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01/02/2012 | LUXEMBOURG | N°28633

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 février 2012, 28633


Tribunal administratif N° 28633 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2011 1re chambre Audience publique du 1er février 2012 Recours formé par Monsieur …et consorts, Luxembourg contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28633 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2011 par Maître Nicky Stoffel,

assistée de Maître Christian Barandao-

Bakele, tous les deux avocats à la Cour, inscr...

Tribunal administratif N° 28633 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2011 1re chambre Audience publique du 1er février 2012 Recours formé par Monsieur …et consorts, Luxembourg contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28633 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2011 par Maître Nicky Stoffel, assistée de Maître Christian Barandao-

Bakele, tous les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), et de son épouse, Madame …, née le … à … (Serbie), agissant tant en leur nom propre qu’en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs …, née le … à … (Serbie), …, né le … à … (Serbie) et …, né le …à … (Serbie), tous de nationalité serbe, demeurant ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 avril 2011 rejetant leur demande en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondée et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 août 2011 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Katrin Djaber Hussein, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Mathekowitsch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 janvier 2012.

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En date du 10 février 2011, Monsieur …et son épouse, Madame … introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Monsieur et Madame… furent entendus séparément en date du 2 mars 2011 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur les motifs à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 18 avril 2011, envoyée par lettre recommandée en date du 29 avril 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur …et Madame… de ce que leur demande avait été rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 10 février 2010.

Il ressort du rapport du service de Police Judiciaire du 10 février 2011 que vous êtes tous en possession de passeports et que vous êtes venus à Luxembourg de manière légale en passant par la Hongrie.

En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères datés du 2 mars 2011.

Monsieur, vous prétendez être rom de Serbie et avoir vécu à Vranje. Vous racontez avoir séjourné en Suède entre le 4 octobre 2010 et le 15 décembre 2010. Vous y auriez déposé une demande de protection internationale, demande qui aurait été rejetée faute de preuves.

Vous précisez ne pas avoir eu droit à une assistance judicaire, en Suède celle-ci ne serait possible qu'après la décision statuant sur la demande de protection internationale.

Vous auriez gagné votre vie par le ramassage de cartons et de ferraille. Vous racontez avoir vécu dans une baraque à Belgrade en intermittence avec Vranje où vous auriez une maison à trois étages.

Vous racontez être membre depuis environ quatre ans d'un parti dénommé « G17 Plus ». Vous auriez appris qu'en adhérant à ce parti cela vous donnerait des facilités pour trouver un emploi. Vous auriez eu pour fonction de chercher de nouveaux adhérents pour le compte du parti. A Vranje vous auriez réussi à faire adhérer 200 familles. Le parti aurait promis de donner 1000 euros à chaque nouveau membre, de sorte que les membres vous réclameraient désormais cet argent. Seuls 23 euros par personne auraient été attribués au lieu des mille euros prévus initialement. Vous auriez même été menacé par des gens en raison de cette histoire d'argent. Vous précisez qu'à votre retour de Suède vous n'auriez pas osé aller à Vranje, vous seriez resté à Belgrade. Vous racontez que pendant votre séjour en Suède, trois personnes se faisant passer pour vos cousins seraient venus se renseigner auprès de voisins sur l'endroit où vous vous trouviez. Vous auriez eu peur en apprenant cela et auriez vendu les bijoux de votre femme pour venir à Luxembourg.

Vous vous plaignez également de discriminations à l'égard des roms. Vous racontez que vous n'auriez pas obtenu la place de chauffeur d'ambulance en raison de votre ethnie rom.

Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous indiquez avoir déposé une demande de protection internationale en Suède sur base des mêmes motifs que ceux invoqués dans le cadre de la présente demande, à savoir des menaces de la part de trois personnes à l'encontre de votre mari. Vous racontez aussi qu'une semaine avant votre départ pour la Suède, les trois individus qui rechercheraient votre mari vous auraient violée une fois que votre mari aurait été absent. Vous ajoutez que vos enfants seraient maltraités à l'école en raison de leur appartenance à la communauté rom.

