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21/03/2012 | LUXEMBOURG | N°28675

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mars 2012, 28675


Tribunal administratif Numéro du rôle 28675 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 mai 2011 1re chambre Audience publique du 21 mars 2012 Recours formé par Monsieur …, …, contre un arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010 en matière de changement de nom patronymique.



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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28675 du rôle et déposée le 30 mai 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Luxembourg), de nationalité luxem...

Tribunal administratif Numéro du rôle 28675 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 mai 2011 1re chambre Audience publique du 21 mars 2012 Recours formé par Monsieur …, …, contre un arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010 en matière de changement de nom patronymique.

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28675 du rôle et déposée le 30 mai 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Luxembourg), de nationalité luxembourgeoise, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010 portant refus de l’autorisation de changer son nom patronymique en celui de …, ainsi que contre une décision confirmative de refus implicite, qualifiée comme telle, intervenue suite à un recours gracieux introduit en date du 6 décembre 2010 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 août 2011 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Yvette HAMILIUS au greffe du tribunal administratif en date du 9 septembre 2011 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Brice HELLINCKX, en remplacement de Maître Yvette HAMILIUS et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 février 2012 ;

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Par courrier du 2 décembre 2009, Monsieur … s’adressa, par l’intermédiaire de son mandataire, au ministre de la Justice afin de solliciter l’autorisation de changer son nom patronymique de … en …, en expliquant que suite au divorce de ses parents lorsqu’il avait trois ans, il aurait perdu tout contact avec son père biologique, Monsieur … …, et aurait été élevé par sa mère, Madame … …, sans aucune aide morale ou financière de son père légitime. Dans ce même courrier, Monsieur … précisa encore que sa mère aurait joué un rôle primordial et central dans son éducation et que sa demande, basée sur sa volonté de témoigner à sa mère toute la gratitude et l’admiration qu’il aurait pour elle et sa famille, serait l’aboutissement de longues réflexions, Monsieur … soulignant par ailleurs porter le nom patronymique d’un père biologique inconnu, de sorte que le nom en question n’aurait pour lui aucune importance d’ordre familial et affectif.

En date du 7 décembre 2009, le ministre de la Justice adressa un courrier au mandataire de Monsieur … dans lequel il sollicita des pièces complémentaires, à savoir une copie intégrale et récente de l’acte de naissance de Monsieur …, ainsi que l’avis de sa mère et de son père biologique quant au changement de nom patronymique sollicité.

Par lettre recommandée du 18 février 2010, Monsieur …, par l’intermédiaire de son mandataire, fit parvenir les pièces requises au ministre de la Justice, à l’exception de l’avis de son père biologique en expliquant ne pas pouvoir ajouter l’avis en question dans la mesure où il n’aurait plus de contact avec Monsieur … … et ne souhaiterait en aucun cas renouer des liens avec ce-dernier.

En date du 8 mars 2010, le Parquet, saisi de la demande de changement de nom patronymique, sollicita quant à lui encore des pièces supplémentaires, pièces susceptibles de prouver l’absence de contact entre Monsieur … et son père biologique.

Suite à des avis défavorables du procureur d’Etat et du procureur général d’Etat, datés respectivement du 8 et du 9 juillet 2010, et à un avis défavorable du Conseil d’Etat du 26 octobre 2010, la requête en changement de Monsieur … fut rejetée par arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010, lequel fut transmis au mandataire de Monsieur … par courrier du ministre de la Justice du 23 novembre 2010.

En date du 6 décembre 2010, Monsieur …, par l’intermédiaire de son mandataire, introduisit un recours gracieux contre l’arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010 en joignant au recours en question deux attestations testimoniales établies par des amies de sa mère, certifiant l’absence de tout contact de Monsieur … avec son père biologique. Après l’introduction dudit recours gracieux, lequel fit l’objet d’un avis de réception de la part du ministre de la Justice en date du 15 novembre 2010, aucune nouvelle décision ne fut rendue.

Par requête du 30 mai 2011, Monsieur … introduisit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010, ainsi que de la décision implicite de refus intervenue suite au silence maintenu par l’administration pendant plus de trois mois par rapport au recours gracieux introduit en date du 6 décembre 2010.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif que la loi ne prévoyait pas la possibilité d’un recours au fond en la matière.

En ce qui concerne la compétence du tribunal administratif pour connaître du présent recours, force est effectivement de constater qu’aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond en matière de changement de nom patronymqiue, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

Par ailleurs, aux termes de l’article 13 (3) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives : « Si un délai de plus de trois mois s’est écoulé depuis la présentation du recours gracieux sans qu’une nouvelle décision ne soit intervenue, le délai du recours contentieux commence à courir à partir de l’expiration du troisième mois. […] » Il se dégage de cette disposition que contrairement à l’hypothèse où l’administration n’a pas répondu à une demande initiale endéans trois mois, engendrant une décision de refus implicite, le silence administratif suite à l’introduction d’un recours gracieux contre une décision administrative ne crée pas de nouvelle décision et n’a qu’une incidence sur le délai pour introduire le recours contentieux. Partant, le recours est irrecevable pour défaut d’objet pour autant qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de refus.

