Tribunal administratif N° 30615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2012 1re chambre Audience publique extraordinaire du 22 juin 2012 Recours formé par Madame Misha YOUSEFDOST et consort, Luxembourg contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2012 par Maître Gilles PLOTTKÉ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame Misha YOUSEFDOST, née le 31 mai 1983 à Téhéran (Iran), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son enfant mineur Michel Masoud ABBASIAN AMIN, né le 28 juillet 2008 à Luxembourg, tous deux de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-2320 Luxembourg, 80, boulevard de la Pétrusse, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 12 avril 2012 ayant déclaré leur demande de protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2012 par Maître Gilles PLOTTKÉ au nom et pour compte de Madame YOUSEFDOST;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Benoît ARNAUNÉ-
GUILLOT, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKÉ, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 juin 2012.
En date du 13 décembre 2006, Madame Misha YOUSEFDOST introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Par décision du 29 août 2007, notifiée le 5 septembre 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Madame YOUSEFDOST que sa demande en obtention d’une protection internationale avait été rejetée comme n’étant pas fondée.
Par jugement rendu le 30 juin 2008 (n°23467 du rôle), le tribunal administratif débouta Madame YOUSEFDOST de son recours tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration précitée du 29 août 2007 portant rejet de sa demande en obtention d’une protection internationale.
Par arrêt de la Cour administrative du 28 octobre 2008 (n°24672C), Madame YOUSEFDOST fut déboutée de son appel contre le jugement précité du 30 juin 2008.
En date du 4 juin 2009, Madame YOUSEFDOST introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une nouvelle demande de protection internationale au sens de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
Par décision du 28 octobre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006, tout comme il rejeta le 28 octobre 2009 un recours gracieux daté du 15 septembre 2009.
Le recours contentieux introduit par Madame YOUSEFDOST à l’encontre de ces décisions ministérielles fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 24 décembre 2009 (n°26371 du rôle).
Parallèlement à la seconde demande de protection internationale, Madame YOUSEFDOST sollicita à plusieurs reprises des tolérances qui lui furent accordées jusqu’au 31 août 2011 et dont le renouvellement au-delà de cette date lui fut refusé par décision ministérielle du 13 septembre 2011.
En date du 4 novembre 2011, Madame YOUSEFDOST introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une troisième demande de protection internationale.
En date des 25 novembre 2011 et 10 avril 2012, Madame YOUSEFDOST fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et les motifs à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.
Par décision du 12 avril 2012, notifiée par envoi recommandé du 20 avril 2012 et réceptionnée le 23 avril 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Madame YOUSEFDOST de ce que sa demande avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée en date du 4 novembre 2011.
Il ressort de votre dossier que vous aviez déposé une première demande de protection internationale le 13 décembre 2006. Cette demande avait été rejetée au motif que votre récit avait été jugé peu crédible. D'une part, des divergences étaient apparues entre celui-ci et le récit fait par votre mari et d'autre part, les tracasseries administratives que vous aviez invoquées ainsi que le fait que vous auriez été arrêtée pendant quelques jours et interrogée sur le départ de votre mari avaient été jugés insuffisants pour être assimilés à une persécution au sens de la convention précitée.
Vous aviez ensuite déposé une deuxième demande de protection internationale le 4 juin 2009. Vous aviez versé des documents tendant à prouver vos activités politiques en Iran pour le parti monarchiste et vous aviez affirmé que votre mari aurait été membre du Constitutionalists Party of Iran, le CPI et que vous l'auriez aidé dans ses activités pour le parti, notamment en organisant des réunions chez vous. Cette demande avait été jugée irrecevable faute d'éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Vous avez déposé une troisième demande de protection internationale le 4 novembre 2011.
En mains les rapports d'entretien de l'agent ministériel datés des 25 novembre 2011 et 10 avril 2012.
Il ressort de votre nouvelle demande que vous vous seriez convertie à la foi chrétienne.