Madame, Monsieur, sachez que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En premier lieu, les trois individus qui vous menaceraient, Monsieur, et qui vous auraient violée, Madame, sont des personnes privées qui ne sauraient être considérées comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. En application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas des rapports d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection. D'autant plus que vous n'avez à aucun moment réclamé la protection des autorités, de sorte qu'il n'est pas établi que si vous vous étiez adressés aux autorités serbes suite aux problèmes rencontrés, elles auraient refusé leur protection. Surtout concernant le viol, à le supposer réel, cet acte est une infraction grave de droit commun punissable par la loi serbe de sorte que si vous vous étiez adressée aux autorités, Madame, il est très probable qu'elles auraient poursuivi les auteurs de l'infraction. En outre, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

A cela s'ajoute que vous vous plaignez, Monsieur, d'être menacé par trois individus, membres du parti « G17 Plus » en raison du fait qu'ils n'auraient pas reçu la somme de 1000 euros promise par la direction du parti, mais seulement 23 euros. Force est de constater que ce différend relève du droit commun et ne correspond à aucun des motifs de la Convention de Genève. De plus il est étonnant que ces personnes vous menacent de mort, alors que vous n'êtes que simple membre, au lieu de s'en prendre aux dirigeants du parti.

Quant à votre appartenance politique, non seulement celle-ci n'est corroborée par aucun élément probant, mais de plus en dehors du différend relatif au mécontentement de certains membres au sujet de l'argent non attribué, vous ne faites état d'aucun problème lié à vos opinions et activités politiques.

Ensuite, concernant les discriminations à l'égard de la communauté rom, elles ne sont pas d'une gravité telle qu'elles peuvent fonder à elles seules une demande en obtention d'une protection internationale. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution.

S'agissant d'ailleurs de ce sentiment d'insécurité, il convient de souligner que depuis la chute du régime Milosevic, la situation des minorités s'est fortement améliorée en Serbie.

Ainsi, parallèlement à l'adoption de la loi sur la protection des minorités nationales en 2002, les Roms ont été reconnus en tant que groupe ethnique. Aussi, la nouvelle constitution serbe de novembre 2006, interdit toute forme de discrimination directe et indirecte de membres de communautés ethniques et autres ou de minorités. Les actes de discriminations contre les minorités sont donc considérés comme étant illégaux. A côté des dispositions constitutionnelles, des lois interdisent explicitement la discrimination des minorités ethniques.

En mars 2009, une loi anti-discrimination a été promulguée et un commissaire à l'égalité des chances a été mis en place début 2010. On peut donc en conclure que la Serbie est un Etat multiethnique dont la politique intérieure est stable et qui proscrit les discriminations. Selon les documents consultés, toutes les minorités nationales jouissent aujourd'hui en Serbie des mêmes droits que les citoyens serbes. Ainsi, par exemple vous avez pu obtenir un passeport de la part des autorités serbes.

En ce qui concerne plus généralement la situation des Roms en Serbie, il résulte de nos recherches que, s'il est vrai qu'il existe encore dans l'esprit des populations des clichés négatifs vis-à-vis des Roms, les difficultés ou discriminations dont ils pourraient faire l'objet ne sont pas d'une intensité telle qu'elles constituent des persécutions au sens de la Convention de Genève. A cet effet, il convient de citer les conclusions d'un rapport autrichien : « Serbien hat seit dem Jahre 2000, also nach dem Sturz Milosevic's stufenweise ein normatives und institutionnelles Rahmenwerk zur Verbesserung der sozio-ökonomischen Situation der Roma in Serbien errichtet. Die gesetzlichen Rahmenbedingungen, die Serbien zur Frage der Roma Integration eingeführt hat, sind eine umfassende Mischung nationaler und internationaler Gesetze, wobei zahlreiche internationale und regionale Menschenrechtsabkommen ratifiziert und in nationales Recht übernommen wurden …. D.h, man kann den serbischen Behörden, der serbischen Regierung keinesfalls den Willen absprechen, sich um die Anliegen der Roma und deren vordringlichsten Probleme zu kümmern". A cet effet, il est aussi intéressant de citer les conclusions de ('Operational Guidance Note Serbia de la UK Border Agency qui ne nie certes pas les discriminations sociales vécues par les Roms, mais: «However, in general this discrimination does not amount to persecution and the authorities are willing to offer sufficiency of protection although the effectiveness of this protection may be limited by the actions of individual police officers/government officials… Therefore the majority of claims from this category are unlikely to qualify for a grant of asylum or Humanitarian Protection and are likely to be clearly unfounded.

