Tribunal administratif N° 30447 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2012 3e chambre Audience publique du 13 juin 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30447 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2012 par Maître Luc Majerus, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 12 mars 2012 de statuer sur le bien-
fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 12 mars 2012 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale, et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé en date du 25 mai 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc Majerus au nom de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Claire Clesse, en remplacement de Maître Luc Majerus, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2012.
Le 20 décembre 2011, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».
En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date des 27 janvier et 8 mars 2012, il fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 12 mars 2012, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé du 20 mars 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 20 décembre 2011.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez dans les cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
c) le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi. » En mains le rapport du Service de la Police Judiciaire du 21 décembre 2011, ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 27 janvier 2012 et 8 mars 2012.
Il ressort du rapport de la Police Judiciaire que vous êtes en possession d'un passeport serbe, établi le 9 mars 2010.
Monsieur, il résulte de vos déclarations auprès de l'agent du Service des Réfugiés que vous auriez quitté la Serbie en raison de votre orientation homosexuelle. Vous dites que l'événement déclencheur qui vous aurait poussé à quitter votre pays d'origine se serait produit il y a six mois, lorsque votre frère vous aurait surpris en train d'embrasser votre petit-
ami. En conséquence, vos parents et votre frère vous auraient maltraité physiquement.
Vous dites que vous sauriez depuis l'âge de 12 ans que vous vous intéressiez aux hommes et non aux femmes. Vos parents seraient depuis longtemps au courant de votre orientation sexuelle, ainsi que votre entourage. Vous dites que les gens se seraient moqués de vous, raison pour laquelle vous auriez également quitté votre dernier lieu de travail.
Quant aux problèmes que vous auriez avec votre famille, et plus particulièrement avec votre frère, vous vous seriez adressé à un agent de police. Cependant, ce dernier vous aurait rétorqué qu'il s'agirait d'un problème familial (p.7/10).
Vous déclarez être régulièrement insulté dans la rue par des habitants de votre ville.
Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune autre persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d'un parti politique.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, le fait que vous auriez des problèmes avec votre famille en raison de votre orientation sexuelle n'est pas de nature à constituer une crainte fondée de persécution selon la Convention de Genève et de ladite loi. Il en est de même en ce qui concerne vos indications que vos collègues de travail se seraient moqués de vous. Ainsi, votre crainte de vous faire agresser par des membres de votre famille ou bien par des habitants de votre ville, n'est pas d'une gravité suffisante pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique.
Ajoutons également que les membres de votre famille ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Au vu de ce qui précède, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
A cela s'ajoute que selon l'article 1 (1) du règlement grand-ducal du 1er avril 2011 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre pays d'origine, la Serbie, doit être considérée comme pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la prédite loi, les conditions du point c) de l'article 20§1 étant donc également remplies. Rappelons qu'un pays est désigné comme sûr lorsqu'il est établi qu'il n'existe généralement pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Cet aspect est d'autant plus conforté par le fait que la Serbie a obtenu en date du 1er mars 2012 le statut de candidat à l'Union européenne. De même, l'analyse de votre situation personnelle ne permet pas d'ébranler ce constat.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 20§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République de Serbie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2012, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 12 mars 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
A l’appui de son recours, le demandeur, de nationalité serbe et originaire de Serbie, déclare avoir quitté son pays d’origine en raison de problèmes rencontrés en raison de son orientation sexuelle. Il déclare ainsi avoir été violemment frappé par différents membres de sa famille qui l’auraient surpris avec son petit ami. Il précise encore avoir déjà dans le passé subi des mauvais traitements de la part de sa famille en raison de son orientation sexuelle, mais que la police refuserait d’intervenir au motif qu’il s’agirait d’un problème d’ordre purement familial. Il précise encore que de manière générale, il devrait faire face à un climat extrêmement hostile à l’encontre des homosexuels dans son pays d’origine. Ainsi, il aurait dû quitter son travail de couturier suite aux insultes et moqueries de ses collèges. Il aurait par ailleurs fait l’objet d’un dénigrement général de la part de la population de sa ville natale, l’empêchant ainsi de mener une existence en Serbie.
