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16/02/2012 | LUXEMBOURG | N°27594

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 février 2012, 27594


Tribunal administratif Numéro 27594 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2010 2e chambre Audience publique du 16 février 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27594 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2010 par Maître Pol Urbany, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, …, demeurant à …, tendant à...

Tribunal administratif Numéro 27594 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2010 2e chambre Audience publique du 16 février 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27594 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2010 par Maître Pol Urbany, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, …, demeurant à …, tendant à l’annulation, d’une part, d’une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme du 14 juin 2010 portant refus de faire droit à une demande en obtention d’une autorisation d’établissement et, d’autre part, d’une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme du 22 septembre 2010 portant confirmation, sur recours gracieux, de la décision ministérielle précitée du 14 juin 2010 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2011 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2011 par Maître Pol Urbany pour compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2011 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Silvia Alves, en remplacement de Maître Pol Urbany, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.

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Par l’intermédiaire de la Fiduciaire Centrale de Luxembourg, Monsieur … fit introduire en date du 23 novembre 2009 auprès du ministre des Classes moyennes et du Tourisme, désigné ci-après par « le ministre », une demande en autorisation d’établissement pour l’activité de « …, … ».

Par décision du 14 juin 2010, le ministre se rallia à l’avis négatif émis le 10 juin 2010 par la commission consultative, désignée ci-après par « la commission d’établissement », prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 1. réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales; 2. modifiant l'article 4 de la loi du 2 juillet 1935 portant réglementation des conditions d'obtention du titre et du brevet de maîtrise dans l'exercice des métiers, ci-après désignée par « la loi du 28 décembre 1988 », et indiqua au mandataire de Monsieur … que celui-ci « ne présente plus la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle en raison de son implication dans la faillite … dont il était le dirigeant, caractérisée par des dettes importantes, y compris auprès des créanciers publics (… .- euros de TVA) alors qu’il convenait d’effectuer l’aveu de la cessation des paiements au lieu de maintenir artificiellement l’illusion du crédit, préjudiciable aux cocontractants et constitutif de concurrence déloyale vis à vis des autres entreprises de la branche (cf avis négatif du Parquet et rapport du curateur en annexe) ».

A la suite de l’introduction d’un recours gracieux par le mandataire actuel de Monsieur … en date du 9 septembre 2010, le ministre confirma la décision initiale précitée du 14 juin 2010 par une décision du 22 septembre 2010, prise sur avis de la commission d’établissement, ladite décision étant motivée comme suit :

« Un récapitulatif détaillé de la situation de Monsieur … et de la société … (sic) me paraît indispensable en l'espèce.

La société … a été constituée en 1993. La première autorisation d'établissement n° …, portant sur les qualifications et l'honorabilité professionnelles de Monsieur … date également de cette année.

Le 7 février 2002, l'autorisation précitée a été annulée et remplacée par l'autorisation d'établissement n° … portant sur les qualifications et l'honorabilité professionnelles de Monsieur ….

Par ailleurs, Monsieur … été (sic) un des trois administrateurs de la société … et y a détenu 980 des 2000 parts.

Dans cette constellation, la société … a fonctionné jusqu'au jour de la faillite, le ….

Lors de la liquidation de la faillite, il est apparu que la société … avait accumulé des dettes de … € auprès de l'Administration de l'Enregistrement du chef de TVA impayée.

Depuis le départ de Monsieur …, il est également apparu que la société n'avait plus publié de bilan et n'avait plus procédé aux publications légales.

Conformément à l'article 3 de la loi d'établissement, le respect de la condition d'honorabilité professionnelle doit être appréciée tant dans le chef du dirigeant de la société que dans celui qui est en mesure d'exercer une influence significative sur la gestion ou l'administration de la société.

En l'espèce, dans sa qualité d'actionnaire quasi-majoritaire, d'administrateur et de seule personne qualifiée de la société au sens du droit d'établissement, il n'existe donc pas le moindre doute que la condition de l'honorabilité professionnelle doit être appréciée dans le chef de Monsieur ….

