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13/01/2012 | LUXEMBOURG | N°29486

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 janvier 2012, 29486


Tribunal administratif N° 29486 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2011 3e chambre Audience publique extraordinaire du 13 janvier 2012 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 29486 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2011 par Maît

re Nicky Stoffel, avocat à la Cour, assistée de Maître Christian Barandao-Bakele, avocat...

Tribunal administratif N° 29486 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2011 3e chambre Audience publique extraordinaire du 13 janvier 2012 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 29486 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2011 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, assistée de Maître Christian Barandao-Bakele, avocat à la Cour, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), Madame …, née le … à …, agissant en leur nom propre et au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, née le … à … (Serbie) et …, né le … à …, tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 28 octobre 2011 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 28 octobre 2011 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2011 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian Barandao-

Bakele et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 janvier 2012.

Le 14 octobre 2011, Monsieur … et Madame …, agissant en leur nom propre et au nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

En date du même jour, les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

En date du 19 octobre 2011, Monsieur … et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 28 octobre 2011, notifiée aux intéressés par courrier recommandé du 3 novembre 2011, le ministre informa les consorts … qu’il avait été statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que leur demande avait été refusée comme non fondée. Ladite décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée(sic) auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 14 octobre 2011.

En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de vos demandes de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » b) « il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » c) « le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi; ».

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 octobre 2011, ainsi que les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 19 octobre 2011.

Il ressort de votre dossier que vous êtes en possession de passeports serbes établis le 3 septembre 2010 à Vranje desquels il ressort que votre dernière entrée en territoire communautaire date du 1er octobre 2011. Par ailleurs, des recherches policières ont révélé que vous avez déposé une demande d'asile en Suède en date 5 octobre 2010. Selon vos passeports, vous auriez été rapatriés en Serbie le 27 janvier 2011.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Serbie en raison de problèmes financiers et politiques.

Au sujet de vos problèmes financiers, vous indiquez que lors d'un contrôle financier au marché, sur lequel vous auriez vendu des jeans et des baskets, on vous aurait confisqué toute la marchandise car vous n'auriez pas eu d'autorisation de vente. Puis, vous n'auriez plus pu rembourser la personne, s'appelant …, qui vous aurait prêté les jeans et baskets afin de le vendre. … vous aurait visité chez vous afin de demander l'argent, il aurait tapé votre femme et vous et il aurait exprimé des menaces de mort à l'encontre de vous et de votre famille. Vous ne seriez pas allé chez la police car en cas de plainte, vous seriez fautif vu que vous devez de l'argent à …. Vous pensez que ce … appartiendrait à la mafia. Vous mentionnez aussi le fait que des gens qui passent dans la rue jettent des bouteilles ou des pierres sur votre maison. Vous seriez allé chez la police et elle vous aurait dit qu'elle fera des patrouilles. En cas de retour en Serbie, vous pensez que vous devriez rembourser la somme de 13000 euros, mais faute de moyens, vous estimez que vous seriez tué.

Quant aux problèmes politiques, vous dites que le fait que des personnes jettent des bouteilles sur votre maison constitue un problème politique, vu que la police ne réagirait pas.

Madame, vous confirmez les dires de votre concubin. Vous ajoutez qu'à cause des frappes que vous auriez reçues, vous ne pourriez plus vous asseoir. Toutefois, vous ne seriez pas allée à l'hôpital. Vous indiquez que des Serbes et des Albanais vous insulteraient de gitans et vous cracheraient dessus à chaque fois que vous vous promenez avec votre mari.

Madame, Monsieur, force est de constater que les faits exposés lors de vos entretiens respectifs ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, il ressort très clairement de vos déclarations que vous auriez quitté la Serbie pour des raisons financières et privées. En effet, vous dites ne pas avoir suffisamment de moyens financiers pour rembourser la somme de 13000 euros à la personne qui vous aurait prêté de la marchandise pour la vendre. Ces faits ne sont pas couverts par la Convention de Genève car vous n'êtes pas persécutés de façon générale, ni à cause de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques.

Par ailleurs, le fait que cette personne vous demanderait de lui rembourser ne semble que logique. De plus, le fait qu'il vous aurait menacé considère (sic) un délit de droit commun, commis par une personne privée du ressort des autorités de votre pays et punissable en vertu de la législation serbe. Ainsi, le fait que des personnes, dont vous ignoreriez l'identité, vous insulteraient et jetteraient des bouteilles sur votre maison, constitue de même un délit de droit commun et ne saurait également pas être considéré comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 ou de la loi modifiée du 5 mai 2006.

