Tribunal administratif N° 30609 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2012 3e chambre Audience publique du 10 juillet 2012 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30609 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2012 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à … (Monténégro), agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, née le … à …, …, née le … à … (Monténégro), …, né le … à … et …, née le … à …, tous de nationalité monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 8 mai 2012 de statuer sur le bien-
fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 8 mai 2012 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Vu le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Katrin Djaber Hussein, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 juillet 2012.
Le 10 janvier 2012, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et …, ci-après dénommés « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur … fut entendu le 16 mars 2012 et Madame … fut entendue le 2 avril 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 8 mai 2012, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le 9 mai 2012, le ministre informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 10 janvier 2012.
En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de vos demandes de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous deux cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
c) le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi. » En mains le rapport du Service de la Police Judiciaire du 12 janvier 2012, ainsi que les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 16 mars et 2 avril 2012.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous ne posséderiez pas de maison et n'auriez pas de travail régulier. Vous déclarez que vous auriez trouvé un emploi en tant que nettoyeur, en privé, auprès de personnes que vous soupçonnez de faire partie de la « mafia ».
Ainsi, vous auriez vu entrer des personnes transportant de la drogue dans la maison de votre employeur. Par ailleurs, vous auriez aussi découvert des seringues lors du nettoyage de l'intérieur de la demeure. Vous seriez rémunéré 10 € la journée et votre ancien employeur vous devrait encore 15 jours de paie que vous auriez réclamée sans succès. Selon vos dires, vous y auriez travaillé entre 25 et 30 jours. Vous seriez inscrit à l'administration de l'emploi depuis 2000 mais celle-ci ne vous aurait pas procuré d'emploi jusqu'à présent.
Vous déclarez que votre femme aurait difficilement survécu à l'accouchement de vos quatre enfants. Lors d'une de ces occasions, elle aurait eu besoin de perfusions sanguines et le médecin vous aurait déclaré que cela coûterait 100.-€. Vous auriez alors dû trouver du sang vous-même parce que vous n'auriez pas pu payer la somme exigée. De même, votre fille … serait née prématurément et aurait des problèmes pulmonaires et cardiaques. Des soins médicaux adéquats seraient disponibles au Monténégro, cependant faute de moyens financiers, vous ne pourriez vous les permettre.
Enfin, vous ajoutez aussi ne pas être à même de fournir une éducation appropriée à vos quatre enfants, faute de revenus réguliers.
Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez que vous auriez été opérée à quatre reprises par césarienne et que depuis lors vous auriez des problèmes psychologiques. Vous affirmez que vous seriez inscrite auprès de l'administration de l'emploi et que vous vous y présenteriez régulièrement. Votre fille qui souffrirait de problèmes cardiaques aurait été sous traitement au Monténégro pendant cinq mois. Elle aurait reçu des perfusions après la naissance.
Vous ajoutez également que vous n'auriez jamais eu des problèmes avec des gens de la « mafia » et que votre mari n'aurait pas réclamé l'argent à son employeur.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans vos chefs une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
Madame, Monsieur, il ressort clairement que vos demandes de protection internationale sont essentiellement basées sur des motifs d'ordre économiques et médicaux ne répondant à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. De même, vos problèmes avec votre employeur sont à considérer comme des délits de droit commun commis par une personne privée du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation monténégrine.
En ce qui concerne la situation économique générale du Monténégro, il y a lieu de souligner que l'économie du Monténégro est en transition vers un système de marché, mais le secteur public reste important et d'autres changements institutionnels sont nécessaires. Le taux de chômage et les disparités régionales en matière de développement sont les principaux problèmes politiques et économiques. Le Monténégro a privatisé son industrie dominante (complexe d'aluminium) ainsi que la plus grande partie de son secteur financier et a commencé à attirer des investissements étrangers directs dans le secteur du tourisme. La crise financière mondiale a eu un impact négatif significatif sur l'économie, en raison de la crise du crédit, une baisse dans le secteur immobilier et une baisse des exportations d'aluminium. En 2011, la croissance réelle du PIB a ralenti à 1,8% et le taux de chômage se trouvait à 11,5%.