Pour le surplus, il y a lieu de retenir que le recours subsidiaire en annulation, en ce qu’il est dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010, partant recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur rappelle les faits et rétroactes à la base de sa demande.

En droit il fait plaider que la décision de refus entreprise encourrait l’annulation pour violation, voire dénaturation, respectivement fausse application de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de nom, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et prénoms, voire encore pour excès de pouvoir. A ce titre le demandeur souligne que la loi en question prévoirait que le changement de nom pourrait être accordé en présence de raisons sérieuses et notamment pour abandon de l’enfant par le père. Il rappelle que le divorce entre sa mère, Madame … …, et son père légitime, Monsieur … …, aurait été prononcé par jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 14 juin 1984 et qu’après le divorce de ses parents, il n’aurait jamais eu de contact avec son père biologique, lequel l’aurait abandonné, et qu’il aurait été élevé par sa mère sans la moindre aide morale ou financière de ce dernier. Tout comme dans sa demande initiale, il précise porter le nom d’un père biologique inconnu et avoir grandi dans un ménage recomposé dans lequel sa mère aurait joué un rôle primordial et central dans son éducation. De même, il rappelle que le nom patronymique qu’il porte n’aurait aucune valeur d’ordre familial ou affectif pour lui et que par contre le nom patronymique de … reflèterait pour lui toute la gratitude et l’admiration qu’il a envers sa mère et la famille de celle-ci. Tout en précisant que sa mère donnerait pleinement son consentement au changement de son nom patronymique, il souligne que celle-ci aurait en outre attesté n’avoir reçu aucune aide financière ou morale de son ex-mari et que celui-ci n’aurait jamais fait d’apparition dans la vie de son fils, que ce soit à ses anniversaires, aux évènements sportifs auxquels il a participé ou aux remises de diplômes. Le demandeur ajoute que le changement de nom patronymique sollicité serait d’autant plus justifié qu’il compterait fonder une famille et ne souhaiterait pas que ses propres enfants portent le nom d’un grand-père qu’ils ne connaîtront jamais. Monsieur … conclut que sa demande serait fondée sur des moyens sérieux et légitimes de nature à justifier le changement de son nom patronymique.

Le délégué du gouvernement de son côté se base sur la fixité du nom patronymique, laquelle constituerait un règle d’ordre public et social, pour rappeler que le changement du nom patronymique ne saurait être autorisé qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des motifs graves et sérieux. Il souligne en outre que Monsieur … n’aurait introduit sa demande de changement de nom patronymique qu’à l’âge de 30 ans, sans fournir d’explication quant au caractère tardif de cette demande, de sorte qu’il y aurait lieu d’en déduire que le fait de porter le nom patronymique de son père biologique n’aurait posé aucun problème au demandeur pendant une trentaine d’années. Finalement, le délégué du gouvernement se rallie à l’avis du Parquet de Luxembourg pour retenir que les motifs à la base de la demande de Monsieur … ne seraient pas à tel point dirimants qu’ils justifieraient une dérogation au principe de l’immuabilité du nom patronymique et en conclut que le recours en annulation serait à déclarer non fondé.

Le demandeur, dans son mémoire en réplique souligne que la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de nom n’enfermerait le droit de solliciter le changement de prénom ou de nom dans aucun délai et imposerait comme seule condition que les motifs invoqués à l’appui de la demande de changement de nom revêtent un caractère grave et sérieux. Il insiste sur le fait qu’il entendrait prochainement fonder une famille et qu’il ne souhaiterait pas que ses enfants portent le nom d’un grand-père qu’ils ne connaîtront jamais.

En vertu de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aucun citoyen ne peut porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance. L’article 4 de la prédite loi du 11-21 germinal an XI, dans sa teneur lui conférée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et prénoms, déroge au principe de la fixité des noms et prénoms en disposant que toute personne qui aura quelque raison de changer de nom ou de prénoms en adressera la demande motivée au gouvernement. En vertu de l’article 5 de la même loi, le gouvernement se prononcera dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique.

Il est vrai que l’appréciation des faits pouvant justifier un changement de nom relève du gouvernement. Ce pouvoir d’appréciation n’est cependant pas discrétionnaire et peut faire l’objet d’un contrôle de légalité par le juge administratif1.

Il découle des textes de loi précités que le principe de la fixité du nom patronymique est une règle d’ordre public et social. Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé2.