L'approche de Monsieur … qui consiste à dire qu'il n'était que salarié ne saurait être retenue et en aucun cas elle ne saurait lui permettre de s'exonérer de sa responsabilité.

La jurisprudence administrative a retenu depuis longtemps que « L'incapacité de mener à bien une entreprise ne saurait être énervée par le fait que l'intéressé n'était que «gérant technique», dans la mesure, où en tant qu'administrateur et actionnaire de la société en faillite, il était censé connaître les affaires de ladite société » – TA 18-12-02 (15111) Il en est manifestement de même si comme en l'espèce, l'intéressé était actionnaire quasi-

majoritaire, administrateur et seule personne qualifiée de la société en faillite.

L'attitude de Monsieur … démontre clairement qu'il s'est complètement désintéressé du bon déroulement de l'entreprise.

Face à des comportements comparables, la jurisprudence administrative a retenue (sic) dans le passé que « dans la mesure où il est de l'essence même de la procédure d'autorisation préalable d'assurer la sécurité du commerce et de protéger les citoyens contre des commerçants malhonnêtes ou incapables, le fait pour un dirigeant de société de méconnaître son obligation de surveiller le bon déroulement des affaires de la société constitue une raison suffisante pour conclure au défaut des garanties requises d'honorabilité professionnelle dans son chef en vue de remplir à nouveau les fonctions de gestion ou de direction d'une entreprise » – TA 27-10-99 (11327); TA 18-12-03 (16761); TA 22-11-04 (18189, confirmé par arrêt du 14-4-05, 19027C);

TA 13-12-04 (18366).

Le désintérêt de Monsieur … s'est finalement conclu (sic) dans une dette considérable auprès de l'Administration de l'Enregistrement.

Dans des dossiers similaires, les juridictions administratives ont décidé dans le passé que « l'honorabilité professionnelle d'un dirigeant de société est entamée si la faillite de sa société a été retenue essentiellement en raison d'une créance du chef de TVA non payée, cette dette résultant d'une taxation d'office en raison du non-dépôt d'une déclaration pendant trois années consécutives, faute qui retombe sur l'administration de la société » – TA 2-6-03 (15809).

En l'espèce, par le fait de ne pas veiller au bon fonctionnement de l'entreprise, de ne pas honorer ses obligations fiscales et finalement de ne pas procéder aux publications légales, Monsieur …, dans sa qualité d'actionnaire quasi-majoritaire, d'administrateur et de seule personne qualifiée de la société, a donc fait preuve de divers manquements, dont chacun constitue déjà à lui seul une raison suffisante pour lui méconnaître l'honorabilité professionnelle ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 14 juin et 22 septembre 2010.

Etant donné que l’article 2 dernier alinéa de la loi du 28 décembre 1988 dispose que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en matière d’octroi, de refus ou de révocation d’autorisations d’établissement, seul un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il aurait été « … » de la société anonyme …, désignée ci-après par la « société … », dont la faillite sur aveu aurait été prononcée en date du 5 mai 2004, au sein de laquelle il n’aurait pas exercé des pouvoirs de direction « ni des attributions administratives ou comptables ». Il conteste partant avoir été impliqué dans la faillite de la société … et, comme il n’en aurait pas été le dirigeant, il conteste avoir contribué « à une prétendue illusion de crédit, à des prétendus préjudices pour des cocontractants [ainsi qu’]à de prétendus actes de concurrence déloyale vis-à-vis d’autres concurrents de la branche ». Il se réfère dans ce contexte à un jugement du tribunal du travail de Diekirch du 14 janvier 2005 qui aurait exclu une fonction dirigeante dans son chef au sein de la société …, en admettant toutefois en avoir été un membre du conseil d’administration, en avoir été un « actionnaire fondateur » tout en n’y ayant exercé qu’une fonction de « salarié technique ». D’une manière générale, le demandeur fait exposer qu’il ne ressortirait d’aucun élément du dossier administratif qu’il ait « d’une façon ou d’une autre » contribué à la faillite de la société …. Pour appuyer ses dires, le demandeur se réfère au rapport que le curateur de la faillite … a fait parvenir au procureur auprès du tribunal d’arrondissement de Diekirch, en soutenant que ledit curateur n’aurait pas pu constater des faits de nature à retenir une responsabilité dans son chef dans le cadre de la faillite en question. Au contraire, ledit curateur aurait estimé qu’il y aurait lieu de charger soit un réviseur soit un expert comptable « aux fins de contrôler minutieusement la comptabilité de la société faillie ».

