Tribunal administratif N° 28624 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2011 3e chambre Audience publique du 15 février 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Intérieur et à la Grande Région en matière de discipline
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28624 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2011 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, chef du service régional de Police spéciale …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Intérieur et à la Grande Région du 8 avril 2011 ayant prononcé à l’encontre du demandeur la sanction disciplinaire de la rétrogradation, aucune promotion ne pouvant intervenir pendant une durée de trois ans, sur base d’un avis rendu par le conseil de discipline le 19 janvier 2011 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2011 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 16 septembre 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie Bauler au nom de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Marie Bauler et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.
En date du 16 juillet 2010, le directeur régional de la circonscription régionale … de la Police grand-ducale, ci-après désigné par « le directeur régional », notifia au commissaire en chef …, chef du service régional de Police spéciale … (SRPS), l’ouverture d’une procédure disciplinaire.
En date du 27 octobre 2010, le directeur régional adressa le rapport final d’instruction disciplinaire au directeur général de la Police grand-ducale qui, par courrier du 23 novembre 2010, s’adressa au président du conseil de discipline de la force publique.
Ledit conseil de discipline rendit son avis en date du 19 janvier 2011.
Par décision du 8 avril 2011, le ministre de l’Intérieur et à la Grande Région, ci-après désigné par « le ministre », prononça à l’encontre de Monsieur … la sanction disciplinaire de la rétrogradation, aucune promotion ne pouvant intervenir pendant une durée de trois ans.
Ladite décision est libellée comme suit :
« Vu l'avis du Conseil de discipline de la Force publique du 19 janvier 2011 dont copie ci-jointe ;
Vu les faits retenus à charge du commissaire en chef …, à savoir :
Le 8 juillet 2010 vers 09.45 heures le Directeur régional s'est rendu dans les locaux du service régional de police spéciale pour notifier à Monsieur … un acte dans le cadre d'une procédure disciplinaire. Comme Monsieur … se trouvait, d'après les prescriptions de service en vigueur, en période probatoire dans le cadre d'une affaire disciplinaire pour des faits analogues, il a été soumis à un éthylotest qui a révélé un taux de 0.26mg d'alcool par litre d'air expiré. Le 9 juin 2008 le commissaire en chef … avait déjà été contrôlé positif sur son lieu de travail.
Considérant que le commissaire en chef … a violé la discipline militaire et les devoirs qui en découlent, et plus particulièrement ceux énoncés aux articles 2, 3 alinéas 4 et 5, 9 alinéa 1er et 12 alinéa 1er de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, à savoir :
- ne pas s'être subordonné à la hiérarchie ;
- ne pas avoir exécuté promptement et complètement les prescriptions et ordres de service ;
- ne pas s'être comporté d'une façon irréprochable tant dans le service qu'en dehors du service ;
- avoir par négligence grave ou intentionnellement nui à sa santé ;
- ne pas avoir donné l'exemple par la façon de se comporter et d'accomplir ses devoirs ;
- ne pas avoir tenu compte de l'intérêt du service et ne pas s'être abstenu de tout ce qui pourrait nuire à la bonne renommée de la force publique en général et du corps dont il fait partie en particulier ;
- ne pas avoir évité tout ce qui pourrait compromettre le caractère officiel dont il est revêtu, avoir donné lieu à scandale, blessé les convenances et compromis les intérêts du service dans l'exercice de ses fonctions ;
Considérant que l'action disciplinaire s'exerce dans l'intérêt d'une profession ou d'un service public et que les sanctions prononcées doivent être comprises sous cet aspect. Il s'agit de vérifier dans quelle mesure la présence de Monsieur … dans un état alcoolisé sur son lieu de travail est compatible avec sa fonction de chef du service régional de police spéciale ;
Considérant que quelques semaines après avoir été surpris dans un état alcoolisé sur son lieu de travail, fait ayant donné lieu à l'ouverture d'une procédure disciplinaire, Monsieur … a une nouvelle fois été contrôlé positif le 9 juillet 2010. Considérant que deux ans plus tôt, il avait déjà été soumis à un éthylotest lequel s'était révélé positif, même si cet incident n'avait pas donné lieu à une procédure disciplinaire. Il est difficile d'admettre dans ces conditions et comme veut le faire croire Monsieur …, qu'il s'agit des trois seules fois où il a effectué son service dans un tel état. Un tel comportement est de toute évidence incompatible avec un poste à responsabilité au sein de la Police ;
Considérant le passé disciplinaire du commissaire en chef … ;
Eu égard à ce qui précède il y a lieu de prononcer la peine de la rétrogradation prévue à l'article 19.9) de la loi précitée du 16 avril 1979 ;
Arrête:
Article 1er.- La peine disciplinaire de la rétrogradation, aucune promotion ne pouvant intervenir pendant la durée de trois années, est prononcée à l'encontre du commissaire en chef de police …. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 8 avril 2011.
Conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique, ci-après désignée par « la loi du 16 avril 1979 », un recours en réformation est prévu en matière de discipline concernant des membres de la Police grand-
ducale dans les cas où la peine prononcée dépasse la compétence du chef de corps.
Il se dégage de l’article 25, paragraphe II de la loi du 16 avril 1979 que « le droit d’appliquer au personnel policier du corps de la Police et de l’Inspection générale de la Police les peines disciplinaires appartient (…) 4. au ministre de la Force publique en ce qui concerne a) le personnel des carrières de l’inspecteur et du brigadier pour les peines sub 1 à 12 ;(…) ».
La sanction disciplinaire infligée en l’espèce à Monsieur …, -qui, en sa qualité de commissaire en chef fait partie du cadre des inspecteurs de police conformément à l’article 22 de la loi modifiée du 31 mai 1999 portant création d’un corps de Police grand-ducale et d’une Inspection générale de la police, - étant celle de la rétrogradation prévue sous le n° 9) de l’article 19 de la loi du 16 avril 1979, elle tombe sous la compétence du ministre, qui en vertu de l’arrêté grand-ducal du 27 juillet 2009 portant constitution des ministères a notamment la discipline dans la Police grand-ducale dans ses attributions. Dès lors, la sanction prononcée en l’espèce dépasse la compétence du chef de corps, de sorte que le tribunal est compétent pour statuer sur le recours principal en réformation.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Quant à la recevabilité du recours, le demandeur a déclaré, sans que cette affirmation ait été contestée par la partie étatique, que la décision déférée lui a été notifiée le 19 avril 2011. La requête ayant été déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 mai 2011, soit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision prévu à l’article 30 de la loi du 16 avril 1979, le recours est recevable ratione temporis.
A cet égard, il convient de relever que le tribunal n’a pas à prendre position par rapport aux développements exposés par le demandeur à l’appui de son recours et ayant trait à la question de la conformité de l’article 30 de la loi du 16 avril 1979 à l’article 10bis de la Constitution, en ce qu’il prévoit un délai de recours d’un mois pour les fonctionnaires de la force publique par rapport au délai de trois mois applicable en cas de recours des autres fonctionnaires de l’Etat contre une décision en matière disciplinaire, dans la mesure où le recours de l’espèce a été introduit endéans le délai d’un mois et est partant recevable ratione temporis, de manière que les développements afférents du demandeur sont dénués de pertinence pour la solution du présent litige.
Le recours principal en réformation est dès lors recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes de la loi.
Il appartient au tribunal de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, sans être lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties, l’examen de la légalité externe devant précéder celui de la légalité interne.
Il convient dès lors d’examiner en premier lieu le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation telle qu’inscrite à l’article 32 (1) de la loi du 16 avril 1979. Le demandeur reproche en effet au ministre d’avoir repris dans les grandes lignes le libellé de la « décision » du directeur général du 23 novembre 2010 et de l’avis du conseil de discipline du 19 janvier 2011 et de se référer aux termes généraux de la loi sans indiquer en quoi son comportement enfreint ces règles.
