Tribunal administratif N° 28850 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juillet 2011 3e chambre Audience publique du 27 juin 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28850 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2011 par Maître Claude Bleser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, employé, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 avril 2011 rejetant comme non fondée une réclamation introduite en date du 19 janvier 2011 contre une bulletin de l’impôt sur le revenu des personnes physiques de l’année 2008, émis en date du 22 décembre 2010 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2011 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2012 par Maître Claude Bleser au nom du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Claude Bleser ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2012.
En vertu d’une transaction extrajudiciaire signée en date du 13 juin 2008 entre Monsieur … et son ancien employeur, la société …, ci-après désignée par « la société … », suite au licenciement de Monsieur … par courrier du 22 novembre 2007, ce dernier se vit accorder, entre autres, la somme de … euros au titre de, tel que stipulé à l’article 5 de la transaction extrajudiciaire du 13 juin 2008, contrepartie à une extension de la clause de non-concurrence prévue dans son contrat de travail.
Par courrier de son mandataire du 27 juin 2008, Monsieur … demanda au service de la retenue d’impôts sur les rémunération de … de l’administration des Contributions directes, ci-
après désigné par « le bureau RTS », de lui confirmer que le montant préindiqué est imposable comme rémunération extraordinaire en vertu des articles 11 et 132 de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR ».
Par courrier du 10 septembre 2008, le préposé du bureau RTS … communiqua au mandataire de Monsieur … le mode d’imposition des différents montants alloués suivant la convention transactionnelle précitée, et qualifia plus particulièrement le montant de … euro, précité, comme imposable à titre de rémunération non périodique pour l’année 2008. Ladite position fut confirmée par un courrier du préposé du bureau RTS … du 25 novembre 2008.
En date du 22 décembre 2010, le bureau d’imposition …, section des personnes physiques, de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur …, imposé collectivement avec son épouse, un bulletin rectificatif de l’impôt sur le revenu pour l’année 2008, ci-après désigné par « le bulletin », après y avoir été invité par la direction de l’administration des Contribution directes ayant constaté que Monsieur … avait été imposé pour l’année 2008, sans qu’il n’ait été tenu compte notamment de la somme précitée de … euros.
Contre ce bulletin, Monsieur … fit introduire par courrier de son mandataire du 17 janvier 2011 une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur ».
Par une décision datée du 13 avril 2011, référencée sous le n° …, le directeur rejeta cette réclamation comme non fondée. Le volet de la décision ayant trait à l’imposition du montant précité de … euros, qui est seul critiqué en l’espèce, est motivé comme suit :
« Vu les deux requêtes introduites le 19 janvier 2011 par Maître Claude Bleser, au nom du sieur …, […], pour réclamer, d'une part, contre la rectification du bulletin de l'impôt sur le revenu des personnes physiques de l'année 2008, émis le 22 décembre 2010, et, d'autre part, pour autant que de besoin contre le courrier du préposé du bureau d'imposition …, émis le 30 décembre 2010 ;
Vu les §§ 228, 234 et 301 de la loi générale des impôts (A0) ;
Vu le dossier fiscal ;
Considérant qu'il est loisible au directeur des contributions de joindre des affaires en vertu de son pouvoir discrétionnaire, si elles lui paraissent suffisamment connexes (Conseil d'État, 06 février 1996, n° 8925 du rôle) ;
qu'il échet en l'espèce, dans l'intérêt d'une bonne administration de la loi, de joindre les réclamations pour y statuer en une seule et même décision ;
I.