Pour finir, non seulement la Suisse, la France et l'Autriche considèrent la Serbie comme un pays d'origine sûr, mais aussi le Luxembourg vient de rajouter la Serbie dans sa liste des pays d'origine sûrs par un règlement Grand-ducal daté du 1 er avril 2011.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande, à savoir des menaces de la part de trois individus, ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, il n'existe aucun motif sérieux et avéré qui nous permet de penser que vous risquiez réellement en cas de retour de subir des traitements inhumains ou dégradants. En outre, notons que vous n'avez été condamné à aucune peine et que la Serbie ne connaît à l'heure actuelle pas de conflit armé. Par conséquent, vous ne remplissez pas les critères prévus à l'article 37 de la loi précitée.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.

La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente.

Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d'irrecevabilité.

Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n'interrompt pas les délais de la procédure ».

Par une requête déposée le 18 mai 2011 au greffe du tribunal administratif, Monsieur …et son épouse, Madame … ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision ministérielle précitée du 18 avril 2011 portant refus de leur demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans le même décision.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir qu’ils seraient originaires de Serbie et appartiendraient à l’ethnie des Rom. Etant donné qu’il n’aurait pas trouvé de travail légal, Monsieur …aurait gagné sa vie en ramassant des cartons pour le recyclage. Ainsi, il aurait partagé sa vie entre Belgrade où se serait déroulé l’essentiel de ses activités et Vranje où sa famille aurait habité. A Vranje, il aurait habité dans une baraque insalubre dénuée d’un minimum de condition pour vivre. Membre du parti « G 17 plus », il aurait espéré trouver un travail tel que les instances du parti l’auraient promis. Au sein du parti, sa fonction aurait été de recruter des nouveaux adhérents pour le compte du parti, contre la promesse d’un pécule de 1.000 €. En usant de ce moyen de persuasion, il serait parvenu à faire adhérer 200 nouveaux membres dans la localité de Vranje. Or, malheureusement, les dirigeants du parti n’auraient alloué que 23 € aux nouveaux adhérents et ces derniers l’auraient rendu responsable de cet état de fait. Il aurait dès lors reçu des menaces qui l’auraient contraint à fuir Vranje pour, dans un premier temps, déposer une demande d’asile en Suède ensemble avec sa famille. De retour de Suède, il n’aurait plus osé s’installer à Vranje et se serait installé à Belgrade de peur des menaces proférées à son encontre. Cependant, certains individus seraient venus à Belgrade à la nouvelle adresse des demandeurs afin de trouver Monsieur …, de sorte qu’ils n’auraient alors eu pas d’autre choix que de quitter le pays. Madame… relate qu’une semaine avant leur départ pour la Suède, trois individus à la recherche de son mari seraient pénétrés dans la maison familiale et l’auraient violée. Elle ajoute que leurs enfants seraient discriminés à l’école en raison de leur appartenance à l’ethnie rom.

En droit, les demandeurs font valoir que Monsieur …n’aurait pas pu trouver du travail en raison de son origine rom malgré le fait qu’il aurait une formation de chauffeur d’ambulance. Les demandeurs contestent la conclusion du ministre que les raisons qui les auraient poussées à s’exiler se traduiraient plutôt en un sentiment général d’insécurité qu’une crainte fondée de persécution dans la mesure où ce seraient les menaces précises accompagnées de visites inquiétantes au domicile des requérants qui auraient été décisives pour s’enfuir. D’autre part, comme relaté, Madame… aurait dû subir un viol ce qui ferait que la crainte fondée de persécution serait avérée.

Les demandeurs contestent par ailleurs la conclusion du ministre que le récit présenté ne présenterait pas un caractère de gravité suffisant de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié ou de toute autre forme de protection subsidiaire. A cet égard, ils font valoir que les individus qui les auraient persécutés auraient été persuadés de ne pas être appréhendés par la police en raison de l’origine ethnique de leurs victimes. Ainsi, bénéficiant de la passivité des autorités, ces personnes devraient être considérées comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006. D’autre part, il ne serait pas étonnant que Monsieur …aurait subi des menaces du fait de l’argent non attribué par le parti « G 17 plus » dans la mesure où les nouveaux adhérents ainsi dupés devraient probablement considérer que ce serait Monsieur …qui aurait dû détourner la somme qui leur aurait été promise.

Quant à la situation générale des Rom en Serbie, les demandeurs font état d’un communiqué de l’agence d’immigration suédoise qui estime que la plupart des Rom ayant demandé asile en Suède auraient vécu dans des conditions misérables et seraient discriminés.