Aux termes de l’article 32 (1) de la loi du 16 avril 1979 « La décision qui inflige une peine disciplinaire (…) est motivée et arrêtée par écrit ».
Il convient de relever qu’en l’espèce, contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, la décision du ministre est motivée à suffisance, d’ailleurs même sans qu’il soit nécessaire de recourir aux motifs exposés dans l’avis du conseil de discipline auquel s’est référé le délégué dans son mémoire en réponse. En effet, la décision du ministre précise tant les faits concrètement reprochés au demandeur, que les dispositions légales sur lesquelles la sanction disciplinaire est fondée, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur les faits qui lui sont reprochés et sur les raisons pour lesquelles le ministre a considéré ces faits comme constitutifs d’une violation de ses obligations statutaires. Contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, la décision déférée n’est pas un « copier-coller » de l’avis du conseil de discipline ou encore de la lettre du directeur général, qui d’ailleurs ne constitue pas une décision comme le demandeur l’a indiqué dans la requête introductive, mais la lettre de saisine du conseil de discipline. La circonstance que le libellé des reproches est identique dans ces différents actes de la procédure est de l’évidence même puisque les faits reprochés au demandeur sont les mêmes, mais ne permet pas de conclure à un défaut d’indication des motifs.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l’article 32 (1) de la loi du 16 avril 1979 est à rejeter pour ne pas être fondé.
Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), ainsi que de l’article 14 de la Constitution, au motif que le caractère vague des incriminations ainsi que le vaste éventail des peines disciplinaires susceptibles d’être prononcées violerait le principe de la légalité des peines et offrirait à l’administration un pouvoir discrétionnaire, voire arbitraire, ce qui serait incompatible avec un Etat de droit.
En vertu de l’article 7, paragraphe 1er de la CEDH « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».
Ledit article consacre le principe de la légalité des peines tel que consacré également par l’article 14 de la Constitution, en vertu duquel « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ».
Tel que cela a été retenu par la Cour Constitutionnelle à différentes occasions, en droit disciplinaire la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit observer les mêmes exigences constitutionnelles de base. Le principe de la légalité de la peine entraîne la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et de préciser le degré de répression pour en exclure l’arbitraire et pour permettre aux intéressés de mesurer exactement la portée de ces dispositions et le principe de la spécification de l’incrimination est le corollaire de celui de la légalité des peines. La Cour Constitutionnelle a encore retenu que le droit disciplinaire tolère dans la formulation des comportements illicites et dans l’établissement des peines à encourir une marge d’indétermination sans que le principe de la spécification de l’incrimination et de la peine n’en soit affecté, si des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sureté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer (cf. arrêt n° 23/04 du 3 décembre 2004 de la Cour Constitutionnelle, Mém. A n° 201 du 23 décembre 2004).
La Cour Constitutionnelle a pareillement retenu que le principe de la légalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève (cf. arrêt n° 41/07 du 14 décembre 2007 de la Cour Constitutionnelle, Mém. A n° 1 du 11 janvier 2008).
La circonstance que la loi du 16 avril 1979 prévoit un certain nombre de devoirs et d’obligations incombant aux militaires et aux membres de la Police grand-ducale et que, par ailleurs, la même loi prévoit un catalogue de sanctions disciplinaires, n’est pas contraire au principe de la légalité des peines, dans la mesure où les devoirs sont décrits avec suffisamment d’objectivité et que l’arbitraire des sanctions à appliquer est évité par le biais de l’article 22 de la loi du 16 avril 1979, qui impose que l’application des sanctions disciplinaires doit se régler notamment d’après la gravité de la faute commise, le grade, la nature de l’emploi et les antécédents du militaire de l’armée, respectivement du personnel policier du corps de la Police et de l’Inspection générale de la Police concerné.