Considérant que la réclamation contre la rectification du bulletin de l'impôt sur le revenu des personnes physiques de l'année 2008 a été introduite par qui de droit dans les forme et délai de la loi, qu'elle est partant recevable ;
Considérant que le bulletin originaire, émis en date du 30 septembre 2009, n'avait pas encore acquis force de chose décidée dans la mesure où le bulletin rectificatif a été émis dans le délai dans lequel une réclamation aurait pu être adressée au directeur ; qu'en conséquence la réclamation interjetée contre le bulletin rectificatif remet en question l'imposition dans son intégralité conformément au paragraphe 243 AO, sans que la limitation résultant du paragraphe 234 AO ne soit à prendre en considération ;
Considérant que le réclamant fait grief au bureau d'imposition d'avoir fixé l'impôt sur le revenu pour l'année 2008 à un montant de … euros, sans reconnaître son indemnité de licenciement comme rémunération extraordinaire ;
[…] Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, la loi d'impôt étant d'ordre public ;
qu'à cet égard le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-
fondé, qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;
Considérant qu'en l'année 2008 a été mise à la disposition du contribuable, à l'âge de 56 ans, une indemnité de départ légale d'un montant de … euros, une indemnité transactionnelle de l'ordre de … euros et un montant de … euros, qualifié de bonus divers (indemnité, vente voiture) » ;
que le bureau RTS y compétent a scindé en un premier temps l'indemnité brute totale de … euros en les montants exempts, en vertu de l'article 115, alinéa 9 L.I.R., d'une part pour l'indemnité de départ légale de … euros, et d'autre part pour l'indemnité transactionnelle à concurrence de … euros, conformément aux dispositions légales telles qu'en vigueur en 2008, le montant restant de l'ordre de … euros devenant imposable d'après le barème de la retenue d'impôt sur les rémunérations non-périodiques ;
qu'il résulte donc que ce sont ces … euros que la requête introductive entend par revenus extraordinaires, pour être censés se rapporter à plus d'une année, au sens de l'article 132 (1) 2.
a) L.I.R., à imposer selon les taux de l'article 131 (1) litt. b) L.I.R. ;
que cependant en un deuxième temps, le bureau R.T.S. a ramené l'indemnité de … euros précitée à … euros par un recalcul de l'avantage résultant de la voiture rétrocédée ;
Considérant que l'article 132 (1) 2. litt. a) L.I.R. qualifie de revenus extraordinaires imposables par application de l'article 131 (1) litt. b) L.I.R. «les revenus extraordinaires provenant de l'exercice d'une occupation salariée au sens du numéro 4 de l'article 10 qui se rattachent du point de vue économique à une période de plus d'une année et qui, pour des raisons indépendantes de la volonté du bénéficiaire et de celle du débiteur des revenus, deviennent imposables au titre d'une seule année d'imposition » ;
Considérant que le premier problème dans l'application de cette disposition consiste ainsi dans l'étendue de la condition que l'imposabilité au cours d'une seule année d'imposition soit indépendante des volontés du débiteur et du bénéficiaire des revenus ;
Considérant que les travaux parlementaires justifient cette exigence du fait que « cette disposition a pour but d'empêcher qu'il ne soit fait un usage abusif de la faveur de l'article 157 (correspondant à l'article 131 du texte promulgué) » et que « d'une façon générale les payements de suppléments de salaires et de traitements pour le passé ne sont pas à considérer comme indépendants de la volonté de l'employeur toutes les fois que ces paiements ne sont pas imposés par une décision judiciaire ou une disposition légale ou réglementaire » (doc. pari. 5714, ad art.
158, p. 276; cf. également trib. adm. 22 juillet 1998, n° 10486 du rôle) ;
Considérant que le but affiché du législateur est ainsi de limiter strictement la notion des raisons indépendantes de la volonté du débiteur des revenus à celles qui sont étrangères à la propre sphère d'action et de décision de celui-ci ;
Considérant qu'en l'espèce, l'indemnité transactionnelle a été contractée par les parties à leur convenance et d'un commun accord, de sorte qu'elle ne saurait être qualifiée d'indépendante de la volonté des débiteur et bénéficiaire ;
qu'il s'ensuit que l'indemnité, sans préjudice des exemptions accordées en vertu de l'article 115 (9) L.I.R., ne saurait être qualifiée de revenu extraordinaire au sens de l'article 132 (1) 2. a) L.I.R. ;
Considérant d'ailleurs que le montant total de l'indemnité transactionnelle de départ accordée au contribuable correspond aux montants usuels en la matière, sans qu'il n'y ait besoin de la scinder en « bonus divers », redéfinis encore comme « indemnité » et, d'ailleurs « voiture » ;
Considérant enfin qu'une clause de non-concurrence contractuellement définie dès le départ suffit à tous les égards et ne saurait engendrer au départ ni une autre « indemnité » ni un « bonus divers » ;
[…] Par ces motifs dit la réclamation dirigée contre l'avis du bureau R.T.S. irrecevable ;
reçoit la réclamation contre le bulletin de l'impôt sur le revenu de l'année 2008 en la forme ;
la rejette comme non fondée ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2011, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation de la décision directoriale précitée du 13 avril 2011.
