Tribunal administratif Numéro 28709 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2011 2e chambre Audience publique du 4 juin 2012 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … et Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme en matière d’autorisation d’établissement
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28709 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2011 par Maître Pierre-Marc Knaff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … , et de Monsieur …, demeurant à …, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme du 16 mars 2011 portant refus de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation d’établissement ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 2011;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pierre-Marc Knaff et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.
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Le 31 décembre 2010, Monsieur … introduisit, par l’intermédiaire de la société …, introduisit auprès du ministre des Classes Moyennes et du Tourisme, ci-après désigné par « le ministre », une demande en autorisation gouvernementale en vue de l’exercice de l’activité suivante : « … » sous la forme d’une société commerciale dénommée ….
Par décision du 16 mars 2011, le ministre se rallia à l’avis négatif émis le 17 février 2011 par la commission consultative prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 1.
réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales; 2. modifiant l'article 4 de la loi du 2 juillet 1935 portant réglementation des conditions d'obtention du titre et du brevet de maîtrise dans l'exercice des métiers, ci-après désignée par « la loi du 28 décembre 1988 », et indiqua à la société … que :
« (…) l’honorabilité de Monsieur … est compromise en l’état actuel du dossier administratif en raison des manquements constatés suite à sa condamnation pour ….
Cette prise de position est basée sur le jugement du 7 avril 2008 (185 O.P) du Tribunal Correctionnel Luxembourg, notifié, le 27 juin 2008 à Monsieur ….
Comme je me rallie aux conclusions de cet organe de consultation, je vous informe que Monsieur … ne remplit plus la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle requise et aucune autorisation d’établissement ne saurait être délivrée par mes services.
A toutes fins utiles j’aimerais préciser que Monsieur … remplit la condition de qualification professionnelle pour l’exploitation d’un … (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2011, la société … et Monsieur … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle portant refus de délivrance d’une autorisation d’établissement pour l’exercice de l’activité de la société … du 16 mars 2011.
Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation. En effet, dans la mesure où l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation lorsqu’un recours en réformation est prévu par la loi.
Dans la mesure où l’article 2 dernier alinéa de la loi du 28 décembre 1988, dans sa version applicable au jour de la prise de la décision ministérielle critiquée, dispose que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en matière d’octroi, de refus ou de révocation d’autorisation d’établissement, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Le recours principal en annulation est recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent d’abord le parcours scolaire et professionnel de Monsieur … qui, après avoir rejoint l’armée luxembourgeoise, a participé à deux missions militaires au Kosovo, a travaillé comme …, et a exploité un premier établissement de … à … jusqu’en …. Monsieur … soutient ensuite avoir été verbalisé le … à l’intérieur de son local, d’une part, pour infraction à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, ci-après désignée par « la loi du 19 février 1973 », pour y avoir consommé et détenu 0,7 grammes de marihuana qu’il avait importée des Pays-Bas, et, d’autre part, pour infraction à la loi du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, pour avoir détenu un spray à poivre, faits pour lesquels il déclare avoir été condamné à une amende de ….- € par ordonnance pénale du 7 avril 2008.
En droit, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision déférée pour erreur manifeste du ministre dans l’appréciation des faits, en faisant valoir qu’au regard de la faible gravité de l’infraction à la loi du 19 février 1973 et du fait que depuis la commission de cette infraction, Monsieur … n’aurait plus été pénalement condamné, le ministre aurait conclu à tort que l’honorabilité professionnelle de Monsieur … serait compromise.
Selon le délégué du gouvernement, le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation et il conclut au rejet du recours.
Les conditions d’octroi d’une autorisation sont fixées à l’article 3 alinéa 1er de la loi du 28 décembre 1988 qui dispose pour les personnes morales que: « (…) S´il s´agit d´une société, les dirigeants devront satisfaire aux conditions imposées aux particuliers. Il suffit que les conditions de qualification professionnelle soient remplies par le chef d´entreprise ou par la personne chargée de la gestion ou de la direction de l´entreprise. (…) », étant précisé que la première phrase dudit article prévoit que : « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles », l’honorabilité s’appréciant, en vertu du dernier alinéa dudit article 3 « sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ».