Quant à la question de l’application concrète des critères prévus à l’article 22 précité, celle-ci relève de l’examen de la proportionnalité de la peine appliquée, moyen invoqué également par le demandeur. A ce stade, il convient d’ores et déjà de retenir qu’il se dégage des différents actes de la procédure disciplinaire que les éléments prévus à l’article 22, précité, ont été pris en compte en l’espèce, indépendamment du caractère justifié des éléments ainsi pris en compte.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l’article 7 de la CEDH respectivement de l’article 14 de la Constitution est à rejeter pour ne pas être fondé.
Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par le demandeur à un appel introduit par lui contre un jugement du tribunal du 20 juillet 2011 ayant rejeté le moyen identique invoqué par lui dans le cadre d’un recours exercé contre une autre sanction disciplinaire prononcée à son encontre et fondé sur une violation du principe de la légalité des peines et par les contestations invoquées à l’encontre de la motivation de ce jugement, dans la mesure où la Cour administrative vient de confirmer ledit jugement sur ce point par un arrêt du 15 décembre 2011 (n° 28984C du rôle).
Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 10bis de la Constitution en soutenant que les dispositions de la loi du 16 avril 1979 établiraient une différence de traitement entre les fonctionnaires de la force publique et les autres fonctionnaires de l’Etat, puisque les premiers relèveraient de la procédure disciplinaire prévue par la loi du 16 avril 1979 attribuant l’instruction disciplinaire au supérieur hiérarchique du fonctionnaire en cause, tandis que les autres fonctionnaires bénéficieraient d’une procédure instaurée par la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désignée par « le statut général », plus protectrice des droits de la défense et « a priori » d’une plus grande impartialité. La discrimination se caractériserait par le fait que les fonctionnaires relevant de la Police grand-ducale seraient traités de façon moins favorable que les autres fonctionnaires de l’Etat en matière d’instruction disciplinaire, en ce que le statut général instituerait un commissaire du gouvernement, « a priori » indépendant, chargé de l’instruction disciplinaire, tandis que dans la procédure disciplinaire propre à la force publique, l’instruction serait effectuée par le supérieur hiérarchique et le conseil de discipline rendant un avis et non pas une décision, comme cela est prévu par le statut général. En l’espèce ce serait le directeur régional … qui aurait initié la procédure disciplinaire, qui aurait procédé à l’instruction disciplinaire et qui aurait proposé le renvoi devant le conseil de discipline.
D’après le demandeur, cette différence de traitement ne se justifierait pas par les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, en soutenant que les fonctionnaires ordinaires et les membres de la force publique se trouveraient dans des situations comparables et qu’il n’existerait aucune raison objective justifiant la différence de traitement. Face à un arrêt de la Cour Constitutionnelle du 14 décembre 2007 à propos des agents de l’entreprise des Postes et Télécommunications, le demandeur fait valoir que la solution retenue dans cette affaire par la Cour Constitutionnelle ne saurait être transposée dans la présente matière, étant donné que la cause justificative de la rupture d’égalité ayant été retenue par la Cour Constitutionnelle dans ledit arrêt, à savoir des considérations tenant à la rentabilité et à la gestion de l’entreprise des Postes et Télécommunications dans un environnement commercial hautement compétitif, ne saurait être retenue à propos de la force publique.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet dudit moyen.
Il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but.
Le tribunal est amené à relever qu’en l’espèce, le demandeur se contente de faire état de manière générale de ce que « les dispositions de la loi du 16 avril 1979 » établiraient une différence de traitement entre les fonctionnaires de la force publique et les autres fonctionnaires, puisque les premiers relèvent de la prédite loi en ce qui concerne la procédure disciplinaire attribuant l’instruction disciplinaire au supérieur hiérarchique du fonctionnaire en cause, respectivement, suivant le cas, au conseil de discipline, et que, globalement, les fonctionnaires relevant de la Police grand-ducale seraient traités de manière différente et moins favorable, sans toutefois indiquer spécifiquement quelle disposition précise de la loi du 16 avril 1979 serait contraire au principe d’égalité de traitement consacré par l’article 10bis de la Constitution, et sans indiquer en quoi cette disposition serait contraire au prédit article 10bis de la Constitution.