En droit, le demandeur fait tout d’abord valoir que la décision ministérielle de refus serait insuffisamment motivée et qu’elle violerait partant l’article 2, alinéa 3 de la loi du 28 décembre 1988. Ainsi, il reproche à la décision ministérielle de ne pas avoir concrètement exposé en quoi son honorabilité professionnelle ne serait plus donnée.

Le délégué du gouvernement soutient que la lecture des décisions ministérielles incriminées, et plus particulièrement la décision confirmative du 22 septembre 2010, feraient ressortir que celles-ci seraient motivées tant en droit qu’en fait, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de faire droit à ce premier moyen, en estimant que même à admettre une motivation insuffisante des décisions en question, une telle situation ne pourrait avoir pour conséquence que la suspension des délais de recours, avec la possibilité donnée à l’Etat de produire pour la première fois ou de compléter ses motifs au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives.

Il échet tout d’abord de rappeler qu’aux termes de l’article 2, alinéa 3 de la loi du 28 décembre 1998 « lorsque l’autorisation est refusée, la décision ministérielle doit être dûment motivée ».

En l’espèce, force est de constater qu’il se dégage des décisions ministérielles querellées que le refus de délivrance de l’autorisation d’établissement sollicitée par le demandeur est basé sur un défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef de celui-ci. Les décisions litigieuses, précisant non seulement expressément qu’elles s’appuient sur le rapport du curateur de la faillite de la société …, mais indiquent encore de manière détaillée des arguments sous-tendant ledit reproche, n’encourent pas de critiques quant à l’indication d’une motivation insuffisante ou incohérente au regard des exigences légales de motivation. S’y ajoute que le demandeur ne saurait valablement reprocher au ministre de ne pas avoir indiqué de manière suffisante la motivation se trouvant à la base des décisions sous examen, étant donné que, comme le relève à juste titre le délégué du gouvernement, le tribunal constate que les décisions incriminées se réfèrent chacune à un avis de la commission d’établissement pris respectivement en date des 10 juin 2010 et 16 septembre 2010, mettant en évidence l’implication du demandeur dans la faillite de la société …, qu’il en aurait été le dirigeant, que ladite société aurait eu des dettes importantes, notamment auprès des créanciers publics, pour un montant de … € au titre de la TVA et qu’il avait omis, en ladite qualité, d’effectuer l’aveu de la cessation des paiements. Il échet encore dans ce contexte de rappeler qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire qui oblige le ministre à annexer lesdits avis à ses décisions, de sorte que le reproche afférent formulé incidemment par le demandeur est à écarter pour ne pas être fondé. A part les motivations ainsi contenues dans les avis de la commission d’établissement, auxquels le ministre a déclaré se rallier, il échet encore de constater qu’il ressort du libellé ci-avant énoncé de la décision confirmative du 22 septembre 2010, que celle-ci comprend une motivation suffisante au regard de l’article 2, alinéa 3 de la loi du 28 décembre 1988. Ainsi, la décision de refus de délivrer au demandeur l’autorisation d’établissement sollicitée par lui ne pouvait raisonnablement le laisser dans l’ignorance des raisons qui ont pu motiver le ministre à ne pas lui reconnaître l’honorabilité professionnelle légalement requise en vue de la délivrance d’une telle autorisation.

Le moyen tiré d’un défaut d’indication suffisante des motifs laisse partant d’être fondé.

En deuxième lieu, le demandeur soutient que le ministre se serait basé sur des faits matériellement inexacts, en ce qu’il n’aurait pas été « le dirigeant » de la société …, qu’il n’aurait pas été « impliqué » dans la faillite de la société en question et qu’il n’aurait, partant, pas contribué « à une prétendue illusion de crédit, à des prétendus préjudices pour des cocontractants et à de prétendus actes de concurrence déloyale vis-à-vis d’autres concurrents de la branche ».