Ils relatent encore que dans la ville de Nis, une cinquantaine de maisons auraient été démolies en avril 2009 et leurs occupants, appartenant à l’ethnie des Rom, auraient dû abandonner les lieux. Lorsque l’administration de la ville aurait installé des containers pour les loger dans un village à la périphérie de Belgrade, les habitants de ce village auraient immédiatement bloqué l’accès aux routes et ils auraient demandé à ce que les containers soient enlevés, menaçant même de mettre le feu aux voitures si les Rom venaient s’y installer. Cette attitude de la population démontrerait le rejet dont elle ferait preuve vis-à-vis de la minorité rom et par ricochet des discriminations et humiliations subies par l’ensemble des membres de cette minorité.

D’autre part, le 1er octobre 2010 Amnesty International aurait fait état d’expulsions forcées par les autorités de Belgrade d’une communauté rom vivant dans des habitations précaires dans un quartier appelé Belville. Selon les informations reçues par Amnesty International, la ville de Belgrade, qui serait entrain d’élaborer un projet de réinstallation pour les habitants de Belville, n’aurait communiqué aucune date d’expulsion aux Rom pourtant premiers visés et ne les aurait même pas consultés au sujet du projet de réinstallation ou de solution de relogement. Ainsi, il ressortirait clairement du prédit rapport que la situation des minorités ethniques en Serbie serait toujours aussi préoccupante. Selon le même rapport, que ce soit en Serbie ou au Kosovo, les minorités subiraient toujours des discriminations et les violences interethniques n’auraient pas cessé. Au sujet de la discrimination vis-à-vis des Rom, le même rapport estimerait que ces derniers continueraient d’être victimes de discriminations notamment dans le domaine de l’accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi. Rares seraient ainsi ceux qui bénéficieraient du droit à un logement convenable. En outre, la plupart n’aurait pas de papiers d’identité et ne pourrait donc pas se faire enregistrer en tant que résident par les administrations locales.

En ce qui concerne le plan d’action destiné à mettre en œuvre la stratégie d’intégration des Rom, des Ashkalis et des Egyptiens il n’aurait toujours pas été appliqué. Les demandeurs exposent encore que parmi les femmes Rom on estimerait à environ 75 % la proportion d’analphabètes, et qu’il leur serait difficile de se protéger contre les violences domestiques et plusieurs ONG auraient dénoncé en octobre 2010 des discriminations dont seraient victimes les Rom en matière de logement. D’autre part, en juin 2010 le comité consultatif de la Convention cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe aurait souhaité que le système judiciaire se montre plus efficace face aux discriminations subies par les minorités et il aurait également demandé que des mesures soient prises pour que les Rom puissent obtenir des papiers d’identité et ne soient plus victimes des discriminations dans le domaine de l’enseignement, de l’emploi, de la santé et du logement. Du rapport précité il ressortirait également qu’à Belgrade une dizaines d’inconnus auraient agressé une personne déplacée venue du Kosovo. Atteinte d’une lésion aux poumons, cette personne aurait été conduite à l’hôpital, mais elle en serait partie plus tard de son propre chef dans la mesure où, dépourvu de papiers d’identité, elle n’aurait pas pu bénéficier d’une prise en charge médicale.

En outre, la police n’aurait pas voulu enquêter sur ce qui lui serait arrivé. Par ailleurs, trois attaques contre des Rom auraient été signalées au mois de juillet 2010, aucun des agresseurs n’aurait été traduit en justice pour ces faits.

Les demandeurs exposent ensuite que la Serbie compterait entre 450.000 et 800.000 Rom dont 30 % vivraient avec moins de 2,15 € par jour et selon certaines estimations, environ 100.000 Rom habiteraient à Belgrade dont un tiers dans quelques 147 quartiers informels.

