Tribunal administratif Numéro 28035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2011 2e chambre Audience publique du 29 mars 2012 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28035 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2011 par Maître Rhett Sinner, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Croatie), de nationalité croate, demeurant à …, et de Madame …, née le … à … (Macédoine), de nationalité macédonienne, demeurant à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 9 février 2011 refusant l’engagement de prise en charge signé en date du 30 novembre 2010 pour l’obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame …, respectivement refusant la délivrance à Madame … d’une autorisation de séjour en qualité de membre de famille ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2011 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Rhett Sinner déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 juin 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Romain Lancia, en remplacement de Maître Rhett Sinner, et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 30 novembre 2010, Monsieur … signa une déclaration de prise en charge conformément à l’article 4 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », pour l’obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame …, sa cousine par alliance.
Par courrier du 21 décembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », s’adressa à Monsieur … pour lui demander des précisions quant à l’objet du séjour envisagé et quant au lien familial entre lui et la dénommée … et de lui faire parvenir une copie intégrale du passeport de ladite personne.
Par courrier du 22 décembre 2010, Monsieur … lui répondit que « (…) l’objet de son séjour [de Madame …] au Grand-Duché du Luxembourg est un rapprochement familial, car Madame … vit seule et isolée en Macédoine (…) ».
Par décision du 9 février 2011, le ministre refusa l’engagement de prise en charge précité aux motifs et considérations suivants :
« J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier du 22 décembre 2010 concernant l'objet sous rubrique.
Je vous informe que, suite aux informations fournies dans votre courrier du 22 décembre 2010, je qualifie l'engagement de prise en charge pour une durée indéterminée que vous avez souscrit en faveur de Madame … comme demande en obtention d'une autorisation de séjour dans son chef.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, votre cousine par alliance n'est pas à considérer comme membre de la famille d'un citoyen de l'Union européenne tel que prévu par l'article 12 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. Une carte de séjour d'un membre de famille du citoyen de l'Union ne saurait par conséquent pas lui être accordée.
À titre subsidiaire, la demande est irrecevable alors que selon l'article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, la demande en obtention d'une autorisation de séjour, introduite par le ressortissant d'un pays tiers auprès du ministre, doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.
Selon l'article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu'à trois mois, peut, dans des cas exceptionnels, être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d'une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s'il rapporte la preuve qu'il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d'autorisation qu'il vise, et si le retour dans son pays d'origine constitue pour lui une charge inique.
Du fait que l'intéressée ne prouve ni que toutes les conditions exigées pour la catégorie d'autorisation de séjour qu'elle vise soient remplies, ni que le retour dans son pays d'origine constitue une charge inique, elle n'est pas autorisée à déposer une demande en obtention d'une autorisation de séjour pour l'une des catégories d'autorisation de séjour fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée pendant son séjour au Luxembourg.
Plus subsidiairement encore, elle ne remplit aucune condition exigée pour entrer dans le bénéfice d'une des catégories d'autorisation de séjour prévues par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu du passeport de Madame …, je constate qu'elle a quitté … en date du 7 novembre 2011. Je vous signale que Madame … a le droit de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une période allant jusqu'à trois mois sur une période de six mois si elle est en possession d'un passeport dont la validité doit dépasser de trois mois la date du début de voyage et si elle remplit les conditions fixées à l'article 34 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Après vérification expresse de la situation de l'intéressée au vu des éléments qui figurent au dossier administratif, relatifs à la durée de son séjour, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle et ses liens avec son pays d'origine, conformément à l'article 103 de la loi du 29 août 2008 précitée, le séjour est refusé à Madame … sur base de l'article 100 de la loi, alors qu'une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois ne lui a pas été délivrée.
Conformément à l'article 111 de la loi du 29 août 2008 précitée, Madame … est obligée de quitter le territoire au plus tard trois mois après son entrée sur le territoire, soit à destination du pays dont elle a la nationalité, la Macédoine, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage, soit à destination d'un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2011, Monsieur … et Madame … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision de refus prérelatée.