Or, tous ces motifs sont sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et par conséquent il apparaît clairement que vous ne remplissez pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Ainsi, vous ne faites pas état de persécutions personnelles et avérées.

A cela s'ajoute que selon l'article 1 (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre pays d'origine, la Serbie doit être considérée comme pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la prédite loi, les conditions du point c) de l'article 20§1 étant donc également remplies.

Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation de vos demandes de protection internationale, des raisons économiques ou personnelles ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes tous dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Serbie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2011, les consorts … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 28 octobre 2011 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs estiment que les faits relatés par eux seraient pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions pour bénéficier du statut de réfugié. A cet égard, ils soulignent qu’ils auraient été obligés de quitter leur pays d’origine en raison de persécutions y subies, d’une part, de la part d’un dénommé … et, d’autre part, de la part d’autres citoyens serbes non identifiés qui seraient sûrs de leur impunité.

Les demandeurs reprochent encore au ministre de ne pas expliquer en quoi il apparaîtrait qu’ils ne remplissent clairement pas les conditions pour bénéficier de la protection internationale. Ils donnent à considérer avoir constamment été persécutés par le dénommé …, par le biais de menaces de mort et d’agressions physiques, ce qui les aurait empêchés de mener une vie normale. Pareillement, des citoyens serbes auraient jeté des pierres et des bouteilles sur leur maison en raison de leur origine rom.

Ces traitements seraient assimilables à des traitements inhumains et dégradants conformément à l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.

Les demandeurs soulignent encore que leur famille devrait être considérée comme un groupe social persécuté au sens de l’article 2 c) et de l’article 32 (l) d) de la loi du 5 mai 2006, dans la mesure où ils partageraient « une caractéristique innée ou une histoire commune ne pouvant être modifiée ».

D’autre part, en raison de l’inertie des pouvoirs publics en Serbie, le dénommé … et les autres agresseurs serbes répondraient à la définition d’auteur de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006.

Enfin, les demandeurs, tout en admettant que la Serbie est considérée comme étant un pays d’origine sûr, soutiennent que ce constat devrait faire l’objet d’une évaluation régulière compte tenu des indications factuelles données par les demandeurs d’asile et par les organisations non gouvernementales. A cet égard, ils font état d’un rapport de 2011 d’Amnesty International sur la Serbie.

Les demandeurs concluent ainsi qu’aucun élément concret n’aurait autorisé le ministre de statuer sur leur demande dans le cadre de la procédure accélérée.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

En l’espèce, il se dégage de la décision ministérielle attaquée et des explications du délégué du gouvernement que la décision d’examiner la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée est fondée sur les points a), b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, qui dispose que : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».

Cette disposition prévoit ainsi différents cas de figure dans lesquels le ministre peut statuer dans le cadre de la procédure accélérée, étant précisé que ces trois cas de figure sont alternatifs, de sorte qu’il suffit que l’un des cas soit vérifié pour que le ministre puisse faire application dudit article 20 (1).

Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.

Il convient de rappeler que par règlement grand-ducal du 1er avril 2011, la Serbie a été ajoutée à la liste des pays d’origine sûrs établie par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006.

Aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un pays désigné pays d’origine sûr est considéré comme un pays d’origine sûr pour le demandeur qui possède la nationalité de ce pays ou qui y avait précédemment sa résidence habituelle.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que tant le demandeur que la demanderesse ont la nationalité serbe et qu’ils ont habité en Serbie.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a considéré que les demandeurs, en provenant de la Serbie, sont originaires d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

Cette conclusion n’est pas énervée par les explications fournies par les demandeurs sur la situation régnant en Serbie et tendant à conclure que leur pays d’origine ne constituerait pas un pays d’origine sûr malgré la circonstance qu’il figure sur la liste précitée des pays d’origine sûrs. En effet, les informations contenues dans le rapport d’Amnesty International de l’année 2011, auxquelles les demandeurs se réfèrent de manière vague et non circonstanciée ne permettent pas de retenir qu’en ce qui concerne les Rom installés en Serbie, ce dernier pays ne pourrait pas être qualifié de pays d’origine sûr, le simple fait que des campements, le cas échéant, illégaux aient été évacués par les autorités ne pouvant aboutir à une telle conclusion.