Vous vous seriez séparée de votre époux et vous auriez eu l'opportunité de fréquenter les Mormons ; par la suite vous auriez fréquenté une église catholique au Luxembourg. Vous auriez été baptisée le 10 septembre 2011. Vous précisez page 5/6 de votre audition du 25 novembre 2012: « Ce n'était absolument pas pour la demande d'asile qu'on s'est converti au christianisme car c'est arrivé après. » Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
En effet, vous dites que votre conversion à la foi chrétienne n'aurait pas été faite dans le but de déposer une troisième demande de protection internationale mais je relève quand même que votre baptême a eu lieu le 10 septembre 2011 et que votre troisième demande date du 4 novembre 2011. Quoi qu'il en soit, votre conversion au christianisme s'est faite au Luxembourg et personne en Iran n'est au courant de cette conversion puisque vos parents n'habitent pas ce pays. Même si, en théorie le Code pénal punit de mort l'apostasie, il n'y a pas eu d'exécution ces dernières années. Le Christian Solidarity Worldwide, dans un rapport de juillet 2008 (cité dans un rapport du Home Office d'août 2009) précise : « Muslim converts to Christianity are still the most vulnerable among Christian community in Iran. However, the death penality is not applied and there are vibrant house and public churches that are mostly formed by converts. Even though converts are able to continue their faith and meet with others; converts who are in leadership positions and lead Christian ministries face serious risk of detention, intimidation, imprisonment and extra judicial physical harm." Le Landinfo (Norvège) report du 10 juin 2009 note que : « In practice, Iranian Muslims who convert to Christianity largely live in the same way as those who are born to Christian parents. However, it is a precondition for avoiding problems that converts behave discreetly, allow religious practice to take place within the confines of the religious community and otherwise treat their faith as a private matter, which most of them do." Le même (sic) Landinfo, dans un rapport du 7 juillet 2011 précise ceci : `In general, all Iranian non-
Muslim minorities keep a low profile in the public space with regard to their religious affiliations. Simply put, one could say that they know their place as dhimmi (a legal term in the sharia, denoting non-Muslims living in a society governed according to Islamic law). As long as the Islamic framework is obeyed, minorities can practise their religion and operate within their organizations free from any scrutiny and interference by the authorities. (…) Traditionally, problems with the authorities have occurred with regard to external and evangelical activity targeting Muslims. Any Christian (Christian-born or convert) who actively engages in missionary work, for example, by distributing Christian literature, risks problems in the workplace and the local community. In addition to the reaction from the authorities, evangelization will most likely be regarded as offensive and socio-culturally unacceptable by most Iranians. Furthermore, if the matter is reported to the police, the person risks surveillance, serious charges and prosecution.
(…) In practice, people are convicted of apostasy only very rarely. The most recent conviction is reported to have occurred in 1990, when a minister was executed because of apostasy, evangelization and espionage in favour of the US (Telegraph 2008). The minister had lived as a convert since 1960. (…) In 2004, a minister who had converted to Christianity in 1980 was arrested in the context of a Christian conference." Ainsi, toute personne de confession chrétienne ne risque pas d'office des persécutions en Iran.
De plus, je vous rappelle que vos précédentes demandes de protection internationale ont été rejetées ou déclarées irrecevables faute de crédibilité.
Je suis donc au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d'aucun appel (…).» Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2012, Madame YOUSEFDOST a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 20 avril 2012 déclarant irrecevable sa demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
Etant donné que l’article 23 (3) de la loi du 5 mai 2006 ne prévoit pas de recours au fond contre la décision ministérielle ayant déclaré irrecevable la demande en obtention d’une protection internationale sur base de l’article 23 de cette même loi, seul un recours en annulation a pu valablement être dirigé contre la décision ministérielle précitée. Le tribunal n’est donc pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation, en revanche, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que la décision ministérielle devrait être annulée pour erreur dans l’appréciation des faits et plus précisément dans l’appréciation d’un élément ou fait nouveau, au motif qu’à l’appui de sa troisième demande de protection internationale, elle aurait présenté un élément ou fait nouveau au sens de l’article 23 (1) de la loi du 5 mai 2006. En effet, en date des 15 août et 10 septembre 2011, la demanderesse et son fils, qui étaient originairement de confession musulmane, se seraient convertis à la religion chrétienne. Etant donné que cette conversion n’aurait pas encore eu lieu au moment où les deux premières demandes de protection internationale avaient été introduites, la demanderesse est d’avis qu’il s’agit d’un élément qui augmenterait de manière significative et évidente la probabilité qu’elle et son fils rempliraient à présent les conditions requises pour prétendre à la protection internationale.
