de l’article 16, alinéa 2 de la loi précitée du 26 octobre 2010, telle que soulevée d’office par le tribunal dans son jugement précité du 26 mars 2012, a ainsi été soumise, conformément à l’article 6, alinéa 3 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle aux parties et qu’elles ont pu prendre position à cet égard, tel que cela ressort des développements repris ci-dessus, et comme les argumentations développées par les parties à l’instance n’ont fait que confirmer la pertinence de la question ainsi soulevée par le tribunal, il échet de soumettre celle-ci à la Cour constitutionnelle. Ainsi, au vu du fait que la question de constitutionalité afférente n’est pas dénuée de tout fondement, le tribunal est obligé, par application de l’article 6, alinéa 1er de la loi précitée du 27 juillet 1997, de saisir la Cour constitutionnelle de la question de la compatibilité de l’article 16, alinéa 2 de la loi du 26 octobre 2010 portant réorganisation de la Chambre de Commerce avec les articles 36, 76, alinéa 2 et 108bis de la Constitution.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
vidant le jugement du 26 mars 2012 ;
au fond, et avant tout autre progrès en cause, saisit la Cour constitutionnelle, par voie préjudicielle, de la question suivante :
« L’article 16, alinéa 2 de la loi du 26 octobre 2010 portant réorganisation de la Chambre de Commerce, en ce qu’il a entendu accorder à la Chambre de Commerce un pouvoir réglementaire en vue de l’exécution des lois, en attribuant à celle-ci le droit de fixer les modalités de calcul des cotisations par son « règlement de cotisation » est-il conforme aux articles 36, 76, alinéa 2 et 108bis de la Constitution ? » ;
réserve les dépens ;
fixe l’affaire au rôle général.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2012 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 4