Quant à la compétence d’attribution du tribunal administratif pour statuer sur le présent recours, il résulte d’une lecture combinée des dispositions du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif que le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre des bulletins de l’impôt sur le revenu. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision directoriale du 13 avril 2011.
Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Quant à la portée du recours, le demandeur précise que son recours ne vise la décision directoriale entreprise que pour autant qu’elle concerne l’indemnité pour prolongation de l’obligation de non concurrence, à l’exclusion du volet de la décision visant les sommes payées pour la reprise d’une voiture de service à titre privé (partie II de la décision directoriale). Le demandeur précise encore que les parties III et IV de la décision du directeur sont également acceptées par lui.
A l’appui de son recours, le demandeur déclare avoir été engagé au service de la société … en tant que directeur du département mécanique en date du 2 mai 1995. Suite à son licenciement intervenu par courrier du 22 novembre 2007, une transaction avait été signée avec son ancien employeur en date du 13 juin 2008, aux termes de laquelle il se s’était vu allouer une indemnité brute forfaitaire pour licenciement litigieux de … euros, une indemnité de départ légale de … euros et une indemnité brute forfaitaire de l’ordre de … euros, cette dernière indemnité étant allouée en contrepartie de son acceptation de renoncer à exercer une activité indépendante, concurrente à celle de la société …, et ceci de façon illimitée dans le temps et partout dans le monde. A cet égard, le demandeur précise encore que suivant son contrat de travail, il avait une obligation de non-concurrence limitée à douze mois après la fin du contrat et géographiquement limitée au territoire du Grand-Duché de Luxembourg. En contrepartie de la modification de cette obligation, son ancien employeur aurait accepté de lui payer l’indemnité forfaitaire unique précitée.
Le demandeur critique la décision déférée en ce qu’elle a confirmé le bulletin dans lequel le bureau d’imposition a fixé l’impôt sur le revenu sans reconnaître à l’indemnité accordée du chef de la prolongation de l’obligation de non concurrence à une durée illimitée dans le temps comme revenu extraordinaire conformément aux dispositions de l’article 132 (1) 4 LIR.
Le demandeur fait valoir que l’indemnité lui accordée en contrepartie de l’abandon non limité dans le temps d’une activité commerciale concurrente tomberait sous les dispositions de l’article 132 (1) 4 LIR, en invoquant à cet égard un jugement du tribunal administratif du 29 mars 1999 (n° 10623 du rôle).
En relevant que le directeur s’est basé sur les dispositions de l’article 132 (1) 2, a) LIR, le demandeur souligne que contrairement à ce qui a été retenu par le directeur, l’indemnité lui accordée ne proviendrait pas de l’exercice d’une occupation salariée, même si elle avait été déterminée par la voie d’un accord signé entre lui-même et son ancien employeur. Il fait valoir que l’indemnité accordée se rapporterait d’un point de vue économique à une période de plus d’une année et serait destinée à couvrir une période de non activité concurrentielle pour une durée indéterminée conformément à l’article 5 de la transaction. L’indemnité tomberait ainsi dans le champ d’application de l’article 132 (1) 4 LIR.