Par ailleurs, vos difficultés à trouver du travail au Monténégro est une problématique dont le pays en général en souffre. Ainsi, le rapport de l'Union Européenne de 2011 relève que «The labour market has further deteriorated in 2010 and showed only modest improvements in 2011. The activity rate stabilized at 60% for the 15-64. There has been a slight increase of the employment rate in 2011 (at 39.6% in the second half of 2011 compared to 38.9% in the same period of 2010) but with persisting significant gender gap and a continuous increase of unemployment, close to 20% in mid-2011. The high incidence of long-
term employment continued (at around 80% of total unemployed in the second half of 2011 according to Monstat) as well as youth unemployment (at 37.3% in the same period.) The low rate of employment, persisting skills mismatch and gaps between the north and other parts of the country remain causes for concern. An evaluation of implementation of the National Action Plan for Employment (NAPE) found that the strategy for employment and human resources development for the period 2007-2011 is delivering on most of the objectives.
Montenegro continued to implement a wide range of active labour market measures, e.g.
public works, seasonal employment, job subsidies, co-financing of apprentices, training, retraining and credits for self-employment. » II y a lieu de constater que, d'un côté, la situation de l'emploi au Monténégro reste difficile et toute la population en souffre. De l'autre côté, le gouvernement est activement en train de trouver des solutions à diminuer cette problématique par le biais de plusieurs programmes qui ciblent les différentes parties qui se trouvent dans le marché du travail.
Quoi qu'il en soit, il convient de souligner que des raisons économiques ne sauraient davantage justifier une demande de protection internationale.
En ce qui concerne l'accès aux soins de santé, depuis son indépendance en 2006, le gouvernement du Monténégro a mis en place un système de santé qui met l'accent sur l'amélioration des services de santé d'urgence. Le secteur de la santé au Monténégro est en pleine évolution, avec des plans importants prévus en vu d'améliorer et de développer le système de soins de santé. Ceci est entrepris dans le cadre d'un processus continu, avec l'aide de partenaires internationaux. Le système de santé est composé d'établissements privés et publics. Il y a des professionnels bien formés et dans le cas d'une urgence non médicale, ces établissements exigent normalement des paiements en espèce avant de fournir des soins. Une quantité considérable de temps et d'argent a été investi dans le développement du système de santé dans le cadre d'un réexamen entrepris en 2001 - la «Politique sur les services de santé dans la République du Monténégro jusqu'à l'année 2020 » - et la « Stratégie pour le développement des soins de santé au Monténégro », mise en œuvre en 2003. Ces initiatives ont soutenu le renforcement du secteur de la santé globale au Monténégro, dans le but de construire des capacités institutionnelles et d'améliorer la qualité, l'efficacité et l'accès aux soins de santé primaires. En 2008, le gouvernement monténégrin a consacré 5,72% du PIB pour les dépenses sur le secteur de la santé. Or, force est de constater que le gouvernement monténégrin est en train de mettre en œuvre des réformes comme le constate le rapport de l'Union Européenne de 2011 : « Overall, some progress has been made in the fields of consumer and health protection. Montenegro continues to make progress towards alignment with the EU consumer policy and the EU health strategy. However, further efforts are required to align national legislation with the acquis and build up administrative capacity. In the area of consumer protection, support for consumer organisations needs to be increased and awareness-raising activities stepped up. Concerning health, both monitoring and evaluation need to be strengthened when it comes to communicable diseases, notably with regard to vulnerable communities. Implementation of a modem blood transfusion system is still pending. Attention needs to be paid to alignment with EU legislation in the fields of tissues, cells and organs. » De même, les autorités ne vous refusent pas l'accès aux soins médicaux comme vous l'admettez. En effet, vous déclarez que des traitements adéquats pour soigner votre fille existent au Monténégro, mais que vous « n'avez pas de moyens pour cela ». Il ressort clairement que vos raisons de départ se basent uniquement sur des motifs de nature économique.