Le tribunal est tout d’abord amené à examiner la recevabilité du recours, un moyen tiré de l’irrecevabilité de celui-ci ayant été soulevé par le délégué du gouvernement en ce qu’il y aurait défaut d’objet du recours en annulation, étant donné que selon un rapport de la Police grand-ducale du 7 avril 2011, Madame … aurait quitté le Grand-Duché de Luxembourg pour retourner en Macédoine.
Les demandeurs répliquent, quant au moyen d’irrecevabilité tiré du défaut d’objet du recours, qu’étant donné que la demanderesse se serait trouvée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg au moment de l’introduction de son recours, ce dernier serait recevable, sans qu’il n’ait été nécessaire de prendre en considération un éventuel retour de Madame … dans son pays d’origine depuis l’introduction du prédit recours.
Force est au tribunal de constater, nonobstant la qualification juridique de la demande introduite par Monsieur … le 30 novembre 2010, que le moyen d’irrecevabilité du recours en annulation pour défaut d’objet du fait de la présence de Madame … sur le territoire du Grand-
Duché de Luxembourg, voire de son retour dans son pays d’origine, est à rejeter, étant donné, d’une part, que si la demande de Monsieur … était à qualifier d’'engagement de prise en charge pour une durée indéterminée souscrit en faveur de Madame …, la présence ou non de cette dernière sur le territoire luxembourgeois est sans incidence sur la recevabilité du recours, étant donné que les conditions de l’octroi de l’engagement de prise en charge résultant de l’article 4 paragraphes 1 et 2 de la loi du 29 août 2008 ne s’apprécient que dans le chef de la personne signataire de l’engagement, en l’occurrence Monsieur …, et, d’autre part, que si la demande de Monsieur … était à requalifier en demande en obtention d'une autorisation de séjour de la part de Madame …, la présence de cette dernière sur le territoire luxembourgeois pourrait, le cas échéant, entraîner l’irrecevabilité de sa seule demande au sens de l’article 39 paragraphe 1er de la loi du 29 août 2008 qui exige qu’une demande en obtention d’une autorisation de séjour soit introduite et avisée favorablement avant l’entrée sur le territoire nationale, mais non pas du présent recours en annulation.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition ne prévoit de recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être déposé contre la décision déférée. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font en premier lieu état d’un défaut de motivation de la décision ministérielle déférée. Ils soutiennent que le ministre serait resté en défaut d’indiquer les motifs à la base de la requalification de la demande d’engagement de prise en charge de Monsieur … au profit de Madame … en demande d’obtention d’une autorisation de séjour à titre de membre de famille.
Le délégué du gouvernement rétorque que la demande de regroupement familial du 22 décembre 2010 ne saurait prêter à confusion, de sorte que la décision ministérielle serait motivée à suffisance et conclut au rejet de ce premier moyen.
En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, dans les seules hypothèses énumérées de manière limitative à l’alinéa 2 dudit article 6, notamment, lorsque, comme en l’espèce, elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.
En l’espèce, il est constant en cause, d’une part, qu’en date du 30 novembre 2010, Monsieur … signa une déclaration de prise en charge pour l’obtention d’une autorisation de séjour en faveur de sa cousine par alliance, Madame … et que, sur demande du ministre du 21 décembre 2010, il précisa, par courrier du 22 décembre 2010, que l’objet du séjour de Madame … au Grand-Duché du Luxembourg serait un rapprochement familial, étant donné que Madame … vivrait seule et isolée en Macédoine, et, d’autre part, que le ministre a procédé à une requalification unilatérale de la demande de déclaration de prise en charge de Monsieur … au profit de Madame … en une demande d’obtention d’une autorisation de séjour de cette dernière.
