Tribunal administratif N° 29802 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 janvier 2012 1re chambre Audience publique du 28 mars 2012 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29802 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2012 par Maître Olivier POOS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Monténégro), de nationalité monténégrine, agissant en son nom personnel ainsi qu’en celui de son enfant mineur … …, née le … à Ettelbrück, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 16 janvier 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 16 janvier 2012 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 février 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Olivier POOS au nom et pour le compte de Madame … au greffe du tribunal administratif en date du 9 mars 2012 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier POOS et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 mars 2012.
Le 30 novembre 2011, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Le 8 décembre 2011, Madame … fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 16 janvier 2012, expédiée par envoi recommandé le même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que sa demande avait été refusée comme non fondée. Ladite décision est libellée de la façon suivante :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 30 novembre 2011.
En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de vos demandes (sic) de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » b) « il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » c) « le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi; ».
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 novembre 2011, ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 8 décembre 2011.
Il ressort de votre dossier que vous êtes tous en possession d’un passeport monténégrin établi le 8 septembre 2011.
Madame, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine car vos parents n’accepteraient pas votre ex-copain, de religion musulmane comme vous, et duquel vous êtes enceinte. Vos parents n’auraient jamais accepté votre relation, ni le fait que vous êtes tombée enceinte en dehors du mariage. Par ailleurs, votre père vous aurait jeté dehors après la séparation et aurait proféré des menaces de mort à votre encontre, mais il ne vous aurait pas frappé. Vous auriez essayé de porter plainte, mais la police ne pourrait rien faire contre votre père vu que vous n’auriez pas de preuves. Par contre, la police vous aurait suggéré de rechercher de l’aide chez des organismes d’aide sociale.
Force est de constater que les faits exposés lors de votre entretien ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d’être persécutés (sic) dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, il ressort de vos déclarations que vous auriez quitté le Monténégro parce que vos parents vous auraient jeté dehors et que votre père aurait proféré des menaces de mort à votre encontre.
Or, ces motifs constituent des raisons d’ordre privé et ne sauraient fonder une demande de protection internationale car elles ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève ou de la loi modifiée du 5 mai 2006. Les menaces doivent être considérées comme des délits de droits (sic) commun punissables par la loi monténégrine et non comme des actes de persécution. A cela s’ajoute que des membres de la famille ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En application de l’article 28 de cette loi au cas de l’espèce, il ne ressort pas de vos déclarations que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection contre l’agissement de vos parents. Il faut soulever que vous êtes majeure et qu’il n’y a aucune loi établissant que vos parents doivent vous soutenir ou vous fournir un logement. Quant aux menaces, elles ne sont pas d’une telle gravité qu’elles ne (sic) sauraient fonder une demande de protection internationale.
Finalement, selon l’article 1 (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, votre pays d’origine, le Monténégro doit être considéré comme pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la prédite loi, les conditions du point c) de l’article de l'article 20§ l étant donc également remplies. L’analyse de votre situation personnelle ne permet pas d’ébranler ce constat.
Vous ne faites donc pas état de problèmes, discriminations ou persécutions concrètes et personnelles, de sorte que vous ne soulevez que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et que par conséquent les conditions requises pour prétendre au statut de la protection internationale ne sont clairement pas remplies.
Par conséquent, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué l'évaluation de vos demandes de protection internationale, des raisons d’ordre privées (sic), ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Monténégro, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés (sic) à séjourner.
Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif.
Contre la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans le cadre d'une procédure accélérée, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif.
Contre l'ordre de quitter le territoire, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif.
Les trois recours doivent faire l'objet d'une seule requête introductive signée d'un avocat à la Cour, sous peine d'irrecevabilité du recours séparé. Le recours doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification de la présente.
Je vous informe par ailleurs que la décision du tribunal administratif ne sera susceptible d'aucun appel, et que le recours gracieux n'interrompt pas les délais de la procédure (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2012 Madame … a fait introduire, en son nom propre ainsi qu’au nom de son enfant mineur … …, un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 16 janvier 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Madame … dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse rappelle être de confession musulmane et être tombée enceinte d’une personne qui l’aurait quitté en apprenant sa grossesse. Elle fait plaider que dans la société musulmane où elle aurait vécu, le fait de porter un enfant sans être mariée au père de cet enfant serait considéré comme intolérable. Ce serait ainsi la honte que sa famille aurait éprouvé face à cette « infamie », qui aurait poussé ses parents à l’expulser de la maison familiale et son père à proférer des menaces de mort à son encontre. Madame … soutient que ces menaces de mort ne devraient pas être sous-estimées, dans la mesure où dans la société musulmane il arriverait souvent que des filles ayant ainsi « jeté du discrédit » sur leur famille seraient tuées par les membres de celle-ci afin de rétablir l’honneur de la famille. Elle explique que ce serait pour cette raison qu’elle aurait décidé de s’adresser à la police, laquelle n’aurait cependant rien entrepris pour la protéger. La demanderesse en conclut que les services de l’ordre partageraient les idées de son père et souligne qu’une telle tolérance et inaction de la part des autorités face à des actes de persécution devraient être considérées comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève. Finalement, elle soutient que la notion de pays d’origine sûr devrait être écartée en l’espèce étant donné qu’elle aurait établi au vu de sa situation personnelle que dans le groupe social où elle serait née, le Monténégro ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.