Le délégué du gouvernement rétorque que les faits sur lesquels le ministre se serait basé correspondraient à la réalité, en soutenant notamment que l’autorisation d’établissement émise en faveur de la société … mentionnerait le demandeur comme personne assumant la direction effective et disposant d’un pouvoir de signature d’après les statuts de ladite société. Le représentant étatique rappelle qu’au titre de l’article 3 de la loi du 28 décembre 1988, le dirigeant d’une société, au nom duquel l’autorisation d’établissement est émise, est soumis aux conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles telles qu’exigées par la loi au sujet des particuliers. C’est ainsi que, d’après le délégué du gouvernement, dans la mesure où l’autorisation d’établissement émise en faveur de la société … a mentionné le demandeur comme étant la personne responsable de ladite société, il en aurait eu la charge de la gestion et de la direction. Il rappelle encore que suivant l’article 5 de la loi du 28 décembre 1988, le demandeur, en tant que personne physique désignée à cet effet par la société … et figurant comme dirigeant dans l’autorisation d’établissement, aurait eu l’obligation d’exercer de manière personnelle et effective la direction des affaires de ladite société. Or, suivre, d’après le représentant étatique, le raisonnement du demandeur, aboutirait à la conclusion que celui-ci n’aurait servi que de personne interposée en vue de l’octroi de l’autorisation d’établissement au profit de la société …, une telle manière d’agir étant toutefois expressément interdite par l’article 5 de la loi du 28 décembre 1988. Un tel comportement de la part du demandeur devrait également entraîner la perte de l’honorabilité professionnelle dans son chef.

Le délégué du gouvernement fait encore état de ce que la loi du 28 décembre 1988 viserait non seulement le dirigeant de droit mais également le dirigeant de fait, notamment celui qui soit était détenteur de la majorité des parts sociales soit a été en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion de l’administration de la société et dont la responsabilité pourrait également être engagée en cas de survenance d’une faillite. Il soutient qu’en l’espèce, Monsieur …, du fait d’avoir été « détenteur majeur de parts sociales » et d’avoir été un dirigeant de droit de la société …, aurait été en position d’exercer une influence significative sur les opérations de la société. Il s’ensuivrait qu’il ne saurait échapper à sa responsabilité encourue en raison du prononcé de la faillite de la société ….

Dans son mémoire en réplique, le demandeur, tout en admettant avoir été l’un des administrateurs de la société …, conteste toutefois en avoir été un actionnaire majoritaire, en soutenant qu’il n’aurait disposé que de 980 actions, l’autre associé de ladite société ayant été propriétaire de 1020 actions, de sorte qu’il n’aurait pas eu les moyens d’exercer une quelconque influence décisive sur les opérations de la société. Il rappelle encore sa position suivant laquelle il n’aurait exercé que les fonctions de …, « en tant que … », et que « tous les aspects administratifs et comptables » auraient été de la compétence des « gérants administratifs » successivement en fonction. A l’appui de son argumentation, il fait déclarer avoir ignoré que l’autorisation d’établissement émise en faveur de la société … aurait été émise « à son nom » et qu’il n’aurait appris cette situation de fait qu’après une intervention de l’Ombudsman auprès du ministre.

Il échet tout d’abord de retenir qu’il est constant en cause pour ressortir tant des pièces et éléments du dossier que des explications concordantes des parties à l’audience que Monsieur … a été un actionnaire fondateur de la société …, que par la suite, il a détenu 980 actions sur un total de 2000 actions émises et qu’il exerçait les fonctions d’administrateur, c’est-à-dire de membre du conseil d’administration de ladite société anonyme. Sur question afférente du tribunal, et au vu des prises de position des mandataires des parties à l’audience, il doit également être admis comme étant constant, en l’absence de pièce afférente versée par l’Etat, que l’autorisation d’établissement émise en faveur de la société … prévoyait Monsieur … comme dirigeant de ladite société, c'est-à-dire qu’à l’époque de l’émission de ladite autorisation, les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles ont nécessairement dû être appréciées dans son chef. Le fait que Monsieur … prétend actuellement ne pas avoir eu connaissance des indications figurant ainsi sur l’autorisation d’établissement en question n’est pas de nature à énerver le constat objectif qui a été fait d’un commun accord des parties, et l’ignorance éventuelle de Monsieur … quant à ce fait n’est pas de nature à ébranler la conviction du tribunal quant à la matérialité du fait en question.