Aux termes de l’article 4 de la loi du 29 août 2008, l’attestation de prise en charge est définie comme suit : « au sens de la présente loi on entend par attestation de prise en charge l’engagement pris par une personne physique qui possède la nationalité luxembourgeoise ou qui est autorisée à séjourner au Grand-Duché de Luxembourg pour une durée d’au moins un an, à l’égard d’un étranger et de l’Etat luxembourgeois de prendre en charge les frais de séjour, y compris les frais de santé et de retour de l’étranger pour une durée déterminée.
L’engagement peut être renouvelé ».
Le règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 portant sur l’attestation de prise en charge en faveur d’un étranger prévue à l’article 4 de la loi du 29 août 2008, ci-après désigné par le « règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 », précise à travers son article 3 paragraphe 3 que « (…) Le niveau des ressources [du garant] est apprécié par référence à la moyenne du taux mensuel du salaire social minimum d’un travailleur non qualifié sur une durée de douze mois et par rapport à la durée et à l’objet du séjour envisagé par le bénéficiaire de la prise en charge », et, à travers son article 4 que « Lorsqu’il avise favorablement l’engagement de prise en charge, le ministre en informe le garant et lui remet une copie de l’engagement avec mention de l’avis favorable. L’étranger en faveur duquel l’engagement est pris doit en faire usage dans les six mois à partir de la date d’approbation du ministre. » Il découle des dispositions précitées qu’une demande d’engagement de prise en charge est à distinguer d’une demande d’autorisation de séjour, l’engagement de prise en charge constituant un préalable pouvant valoir comme preuve que le ressortissant de pays tiers qui souhaite séjourner au Grand-Duché de Luxembourg, dispose de ressources suffisantes pour y couvrir ses frais de séjour et de retour.
Il échet encore de relever que le courrier du demandeur du 22 décembre 2010, indiquant l’objet du séjour de Madame … au Grand-Duché du Luxembourg, à savoir un regroupement familial, doit nécessairement s’insérer dans le cadre de la vérification à effectuer par le ministre des conditions d’octroi de l’engagement de prise en charge, étant donné que ce dernier doit notamment vérifier le niveau des ressources du garant par rapport à la durée et à l’objet du séjour envisagé par le bénéficiaire de la prise en charge, conformément au paragraphe 3 de l’article 3 du règlement grand-ducal du 5 septembre 2008.
Partant le tribunal se rallie à l’argument des demandeurs selon lequel le ministre serait resté en défaut d’indiquer les motifs à la base de la requalification de la demande d’engagement de prise en charge de Monsieur … au profit de Madame … en demande d’obtention d’une autorisation de séjour à titre de membre de famille, étant donné que la motivation de cette requalification ne ressort ni des motifs énumérés dans la décision déférée, ni des explications fournies au cours de la procédure contentieuse, démarche qui s’inscrit dans l’interprétation que la Cour administrative fait de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dans son arrêt du 20 octobre 20091, lorsqu’elle retient que « par souci de protéger les intérêts bien compris du justiciable » il appartiendrait plutôt au juge de la légalité, statuant en matière d’annulation, de permettre à l’administration de produire ou de compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse, le délégué du gouvernement se limitant à affirmer que « la demande de regroupement familial du 22 décembre 2010 ne saurait prêter à confusion », sans fournir davantage de précisions.
Il suit des développements qui précèdent que la décision déférée ayant violé l’article 6 du règlement grand-ducal précitée du 8 juin 1979 est entachée d’illégalité, de sorte que le recours en annulation est à déclarer fondé, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens développés par les demandeurs.
Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 9 février 2011 refusant la validation de l’engagement de prise en charge signé en date du 30 novembre 2010 pour l’obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … et renvoie le dossier en prosécution de cause devant ledit ministre ;
condamne l’Etat aux frais.
1 Cour adm. 20 octobre 2009, N° 25783C du rôle, Pas. adm. 2010, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 73 et autres références y citées Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 29 mars 2012 par le premier vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 mars 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 6