Le demandeur souligne qu’il aurait occupé des fonctions de haute responsabilité au sein de la société … et aurait, du fait de ses contacts professionnels et connaissances spécifiques en la matière et de sa longue expérience professionnelle, été en mesure d’exercer une activité concurrente à celle de son ancien employeur. Ce serait pour cette raison et sur demande de son ancien employeur au cours des négociations qu’il aurait accepté, en contrepartie du versement d’une indemnité, d’étendre son obligation de non-concurrence au-delà des termes prévus dans son contrat de travail et en acceptant ainsi une prolongation de ladite clause non limitée dans le temps et ceci pour toute activité indépendante et partout dans le monde.
Le demandeur reproche au directeur de s’être basé sur les dispositions légales de l’article 132 (1) 2 a) LIR, puisque précisément il ne s’agirait pas d’un revenu extraordinaire provenant d’une occupation salariée au sens du n° 4 de l’article 10 LIR visé par ledit article 132 (1) 2 a) LIR, mais d’une indemnité, respectivement d’un dédit tel que visé à l’article 132 (1) 4 LIR puisque l’indemnité remplacerait des revenus se rapportant à une période autre que l’année d’imposition, couvrant une période dépassant les douze mois prévus par la clause de non-
concurrence inscrite dans son contrat de travail.
Il fait valoir qu’il se serait engagé à ne pas porter atteinte aux intérêts de son ancien employeur en exploitant une entreprise personnelle concurrente. Il s’agirait là d’un dédit alloué pour le non-exercice d’une activité commerciale concurrente, au titre de l’abandon d’une participation au bénéfice d’une future activité indépendante.
Le demandeur reproche encore au directeur de ne pas avoir pris position par rapport à la base légale ainsi invoquée par lui et ceci contrairement à ses obligations découlant des dispositions du paragraphe 204 AO.
Il fait valoir que, contrairement à ce qui avait été retenu par le directeur, l’obligation de non-concurrence n’avait pas été définie contractuellement dès le départ, mais elle aurait été modifiée après le licenciement.
Le demandeur souligne encore que conformément à la transaction, en cas de violation de l’obligation de non-concurrence, il devrait payer une indemnité de l’ordre de … euros à son ancien employeur.
En guise de conclusion, le demandeur soutient que l’indemnité au titre de revenus extraordinaires pour un montant de … euros devrait être imposée au quart du taux global, soit un montant de … euros au lieu d’un impôt de l’ordre de … euros.
Le délégué du gouvernement soutient que l’intention actuelle du demandeur de faire qualifier la somme litigieuse comme revenu extraordinaire ne reflèterait pas son intention initiale et véritable, à savoir sa tentative de vouloir cacher cette somme au fisc pour échapper complètement à toute imposition, en relevant à cet égard que le demandeur n’aurait pas fait état de la perception de cette somme dans sa déclaration de l’impôt pour l’année 2008 et que l’employeur ne serait pas non plus conformé à l’avis du préposé du bureau RTS … concernant l’imposition de cette somme.
En droit, le délégué du gouvernement fait valoir que le montant litigieux ne saurait être qualifié de revenu extraordinaire au sens de l’article 132 (1) 2 a) LIR en renvoyant à ce sujet aux motifs exposés dans la décision directoriale entreprise.
Il soutient ensuite que le montant ne saurait pas non plus être qualifié de revenu extraordinaire au sens de l’article 132 (1) 4 LIR, ni d’ailleurs par application d’un autre alinéa de cette disposition légale.
A cet égard, il souligne que le montant litigieux de … euros aurait été payé par un versement unique au titre de l’année 2008 et concernerait uniquement cette année d’imposition et ne remplirait dès lors pas la condition de l’article 132 (1) 4 LIR tenant au remplacement de revenus se rapportant à une période autre que l’année d’imposition.
Il souligne encore que le montant litigieux ne constituerait ni une indemnité ni un dédit, mais tout au plus un avantage au sens de l’article 11 (1) LIR, avantage qui se traduirait de manière claire et manifeste par un « golden handshake » classique qui aurait été déguisé pour les besoins de la cause en indemnité en contrepartie d’une extension d’une clause de non-
concurrence.
