Tribunal administratif N° 28584 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2011 3e chambre Audience publique du 7 février 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28584 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2011 par Maître Daniel Baulisch, avocat à la Cour, assisté de Maître Georges Sinner, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à …, au nom de Monsieur …, né le … à … (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une « décision du ministre des Affaires étrangères du 8 février 2011 » l’obligeant à quitter le territoire, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage, soit à destination d’un pays dans lequel il est autorisé à séjourner ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 août 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh, en remplacement de Maître Daniel Baulisch, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 11 mars 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-
après dénommé « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … une décision de refus de séjour dont la teneur est la suivante :
« Vu le rapport du Commissariat de Proximité de … du 24 février 2011, je constate que vous séjournez irrégulièrement sur le territoire luxembourgeois.
Je tiens à vous informer que, conformément à l'article 34, paragraphe (2), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, le ressortissant de pays tiers a le droit d'entrer sur le territoire et d'y séjourner pour une période allant jusqu'à trois mois sur une période de six mois s'il est en possession d'un passeport en cours de validité et d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis.
Cependant, votre séjour dépasse la période de trois mois.
De ce fait, après vérification expresse de votre situation au vu des éléments qui figurent au dossier administratif, relatifs à la durée de votre séjour, votre âge, votre état de santé, votre situation familiale et économique, votre intégration sociale et culturelle et vos liens avec votre pays d'origine, conformément à l'article 103 de la loi du 29 août 2008 précitée, le séjour vous est interdit aux termes de l'article 100, points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée et vous êtes obligé [de] quitter le pays sans délai, soit à destination du pays dont vous avez la nationalité, le Congo, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage, soit à destination d'un autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner, conformément à l'article 111 de la loi du 29 août 2008 précitée ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2011, Monsieur … a introduit, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal administratif peut seul avoir égard, un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision prétendument prise par le ministre des Affaires étrangères en date du 8 février 2011.
En ce qui concerne tout d’abord l’objet du recours, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève que le demandeur se réfère, dans sa requête introductive d’instance, à des décisions datant du 8 février 2011 et du 9 mars 2011, alors qu’aucune décision n’a été prise à ces dates dans le cas d’espèce.
S’il est certes vrai qu’aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, la requête introductive d’instance contient notamment la désignation de la décision contre laquelle le recours est dirigé en l’espèce, la désignation inexacte de la décision contre laquelle le recours est introduit est sans incidence sur la recevabilité du recours, dès lors que le demandeur a joint à sa requête la décision de refus de séjour litigieuse du 11 mars 2011 prise par le ministre, et que le délégué du gouvernement a ainsi pu prendre position par rapport à cette décision sans qu’une méprise soit possible, de sorte qu’aucune violation des droits de la défense ne saurait être retenue en l’espèce. Le recours ne saurait partant encourir l’irrecevabilité de ce chef.
Dans la mesure où ni la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle déférée. Le tribunal doit partant se déclarer incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation.
Le recours principal en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il se serait vu accorder le statut de réfugié en Italie en raison des persécutions politiques qu’il aurait subies dans son pays d’origine, la République démocratique du Congo, ci-après « RDC ». Il explique qu’il aurait quitté l’Italie pour rejoindre le Luxembourg en raison de la situation économique précaire qui régnerait actuellement en Italie. Il serait ainsi venu au Luxembourg accompagné de sa sœur et de son beau-frère et ils auraient pris en location un logement à …. Il souligne qu’il serait à la recherche d’un emploi et qu’il serait en train de faire une formation en tant que soudeur.
En droit, le demandeur invoque en premier lieu une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes au motif que la décision litigieuse ne serait pas suffisamment motivée.
Indépendamment de la question de savoir si cette disposition trouve application en l’espèce, étant donné que la décision visée par le présent recours ne rentre pas dans l’une des catégories de décisions telles que visées par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 pour lesquelles cette disposition impose une obligation de motivation formelle, il n’en demeure pas moins que l’article 109 de la loi du 29 août 2008 exige que les décisions de refus de séjour, et notamment celles visées à l’article 100 de la même loi, soient prises par le ministre et soient dûment motivées.
Le moyen fondé sur un défaut de motivation laisse cependant, en tout état de cause, d’être fondé, étant donné qu’il se dégage du libellé sus-énoncé de la décision ministérielle critiquée du 11 mars 2011 que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’un défaut de motivation suffisante de la décision de refus de séjour litigieuse du 11 mars 2011 est à rejeter comme non fondé.
Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 39 de la loi du 29 août 2008.
Il fait valoir que si une demande d’autorisation de séjour devait en principe être introduite avant l’entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, l’étranger séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois pourrait dans des cas exceptionnels être autorisé à introduire sa demande auprès du ministre s’il rapportait la preuve qu’il remplirait toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise et si le retour dans son pays d’origine constituerait pour lui une charge inique. Il estime ainsi qu’il aurait eu le droit de faire sa demande d’autorisation de séjour, alors qu’il séjournait régulièrement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. En outre, au vu des persécutions qu’il risquerait de subir, en cas de retour dans son pays d'origine, tout retour constituerait pour lui une charge inique. Il soutient en plus remplir toutes les conditions prévues à l’article 42 de la loi du 29 août 2008 en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, tout en précisant qu’il n’aurait pas porté atteinte à la priorité d’embauche dont bénéficieraient certains travailleurs.