Or, force est au tribunal de rappeler qu’un moyen non autrement développé est à écarter. Tel est le cas d’un moyen non assorti de la précision requise par rapport aux dispositions légales concrètement visées. Il ne suffit dès lors pas d’invoquer d’une manière générale une violation de l’article 10bis de la Constitution, en l’occurrence d’affirmer que globalement la procédure disciplinaire dans la force publique serait moins favorable que celle prévue par le statut général, mais encore faut-il que le demandeur, pour pouvoir aboutir utilement dans son moyen, indique concrètement quelle disposition de la loi il estime être contraire à l’article 10bis, précité, et qu’il indique concrètement l’incidence de cette contrariété sur la légalité de la décision faisant l’objet du recours. En effet, un moyen fondé sur une violation de l’article 10bis de la Constitution ne peut être pertinent que pour autant que, dans l’hypothèse où la contrariété d’une disposition à l’article 10bis de la Constitution est retenue, cette contrariété ait une incidence sur la légalité de la décision incriminée.
Il est certes vrai que le demandeur s’est référé de manière générale à une procédure disciplinaire instaurée par le statut général qui serait plus protectrice des droits de la défense et prévoyant « a priori » une plus grande impartialité, et s’est référé à une différence de traitement au niveau de l’autorité chargée de mener l’instruction disciplinaire. Or, il convient de rappeler que le tribunal est saisi d’un recours dirigé contre une décision administrative et qu’il appartient en conséquence au demandeur de libeller ses moyens par rapport à leur incidence concrète sur la décision ainsi déférée, et il ne saurait se contenter de critiquer de manière générale et abstraite une loi dans sa globalité.
Il s’ensuit que le moyen, pour autant qu’il se limite à l’affirmation que de manière générale la procédure disciplinaire applicable dans la force publique serait moins favorable est à rejeter.
Néanmoins, quant au reproche suivant lequel ce serait le directeur régional … qui a initié la procédure disciplinaire, mené l’instruction et proposé le renvoi devant le conseil de discipline, celui-ci se recoupe en substance, - tel que cela a d’ailleurs été retenu par rapport au même moyen par la Cour administrative dans un arrêt du 15 décembre 2011 (n° 28984C du rôle), que le mandataire du demandeur a invoqué à l’audience des plaidoiries -, avec le reproche fondé sur une violation de l’article 6 de la CEDH, en ce que les deux moyens mettent en cause, à partir des différents points de vue adoptés, l’impartialité du supérieur hiérarchique considéré dans ses différentes attributions telles que prévues à l’article 31 de la loi du 16 avril 1979 précisant les attributions du supérieur hiérarchique en matière disciplinaire. Ledit reproche sera dès lors examiné ci-après dans le cadre du moyen fondé sur une violation de l’article 6 de la CEDH.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une prétendue violation de l’article 10bis de la Constitution, sous réserve de l’examen qui sera fait dans le cadre de l’analyse d’une violation de l’article 6 de la CEDH, est à rejeter.
Le demandeur invoque une violation des droits de la défense et de l’article 6 de la CEDH tant au regard de l’instruction menée par le directeur régional, qu’au regard de l’instruction par le conseil de discipline.
Par rapport à l’instruction menée par le directeur régional, le demandeur reproche, d’une part, une partialité objective au directeur régional, en soutenant que les principes généraux tenant au respect des droits de la défense et à un procès équitable proscriraient que l’autorité ayant marqué son accord avec le déclenchement des poursuites instruise également les faits dont elle est saisie. En l’espèce, ce serait le directeur régional qui a mené l’enquête et qui a proposé de renvoyer le dossier au conseil de discipline. De la sorte, il aurait également exercé les fonctions de partie poursuivante, ce qui corroborerait son manque d’impartialité.