Dans ce contexte, il fait valoir que si cette clause de non concurrence avait toute sa justification lors de la signature du contrat de travail, son extension à une durée illimitée lors de la signature de la transaction serait dépourvue de toute signification réelle ou économique à un moment où le demandeur aurait pratiquement atteint l’âge de la retraite.
Le représentant étatique précise que contrairement à l’indemnité ou le dédit, l’avantage énoncé par l’article 11 (1) LIR ne serait pas visée par l’article 132 (1) 4 LIR et ne tomberait dès lors pas dans le champ d’application des revenus extraordinaires imposables par application du taux favorable prévu par l’article 131 LIR.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur conteste toute intention d’avoir voulu cacher la somme litigieuse à l’administration des Contributions directes en soulignant qu’il serait parti du principe – erroné – que le traitement de la question des indemnités transactionnelles se ferait dans le cadre d’une procédure séparée.
En droit, le demandeur réitère sa position que l’indemnité litigieuse devrait être considérée comme un dédit. Il souligne que dans le cadre des négociations menées, son ancien employeur aurait exigé de recevoir des garanties de sa part concernant le non-exercice d’une activité concurrentielle au-delà des termes du contrat de travail qui aurait été une condition sine qua non de l’arrangement extrajudiciaire.
Il insiste sur son ancienneté de plus de douze ans et sur ses compétences professionnelles dans le secteur d’activité dans lequel il avait travaillé, ce qui lui aurait valu d’être régulièrement récompensé pour ses bons résultats, en renvoyant à cet égard à des pièces relatives à des participations aux bénéfices de la société …. Il précise encore avoir été nommé gérant d’une société tchèque avec laquelle son ancien employeur travaillait dans le cadre d’un joint-venture notamment dans la production de lamelles. Le risque pour la société … aurait été celui que le demandeur, fort de son expérience et de ses excellents contacts en République Tchèque, aurait commencé à exercer une activité de conseiller indépendant pour cette société pour ainsi faire échapper des parts de marché à son ancien employeur.
Le demandeur aurait ainsi renoncé pour les années 2007 à 2011 à une participation aux bénéfices évalué à … euros, montant qu’il aurait pu percevoir en cas de continuation de sa relation de travail avec son ancien employeur.
Le demandeur souligne encore que la société … aurait été d’accord à payer un montant aussi important face au risque de devoir faire face à des revendications indemnitaires importantes, vu les résultats obtenus par lui pendant les années précédant son licenciement.
Il en conclut que la somme litigieuse ne saurait être qualifiée de « golden handshake » comme l’entend le délégué du gouvernement. Il s’agirait au contraire d’une indemnité de dédit tombant manifestement sous la définition de l’article 11, alinéa 2 LIR puisqu’elle aurait été payée sinon pour l’abandon ou le non-exercice d’une activité, alors pour l’abandon d’une participation aux bénéfices ou de la perspective de pareille participation.
Il souligne encore que dans la mesure où la validité de la clause de non-concurrence avait été fixée à une durée illimitée, le montant total de l’indemnité de dédit couvrirait ainsi les revenus respectivement des participations aux bénéfices qu’il n’aurait pu toucher que sur plusieurs années.
Le demandeur conteste encore qu’il aurait été en fin de carrière, puisque né en 1951, il n’aurait pas encore l’âge de retraite et qu’il aurait ainsi encore pu travailler près de 10 ans.
Il convient de prime abord de d’examiner le moyen d’ordre procédural invoqué par le demandeur et fondé sur une violation par le directeur du paragraphe 204 AO.
En vertu de ladite disposition, le « Finanzamt », c’est-à-dire le bureau d’imposition, est tenu d’instruire tant en faveur et qu’en défaveur du contribuable. Quant aux pouvoirs et obligations du directeur saisi d’une réclamation, celui-ci est en vertu du paragraphe 243 (1) AO en sa qualité de « Rechtsmittelbehörde » au sens dudit paragraphe, tenu de procéder d’office à l’examen de la situation de fait et de droit à la base de la réclamation. En d’autres termes, le directeur saisi d’une réclamation procède d’office à un réexamen intégral de la situation du contribuable et à l’établissement de l’impôt en lieu et place du bureau d’imposition. A cette fin, le paragraphe 244 AO lui confère les mêmes prérogatives que celles revenant au bureau d’imposition dans le cadre de la procédure d’imposition.
