Tribunal administratif Numéro 29810 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2012 2e chambre Audience publique du 13 février 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29810 du rôle et déposée le 3 février 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandra Cortinovis, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Irak), et être de nationalité iraquienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du « 30 septembre 2011 » ayant ordonné la prolongation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 9 février 2012 au greffe du tribunal administratif au nom du demandeur par Maître Sandra Cortinovis.
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 13 février 2012.
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En date du 30 septembre 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », ordonna à Monsieur … de quitter le territoire, sur le fondement des considérations suivantes :
« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;
Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé. ».
En date du même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté, qui fut notifié à l’intéressé en date du même jour, est basé sur les considérations et motifs suivants :
«Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le procès-verbal SREC-Esch-sur-Alzette/2011/17088-2/GOGE du 30 septembre 2011 établi par la Police grand-ducale ;
Vu ma décision de retour du 30 septembre 2011 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable :
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ».
Par arrêté du 24 octobre 2011 (notifié à l’intéressé le 28 octobre 2011), du 22 novembre 2011 (notifié à l’intéressé le 28 novembre 2011), du 21 décembre 2011 (notifié à l’intéressé le 28 décembre 2011) et du 24 janvier 2012 le ministre prorogea à chaque fois la mesure de placement de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois. L’arrêté du 24 janvier 2012 est motivé comme suit :
«Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés notifiés en date des 30 septembre, 28 octobre, 28 novembre et 28 décembre 2011 décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de ces mesures de placement subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ;» Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 février 2012, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision ministérielle de placement du 30 septembre 2011.
Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en ce qu’étant dirigé contre l’arrêté du ministre du 30 septembre 2011, il serait devenu sans objet dès lors que la mesure de placement du 30 septembre 2011 aurait cessé ses effets et que le demandeur serait placé en vertu de l’arrêté du ministre du 24 janvier 2012.
Le demandeur ayant répliqué qu’il se serait agi d’une erreur matérielle de sorte que le recours serait dirigé contre l’arrêté du ministre du 24 janvier 2012, il y a lieu de retenir que le présent recours est dirigé contre ledit arrêté du ministre du 24 janvier 2012, l’Etat n’ayant d’ailleurs pas pu se méprendre sur ce fait au vu de ce qu’il a pu prendre position par rapport au fond du recours dans le cadre de son mémoire en réponse.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur fait en premier lieu état de ce qu’une mesure de rétention supposerait qu’une mesure d’éloignement ait été préalablement prise par le ministre, et pour laquelle il existerait une impossibilité matérielle d’exécution. En l’espèce, le demandeur reproche au ministre de rester en défaut de démontrer qu’il serait en mesure d’exécuter effectivement son éloignement très rapidement.
Le délégué du gouvernement rétorque que la condition d’un éloignement « très rapide » ne figurerait pas dans la loi, de sorte que le moyen laisserait d’être fondé.
Force est tout d’abord au tribunal de constater qu’il ressort du dossier administratif qu’en date du 30 septembre 2011, le ministre a pris un ordre de quitter le territoire à l’égard du demandeur qui lui a été notifié le même jour de sorte qu’une mesure d’éloignement a bien préalablement été prise à la mesure de placement. Par ailleurs, il échet de constater, ainsi que le relève, à juste titre, le délégué du gouvernement, que la condition d’un éloignement très rapide n’est pas prévue par l’article 120 de la loi du 29 août 2008. Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.
Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir effectué les diligences nécessaires afin d’exécuter la décision d’éloignement, l’arrêté de placement en rétention ne ferait pas état et ne documenterait pas les démarches que le ministre serait en train d’exécuter afin d’écourter au maximum sa privation de liberté.
Le délégué du gouvernement fait valoir que les démarches auraient été minutieusement documentées dans le cadre du dossier administratif dont il ressortirait, par ailleurs, que le demandeur aurait indiqué une fausse identité aux autorités luxembourgeoises en affirmant être de nationalité iraquienne, ce qu’il ne serait visiblement pas. Il fait valoir que le demandeur refusant catégoriquement de coopérer avec les autorités luxembourgeoises, voire avec les autorités de ses éventuels pays d’origine en vue de l’établissement de son identité, le retard subi dans l’opération d’éloignement lui serait exclusivement imputable. Il en conclut que le ministre aurait dès lors pu prolonger la mesure de placement pour un mois supplémentaire.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée (…).
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « (…) La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. (…) ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite. En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Il convient donc en l’espèce de vérifier si la condition de maintien de la rétention est remplie, à savoir, si le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
Force est de constater que Monsieur … a fait l’objet d’une décision d’ordre de quitter le territoire en date du 30 septembre 2011 prise sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008, décision non entreprise par le demandeur en l’état actuel du dossier.
Il ressort du dossier administratif et des explications concordantes du délégué du gouvernement au cours de la procédure contentieuse que dès le 18 octobre 2011, les autorités iraquiennes ont été contactées et auprès desquelles il fut présenté le 30 novembre 2011. Au cours de cette entrevue, les autorités iraquiennes auraient confirmé que le demandeur ne serait pas d’origine iraquienne. Malgré le manque de coopération de ce dernier qui « a d’ailleurs refusé de collaborer en ne prononçant que deux mots en langue arabe et ne répondant pas aux questions posées. Il a préféré s’exprimer en français et parler de la pluie et du beau-temps », les autorités iraquiennes en ont conclu qu’il serait soit d’origine tunisienne, soit d’origine marocaine. A la suite de cette constatation, les autorités tunisiennes ont été saisies en date du 5 décembre 2011 et les autorités marocaines ont été saisies en date du 13 décembre 2011. En date du 6 janvier 2012, les autorités tunisiennes ont informé les autorités luxembourgeoises que le demandeur « demeure inconnu auprès des services tunisiens compétents ». Il ressort enfin d’une note du 24 janvier 2012 que les autorités marocaines ont confirmé par téléphone aux autorités luxembourgeoises que le dossier serait en cours d’instruction et qu’il n’y aurait pas encore de réponse des autorités compétentes au Maroc.
Le tribunal est amené à retenir que les démarches entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées comme suffisantes, particulièrement eu égard à l’absence totale de coopération du demandeur, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est exécutée en l’espèce avec toute la diligence requise au regard des exigences de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, et que le moyen afférent est à rejeter.
Le demandeur estime finalement que la mesure de placement violerait le principe de proportionnalité dans la mesure où le ministre aurait dû lui donner la chance de quitter le territoire volontairement avant de le placer en rétention.
Le délégué du gouvernement rétorque que le principe de proportionnalité ne serait pas violé au motif que ce serait le comportement personnel du demandeur qui justifierait la mesure de prolongation de la mesure de rétention.
Il échet de retenir que le moyen du demandeur selon lequel la mesure de placement violerait le principe de proportionnalité dans la mesure où le ministre aurait dû lui donner la chance de quitter le territoire volontairement avant de le placer en rétention ne concerne que la première mesure de placement en rétention. S’agissant en l’espèce d’une mesure de prolongation le principe de proportionnalité tel qu’énoncé par le demandeur laisse d’être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 13 février 2012 à 17.45 heures, par le premier vice-
président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 février 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 6