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13/02/2012 | LUXEMBOURG | N°28134

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 février 2012, 28134


Tribunal administratif N° 28134 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2011 1re chambre Audience publique du 13 février 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28134 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2011 par Maître Roby Schons, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ

€™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité portugaise, né le … à ...

Tribunal administratif N° 28134 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2011 1re chambre Audience publique du 13 février 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28134 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2011 par Maître Roby Schons, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité portugaise, né le … à … (Portugal), actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision de refus de séjour et d’entrée sur le territoire prise par ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 30 décembre 2010 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2011 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewsky en sa plaidoirie à l’audience publique du 6 février 2012 ;

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En date du 13 juin 2006, Monsieur … fut condamné par la chambre criminelle du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg à une peine d'emprisonnement de 12 mois, dont 6 mois avec sursis, et une amende de 1.000 € pour vol, recel et vol à l’aide de violence ou de menaces.

Par jugement du 29 mars 2007 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, Monsieur …fut condamné à une peine d’emprisonnement de 15 ans et à une amende de 5000 € du chef d’infraction à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie et pour association de malfaiteurs. Par arrêt de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg du 16 avril 2008, cette peine fut ramenée en appel à 4 ans d’emprisonnement et à une amende de 1.000 €.

Par jugement du 2 septembre 2008, le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle de vacation, condamna Monsieur …à une peine d’emprisonnement de 2 ans et une amende de 1.000 € du chef d’infractions aux dispositions de la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie avec la circonstance que les infractions retenues à l’encontre de Monsieur …furent commises dans un établissement pénitentiaire.

Par arrêté du 30 décembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », refusa à Monsieur …le séjour et prononça à son encontre un refus d’entrée sur le territoire, ledit refus étant complété par une interdiction d’entrée d’une durée de 5 ans. Cet arrêté est motivé comme suit :

« Vu les articles 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu les antécédents judiciaires de l'intéressé et notamment l'arrêt de la Cour supérieure de Justice de Luxembourg du 16 avril 2008 le condamnant à une peine de réclusion de 4 ans;

Attendu que l'intéressé n'a jamais bénéficié d'un séjour régulier depuis son entrée sur le territoire ;

Attendu que l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public ; […] ».

Par requête déposée le 16 mars 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la prédite décision du ministre du 30 décembre 2010.

Dans la mesure où aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de police des étrangers, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit contre la décision ministérielle déférée.

Le tribunal est dès lors compétent pour connaître du recours en annulation, qui, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait en premier lieu valoir que la motivation du ministre en ce qu’il retient qu’il aurait été condamné à une peine de réclusion de 4 ans serait erronée dans la mesure où la condamnation dont il ferait référence constituait en fait d’une peine d’emprisonnement de 4 ans.

A cet égard le délégué du gouvernement fait valoir que s’il est exact que la décision déférée indiquerait que la peine précitée serait une peine de réclusion et non pas une peine d’emprisonnement, il ne s’agirait néanmoins que d’une simple erreur matérielle.

Force est au tribunal de constater que si le demandeur a été condamné, par arrêt de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, 10ème chambre, du 16 avril 2010 à une peine d’emprisonnement de 4 ans, et s’il est exact que le ministre, dans la décision déférée, indique que la peine précitée serait une peine de réclusion, il ne s’agit que d’une simple erreur matérielle, telle que relevée et rectifiée par le délégué du gouvernement en cours de l’instance contentieuse, la peine étant d’ailleurs déterminée à suffisance par l’indication de sa durée, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.

D’autre part, le demandeur fait valoir que la motivation de la décision déférée ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. En effet, cette dernière exigerait que le juge national vérifie, à l’occasion de l’expulsion d’un citoyen communautaire, à côté d’éventuelles condamnations pénales encourues par ce dernier, le comportement personnel de l’auteur des infractions et du danger qu’il représente pour l’ordre public. Or, en l’espèce, le ministre se serait prononcé seulement au vu des antécédents judiciaires du demandeur sans tenir compte de son propre comportement. D’autre part, il n’aurait pas analysé à suffisance de droit dans quelle mesure le demandeur constituerait une menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société luxembourgeoise. A cet égard, le demandeur fait encore valoir qu’il résulterait des documents du dossier administratif que son comportement depuis la dernière sanction d’isolement se serait amélioré. En outre, rien ne permettrait de dire qu’il risquerait à nouveau de compromettre la sécurité et l’ordre publics après sa remise en liberté, d’autant plus qu’il pourrait se réinsérer dans la société par le travail et que rien ne permettrait de dire avec certitude que cette réinsertion ne pourrait pas se faire avec succès. Il donne encore à considérer qu’il travaillerait d’ores et déjà au Centre pénitentiaire à la pleine satisfaction de ses chefs d’atelier.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation des faits et que le recours serait à rejeter comme non fondé.

Lors de l’audience publique du 6 février 2012, le tribunal a soulevé d’office la question de l’application des bases légales indiquées dans la décision déférée.

A ce sujet, le délégué du gouvernement fit valoir oralement que les articles 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 seraient applicables tant aux citoyens de l’Union européenne qu’aux ressortissants de pays tiers, l’article 109 de la loi précitée faisant en effet expressément référence à l’article 27 de cette même loi, de sorte que la décision déférée serait également basée sur l’article 27 de la loi du 29 août 2008.