Aux termes de l’article 20 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
(…) ».
En vertu de l’article 2 a), la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 e) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée notamment lorsqu’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi.
En l’espèce, les faits dont la demanderesse fait état, s’ils ont certes comme toile de fond les croyances religieuses de la famille de la demanderesse, se rapportent cependant essentiellement à un litige privé trouvant son origine dans un conflit familial opposant la demanderesse à son père, lequel n’accepterait pas qu’elle soit tombée enceinte sans être mariée au père de l’enfant qu’elle porte et qui l’aurait de ce fait non seulement jetée du domicile familial, mais a également proféré des menaces de mort à son encontre.
Force est dès lors au tribunal de constater que les motifs avancés par la demanderesse à la base de sa demande de protection internationale sont exclusivement d’ordre privé et ne font clairement pas état dans son chef dans son pays de provenance d’une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés par la loi du 5 mai 2006, à savoir du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement d’un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi.
Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu considérer que les motifs avancés par la demanderesse à l’appui de sa demande de protection internationale sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de sa demande et qu’il apparaît clairement que la demanderesse ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, au sens de l’article 20 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative et dans la mesure où le tribunal vient de constater que les conditions énumérées aux points a) et b) dudit article sont remplies en l’espèce, le ministre a valablement pu statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Avant tout progrès en cause, il y a lieu de souligner que malgré le fait que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, la demanderesse dans sa requête introductive d’instance, conclut principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle lui ayant refusé l’octroi de la protection internationale. Il résulte des explications du litismandataire de la demanderesse à l’audience publique du 26 mars 2012, qu’il a introduit le recours en annulation à titre principal en tant que conséquence de l’annulation sollicitée de la même décision ministérielle en ce qu’elle a statué sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a statué sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée, et que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le recours en annulation relative au volet du refus ministériel d’accorder la protection internationale à la demanderesse est dès lors à rejeter comme non fondé.
Le recours subsidiaire en réformation ayant quant à lui été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse soutient que le ministre n’aurait pas correctement apprécié la gravité des faits dont elle a fait état. Ainsi, elle fait plaider qu’il ressortirait de ses déclarations faites lors de l’entretien auprès de la direction de l’immigration qu’elle aurait fait état d’une crainte raisonnable de persécution en raison de sa religion et de son appartenance à un groupe social, susceptible de rendre sa vie intolérable et dangereuse dans son pays d’origine. Elle estime encore que les problèmes dont elle fait état seraient personnels et concrets et renvoie à ce sujet à ses développements faits dans le cadre de son recours en annulation contre la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.
Comme rappelé ci-avant, aux termes de l’article 2 a) de la loi modifiée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et qu’en vertu de l’article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’elle ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Il résulte en effet des déclarations de la demanderesse tant lors de son entretien auprès de la direction de l’immigration en date du 8 décembre 2011, que lors de la procédure contentieuse, que sa demande de protection internationale est uniquement fondée sur le fait qu’elle soit tombée enceinte sans pour autant s’être mariée avec le père de l’enfant, lequel l’aurait par ailleurs quittée en apprenant sa grossesse, et que sa famille et plus particulièrement son père n’accepterait pas cette situation de sorte qu’il l’a obligé de quitter la maison familiale et a menacé de la tuer.
Or, comme les faits dont la demanderesse fait état, s’ils ont certes comme toile de fond les croyances religieuses de sa famille, se rapportent cependant essentiellement à un litige privé trouvant son origine dans un conflit familial opposant la demanderesse à son père, il y a lieu de retenir que même si ces faits, et plus particulièrement les menaces de mort de la part de son père, sont certes fortement condamnables, il n’en reste pas moins qu’elles ne sont pas susceptibles de constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève justifiant l’octroi du statut de réfugié, lesdites persécutions n’étant en effet pas dues à sa race, à sa religion, à sa nationalité, à ses opinions politiques ni à son appartenance à un certain groupe social, mais au fait qu’elle soit tombée enceinte sans être mariée, situation que son père trouve intolérable et inacceptable. Dès lors, la demanderesse n’est pas persécutée parce qu’elle est de religion musulmane, mais parce que son père, sur base d’une interprétation rigoriste de cette religion, n’accepte pas sa situation de mère célibataire. Dans le même ordre d’idées, il y a lieu de rappeler que si en vertu de l’article 31 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006 des actes dont un demandeur de protection internationale fait état peuvent être qualifiés de persécution par leur accumulation, il est néanmoins requis, dans cette hypothèse, que ces actes, pris dans leur globalité, revêtent un degré de gravité certain pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme.
Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce dans la mesure où les menaces du père de Madame … n’ont jamais été suivies d’actes d’agressions physiques concrets et personnels. En effet, sur question expresse de l’agent de la direction de l’immigration lors de l’entretien du 8 décembre 2011 visant à savoir si son père l’a seulement menacé ou aussi agressé physiquement, la demanderesse a répondu « Non, il ne m’a pas frappé », de sorte que les faits à la base de la demande de protection internationale de la demanderesse – se limitant à des menaces verbales -
ne sauraient pas pouvoir être considérés, même pris dans leur globalité, comme suffisamment graves pour pouvoir être qualifiés d’acte de persécution.
Il s’ensuit que la demanderesse n’a pas démontré qu’en cas de retour au Monténégro, elle risquerait de subir des discriminations ou autres mauvais traitements d’une gravité suffisante, que ce soit par leur nature ou que ce soit par leur accumulation, pour pouvoir être assimilés à des persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les faits mis en avant par la demanderesse ne remplissent pas les critères fixés par la Convention de Genève, respectivement ne sont pas suffisamment graves pour pouvoir être qualifiés comme des actes de persécution, il devient sans pertinence d’examiner le moyen de la demanderesse fondé sur la question de savoir si une protection suffisante lui est offerte dans son pays d’origine.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié de Madame ….
En ce qui concerne le refus du ministre de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate que la demanderesse ne formule, dans sa requête introductive d’instance, aucun moyen explicitement dirigé contre la décision déférée en ce qu’elle lui a refusé la protection subsidiaire, de sorte qu’il y a lieu de considérer qu’elle a implicitement entendu baser son recours, concernant la demande de protection subsidiaire, sur les mêmes moyens que ceux exposés à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les faits et motifs invoqués par la demanderesse manquent de fondement sinon de gravité, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes événements ou arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elle encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Par ailleurs, il ne ressort ni du dossier ni des arguments des parties que la situation qui prévaut actuellement au Monténégro correspond à un contexte de violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 37 précité.
Partant, le recours en réformation est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 16 janvier 2012 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
En l’espèce, la demanderesse sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, aux motifs qu’il serait contraire aux articles 129 et 130 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et de l’immigration. A ce sujet, la demanderesse renvoie à ses développements formulés dans le cadre des recours dirigés contre la décision ministérielle déférée du 16 janvier 2012 en ce qu’elle a statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et en ce qu’elle a refusé de lui accorder le statut de la protection internationale, ainsi qu’à son état de santé, lequel serait « assez préoccupant » suites aux complications qui seraient survenues lors de son accouchement.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
En ce qui concerne la contrariété alléguée de l’ordre de quitter le territoire à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 précitée, lequel a trait à l’empêchement à l’éloignement d’un étranger qui établit que sa vie ou sa liberté sont gravement menacés dans son pays d’origine ou qu’il y sera exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, respectivement des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, il y a lieu de souligner que le tribunal vient d’exclure tout risque de persécution ou d’atteintes graves dans le chef de la demanderesse, de sorte que le moyen afférent est à déclarer non fondé.
En ce qui concerne le moyen relatif à l’article 130 de la loi du 29 août 2008, il y a lieu de rappeler que ledit article dispose que :
« Sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné ».
Les travaux préparatoires ayant abouti à la loi du 29 août 2008 renseignent au sujet de l’article 131 de ladite loi que : « Les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d’éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d’une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d’être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s’il existe un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d’origine devra s’analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur ».
Par conséquent, pour pouvoir bénéficier d’un sursis à l’éloignement, l’étranger qui ne doit pas présenter de menace pour l’ordre ou la sécurité publique, doit établir premièrement au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et deuxièmement qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné.
Or, en l’espèce, si la demanderesse verse certes un certificat médical d’un gynécologue obstétricien lequel certifie qu’elle a subi une césarienne, et un deuxième certificat médical établi par un médecin généraliste qui déclare avoir vu Madame … en consultation en date du 27 janvier 2012 et qui certifie qu’à cette date elle souffrait « de douleurs lombaires et céphalées dans les suites d’un post partum » et présentait un état dépressif réactionnel, de même que deux ordonnances médicales, la demanderesse reste cependant en défaut de verser un certificat médical duquel il résulte qu’elle souffre d’une maladie qui sans prise en charge médicale entraînerait dans son chef des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’elle ne peut pas bénéficier d’un traitement approprié au Monténégro, de sorte que le moyen relatif à une violation de l’article 130 de la loi du 29 août 2008 est également à rejeter.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 16 janvier 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Madame … dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours principal en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 16 janvier 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours subsidiaire en réformation contre la décision ministérielle du 16 janvier 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 16 janvier 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 mars 2012 par :
Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, juge, Paul Nourissier, juge.
en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29.3.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 12