Si conformément aux dispositions précitées, le directeur était tenu de procéder d’office à un réexamen intégral de la situation du demandeur afin d’établir une imposition objective, impliquant aussi l’examen de l’applicabilité éventuelle d’autres dispositions de l’article 132 LIR, force est cependant de constater qu’en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments du dossier que le directeur n’ait pas procédé à un tel réexamen, étant relevé que le directeur a dans sa décision expressément fait référence au paragraphe 243 AO. Il convient encore d’ajouter que dans la mesure où au regard de la position défendue par le délégué du gouvernement, la partie étatique estime que manifestement l’article 132 (1) 4 LIR ne trouve pas application en l’espèce, le directeur n’était pas obligé de prendre position dans sa décision par rapport à une disposition qu’il estime ne pas être applicable et qui, par ailleurs, n’a pas été clairement invoquée par le réclamant, étant relevé que si dans la lettre de réclamation du 17 janvier 2011, le demandeur a certes fait référence à l’article 11, point 2 LIR auquel renvoie l’article 132 (1) 4 LIR, en guise de conclusion dans cette même lettre, il s’est limité à demander à ce que l’indemnité litigieuse soit déclarée exempte d’impôts, sinon soit qualifiée de revenu extraordinaire conformément à l’article 132 (1) 2 a) LIR.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation du paragraphe 204 AO est à rejeter comme étant non fondé.
Quant au fond, les parties sont en désaccord sur la qualification à donner à la somme de … euros touchée par le demandeur en vertu de l’article 5 de la transaction signée avec son ancien employeur.
Si, à l’appui de sa réclamation, le demandeur a soutenu que la somme en question tomberait notamment dans le champ d’application de l’article 132 (1) 2 a) LIR, il soutient actuellement que la somme en question ne proviendrait pas de l’exercice d’une occupation salariée, impliquant qu’elle ne tombe pas dans le champ d’application de l’article 132 (1) a) LIR, mais soutient qu’elle serait à qualifier de dédit au sens de l’article 132 (1) 4 LIR soit pour l’abandon ou le non-exercice d’une activité, soit pour l’abandon d’une participation aux bénéfices ou de la perspective de pareille participation.
Les parties étant d’accord pour retenir que les conditions de l’article 132 (1) 2 a) LIR examiné par le directeur ne sont pas remplies, il convient dès lors d’examiner si la somme touchée par le demandeur en vertu de l’article 5 de la transaction signée avec son ancien employeur est susceptible d’être qualifiée de dédit au sens de l’article 131 (1) 4 LIR, précité.
L’article 132 (1) 4 LIR qualifie de revenus extraordinaires imposables par application de l’article 131 (1) b) LIR « les indemnités et dédits visés respectivement aux numéros 1 et 2 de l’article 11 dans la mesure où ils remplacent des revenus se rapportant à une période autre que l’année d’imposition ».
L’article 11 LIR définit en ses points 1 et 2 les notions visées à l’article 132 (1) 4 LIR comme « 1. les indemnités et avantages accordés pour perte ou en lieu et place de recettes, à condition qu’il s’agit de recettes qui, en cas de réalisation, auraient fait partie d’un revenu net passible de l’impôt […] 2. le dédit alloué pour l’abandon ou le non-exercice d’une activité, ainsi que pour l’abandon d’une participation au bénéfice ou de la perspective de pareille participation, à condition qu’en cas de réalisation les recettes provenant de l’activité ou de la participation eussent fait partie d’un revenu net passible de l’impôt ».
Il résulte de l’économie des articles 11, 1 et 2 ainsi que 132 (1) 4 LIR que tant l’indemnité au sens de l’article 11, 1 LIR que le dédit au sens de l’article 11, 2 LIR constituent une recette de substitution versée en remplacement d’autres recettes.