Vivant dans des campements, c'est-à-dire sans adresse juridiquement valable, ils ne pourraient pas obtenir de permis de séjour pourtant condition essentielle pour avoir accès aux soins de santé. De plus, les Rom seraient peu nombreux à avoir le droit de s’inscrire pour chercher un emploi et ne seraient confiés qu’à des emplois subalternes ou peu valorisants, ce qui serait le cas des demandeurs. Ainsi, Monsieur …aurait du mal à trouver un emploi et ce à cause de ses origines ethniques. La discrimination à l’emploi dont seraient victimes les Rom en Serbie constituerait une persécution morale insupportable dans la mesure où l’absence d’emploi et donc de ressources financières compromettraient la dignité et l’épanouissement de tout être humain. Les demandeurs en concluent qu’ils justifieraient dans leur chef des persécutions fondées sur leur appartenance à la communauté rom au sens des articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle déférée.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que le recours serait à rejeter comme non fondé.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […]. » Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence de l’effet allégué, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leur entretien respectif, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

En effet, force est au tribunal de constater que si les demandeurs soutiennent que leur origine Rom serait à la base de leur situation sociale et économique précaire, causée la difficulté d’accéder au marché de l’emploi, aux soins et à l’éducation, ils ne fournissent que très peu d’éléments ou de précisions concrets à cet égard, de sorte que le lien entre les traitements discriminatoires dont ils auraient souffert dans leur pays d’origine et leur origine Rom n’est pas établi en l’espèce. D’autre part, si les menaces qui ont été proférées à leur égard par les nouveaux adhérents du parti politique du demandeur en raison du fait qu’ils n’ont pas reçu l’argent promis, s’appuient certes sur une toile de fond politique, c’est-à-dire le recrutement par le demandeur des nouveaux adhérents pour le parti politique dont il est membre, il n’en reste pas moins que la motivation du demandeur pour adhérer au prédit parti n’a pas été ses propres opinions politiques, mais au contraire la promesse d’un emploi.

D’autre part, la motivation pour adhérer au prédit parti des personnes menaçant les demandeurs n’a pas non plus été leurs opinions politiques, mais la promesse qu’on leur paierait 1.000.- €.

Force est dès lors au tribunal de conclure que les opinions politiques proprement parlées ne constituent pas le fondement des menaces, ni en ce qui concerne le demandeur, ni en ce qui concerne les personnes le menaçant. La même conclusion s’impose en ce qui concerne les menaces et le viol de la demanderesse, dans la mesure où ces actes, certes condamnables sont à qualifier d’infractions de droit commun en l’absence de toute coloration raciale ou politique. En effet, les actes dont la demanderesse a été victime ont été motivés par le fait que les auteurs de ces actes ont estimé que le demandeur aurait gardé pour lui-même une large partie de la somme qu’il leur avait promis.

Il suit des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel de l’instruction de l’affaire, les faits dont font état les demandeurs ne sont pas à qualifier de persécution au sens de la Convention de Genève dans la mesure où ils ne sont ni liés à l’appartenance ethnique des demandeurs, ni à leurs opinions politiques.

Finalement, en ce qui concerne la situation générale des Rom en Serbie, force est de constater que si la situation reste certes à l’heure actuelle encore précaire, les autorités serbes ont entrepris des efforts pour améliorer les conditions de vie de la population Rom, notamment par l’adoption d’une loi contre les discriminations en mars 2009 et l’adoption d’une stratégie pour l’amélioration de la situation des Rom.

Ainsi, il ne ressort ni des éléments du dossier, ni des arguments des parties que la situation générale des Rom en Serbie serait telle que tout membre de la minorité Rom peut valablement se prévaloir des raisons de craindre d’être persécuté du seul fait de son origine ethnique.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne, ne pouvant pas, ou compte tenu de ce risque, n’étant pas disposé à se prévaloir de la protection de ce pays. » L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteinte grave, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; les menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Le tribunal constate que les demandeurs ne formulent aucun moyen spécifique à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, de sorte qu’il y a lieu de considérer qu’ils entendent en substance se prévaloir des mêmes faits et motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, ces derniers restent en défaut d’établir qu’en cas de retour en Serbie, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Il se dégage de tout ce qui précède et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a, aux termes de l’analyse de la situation des demandeurs, déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 18 avril 2011 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Si les demandeurs introduisent un recours en annulation contre la décision portant ordre de quitter le territoire à leur égard, force est au tribunal de constater qu’ils ne présentent aucun moyen propre à ce recours.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.

Il découle de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006 que l’ordre de quitter le territoire constitue une conséquence légale et automatique de la décision de refus de protection internationale. Ainsi, à défaut de moyens spécifiques présentés à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire, il y a lieu de conclure que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 18 avril 2011 portant refus de protection internationale ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er février 2012 par :

Marc Sünnen, vice-président, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3.2.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 28633
Date de la décision : 01/02/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-02-01;28633 ?

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