Or, en l’espèce il se dégage des pièces versées que Monsieur … a été abandonné par son père légitime dès 1984, c’est-à-dire à l’âge de 5 ans, année du divorce de ses parents. Il résulte encore des pièces versées en cause que le demandeur ne sait pas où se trouve son père biologique et que ce dernier n’a jamais contribué aux frais d'entretien et d'éducation de son fils, la mère du demandeur ayant à ce sujet déclaré « n’avoir jamais perçu, ni pension alimentaire, ni aucune autre rétribution que ce soit en liquide ou en nature de la part de mon ex-mari, le géniteur (père) de … après notre divorce en 1984 ». Il n’est par ailleurs pas contesté que le demandeur a été élevé 1 Trib. adm. 13 novembre 1997, n°9854 du rôle; Trib. adm. 2 avril 1998, n°10074 du rôle; Trib. adm. 16 janvier 2002, n°13851 du rôle, Pas. adm. 2010, V°Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°3 2 Trib. adm. 13 novembre 1997, n°9854 du rôle; Trib. adm. 16 janvier 2002 n°13851 du rôle, Pas. adm. 2010, V°Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°5 par sa mère et que pendant toute sa minorité, pas plus que depuis sa majorité, il ne reçut la moindre nouvelle de son père. Ainsi, il résulte de l’attestation testimoniale de Madame …, amie de longue date de la mère du demandeur, que « Monsieur … (… …) a toujours été inexistant dans la vie de …, aucune relation quelque soit existe entre … et lui, hormis que c’est son père biologique et qu’il a été pendant un court laps de temps le mari de … ». De même, il résulte de l’attestation testimoniale de Madame …, fille d’une amie intime de la mère du demandeur, laquelle certifie avoir été depuis sa petite enfance régulièrement en contact avec Monsieur …, qu’elle et son frère ont « toujours eu et gardé avec lui (Monsieur …) un excellent contact qui perdure. Pendant toutes ces années, nous n’avons jamais vu le père biologique de …, Monsieur … …. Monsieur … n’a jamais trouvé opportun de s’occuper de son fils, sous aucune forme que ce soit, ni pour les week-ends, les vacances scolaires, anniversaires, évènements sportifs important dans la vie de …, remise de diplômes ni même pour Noël », la mère du demandeur certifiant quant à elle que la conséquence logique de cette absence totale de Monsieur … … dans la vie de son fils, serait que celui-ci ne l’a jamais considéré comme son père.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a dès lors lieu de retenir que Monsieur … … a abandonné son fils en 1984, situation d’ailleurs non autrement contestée par la partie étatique. Or, l’abandon d'un enfant par son père constitue une circonstance grave et exceptionnelle justifiant le changement de nom de l'enfant, dès lors que, d'un point de vue objectif, le port du nom du père ne correspond plus, alors, à sa finalité sociale de rattachement à une famille et, du point de vue subjectif, le port de ce nom peut à juste titre être ressenti comme intolérable par l'enfant abandonné3.

En l'espèce, le demandeur a déclaré tant dans sa demande initiale, que dans le cadre du recours sous analyse que le nom patronymique de … n’a aucune valeur d’ordre familial ou affectif pour lui, de sorte qu’il y a lieu de retenir que la finalité sociale du nom patronymique fait en l’espèce manifestement défaut.

En ce qui concerne l’argument du délégué du gouvernement selon lequel Monsieur … n’aurait pas eu de problèmes avec son nom patronymique pendant 30 ans, le tribunal ne saurait suivre le raisonnement de la partie étatique, alors que d’un côté la loi du la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de nom telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et prénoms ne prévoit aucun délai à respecter en vue d’introduire une demande de changement de nom patronymique, et que d’un autre côté, c’est justement cette demande tardive qui montre que le demandeur a longuement réfléchi avant d’introduire une telle requête, requête qu’il a de ce fait formulée en toute connaissance de cause, l’époque de cette décision s’expliquant par ailleurs et d’autant plus qu’il résulte des moyens et explications avancés que Monsieur … entend actuellement fonder une famille, et qu’il ne souhaite pas voir ses enfants porter le nom d’un grand-père qu’ils ne connaîtront jamais.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de déclarer le recours en annulation tel qu’introduit par Monsieur … fondé et d’annuler l’arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010, ainsi que la décision confirmative de refus subséquente.

3 ibidem Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable en ce qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de refus ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010 ;

au fond le déclare justifié, partant annule l'arrêté grand-ducal du 12 novembre 2010, ainsi que la décision implicite confirmative de refus intervenue suite au recours gracieux introduit par Monsieur … en date du 6 décembre 2010 et renvoie l'affaire devant le gouvernement en conseil ;

condamne l'Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mars 2012 par :

Marc Sünnen, vice-président, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21.3.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 28675
Date de la décision : 21/03/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-03-21;28675 ?

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