Par ailleurs, il ne ressort pas de vos déclarations que vous vous seriez adressés aux autorités compétentes concernant vos soupçons de corruption au sein des hôpitaux puisque vous déclarez que « quand on a de l'argent, on nous traite bien mais quand on n'a pas, on ne nous connaît pas. ». En effet, « Progress can be reported in the flet against corruption, one of the key priorities set out in the Opinion. Montenegro has made significant efforts to strengthen the legal framework needed for combating corruption and to address outstanding recommendations of the Group of States against Corruption (GRECO). Amendments to the Law on conflict of interest were enacted in July 2011, with the aim of remedying legislative gaps identified in GRECO first and second evaluation rounds. ». Qui plus est, il y a lieu de soulever le rapport du Conseil de l'Europe du 24 juin 2011 concernant le « Respect des obligations et engagements du Monténégro » : « Nous nous félicitons des mesures prises pour renforcer la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, notamment : l'adoption d'une stratégie de lutte contre la corruption et la criminalité organisée (2010-2014) ainsi que du plan d'action relatif à sa mise en œuvre (2010-2012), par le Gouvernement, le 29 juin 2010 ; la mise en place d'une Commission nationale de lutte contre la corruption, chargée du suivi de la mise en œuvre du plan d'action, le 30 septembre 2010 ; l'introduction de nouvelles mesures de lutte contre la corruption (telles que la protection des donneurs d'alerte, le contrôle des opérations de privatisation, le financement des partis politiques ainsi que d'autres mesures spécifiques dans des secteurs particulièrement sensibles tels que le système de santé, la passation des marchés publics, les agréments et la gouvernance locale) ; les modifications apportées au Code pénal en avril 2010 et l'adoption d'un nouveau Code de procédure pénale en juillet 2010 – qui devraient faciliter les poursuites contre les infractions de corruption en renforçant le rôle principal du parquet dans les enquêtes pénales, y compris le recours à des techniques d'enquête spéciales, l'inversion de la charge de la preuve pour les biens d'origine suspecte au regard de la loi et l'extension de la confiscation des avoirs d'origine criminelle ; la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité et de son protocole, entrés en vigueur en juillet 2010. (…) Les autorités ont reconnu que la corruption existe dans le système éducatif et le système de la santé. Un plan d'action sectoriel de lutte contre la corruption dans l'éducation a été élaboré et la Direction pour les initiatives de lutte contre la corruption a réalisé une évaluation des risques dans six domaines, y compris le secteur de la santé, qui devrait se traduire par des mesures concrètes. ». De même, le Monténégro a ratifié la Charte sociale européenne révisée le 3 mars 2010, acceptant 66 de ses 98 paragraphes, dont l'article 11 qui prévoit : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection de la santé, les Parties s'engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques et privées, des mesures appropriées tendant notamment: à éliminer, dans la mesure du possible, les causes d'une santé déficiente; à prévoir des services de consultation et d'éducation pour ce qui concerne l'amélioration de la santé et le développement du sens de la responsabilité individuelle en matière de santé; à prévenir, dans la mesure du possible, les maladies épidémiques, endémiques et autres, ainsi que les accidents. ». Il est opportun de noter que la corruption est en déclin et que le gouvernement monténégrin se rapproche davantage des acquis européens.
En ce qui concerne l'accès à l'éducation, l'article 75 de la Constitution monténégrine stipule que « The right to education under same conditions shall be guaranteed. Elementary education shall be obligatory and free of charge. The autonomy of universities, high education and scientific institutions shall be guaranteed. » Il ressort clairement de vos déclarations que vos soucis concernant l'éducation de vos enfants se basent uniquement sur des motifs de nature économique, en effet vous déclarez « je n'ai pas les moyens pour l'école ». Les autorités monténégrines ne vous refusent donc pas l'accès à l'éducation, d'autant plus que l'éducation élémentaire est gratuite.
A cela s'ajoute qu'en vertu de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection et du règlement grand-ducal du 1er avril 2011 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le Monténégro doit être considéré comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat n'est pas contredit par l'examen individuel de vos demandes de protection internationale.