Aux termes de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au jour de la décision litigieuse :
« (1) La demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1 doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. L’autorisation ministérielle doit être utilisée dans les quatre-vingt-dix jours de sa délivrance.
(2) Dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s’il rapporte la preuve qu’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise, et si le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique.
(3) Par dérogation au paragraphe (1) qui précède, le bénéficiaire d’une autorisation de séjour supérieure à trois mois, à l’exception des personnes visées à la sous-section 4 et sans préjudice de l’article 59, peut avant l’expiration de son titre de séjour faire la demande en obtention d’une autorisation à un autre titre auprès du ministre, s’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie qu’il vise. » Le moyen tiré d’une violation de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 est inopérant étant donné, tel que le soutient à juste titre le délégué du gouvernement, le demandeur n’a pas introduit de demande d’autorisation de séjour au Luxembourg, de sorte qu’il ne saurait rentrer dans le champ d’application de la disposition légale précitée qui prévoit dans des cas exceptionnels l’introduction d’une demande d’autorisation de séjour lorsque l’étranger se trouve déjà sur le territoire. En effet, la décision de refus de séjour a été prise à la suite d’un rapport de la police grand-ducale de …, unité CP de …, du 24 février 2011, et non pas à la suite d’une demande d’autorisation de séjour introduite par le demandeur.
Quant à l’affirmation du demandeur qu’il remplit toutes les conditions d’attribution pour se voir accorder une autorisation de séjour en vue d’une activité salariée sur la base de l’article 42 de la loi du 29 août 2008, outre que cette affirmation reste à l’état de simple allégation, force est encore au tribunal administratif de constater qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le demandeur aurait formulé une demande d’autorisation de séjour sur cette base.
Il suit de ce qui précède que le moyen tiré d’une violation de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 est à rejeter comme non fondé.
Le demandeur invoque en dernier lieu une violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008 au motif que le ministre n’aurait pas tenu compte dans la décision litigieuse des critères prévus dans ladite disposition. Il donne à considérer qu’il vivrait au pays avec sa sœur et son beau-frère depuis le 1er juillet 2010, qu’il n’aurait commis aucune infraction au Luxembourg, et que dès son arrivée au pays, il se serait mis à la recherche d’un emploi afin de s’intégrer dans la société luxembourgeoise. Il souligne finalement l’absence d’attaches avec son pays d’origine dans lequel il ne pourrait pas retourner sous peine de mettre sa vie en danger, ce qui aurait d’ailleurs été reconnu par les autorités compétentes italiennes puisqu’elles lui auraient reconnu la qualité de réfugié politique.
L’article 103 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au jour de la décision litigieuse, disposait en son premier alinéa qu’« avant de prendre une décision de refus de séjour, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour ou une décision d’éloignement du territoire à l’encontre du ressortissant de pays tiers, le ministre tient compte notamment de la durée du séjour de la personne concernée sur le territoire luxembourgeois, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans le pays et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ».
Cette disposition ne prévoit pas l’obligation pour le ministre d’exposer en détail la démarche qu’il est amené à effectuer au regard des éléments qu’il est tenu de vérifier et qui sont énumérés à l’article 103 susvisé, tenant plus particulièrement à sa situation personnelle, familiale et sociale, ainsi qu’à son degré d’intégration dans le pays d’accueil et à l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, sauf l’hypothèse où la présence de l’intéressé sur le territoire constitue une menace pour l’ordre ou la sécurité publics, mais il suffit qu’il soit possible de retracer sa démarche au plus tard au niveau du contrôle juridictionnel à opérer En l’espèce, il se dégage du libellé même de la décision critiquée que le ministre a pris en compte les éléments énumérés à l’article 103 de la loi du 29 août 2008, mais encore que le délégué du gouvernement a fourni en cours de procédure contentieuse des explications supplémentaires de nature à démontrer quels éléments le ministre a pris en compte et a justifié les raisons pour lesquelles le ministre a estimé que ces éléments n’étaient pas de nature à constituer un obstacle à la prise de la décision de refus de séjour litigieuse.
En l’occurrence, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement a relevé que ni l’âge du demandeur, âgé de 24 ans à la date de la décision litigieuse, ni la durée de son séjour au pays depuis le 1er juillet 2010, soit une durée assez courte, ni son état de santé, ni encore sa situation familiale ou économique n’empêchaient le ministre de prendre la décision de refus de séjour en question. Au vu de la courte durée de séjour au pays, le demandeur ne saurait raisonnablement se prévaloir de la formation d’attaches au pays. Quant à l’absence d’attaches avec son pays d’origine et le danger que le demandeur encourrait, en cas de retour en RDC, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement retient que ces considérations ne sont pas pertinentes au regard du fait que le demandeur bénéficie du statut de réfugié en Italie. Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il ne constituerait pas un danger pour l’ordre public, elle est également à rejeter comme non pertinente, étant donné que la décision de refus de séjour litigieuse n’a pas été prise pour des raisons d’ordre public.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008 est à rejeter comme non fondé.
Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, il y a lieu de rejeter le recours en annulation comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 7 février 2012 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 07.02.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 6