La demanderesse donne dans ce contexte à considérer que l’abandon de la religion musulmane en faveur d’une autre religion serait prohibé par la loi islamique en vertu de laquelle les apostats doivent être exécutés s’ils refusent de revenir à l’islam. La demanderesse estime qu’en tout état de cause elle pourrait légitimement craindre de subir, en cas de retour en Iran, des actes de persécution de la part des autorités iraniennes, voire l’emprisonnement pour une très longue durée, voire même la peine capitale. La demanderesse renvoie à ce sujet à la jurisprudence belge du Conseil du contentieux des étrangers qui aurait eu l’occasion d’annuler pour motif religieux l’ordre d’expulsion d’un Iranien qui s’était converti à la religion chrétienne.
La demanderesse fait également état, certificat médical à l’appui, de son état de santé défaillant qui trouverait son origine dans la constante incertitude et précarité dans laquelle elle devrait vivre depuis des années au Luxembourg.
La demanderesse conclut de ce qui précède que les faits à la base de sa troisième demande de protection internationale augmenteraient de manière significative la probabilité qu’elle remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Le délégué du gouvernement, après être revenu brièvement sur les motifs ayant justifié les deux premières demandes de protection internationale et leur manque de crédibilité, fait valoir que les nouveaux éléments invoqués par la demanderesse à l’appui de sa troisième demande de protection internationale, à savoir la crainte de subir des persécutions, sinon des atteintes graves, en Iran du fait de sa conversion à la religion chrétienne, seraient à rejeter.
Le délégué du gouvernement donne en effet tout d’abord à considérer que du fait que la demanderesse et son fils se seraient convertis au Luxembourg, personne en Iran ne serait au courant de leur conversion. Le délégué du gouvernement cite à ce sujet un extrait d’un rapport du Landinfo (Norvège) du 7 juillet 2011 suivant lequel les apostats ne risqueraient d’être poursuivis en Iran au civil et au pénal que si leur conversion était connue et seulement si cette conversion aurait été rapportée aux autorités iraniennes.
Le délégué du gouvernement fait ensuite valoir que même si le Code pénal iranien punirait effectivement de mort l’apostasie, il n’y aurait pas eu d’exécutions ces dernières années. Ainsi, selon le même rapport du Landinfo du 7 juillet 2011, il serait rare que des personnes soient condamnées pour apostasie. La dernière personne à avoir été exécutée entre autres pour apostasie aurait été un ministre en 1990. En 2004, un autre ministre qui s’était converti à la religion chrétienne en 1980, aurait été arrêté dans le cadre d’une conférence chrétienne.
Le délégué du gouvernement cite encore un rapport du Landinfo de 2007 dont il ressort notamment que pour autant que les Iraniens qui se seraient convertis de l’Islam à la religion chrétienne se comporteraient de manière discrète et ne pratiqueraient pas ouvertement leur religion, ils pourraient plus ou moins vivre de la même manière que ceux qui seraient nés de parents chrétiens. Les minorités religieuses en Iran auraient ainsi pris pour habitude d’éviter toute manifestation publique de leurs convictions religieuses. Selon les mêmes sources, ce seraient surtout les personnes qui se seraient livrées au prosélytisme qui auraient eu des problèmes avec les autorités iraniennes.
Le délégué du gouvernement en conclut que toute personne de confession chrétienne qui ne se livrerait pas au prosélytisme ne risquerait pas d’office des persécutions en Iran, de sorte que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse réfute l’argumentation du délégué du gouvernement au motif que celui-ci se serait borné à reprendre la teneur de la décision ministérielle litigieuse.
La demanderesse donne encore à considérer que l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle ces dernières années personne n’aurait été exécuté pour cause d’apostasie, outre le fait qu’elle serait contredite par les faits et l’actualité, ne serait pas non plus pertinente, notamment au regard du régime politique et religieux actuellement en place en Iran. La demanderesse insiste ainsi sur le fait que les personnes qui se seraient converties de l’Islam à une autre religion seraient considérées par l’Etat comme des apostats et pourraient à ce titre être condamnées à la peine de mort.
La demanderesse fait également valoir qu’en cas de retour en Iran, elle ne pourrait plus pratiquer ouvertement sa religion sans s’exposer à un risque pour sa vie, son intégrité et sa liberté. La demanderesse réfute dès lors l’argument du délégué du gouvernement suivant lequel elle ne courrait pas de risque du fait qu’elle se serait convertie au Luxembourg et ce aussi longtemps que personne en Iran n’aurait connaissance de cette conversion. Elle insiste dans ce contexte, en se basant notamment sur les conclusions de l’avocat général, Monsieur Yves Bot, sur le fait qu’il ne saurait être exigé d’une personne qu’elle renonce à pratiquer ouvertement sa religion afin d’éviter ainsi de subir dans son pays d’origine des persécutions ou atteintes graves.