Le demandeur soutient, d’autre part, que la procédure serait viciée par une partialité subjective dans le chef du directeur régional qui aurait déclenché la procédure disciplinaire et qui lui aurait en même temps, en sa qualité de supérieur hiérarchique, demandé des explications sur les faits avant le déclenchement de la procédure disciplinaire, et qui aurait procédé à une enquête « à charge ». Son intervention en qualité d’enquêteur dans une précédente procédure disciplinaire et dans une procédure de refus de détachement démontrerait l’existence d’un préjugé dans son chef quant à la manière de servir du demandeur. Il lui reproche encore d’avoir retenu qu’il ne serait pas capable d’exercer ses fonctions de chef de service sans étayer cette affirmation d’un quelconque élément de preuve.
A l’audience des plaidoiries, le demandeur a encore fait état de l’arrêt de la Cour administrative du 15 décembre 2011, précité, ayant retenu un défaut d’impartialité dans le chef du directeur régional et dont les principes pourraient être transposés en l’espèce puisque les deux affaires seraient identiques, sauf que dans la présente affaire, le conseil de discipline a été saisi.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.
Aux termes de l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) ».
Pour conclure à l’applicabilité en l’espèce dudit article 6, le demandeur s’est référé à divers arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Or, la procédure disciplinaire sous revue et critiquée au regard des impératifs découlant de l’article 6 de la CEDH ne constitue qu’une étape d’un processus décisionnel et ne revêt pas en elle-même un caractère juridictionnel, mais a une nature purement administrative.
Or, si l’article 6 de la CEDH impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure disciplinaire purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure disciplinaire.
En d’autres termes, la CEDH ne s’oppose pas à ce qu’une sanction soit prononcée par une autorité ne satisfaisant pas aux exigences de l’article 6 pourvu que la personne frappée par la sanction puisse introduire un recours contre celle-ci devant un tribunal offrant toutes les garanties de l’article 6 (cf. trib. adm. 18 novembre 2002, n° 14055, confirmé sur ce point par Cour adm. 22 avril 2003, n° 15788C, Pas. adm. 2010, V° Fonction publique, n° 173). Or, force est de constater que le demandeur a pu introduire un recours devant le tribunal administratif contre la décision litigieuse du ministre et bénéficie par ailleurs du double degré de juridiction en ce qu’il peut interjeter appel contre le présent jugement devant la Cour administrative.
Néanmoins, même à défaut d’applicabilité de l’article 6 de la CEDH au niveau de la procédure disciplinaire administrative ayant précédé la décision déférée, la régularité de la procédure peut être examinée sous l’aspect des principes généraux du droit tenant au respect des droits de la défense.
En effet, si l’autorité administrative n’est pas formellement soumise au respect de l’article 6 de la CEDH, elle est néanmoins tenue d’observer les principes généraux de droit, tels que le principe d’équitable procédure, le principe du respect des droits de la défense ou encore le principe général d’impartialité, et ce même en l’absence d’un texte exprès.
Il est certes vrai qu’il échet d’une manière générale d’assurer que l’enquête disciplinaire soit conduite par une personne compétente à condition que son impartialité ne soit pas contestable. Ainsi, à part le fait que l’organe enquêteur, chargé de l’instruction de l’affaire disciplinaire, doit être impartial d’un point de vue subjectif, en ce qu’il ne doit pas avoir procédé à des prises de position antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure disciplinaire, il est exigé que, d’un point de vue objectif, ledit enquêteur ne puisse pas être soupçonné de partialité objective, la partialité objective pouvant découler de conditions structurelles ou organisationnelles qui autoriseraient à suspecter l’impartialité d’un organe.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour administrative du 15 décembre 2011, précité, et ayant trait à une autre sanction disciplinaire prononcée à l’encontre du demandeur, la Cour administrative a retenu que la procédure disciplinaire menée par le supérieur hiérarchique, en l’occurrence également le directeur régional …, encourrait l’annulation pour non-observation du principe de l’impartialité de l’organe appelé à mener l’instruction disciplinaire et que cette nullité de la procédure menée affectait directement la décision rendue au bout de la phase précontentieuse.