Cette exigence du caractère substitutif est par ailleurs posée d’une manière analogue en droit allemand sur base de la disposition correspondante du paragraphe 24, 1. de la loi sur l'impôt sur le revenu allemande, ayant conservé une teneur identique à celle de l’article 11, 1 et 2 LIR (cf. Blümich, EStG-Kommentar, § 24, n° 6-s; Herrmann-Heuer-Raupach, EStGKommentar, § 24, Anm. 21-s; Schmidt, EStG-Kommentar, 17e édit., § 24, n° 5-s).
Quant aux recettes que le dédit est destiné à remplacer, il se dégage des documents parlementaires à la base de la LIR et plus particulièrement du commentaire de l’article 158, devenu par après l’article 132 LIR, qu’il faut « que les contribuables aient eu la perspective bien fondée d’entrer en possession des revenus remplacés par l’indemnité ».
La somme litigieuse a été payée au demandeur sur base de l’article 5 de la transaction, en vertu duquel : « 5. Durch seine Tätigkeit im Dienste des Arbeitgebers auf dem Gebiet der Feinmechanik, insbesondere der Lamellentechnik für Reifenformen, hat der Angestellte ein umfangreiches Wissen erlangt.
Im Zuge des gegenseitigen Entgegenkommens und in Anbetracht der Tatsache, dass die im Arbeitsvertrag vom 15. Dezember 1995 unter Punkt 5 vorgesehene Konkurrenzklausel nur für den Zeitraum eines Jahres ab der Beendigung des Beschäftigungsverhältnisses für das Großherzogtum Luxemburg gilt, verpflichtet sich der Angestellte für eine unbestimmte Dauer und dies weltweit auf dem Gebiet der Lamellenfertigung und Zubehör für Reifenformen keine freiberufliche Tätigkeit auszuüben welche dem Arbeitgeber in diesem Bereich Konkurrenz machen könnte.
Ausgeschlossen von der Abtretung dieses Konkurrenzrechts bleiben jedwede Tätigkeiten welche im Arbeitsverhältnis für ein Konkurrenzunternehmen durch den Angestellten ausgeübt werden.
Das Nichteinhalten des abgetretenen Konkurrenzrechts wird mit einer Vertragsstrafe von ….-€ (… Euro) zu Gunsten des Arbeitgebers belegt. Die Beweislast obliegt dem Arbeitgeber.
Im Gegenzug für die Erweiterung des im Arbeitsvertrag vorgesehenen Wettbewerbsverbots, zahlt der Arbeitgeber dem Angestellten eine einmalige Entschädigungssumme von ….-€ (… Euro) innerhalb von 8 (acht) Arbeitstagen nach der Unterzeichnung der Vergleichsvereinbarung durch beide Parteien. Die eventuell anfallende Lohnsteuer und/oder sonstige Abgaben werden vom Angestellten getragen und mit der jährlichen Steuererklärung mit dem luxemburger Staat abgerechnet. » Tandis que le demandeur soutient que la somme lui accordée en vertu de l’article 5, précité, l’aurait été pour l’abandon ou le non-exercice d’une activité concurrente à son ancien employeur à titre d’indépendant, sinon pour l’abandon d’une participation au bénéfice ou la perspective de pareille participation aux bénéfices, le délégué du gouvernement met en question la relation économique entre le paiement de la somme litigieuse et la renonciation à l’exercice d’une activité.
Il convient de prime abord de relever que le montant litigieux ne saurait être qualifié de dédit pour l’abandon d’une participation aux bénéfices de la société …. S’il se dégage certes des pièces versées par le demandeur, en l’occurrence des différents avenants au contrat de travail, que les parties avaient convenu le paiement d’une indemnité appelée « Gewinnbeteiligung », ce paiement remplace, conformément aux dispositions des différents avenants, le paiement d’un treizième mois, de sorte qu’il est à considérer comme une prime accordée au demandeur en sa qualité de salarié, et provenant partant de son occupation salariée. Dans la mesure où avec la résiliation du contrat de travail les obligations de la société … à l’égard du demandeur ont cessé, y compris une obligation éventuelle de payer une prime à titre de participation aux bénéfices, l’indemnité lui allouée en vertu de l’article 5 de la convention transactionnelle ne saurait être considérée comme un dédit alloué pour l’abandon d’une participation aux bénéfices à laquelle le demandeur n’avait de toute manière plus droit.