Les faits constants relevés ci-avant ne sont pas non plus ébranlés par un jugement du tribunal du travail de Diekirch du 14 janvier 2005 suivant lequel Monsieur … aurait exercé « la fonction …, fonction technique distincte, subordonnée et salarié au service de la … », ce jugement ayant été rendu dans le cadre de la déclaration de créance présentée par Monsieur … au sujet d’arriérés de salaire, étant donné que la fonction d’administrateur, c'est-à-dire de membre du conseil d’administration d’une société anonyme, n’est pas incompatible avec une fonction salariée exercée pour la même société, de sorte que ce jugement n’est pas de nature à énerver la constatation faite ci-avant.

Il se dégage partant de l’ensemble des développements et des constatations faits ci-avant que les faits sur lesquels le ministre s’est basé dans les décisions sous examen sont matériellement établis, de sorte que le reproche afférent doit être écarté pour ne pas être fondé.

Enfin, le demandeur reproche en troisième lieu au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits de l’espèce, en ce qu’une quelconque attitude négligeante ne saurait lui être reprochée dans le cadre de la gestion de la société …. Il se réfère à cet effet à l’avis du curateur de la faillite de la prédite société, qui n’aurait pas pu déceler un quelconque manquement dans son chef dans le cadre de la survenance de la faillite en question, ledit curateur ayant au contraire estimé que seule une analyse approfondie à effectuer par un réviseur d’entreprises pourrait le cas échéant révéler ses éventuelles responsabilités dans le contexte de la faillite en question. En conclusion, il estime que les faits allégués par le ministre dans ses décisions sous examen, et ayant trait aux causes de la faillite de la société …, ne lui seraient pas imputables du fait qu’il n’en aurait pas été le dirigeant. Il ne saurait partant lui être reproché d’avoir maintenu artificiellement l’illusion du crédit de ladite société.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait valablement pu se baser sur les faits établis en l’espèce pour refuser de reconnaître à Monsieur … l’honorabilité professionnelle exigée pour la délivrance d’une nouvelle autorisation d’établissement, alors même que les faits litigieux remonteraient à six années, en soutenant que suivant une jurisprudence du tribunal administratif des faits remontant à une dizaine d’années pourraient valablement être pris en considération dans le cadre de l’évaluation de la condition de l’honorabilité professionnelle. A ce titre, le représentant étatique rappelle que Monsieur … a été l’un des trois administrateurs composant le conseil d’administration de la société … et qu’il en détenait 980 actions sur un total de 2000 actions sociales émises, que l’autorisation d’établissement émise en faveur de la société … en date du 7 février 2002 a mentionné Monsieur … comme étant en charge de la direction de la société, que ces faits ont été constants depuis le 7 février 2002 jusqu’à la date du prononcé de la faillite, c'est-à-dire jusqu’en date du 5 mai 2004, que la faillite de la société en question a révélé des dettes de … € au titre de la TVA, qu’au cours de l’existence de la société ainsi déclarée en faillite, celle-ci n’a pas publié de bilan ni procédé aux publications légales et que l’aveu de la cessation des paiements aurait été faite tardivement notamment en considération du fait que la TVA perçue par la société aurait été utilisée à des fins de trésorerie, ce qui aurait contribué à maintenir l’illusion du crédit à une époque où celui-ci aurait déjà été ébranlé.