Par conséquent, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont donc pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Vos séjours étant illégaux, vous êtes tous dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Monténégro, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2012, les consorts … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre du 8 mai 2012 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Les demandeurs exposent à l’appui de la requête introductive d’instance qu’ils seraient inscrits à l’administration de l’emploi depuis l’année 2000 sans cependant trouver un emploi, qu’ils auraient par conséquent été obligés de travailleur au noir et que leurs patrons auraient régulièrement refusé de les payer à la fin du mois, de sorte que leur situation économique aurait été difficile notamment en ce qui concerne l’accès aux soins et à l’éducation. Ils soutiennent plus particulièrement que les accouchements de la demanderesse se seraient déroulés dans des conditions déplorables et qu’ils ne pourraient pas faire soigner les problèmes de santé de leurs enfants en raison de leur manque de moyens financiers.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des consorts … dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de ce volet de la requête, les demandeurs font valoir que le fait d’avoir été obligés de quitter leur pays d’origine s’expliquerait par les circonstances en rapport avec la législation réglementant le droit d’asile et notamment l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Ces faits s’articuleraient autour de la discrimination légale subie de la part de l’Etat du Monténégro qui les aurait maintenus dans la misère. En décidant que les faits seraient à qualifier uniquement de problèmes économiques, le ministre n’aurait pas correctement évalué la situation les ayant poussés à quitter leur pays d’origine, de sorte que la décision de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ne serait pas fondée.
Par ailleurs, quant au motif fondé sur le constat que le Monténégro serait à considérer comme pays d’origine sûr, les demandeurs font valoir qu’il ressortirait d’un rapport d’Amnesty International de 2011 que bien que le Monténégro ait obtenu le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne, la Commission européenne aurait souligné que le pays devait renforcer sa lutte contre le crime organisé et veiller au respect de la liberté d’expression, de sorte que si Monténégro pourrait être considéré comme un pays d’origine sûr en général, il ne pourrait pas l’être dans des cas particuliers tel que cela serait leur cas.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes duquel : « Le ministre peut statuer sur le bien-
fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; […] ».
Cette disposition prévoit ainsi différents cas de figure dans lesquels le ministre peut statuer dans le cadre de la procédure accélérée, étant précisé que les cas de figure cités sont alternatifs, de sorte qu’il suffit que l’un des cas soit vérifié pour que le ministre puisse faire application dudit article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.
A cet égard, force est au tribunal de constater que le Monténégro figure sur la liste des pays d’origine sûrs établie par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006.
Aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un pays désigné comme pays d’origine sûr est considéré comme un pays d’origine sûr pour le demandeur de protection internationale lorsqu’il possède la nationalité de ce pays ou s’il y avait précédemment sa résidence habituelle, et s’il n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité monténégrine et qu’ils ont résidé au Monténégro avant de venir au Luxembourg.
D’autre part, en ce qui concerne les explications des demandeurs sur la situation générale au Monténégro et tendant à faire admettre que leur pays d’origine ne constituerait pas un pays d’origine sûr, malgré la circonstance qu’il figure sur la liste des pays d’origine sûrs précitée, force est au tribunal de constater que s’il est exact que le rapport d’Amnesty International de 2011 cité par eux fait état d’efforts à déployer par l’Etat monténégrin en ce qui concerne la lutte contre la criminalité organisée et la liberté d’expression, force est cependant de constater que ces questions ne sont en aucun rapport avec le récit des demandeurs, de sorte qu’il y a lieu de conclure que les faits mis en avant par ledit rapport d’Amnesty International ne sont pas pertinents en l’espèce.
Il suit des considérations qui précèdent, que les demandeurs, n’invoquent pas de faits démontrant que le Monténégro ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans leur chef.