Il convient encore d’examiner si l’indemnité litigieuse peut être considérée comme dédit alloué pour l’abandon ou le non-exercice d’une activité.
En vertu de l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable […] ».
Dans la mesure où le demandeur prétend à la qualification des sommes touchées par lui en vertu de l’article 5 de la transaction de revenus extraordinaires et partant à l’application d’un taux d’imposition réduit, il lui appartient d’établir que les sommes ainsi touchées par lui rentrent dans la qualification de la catégorie de revenus visée.
Tel que cela a été retenu ci-avant, pour que le paiement d’une somme à titre de dédit puisse être mis en relation avec l’abandon ou le non-exercice d’une activité, il faut nécessairement qu’il existe une perspective raisonnable de toucher les recettes provenant de l’activité à laquelle il a été renoncé. D’autre part, il appartient au contribuable de justifier non seulement le principe du paiement d’un dédit, mais, en cas de contestation, il lui appartient encore d’établir une relation économique réelle entre le montant alloué à titre de dédit et les recettes que le dédit est censé remplacer, en expliquant concrètement le quantum des recettes envisagées et à quel titre elles sont envisagées.
Au regard des contestations de la partie étatique en ce qui concerne la relation économique entre la renonciation à une clause de non-concurrence et le paiement litigieux, il appartient au demandeur d’établir cette relation économique.
Le tribunal est cependant amené à retenir qu’en l’espèce, au regard des contestations de la partie étatique, une telle preuve n’est pas rapportée à suffisance.
Il est certes vrai qu’il se dégage de l’article 5 de l’accord transactionnel que le paiement litigieux est intervenu en raison de la renonciation par le demandeur à l’exercice d’une activité concurrentielle et qu’il est encore vrai que cette obligation va au-delà de la clause de non-
concurrence stipulée au contrat de travail, qui était limitée à un an et qui par ailleurs était limitée au territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Or, compte tenu des contestations de la partie étatique, le demandeur est resté en défaut d’expliquer et d’établir concrètement par rapport à quelle recette le dédit a été déterminé et plus particulièrement de chiffrer ces recettes qu’il aurait pu obtenir à défaut de la clause de non-concurrence souscrite par lui, le demandeur faisant d’ailleurs tantôt référence à une participation aux bénéfices de son ancien employeur qu’il aurait pu toucher pendant les années 2007 à 2011, tantôt à la participation aux bénéfices qu’il aurait pu toucher de sa propre entreprise. Il n’a pas non plus établi une perspective raisonnable de réaliser les recettes par rapport auxquelles le dédit aurait été payé, ceci compte tenu de l’affirmation de la partie étatique qu’en raison de son âge, le paiement de la somme en question à titre de dédit serait purement hypothétique. Le demandeur n’a pas davantage utilement ébranlé l’affirmation du délégué du gouvernement que sous le couvert d’une renonciation à une clause de non-
concurrence, il se serait en réalité vu accorder une indemnité de rupture de son contrat de travail qui pourrait tout au plus être qualifiée d’avantage au sens de l’article 11, 1 LIR et qui n’est pas visé par l’article 132 (4) LIR, affirmation qui, compte de l’importance non négligeable du montant alloué en vertu de l’article 5 de la convention transactionnelle par rapport à celui de l’indemnité lui accordé pour licenciement abusif, qui ne dépasse d’ailleurs que légèrement le plafond du montant exempté en vertu de l’article 115 (9) LIR, n’est pas dénuée de pertinence.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas établi que la somme touchée par lui en vertu de l’article 5 de la convention transactionnelle rentre dans la catégorie des dédits visés à l’article 11, 2 LIR auquel renvoie l’article 132 (4) LIR, de sorte qu’à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique 27 juin 2012 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27.06.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 13