Le demandeur rétorque que l’Etat n’aurait pas établi, in concreto, ses rôles et fonctions dans le cadre de la société … déclarée en faillite et qu’aucune faute de nature à mettre en doute son honorabilité professionnelle n’aurait été établie par la partie étatique. Il soutient dans ce contexte que le simple fait que la société en faillite ait été débiteur vis-à-vis de l’administration de l’Enregistrement pour un montant d’approximativement … € ne saurait à lui seul suffire pour qu’il soit porté atteinte à son honorabilité professionnelle, étant donné que chaque société déclarée en faillite constituerait nécessairement un débiteur de TVA. Il s’oppose à ce qu’il soit créé une présomption légale ou jurisprudentielle suivant laquelle l’honorabilité professionnelle d’une personne serait atteinte du fait que celle-ci aurait été l’un des administrateurs d’une société anonyme tombée en faillite et que celle-ci accuserait des dettes importantes notamment vis-à-vis de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines au titre de la TVA. Il se réfère encore aux rapports du curateur et du Parquet de Diekirch pour constater qu’aucun de ces rapports n’aurait abouti à la conclusion qu’il aurait eu une quelconque responsabilité dans le cadre de la survenance de la faillite de la société …. En conclusion, il soutient que le gouvernement n’aurait disposé d’aucun élément de fait concret qui pourrait être retenu comme lui étant imputable au titre de sa responsabilité professionnelle dans le cadre de la survenance de la faillite de la société ….

Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation non seulement d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, mais également de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.

Il échet de rappeler que l’article 3 de la loi du 28 décembre 1988 dispose que « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles », l’honorabilité s’appréciant, en vertu du dernier alinéa dudit article 3 « sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ».

Il appartient partant au tribunal d’examiner en l’espèce si le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits en refusant de reconnaître à Monsieur … l’honorabilité professionnelle légalement requise.

Il échet de prime abord de retenir que si le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef d’un demandeur d’une autorisation d’établissement, toujours est-il que des faits permettant de conclure dans le chef d’un dirigeant d’entreprise à l’existence d’actes personnels portant atteinte à l’honorabilité professionnelle, constituent des indices suffisants pour refuser l’autorisation sollicitée2.

Les éléments fournis par un curateur de faillite, le procureur général d’Etat et le procureur d’Etat constituent une base suffisante pour apprécier l’honorabilité professionnelle d’une personne, même en l’absence de poursuites pénales3.

1 Cf. Cour adm. 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2010, V° Recours en annulation, n° 17 et autres références y citées.

2 v. trib. adm. 5 mars 1997, n° 9196 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement n° 160 et autres références y citées 3 v. trib. adm. 22 mars 1999, n° 10716 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement n° 163 et autres références y citées En l’espèce, il échet tout d’abord de constater que le curateur de la société … informa, sur sa demande, le procureur du parquet auprès du tribunal d’arrondissement de Diekirch, que « les quelques données en [sa] possession ne [lui] permettent malheureusement pas de [lui] fournir un avis en bonne et due forme » et qu’afin de « prendre un avis circonstancié quant à une implication éventuelle d’un gérant/administrateur dans une faillite, il faudrait charger un réviseur d’entreprise/expert comptable aux fins de contrôler minutieusement la comptabilité de la société faillie », ledit rapport du curateur ne faisant ressortir que les faits que Monsieur … était actionnaire fondateur et administrateur, que l’actif net distribué s’élevait à … € et que le passif chirographaire s’élevait à … € et le passif privilégié à … €, l’actif ayant été distribué entre l’administration de l’Emploi, l’administration des Contributions directes, le Centre commun de la sécurité sociale et l’administration de l’Enregistrement et des Domaines. Il ressort encore des pièces et éléments du dossier que sur base de ce rapport du curateur, le procureur d’Etat près du tribunal d’arrondissement de Diekirch informa le ministre de son « avis négatif au vu de la composition du passif de la faillite de la … », en relevant comme seul fait la considération que la société faillie « était entre autres redevable à l’Administration de l’Enregistrement le montant (sic) de € … ; », ce rapport extrêmement succinct ne contenant aucune autre information ni quant à la société faillie ni surtout quant au rôle que le demandeur aurait joué au sein de celle-ci.