Face à l’impossibilité de vivre une vie normale en raison de son orientation sexuelle et de bénéficier de la protection de ses droits fondamentaux, il aurait ainsi quitté son pays d’origine.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi, étant précisé qu’en raison d’une indication erronée des voies de recours dans la décision du ministre en ce qu’il y est indiqué que le recours est à introduire dans un délai d’un mois à partir de la notification de la décision, tandis que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un délai de recours de quinze jours, aucun délai de recours n’a commencé à courir en l’espèce.
A l’appui de ce volet de la requête, le demandeur conteste l’affirmation du ministre qu’il n’aurait présenté que des faits non pertinents au regard de l’examen de la demande de protection internationale, respectivement celle qu’il apparaîtrait clairement qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
En ce qui concerne la qualification de la Serbie comme pays d’origine sûr, le demandeur soutient que cette seule qualification ainsi que la référence au statut de la Serbie de candidat à l’Union européenne, ne serait pas suffisant. Dans ce contexte, le demandeur fait encore valoir que l’existence d’un système de recours efficace contre les violations des droits et libertés ne seraient pas garantie dans son cas, alors que l’existence d’un tel système constituerait au regard de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 un critère devant être pris en considération.
Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 :
« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; […] ».
En l’espèce, il se dégage de la décision ministérielle entreprise et des explications fournies par le délégué du gouvernement que la décision d’examiner la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée est fondée sur les points a), b) et c) de l’article 20 (1), précité, étant précisé que ces trois cas de figure sont alternatifs, de sorte qu’il suffit qu’un des cas est donné pour que le ministre puisse faire application de l’article 20 (1).
Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.
Par règlement grand-ducal du 1er avril 2011, la Serbie a été ajoutée à la liste des pays d’origine sûrs établie par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006.
Aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un pays désigné pays d’origine sûr est considéré comme un pays d’origine sûr pour le demandeur qui possède la nationalité de ce pays ou qui y avait précédemment sa résidence habituelle.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité serbe et qu’il a habité en Serbie avant de venir au Luxembourg.
S’il est certes vrai, tel que l’a souligné le demandeur, que la qualification de la Serbie comme pays d’origine sûr à elle seule n’est pas suffisante, mais qu’il convient de prendre en compte la situation individuelle du demandeur conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, il n’en reste pas moins que le demandeur n’a pas fourni des éléments suffisants permettant de retenir que son pays d’origine ne constituerait pas un pays d’origine sûr malgré la circonstance qu’il figure sur la liste précitée des pays d’origine sûrs, la seule affirmation que le demandeur n’aurait, en raison de son orientation sexuelle, aucun recours effectif contre des violations de ses droits étant, à défaut d’autres éléments, étant insuffisante à cet égard.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a considéré que le demandeur, en provenant de la Serbie, est originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 16 (1) de la loi du 5 mai 2006 en rapport avec le constat du ministre que la Serbie est candidat à l’Union européenne, celle-ci est dépourvue de pertinence dans la mesure où le ministre n’a pas fondé sa décision sur l’article 16 (1), précité, ayant trait aux demandes de protection internationale de citoyens de l’Union européenne.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et dans la mesure où le tribunal vient de constater que les conditions énumérées au point c) dudit article sont remplies en l’espèce, le ministre a valablement pu statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner à ce stade de la procédure si les conditions des points a) et b) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 étaient remplies en l’espèce.
Le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable, étant rappelé, tel que cela a été retenu ci-avant, en l’espèce aucun délai de recours n’a commencé à courir.
A l’appui de ce volet de la requête, le demandeur soutient qu’en raison de son orientation sexuelle il devrait être considéré comme appartenant à un groupe social au sens de l’article 32 (1) d) de la loi du 5 mai 2006 en soulignant que la situation des homosexuels dans son pays d’origine serait particulièrement précaire ceux-ci subiraient de nombreuses discriminations.
En ce qui concerne la question d’une protection dans son pays d’origine, le demandeur fait valoir qu’un appel à la police n’aurait aucun succès. Le comportement de la police aurait ainsi pour effet une certaine tolérance des violations de droits fondamentaux, de sorte que les victimes ne pourraient pas compter sur l’aide de la justice. Afin de corroborer ses affirmations, il se réfère à un rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe concernant la situation des homosexuels en Serbie ainsi qu’à un rapport d’Amnesty International de 2009. Il entend mettre ainsi en évidence un problème d’une certaine impunité face à des exactions commises à l’égard d’homosexuels ainsi qu’une inaction politique.