Pour arriver à cette conclusion, la Cour a relevé qu’en vertu de l’article 31 de la loi du 16 avril 1979, pris en son point 1, l’instruction disciplinaire appartient au chef hiérarchique compétent de l’agent de la force publique concerné.
Elle a relevé que le chef hiérarchique compétent dans le cas de Monsieur … était le directeur régional, à savoir plus précisément le directeur de la circonscription régionale … qui, d’après le point 2 dudit article 31, procède à une instruction lorsque des faits laissant présumer que l’agent de la force publique a manqué à ses devoirs au sens de la loi du 16 avril 1979 sont à sa connaissance. Elle a encore relevé que c’est dans le cadre de cette instruction qu’il est amené à rassembler tous les éléments à charge et à décharge de l’agent de la force publique susceptibles d’avoir une influence sur les décisions à prendre, qui, en vertu du point 3 du même article 31, a été amené à notifier à l’agent de la force publique présumé fautif les faits qui lui sont reprochés et, enfin, qui, en vertu du point 5 du même article 31, a transmis le dossier avec ses conclusions au chef de corps.
La Cour a retenu que la situation dans cette espèce était particulière en ce que les faits retenus pour asseoir la peine disciplinaire prononcée se sont trouvés « en circuit fermé » pour s’être produits, pour l’essentiel, face au directeur régional, outre le fait que déjà la loi, à travers ledit article 31 prévoit à son tour une procédure, également « en circuit fermé » devant le supérieur hiérarchique, en l’occurrence ledit directeur régional et que de la sorte, les liens s’étaient éminemment resserrés dans cette espèce.
La Cour a retenu à partir des éléments du dossier dont elle était saisie et plus particulièrement de ceux relatifs à l’instruction disciplinaire, que dans cette espèce particulière, l’essentiel des faits reprochés et retenus à charge de Monsieur … étaient ceux constatés par le supérieur hiérarchique lui-même sur mesure de vérification ordonnée par lui, et notifiés par le même supérieur à l’intéressé pour donner ouverture à l’instruction disciplinaire, menée par le même supérieur hiérarchique jusqu’à et y compris le rapport final comprenant en tant que conclusion la poursuite pour faute disciplinaire et la proposition de la sanction à arrêter à l’encontre de l’intéressé. La Cour a ainsi conclu que toute la procédure préliminaire à partir de ses primes débuts de constat et de vérification des faits, finalement retenus, pour l’essentiel du moins, à la base de la sanction disciplinaire prononcée s’étant produits en circuit interne, le principe d’impartialité de l’organe amené à opérer dans le cadre de l’instruction de la procédure disciplinaire ne s’est plus trouvé respecté par rapport aux exigences primaires dudit principe d’impartialité. Ainsi, à partir du point de vue de l’agent de la force publique auquel sont reprochés des faits à conséquence disciplinaire, la garantie d’impartialité de l’organe se trouvant à la tête de la procédure disciplinaire menée ne s’était plus trouvée vérifiée, au-delà de ce que cet organe, dans son for intérieur, ait pu agir sans a priori subjectif, ni déséquilibre dans sa mission d’instruire à charge et à décharge, mais que du fait que dès à partir du constat et de la vérification des faits, tels que notifiés, pas plus de deux yeux n’aient été impliqués, à part le supérieur hiérarchique lui-même, les garanties d’impartialité ne se trouvaient objectivement pas vérifiées.
Le tribunal est amené à retenir que les principes ainsi dégagés par la Cour administrative dans ladite affaire peuvent être transposés dans le cas d’espèce.
