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10/05/2012 | LUXEMBOURG | N°28447

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2012, 28447


Tribunal administratif N° 28447 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2011 2e chambre Audience publique du 10 mai 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28447 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2011 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né en date du … à … (Belarus), de n...

Tribunal administratif N° 28447 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2011 2e chambre Audience publique du 10 mai 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28447 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2011 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né en date du … à … (Belarus), de nationalité bélarussienne, ayant été retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 8 janvier 2011 portant refus de séjour et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2011 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2011 par Maître Pascale Petoud pour compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives.

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Par décision du 8 janvier 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », refusa le séjour à Monsieur … et lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, le Belarus, ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, aux motifs qu’il n’était pas en possession d’un document d’identité ou de voyage valable, qu’il ne justifiait pas l’objet et les conditions du séjour envisagé et qu’il n’était en possession ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail si cette dernière est requise. Au titre de la base légale, le ministre a fondé sa décision sur les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après la « loi du 29 août 2008 ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 avril 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 8 janvier 2011.

Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus de séjour et d’ordre de quitter le territoire, seul un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision sous examen. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait état de ce qu’il avait déposé une demande d’asile en date du 29 juillet 2005 que le ministre des Affaires étrangères avait toutefois rejetée comme n’étant pas fondée par une décision du 6 février 2007. Un recours contentieux dirigé contre la décision ministérielle de rejet de sa demande d’asile a été définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 29 janvier 2008.

En droit, il soutient que la décision portant refus de séjour dans son chef, ainsi que l’ordre de quitter le territoire violerait l’article 103 de la loi du 29 août 2008. Plus particulièrement, il reproche au ministre de ne pas avoir indiqué de quelle manière les critères prévus audit article auraient été pris en considération. Ainsi, le ministre n’aurait pas tenu compte de son âge, de sa situation personnelle, familiale et sociale, ainsi que de son degré d’intégration dans le pays d’accueil ainsi que de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine. Il estime que la démarche suivie par le ministre ne serait pas retraçable, étant donné qu’il se serait borné à reprendre les termes et conditions abstraits de l’article 103 de la loi du 29 août 2008.

Il échet tout d’abord de constater que les décisions de refus de séjour et d’ordre de quitter le territoire litigieuses tombent dans le champ d’application de l’article 103 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au jour de la décision sous examen.

L’article 103 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au jour de la décision incriminée, disposait en son alinéa 1er qu’ « avant de prendre une décision de refus de séjour, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour ou une décision d’éloignement du territoire à l’encontre du ressortissant de pays tiers, le ministre tient compte notamment de la durée du séjour de la personne concernée sur le territoire luxembourgeois, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans le pays et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ».

Une décision de refus de séjour n’est pas automatique en ce qu’il incombe au ministre, avant de prendre une telle décision, de vérifier dans chaque cas précis la situation personnelle de l’intéressé en tenant compte d’un certain nombre d’éléments tels qu’énumérés à l’article 103 susvisé, tenant plus particulièrement à sa situation personnelle, familiale et sociale, ainsi qu’à son degré d’intégration dans le pays d’accueil et à l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, hormis l’hypothèse où la présence de l’intéressé constitue une menace pour l’ordre ou la sécurité publique, hypothèse non vérifiée en l’espèce. S’il est vrai que l’article 103 ne prévoit pas l’obligation pour le ministre de relater en détail la démarche qu’il est amené à faire au regard des éléments qu’il est tenu de vérifier suivant l’article 103 précité, la démarche du ministre, afin de satisfaire aux exigences telles que figurant à l’article 103 en question, doit pour le moins être retraçable au plus tard au niveau du contrôle juridictionnel à opérer.

Force est de constater qu’en l’espèce, la décision attaquée renvoie tant à l’article 103 de la loi 29 août 2008, qu’aux différents critères y énumérés que le ministre déclare avoir pris en compte, ces critères étant toutefois indiqués de manière abstraite et sans se référer d’une quelconque manière à la situation particulière du demandeur. D’autre part, il se dégage des explications fournies par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse que plus particulièrement la durée du séjour du demandeur sur le territoire luxembourgeois de plus ou moins six années au jour de la décision sous examen, son âge de … ans, son état de santé non autrement mis en cause par le demandeur et sa situation familiale et économique ainsi que son intégration sociale et culturelle qui n’ont pas été de nature à faire ressortir un élément spécifique quant à la situation du demandeur, ont été pris en compte par le ministre lors de la prise de sa décision. Le délégué du gouvernement a également indiqué que le ministre n’aurait pas été rendu attentif à un quelconque élément de fait rendant le retour du demandeur vers son pays d’origine disproportionné voire impossible.