A cet égard, force est au tribunal de constater que s’il exact que l’article 109 de la loi du 29 août 2008 renvoie aux articles 25 et 27 de la même loi, de sorte que la procédure définie aux articles 109 à 115 de cette loi s’applique également aux citoyens de l’Union européenne frappés d’un refus de séjour, il n’en demeure pas moins que la seule référence aux articles 25 respectivement 27 de la loi est discutable en tant que base légale de la décision déférée, en ce sens que les raisons de refus de séjour sous analyse ne sont pas mentionnées dans les articles expressément visés par elle, mais uniquement par référence. D’autre part, si le délégué du gouvernement ne mentionne pas non plus de base légale dans son mémoire en réponse et que ce n’est que sur question afférente du tribunal que l’Etat précise que l’article 27 constituerait la base légale du refus sous analyse, sans que le demandeur n’ait cependant critiqué le fait que l’Etat a complété la base légale en cours d’instance, il y a lieu de conclure que la décision déférée est valablement basée tant sur les articles 109 à 115 de la loi du 29 août 2008, que sur l’article 27 de la loi précitée.

Aux termes de l’article 27 de la loi du 29 août 2008 : « (1) Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage, applicables aux contrôles aux frontières, l’entrée sur le territoire luxembourgeois peut être refusée et le droit de séjour peut être refusé ou retiré au citoyen de l’Union, ainsi qu’aux membres de sa famille de quelque nationalité qu’ils soient, et une décision d’éloignement du territoire peut être prise à leur encontre, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.

(2) L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver le refus de séjour. Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel du citoyen de l’Union et des membres de sa famille qui en font l’objet. Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, sans que des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne puissent être retenues. » Il en découle que le citoyen de l’Union européenne peut faire l’objet d’un refus de séjour si son comportement personnel présente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société sans que des condamnations pénales antérieures seules puissent motiver le refus prévisé.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur a fait l’objet de trois condamnations d’emprisonnement depuis juin 2006, la dernière remontant seulement au 2 septembre 2008, et ayant été prononcée pour des faits constitutifs d’infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie avec la particularité que ces faits ont été commis dans l’enceinte du Centre pénitentiaire de Schrassig. Force est encore au tribunal de constater que le jugement du 2 septembre 2008 précité retient que le demandeur est en aveu de consommer au sein du Centre pénitentiaire régulièrement de la marihuana. D’autre part, il ressort d’un rapport du comité de guidance du 2 juin 2010, que Monsieur …a encouru au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg plusieurs sanctions disciplinaires dont la dernière citée dans le rapport remonte au mois de janvier 2010. Si ce même rapport retient que le demandeur affiche un comportement relativement correct et qu’il respecte les conditions qui lui sont imposées, il n’en reste pas moins qu’il retient également qu’aucune relation de confiance n’a pu s’établir jusqu’à cette date entre le demandeur et le personnel du Centre pénitentiaire, le demandeur y est par ailleurs décrit comme étant très méfiant et ne répondant pas à toutes les questions qu’on lui pose. D’autre part, ce même rapport fait état du fait que la qualité des relations avec les intervenants sociaux ne se serait pas améliorée. Il ressort également d’un deuxième rapport versé en cause du même comité de guidance du 8 décembre 2010, qu’une relation de confiance avec les intervenants sociaux n’a toujours pas été établie par le demandeur, qu’il serait très méfiant et qu’il ne répondrait jamais aux questions qu’on lui pose, à moins qu’il ne réponde par une nouvelle question. D’autre part, la motivation du demandeur ainsi que sa disposition à l’introspection feraient toujours défaut. En résumé, le rapport retient que le comportement du demandeur au sein du Centre pénitentiaire ne se serait pas amélioré. En effet, une affaire de coups et blessures volontaires lui aurait valu un régime cellulaire strict de 6 semaines, ainsi que la perte de son travail au Centre pénitentiaire. Finalement, le rapport retient que le demandeur ne semble se poser aucune question sur son avenir, de sorte que le comité de guidance se pose la question des perspectives de réinsertion de l’intéressé au Luxembourg. Suite à ces interrogations, le comité de guidance, en insistant sur le fait que le demandeur aurait toujours vécu au Portugal et que sa mère s’y trouverait toujours, recommande de transmettre le dossier au ministère des Affaires étrangères.

Dès lors, tant les éléments du dossier administratif décrits ci-dessus, que ceux retenus par le ministre, tels que complétés par le délégué du gouvernement, amènent le tribunal à conclure que le demandeur, à défaut de faire preuve d’une intention de repentir ou d’une volonté réelle de réintégration dans la société, continue de constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, de sorte que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé le séjour, tout en décrétant encore une interdiction d’entrée à son égard. Force est encore de constater que la décision déférée est proportionnée au vu de la fréquence des condamnations pénales du demandeur et au vu de son comportement au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg, étant rappelé que la dernière condamnation pour trafic de stupéfiants a été commise au sein du Centre pénitentiaire alors que le demandeur y purgeait une peine. Cette conclusion est encore confortée par le fait, tel que relevé à juste titre par le ministre dans la décision déférée, que le demandeur ne prouve pas avoir séjourné légalement sur le territoire luxembourgeois.

Il s’ensuit que le recours laisse d’être fondé dans la mesure où il ressort tant des éléments soumis à appréciation du tribunal que de la motivation exposée tant par le ministre que par le délégué du gouvernement que tant les condamnations pénales fréquentes que le comportement personnel du demandeur justifient à suffisance de droit la décision déférée.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 février 2012 par :

Marc Sünnen, vice-président, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.2.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 28134
Date de la décision : 13/02/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-02-13;28134 ?

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