Ainsi, il s’agit d’apprécier dans le cas d’une autorisation d’établissement sollicitée par une personne morale si le dirigeant de cette dernière remplit les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles requises par la loi. Seule l’honorabilité de Monsieur … ayant été mise en cause en l’espèce, le tribunal limitera son examen à cette condition.
Il y a lieu de relever que si le seul fait d’avoir subi une condamnation pénale n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement un défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef de la personne concernée, sous peine d’ériger en un automatisme l’application d’une sanction administrative grave de conséquences1, toujours est-il que les faits ayant entraîné la condamnation en question doivent être appréciés dans chaque cas d’espèce, notamment et plus spécifiquement en relation avec les activités pour lesquelles l’autorisation d’établissement est demandée2.
Force est de constater que les éléments relevés par le ministre pour apprécier l’honorabilité professionnelle de Monsieur … ne sont pas de nature à impliquer que celle-ci est définitivement entachée, étant rappelé que le tribunal statue en tant que juge de la légalité, c’est-
à-dire que sa mission n’inclut pas l’appréciation des faits, mais la vérification de l’exactitude matérielle des faits et de leur nature à motiver légalement la décision litigieuse.
En l’espèce, le ministre motive le refus de délivrer l’autorisation d’établissement sollicitée par la circonstance que Monsieur … fût pénalement condamné pour infraction à la loi du 19 février 1973, pour avoir consommé et détenu 0,7 grammes de marihuana qu’il avait importée des Pays-Bas.
Il y a en effet lieu de constater que les éléments relevés par le ministre ne sont pas d’une gravité suffisante pour motiver la décision litigieuse. D’une part, nonobstant l’existence de 1 trib. adm. 4 juin 2003, n° 15607 du rôle, Pas. adm. 2011, V° Autorisation d’établissement, n°160 2 trib. adm. 18 juin 2001, n° 12859 du rôle, Pas. adm. 2011, V° Autorisation d’établissement, n°155 et autres références y citées.
l’article 24 de la loi du 29 juin 1989 relative au régime des cabarets prévoyant une interdiction automatique d’exploiter un … que seul le juge répressif devrait prononcer en cas de condamnation pour une infraction à la législation sur les stupéfiants, sachant qu’une telle obligation n’existe pas dans le chef du ministre qui doit apprécier concrètement les faits dans chaque cas d’espèce, les faits pour lesquels Monsieur … a été condamné par l’ordonnance pénale du 7 avril 2008 remontent à 2007 et ne permettent pas de conclure à un risque potentiel pour de futurs clients, vu le caractère isolé de l’incident et la faible quantité de stupéfiants confisqués. D’autre part, il y a lieu de relever que les risques mis en avant par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, consistant à soutenir que du fait d’une consommation de stupéfiants dans le local professionnel, Monsieur … risquerait de tolérer, voire même de favoriser la consommation de stupéfiants par sa clientèle, sont purement hypothétiques pour ne pas être corroborés par un élément concret du dossier.
Il échet donc de constater que le ministre a, d’une part, commis une erreur manifeste d’appréciation des faits et s’est, d’autre part, basé sur des faits non établis.
Il suit des développements qui précèdent que la décision ministérielle déférée encourt l’annulation, étant donné que les faits invoqués par le ministre à la base de la décision du 16 mars 2011 ne sont pas de nature à motiver légalement la décision litigieuse.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire.
reçoit le recours principal en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme du 16 mars 2011 portant refus de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation d’établissement et renvoie le dossier en prosécution de cause devant ledit ministre ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge et lu à l’audience publique du 4 juin 2012 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juin 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 5