En effet, en l’espèce, comme dans la prédite affaire, l’instruction disciplinaire a été, au moins jusqu’à la saisine du conseil de discipline pour avis, menée par le directeur régional … à propos de faits qui ont été constatés par lui-même. En effet, c’est le directeur régional qui, en date du 8 juillet 2010, a soumis le demandeur à un éthylotest ayant révélé 0,26 mg d’alcool par litre d’air expiré, qui a procédé à l’audition du demandeur, qui a déclenché l’enquête disciplinaire, qui a notifié les faits au demandeur et qui a rédigé le rapport final d’instruction proposant au directeur général de renvoyer le dossier devant le conseil de discipline.
Tout comme dans l’affaire précitée ayant abouti à l’arrêt précité de la Cour administrative du 15 décembre 2011, la conclusion s’impose qu’en l’espèce, dans la mesure où la procédure s’est produite en circuit interne, le directeur régional ayant déclenché et mené l’instruction disciplinaire par rapport à des faits constatés par lui-même, le principe d’impartialité de l’organe amené à opérer dans le cadre de l’instruction de la procédure disciplinaire ne s’est plus trouvé respecté.
Il est certes vrai que la présente affaire se distingue de la procédure disciplinaire ayant été menée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour administrative du 15 décembre 2011, précité, en ce qu’en l’espèce le conseil de discipline a été saisi pour avis avant que le ministre ne prenne la décision finale. Il est encore vrai que dans les hypothèses où, comme en l’espèce, le conseil de discipline intervient pour rendre son avis, ledit conseil peut, conformément à l’article 38 de la loi du 16 avril 1979, ordonner des mesures d’instruction complémentaires susceptibles d’éclairer les faits, de manière que la procédure d’instruction n’est en principe pas complètement entre les mains du supérieur hiérarchique. Néanmoins, force est de constater qu’en l’espèce, le conseil de discipline n’a pas procédé à des mesures d’instruction autres que l’audition du demandeur et que malgré la saisine du conseil de discipline l’essentiel de l’instruction a été menée par le directeur régional, qui justement a assisté aux faits ayant donné lieu à l’instruction disciplinaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la procédure disciplinaire menée en l’espèce encourt l’annulation pour non-observation du principe de l’impartialité de l’organe appelé à mener l’instruction disciplinaire et que cette nullité de la procédure ainsi menée affecte directement la régularité de la décision du ministre du 8 avril 2011 rendue au bout de la phase précontentieuse, l’examen des autres moyens présentés par le demandeur devenant ainsi surabondant.
Conformément au dispositif de la requête introductive d’instance, le demandeur demande encore de bénéficier de l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel conformément à l’article 35, alinéa 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Aux termes dudit article 35 de la loi du 21 juin 1999, précitée, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel.
En l’espèce, force est de constater que le demandeur n’a pas précisé en quoi l’exécution de la décision déférée risque de lui causer un préjudice grave et définitif. A supposer que le demandeur ait entendu viser les effets pécuniaires éventuels de l’exécution de la décision de rétrogradation, ceux-ci peuvent être compensés ex post, de sorte que le préjudice ne saurait en tout état de cause pas être considéré comme définitif. Le demandeur n’ayant pas autrement invoqué un préjudice grave et définitif susceptible de lui être causé par l’exécution de la décision déférée, le tribunal est amené à constater que la condition tenant au risque d’un préjudice grave et définitif, telle qu’énoncée par l’article 35 précité, n’est pas remplie en l’espèce.
La demande tendant à voir ordonner l’effet suspensif du présent recours pendant le délai et l’instance d’appel est dès lors à rejeter.
Enfin, l’indemnité de procédure de l’ordre de 750 euros réclamée par le demandeur est à rejeter dans la mesure où il n’est pas établi que les conditions en sont remplies en l’espèce.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision critiquée du ministre de l’Intérieur et à la Grande Région du 8 avril 2011 et renvoie le dossier devant ledit ministre pour transmission à l’organe compétent en vue d’une reprise, le cas échéant, de la procédure disciplinaire ab initio ;
rejette la demande en obtention de l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 750 euros formulée par le demandeur ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 15 février 2012 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15.02.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 12