La demanderesse en conclut qu’il existerait une crainte fondée dans son chef que si elle entendait poursuivre ses activités religieuses une fois de retour en Iran, elle s’exposerait à un risque de persécution.
Aux termes de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Le ministre considérera comme irrecevable la nouvelle demande d’une personne à laquelle la protection internationale a été définitivement refusée ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
(2) Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de 15 jours à compter du moment où il a obtenu ces informations. Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en se limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien. » Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est dès lors conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux, et, d’autre part, doivent comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécutions, c’est-à-dire que ces éléments nouveaux doivent augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur devant avoir été dans l’incapacité, sans faute de sa part, de se prévaloir de ces nouveaux éléments en cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.
En outre, il résulte des dispositions de l’article 23 précité que le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est soumis à la condition que le fait et les éléments de preuve nouveaux dont le demandeur fait état, soient invoqués dans un délai de 15 jours à compter du moment où il en a eu connaissance.
Ainsi, le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction consiste en une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de la chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure.
Il appartient dès lors au ministre d’analyser si les éléments qui lui ont été soumis au cours d’une nouvelle demande de protection internationale constituent effectivement des éléments nouveaux et sont susceptibles en même temps d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre des précédentes procédures.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que ni le caractère nouveau des éléments invoqués par la demanderesse à l’appui de sa troisième demande de protection internationale, ni le moment où, respectivement le délai endéans duquel ces éléments auraient été portés à la connaissance du service compétent du ministère des Affaires étrangères n’ont fait l’objet d’une contestation de la part de la partie étatique, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’y revenir.
Il appartient dès lors seulement au tribunal de déterminer si les éléments nouveaux invoqués par la demanderesse sont de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’elle remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est dans ce contexte de constater que si les motifs à la base de la décision de conversion de la demanderesse peuvent certes apparaître douteux, respectivement si l’époque de cette conversion peut soulever quelques doutes quant à la sincérité de cette conversion, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas contesté que la demanderesse et son fils se sont effectivement convertis à la religion chrétienne en date des 15 août et 10 septembre 2011, lesdites conversions étant encore étayées par des documents établis par l’église catholique luxembourgeoise. Il ressort ensuite tant des explications de la demanderesse que de celles du délégué du gouvernement que le Code pénal iranien punirait de mort l’apostasie, c’est-à-dire le reniement de la foi musulmane.
L’abandon de la religion musulmane serait ainsi prohibé par la loi islamique, qui disposerait que les apostats doivent être exécutés s’ils refusent de revenir à l’Islam. Une personne de confession musulmane qui s’est convertie à la religion chrétienne, telle que c’est le cas pour la demanderesse et son fils, serait dès lors à l’heure actuelle toujours susceptible d’être poursuivie et condamnée à mort du seul fait de cette conversion, la partie étatique admettant que la peine capitale est expressément prévue par le Code pénal iranien. Ce constat n’est pas ébranlé par le fait qu’au cours des dernières années personne en Iran n’aurait été exécuté pour cause d’apostasie, ni par l’affirmation suivant laquelle une personne de confession chrétienne ne risquerait pas d’office des persécutions en Iran à partir du moment où elle ne se livrerait pas au prosélytisme.
Le tribunal en conclut que la circonstance d’une part que la demanderesse et son fils se sont depuis leur dernière demande de protection internationale convertis à la religion chrétienne et d’autre part que le Code pénal iranien punit de mort l’apostasie, doit être considérée comme un élément nouveau augmentant de manière significative la probabilité que la demanderesse remplisse les conditions requises pour obtenir la protection internationale, la demanderesse étant en effet effectivement exposée en Iran à des risques de persécutions graves du fait de sa conversion.
Il suit de ce qui précède que c’est à tort que le ministre a déclaré la troisième demande de protection internationale de Madame YOUSEFDOST irrecevable, de sorte que la décision afférente du 12 avril 2012 encourt l’annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le dit justifié, partant annule la décision déférée du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 12 avril 2012 et renvoie le dossier audit ministère en prosécution de cause ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 22 juin 2012 par :
Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22.6.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 9