Partant, c’est à bon droit que le ministre, après analyse de la situation concrète des demandeurs, a conclu qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr, de sorte que c’est encore à bon droit qu’il a décidé de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
Dès lors, le recours afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de ce recours, les demandeurs soutiennent que leurs craintes de persécutions seraient justifiées au motif que le fait qu’ils ne trouveraient pas de travail serait le résultat de mesures administratives discriminatoires prises à leur égard. Ils expliquent que le manque de travail entraînerait comme conséquence qu’ils ne disposeraient pas du minimum requis pour se nourrir, se loger et se soigner dignement, de sorte que les actes de persécutions par eux subis seraient suffisamment graves pour être considérés comme constituant une violation des droits fondamentaux de l’homme.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Une crainte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.
Aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, (…) ».
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ainsi que des moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène toutefois le tribunal à conclure qu’ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié.
Il se dégage des explications fournies par les demandeurs lors de leurs auditions que les raisons les ayant poussés à quitter leur pays d’origine sont des raisons d’ordres économiques et médicales. En effet, interrogés sur les raisons pour lesquelles ils ont quitté leur pays d’origine, le demandeur a répondu : « Je n’avais pas les moyens pour survivre là-bas. » (page 2 du rapport d’audition du 16 mars 2012), ce que la demanderesse a confirmé : « Nous n’avons pas de travail. Mon mari a travaillé un peu en privé. Mon enfant et moi nous étions malades. » (page 2 du rapport d’audition du 2 avril 2012).
Or, des problèmes économiques et médicaux constituent des problèmes d’ordre purement privé qui ne tombent a priori pas dans le champ d’application de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à moins que les demandeurs établissent que ces problèmes soient causés par un des motifs de persécution prévus par l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir leur race, leur religion, leur nationalité, leur appartenance à un groupe social ou leurs opinions politiques. Or, les demandeurs restent en défaut d’établir que les difficultés d’accéder à l’emploi et aux soins médicaux dont ils font état trouvent leur source dans un des motifs de persécution tels que prévus par l’article 2 c). Ce constat est encore corroboré par la circonstance que le demandeur a reconnu lors de son audition que les traitements nécessaires pour soigner son enfant existent au Monténégro, mais qu’il n’a pas les moyens financiers pour les payer. Le tribunal est dès lors amené à retenir que les problèmes médicaux des demandeurs ne sont pas causés par une discrimination à leur encontre, mais sont liés à leur situation économique précaire. En outre, les demandeurs ont tous les deux indiqué avoir été inscrits à l’administration de l’emploi dans leur pays d’origine et qu’il n’y aurait nulle part du travail au Monténégro. Ils sont ainsi touchés par le problème général de chômage auquel est confronté leur pays d’origine, de sorte que leurs difficultés de trouver un emploi ne sont pas liées à un des motifs de persécution prévus par l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Il convient encore de relever qu’il ressort de l’audition du demandeur qu’il aurait travaillé au noir pour un employeur ayant des liens avec la mafia sans qu’il ne fasse cependant état d’un problème découlant de cette circonstance, si ce n’est que cet employeur lui devrait encore son salaire. Or, le fait qu’un créancier ne règle pas sa dette est un problème de droit commun et d’ordre purement prive qui ne tombe pas dans le champ d’application de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle est renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 […] ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteinte grave : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants affligés à un demandeur dans son pays d’origine ; c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflits armés internes ou internationales. » Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs, hormis de citer les articles afférents et de conclure de manière indifférenciée qu’ils répondraient aux conditions du statut conféré par la protection subsidiaire, n’invoquent aucun moyen spécifique, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que ladite demande est basée sur les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, en l’espèce force est au tribunal de constater que les problèmes économiques et médicaux dont les demandeurs font état ne sont pas de nature à atteindre le seuil de gravité requis pour pouvoir être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. En l’occurrence, les faits ne sont pas d’une gravité suffisante pour constituer un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006 invoqué plus particulièrement par les demandeurs. Il y a dès lors lieu de conclure qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, les demandeurs ne risquent pas de courir un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’ils leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 8 mai 2012 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence légale de la décision de refus de la demande de protection internationale.
A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire en conséquence de la réformation de la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale.
Or, le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont pas fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 mai 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée :
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 mai 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 mai 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 10 juillet 2012 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10.07.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 12