Les décisions administratives bénéficiant d’une présomption de légalité, le tribunal est amené à retenir que le demandeur reste en défaut d’établir que contrairement au libellé de la décision administrative litigieuse et contrairement aux explications complémentaires fournies par le délégué du gouvernement, le ministre n’aurait pas procédé à la vérification des éléments repris à l’article 103 de la loi du 29 août 2008. Il échet encore de relever qu’aucune critique concrète n’est formulée à ce sujet par le demandeur, mis à part le fait que le ministre n’aurait pas tenu compte du fait qu’il serait arrivé au Luxembourg le 29 juillet 2005, qu’il serait né le 12 mai 1971, qu’il aurait exercé « de nombreux travaux de jardinage et dans la restauration afin de subvenir à ses besoins », qu’il aurait toujours été respectueux des lois de son pays d’accueil où il aurait tissé « des liens » et qu’il craindrait « pour sa vie » en cas de retour en Biélorussie en raison de ses activités politiques antérieures, pays où il n’aurait d’ailleurs plus aucune famille. Les éléments de fait ainsi soulevés par le demandeur ne permettent toutefois pas de conclure à une violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008, en ce que le ministre, suivant les explications étatiques retenues ci-avant, déclare avoir pris en considération la situation particulière du demandeur au jour de la prise de la décision incriminée.

Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé, tant en ce qu’il est dirigé contre la décision de refus de séjour qu’en ce qu’il est dirigé contre l’ordre de quitter le territoire.

Quant au volet de la décision incriminée portant ordre de quitter le territoire, le demandeur soutient que le ministre aurait violé l’article 129 de la loi du 29 août 2008 pour avoir retenu la Biélorussie comme étant le pays vers lequel il devrait être éloigné, étant donné qu’il craint y faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dénommée ci-après « CEDH ». Le demandeur se réfère dans ce contexte à deux convocations qu’il aurait reçues « par la justice pénale » le 3 août 2005 ainsi que le 14 novembre 2007 qui auraient motivé son départ de son pays d’origine.

Si l’article 3 CEDH proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence de se voir exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Biélorussie, il y a lieu de rappeler que par arrêt de la Cour administrative du 29 janvier 2008, le demandeur a été débouté de sa demande tendant à se voir reconnaître un statut de protection internationale. La Cour administrative avait ainsi conclu à l’absence dans le chef du demandeur de tout risque actuel de persécution, notamment en prenant en considération les deux convocations pénales dont le demandeur fait à nouveau état dans le cadre de la présente instance.

Si le tribunal ne se trouve certes pas lié en ce qui concerne les conséquences juridiques à accorder aux faits mis en avant par le demandeur - l’arrêt précité ayant été pris dans un cadre juridique différent, à savoir celui de la protection internationale - et l’absence de droit à la protection internationale telle que définitivement retenue par la Cour administrative dans son arrêt précité ne signifiant pas nécessairement et automatiquement l’absence de tout fondement de la demande sous analyse, il n’en reste pas moins que le tribunal se rallie aux constatations factuelles de cet arrêt qui a retenu que le demandeur n’était pas exposé à un risque grave en cas de retour en Biélorussie au jour de l’arrêt précité. Le tribunal constate par ailleurs que le demandeur reste en défaut d’apporter des éléments nouveaux par rapport à ceux soumis aux juridictions administratives dans le cadre de son recours dirigé contre la décision ministérielle portant rejet de sa demande de protection internationale dont il résulterait qu’il serait actuellement, et contrairement à l’appréciation de la Cour administrative en date du 29 janvier 2008, exposé à un tel risque, le demandeur n’ayant en particulier apporté aucun élément duquel ressortirait un changement de sa situation par rapport à la situation politique générale existant dans son pays d’origine.

Au vu de ce qui précède, et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH, le tribunal n’estime pas au vu de la situation générale du demandeur qu’il existe un risque suffisamment réel pour que son renvoi vers son pays d’origine soit incompatible avec l’article 3 CEDH et constitue une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008. Il y a partant lieu de conclure au rejet de ce moyen, conformément aux conclusions étatiques.

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué à l’appui du recours sous examen, celui-ci est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 10 mai 2012 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.

s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 mai 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 28447
Date de la décision : 10/05/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-05-10;28447 ?

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