Il en conclut à une absence de recours effectif aux autorités nationales et à l’inexistence d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner des actes de persécution en raison de son orientation sexuelle.
Malgré l’existence d’une législation anti-discrimination en Serbie, les homosexuels constitueraient un groupe soumis à l’hostilité générale de la population, sans possibilité de se prévaloir d’un accès effectif aux autorités étatiques. Le demandeur conclut qu’en raison de l’absence d’un recours effectif aux autorités étatiques, les membres de sa famille devraient être considérés comme agents de persécution.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale» se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et en vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.
Il convient de prime abord de relever que le demandeur qui prétend être victime de persécutions dans son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle est en principe susceptible de tomber dans le champ d’application de la loi du 5 mai 2006.
En effet, aux termes de l’article 32 (1) d) de cette même loi, les actes de persécution au sens de la Convention de Genève peuvent notamment être perpétrés à l’encontre de personnes appartenant à un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle, l’article 32 (1) d) alinéa 2 de la loi du 5 mai 2006 disposant qu’« En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. […] ».
Néanmoins, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié.
L’octroi de la protection internationale n’est en effet pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
Quant à la situation générale des homosexuels en Serbie, il convient de relever que s’il ressort certes du rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe du 22 septembre 2011 qu’une certaine homophobie reste toujours d’actualité en Serbie, il n’en reste pas moins qu’il se dégage du même rapport qu’une loi anti-discrimination de 2009, tout comme la législation pénale, la législation en matière de relations de travail, ainsi que d’autres dispositions légales prévoient des mesures protectrices contre des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. Il s’ensuit qu’il ne se dégage pas dudit rapport, ni des autres pièces versées par le demandeur que la situation des homosexuels en Serbie soit telle que tout membre de la communauté homosexuelle de la Serbie soit susceptible d’être confronté systématiquement à des actes de persécution en raison de sa seule appartenance à ce groupe social.
Quant à la situation personnelle du demandeur, il convient de relever qu’aux termes de l’article 31. (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » En l’espèce, le demandeur fait état, d’un côté, d’agressions subies de la part de membres de sa famille qui désapprouvent son orientation sexuelle et, de l’autre côté, d’un climat général d’hostilité à l’égard des homosexuels, qu’il aurait ressenti plus particulièrement sur son lieu de travail.
Le tribunal est néanmoins amené à retenir que les agressions des membres de sa famille dont fait état le demandeur ainsi que des remarques désobligeantes de personnes du voisinage respectivement de collègues de travail, tant pris isolément que par leur accumulation ne revêtent pas un caractère de gravité tel qu’ils puissent être assimilés à une persécution du fait de l’appartenance du demandeur à un certain groupe social aux termes des articles 2 et 32 de la loi du 5 mai 2006.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les faits invoqués par le demandeur ne revêtent pas un degré de gravité suffisant pour être qualifié de persécution, il devient sans pertinence d’examiner la question de savoir si le demandeur peut obtenir une protection dans son pays d’origine.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par le demandeur.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire, celui-ci donne à considérer qu’il aurait établi avoir subi des traitements inhumains et dégradants et qu’il serait évident qu’en cas de retour en Serbie, il subira de nouveau de tels traitements, en se référant à la présomption prévu à l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, sans qu’il n’existe de bonnes raisons de penser que de telles atteintes ne se reproduiront pas.
Aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Or, au regard des explications fournies par le demandeur concernant les difficultés dont il fait état, le tribunal ne dispose pas d’éléments suffisants permettant d’établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que le demandeur encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, précité.
Plus particulièrement, il n’établit pas risquer la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Partant, le recours en réformation est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 12 mars 2012 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable, étant rappelé, tel que cela a été retenu ci-
avant, en l’espèce aucun délai de recours n’a commencé à courir.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de séjour.
En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif qu’elle serait contraire à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, en soulignant que son retour en Serbie serait suivi de traitements cruels, inhumains et dégradants.
Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, précitée : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ».
Force est de constater qu’il ne se dégage pas des éléments du dossier que le demandeur risquerait sa vie en cas de retour en Serbie.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », il convient de rappeler que si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Serbie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef du demandeur de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Serbie soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH et partant avec l’article 129 de la loi du 29 août 2008, précité, qui renvoie audit article 3.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 12 mars 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 12 mars 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 12 mars 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 13 juin 2012 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.06.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 11