Il échet encore de constater à la lecture de la décision incriminée du 14 juin 2010 que le ministre s’est rallié aux conclusions de l’avis de la commission d’établissement du 10 juin 2010, pris à la suite des avis précités du curateur de la faillite et du parquet de Diekirch, ladite commission ayant retenu une « implication de M. … dans la faillite … dont il était le dirigeant, caractérisé par des dette (sic) importantes y compris auprès des créanciers publics (….- euros de TVA) alors qu’il convenait d’effectuer l’aveu de la cessation des paiements au lieu de maintenir artificiellement l’illusion du crédit, préjudiciable aux cocontractants et constitutif de concurrence déloyale vis à vis des autres entreprises de la branche. cf avis négatif du Parquet et rapport du curateur ». Par ailleurs, la décision confirmative prise sur recours gracieux en date du 22 septembre 2010 se base sur un avis de la commission d’établissement du 16 septembre 2010 motivé d’une manière identique par rapport à l’avis précité de la commission d’établissement du 10 juin 2010 et elle se réfère aux mêmes motifs que ceux se trouvant à la base de la décision initiale du 14 juin 2010.

Or, s’il est vrai qu’il ne saurait être contesté que Monsieur … a été le dirigeant, au moins en droit, de la société …, du fait que l’autorisation d’établissement délivrée par le ministre en date du 7 février 2002 le qualifiait comme tel, de sorte que les conditions d’honorabilité et de qualification professionnelles avaient à l’époque étaient examinées dans son chef, qu’il était l’un des trois administrateurs membres du conseil d’administration de la société …, qu’il en détenait 980 sur 2000 actions et qu’enfin la société … accusait une dette de … € près de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines au titre de la TVA, ces éléments à eux seuls ne sont pas suffisants pour aboutir à la conclusion que Monsieur … aurait commis des fautes de gestion ou d’autres erreurs qui auraient pu lui être reprochées dans le cadre de la gestion de la société ….

D’ailleurs, le curateur de la faillite de la société en question a affirmé ne pas être en mesure d’émettre un quelconque avis quant à la responsabilité de Monsieur … dans la survenance de la faillite en question. Il échetde relever à cet égard que ledit curateur a exposé ne pas être en possession des données nécessaires afin de rendre un avis sur l’implication de Monsieur … dans la faillite précitée. Il n’est partant pas possible au tribunal de retracer les raisons qui ont pu aboutir au prononcé de la faillite de la société … et, plus particulièrement, le rôle joué par Monsieur …. Dans ce contexte, alors même que la dette de TVA vis-à-vis de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines ne saurait être contestée, il ne se dégage d’aucun élément du dossier pour quelle période la dette en question a été encourue, si cette dette avait déjà été réclamée par l’administration concernée ainsi que pendant quelle période la dette en question n’a pas fait l’objet d’un paiement. Au vu de ces lacunes dans le cadre de l’instruction du dossier, il y a lieu de conclure que le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits en se basant sur les seuls faits constants de l’espèce pour dénier à Monsieur … l’honorabilité professionnelle. Plus particulièrement, l’avis du procureur d’Etat près du tribunal d’arrondissement de Diekirch, rédigé en des termes plus que succincts, n’a pas pu apporter ni à la commission d’établissement ni au ministre des éléments d’appréciation suffisants pour que ceux-

ci aient pu se faire une exacte opinion sur la responsabilité de Monsieur … et le rôle joué par celui-ci dans le cadre de la survenance de la faillite de la société ….

Il se dégage partant de l’ensemble des éléments qui précèdent que le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits en déniant à Monsieur … l’honorabilité professionnelle requise en vue de la délivrance de l’autorisation d’établissement par lui sollicitée, de sorte que les décisions incriminées des 14 juin et 22 septembre 2010 encourent l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule les décisions du ministre des Classes moyennes et du Tourisme des 14 juin et 22 septembre 2010 et renvoie le dossier en prosécution de cause audit ministre ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 16 février 2012 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.

s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 février 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 27594
Date de la décision : 16/02/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-02-16;27594 ?

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