Il suit partant des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu retenir que les demandeurs proviennent d’un pays d’origine sûr par application de l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et dans la mesure où le tribunal vient de constater que les conditions énumérées au point c) dudit article sont remplies en l’espèce, le ministre a valablement pu statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner à ce stade de la procédure si les conditions des points a) et b) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 étaient remplies en l’espèce.

Le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs exposent qu’ils auraient été menacés par un dénommé … à qui ils devraient de l’argent.

D’autre part, ils font état d’agressions répétées de la part de citoyens serbes qui jetteraient, en raison de leur origine rom, des pierres et des bouteilles sur leur maison, sans que la police ait réagi.

Ils soulignent que les Rom vivant en Serbie seraient confrontés à des préjugés, à l’intolérance, à la discrimination et à l’exclusion sociale en s’appuyant à cet égard sur le rapport d’Amnesty International de 2010 sur la Serbie et une communication de la Commission européenne du 5 avril 2011, notamment relativement à la question de l’accès aux soins. Pareillement, ils font état de difficultés d’accès à l’emploi des Rom. En faisant état d’un rapport d’Amnesty International intitulé « Home is more than a roof over your head : Stop forced evictions of Roma in Serbia », ils déplorent les conditions de vie des Rom en Serbie.

Par rapport à leur récit particulier, les demandeurs estiment que les faits exposés par eux constitueraient des motifs suffisants pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Ils soulignent que même si la dette envers le dénommé … relevait d’un litige d’ordre privé, la nature de ce litige changerait dès lors que pour récupérer sa créance le dénommé … entreprendrait de les agresser physiquement et les menacerait de mort sans se soucier de l’intervention du pouvoir public. D’autre part, le fait que leur maison aurait fait l’objet de jets de pierres et d’autres projectiles en raison de leur origine rom constituerait une persécution motivée par des considérations tenant à leur origine ethnique.

Ils concluent que face à l’impossibilité et au défaut de volonté des autorités serbes de leur offrir une protection, tant le dénommé … que les auteurs des jets de pierres devraient être considérés comme des auteurs de persécution.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale» se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et en vertu de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

En ce qui concerne tout d’abord les difficultés dont font état les demandeurs en rapport avec un dénommé …, force est de constater qu’il se dégage de leurs explications qu’ils sont menacés par ce dernier en raison du fait qu’ils avaient emprunté des vêtements à ce dernier pour les revendre sur un marché et qu’après que ces vêtements aient été confisqués en raison du fait que le demandeur ne disposait pas d’autorisation pour vendre ces vêtements, ils auraient été dans l’impossibilité de rendre les vêtements, respectivement d’en payer le prix.

Or, ces difficultés constituent des problèmes purement privés qui ne sauraient être rattachés à l’un des critères de persécutions tels que prévus par l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006. Il s’ensuit que ces difficultés ne tombent pas sous le champ d’application de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Les affirmations des demandeurs suivant lesquelles ils auraient été visés en tant que famille, qui devrait être considérée comme groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, sont à rejeter comme n’étant pas fondées. En effet, il se dégage clairement des explications fournies par les demandeurs que l’origine des menaces du dénommé … réside dans la circonstance qu’ils sont dans l’impossibilité de payer une dette que le dénommé … revendique à leur égard sans que ses menaces soient provoquées par la circonstance qu’ils appartiennent à un certain groupe social.

En ce qui concerne les agressions dont font état les demandeurs de la part de citoyens serbes, qui seraient provoquées par leur origine rom, s’il peut être admis que les membres de la communauté rom sont exposés à des discriminations et à des conditions de vie précaires, il ne ressort toutefois ni des arguments développés par les demandeurs, ni des éléments du dossier que cette situation générale soit telle que tout membre de la minorité rom en Serbie peut se prévaloir de raisons de craindre d’être persécuté du seul fait de cette origine ethnique.

Il se dégage des explications fournies par le délégué du gouvernement, confirmées par les sources internationales dont il fait état, que les autorités serbes ont entrepris des efforts pour améliorer le sort et la condition de la population rom. Pareillement, la Serbie a été reconnu comme pays d’origine sûr.

Ce constat quant à la situation des Rom en Serbie n’est pas énervé par les observations des demandeurs à cet égard, étant précisé qu’ils n’ont versé en cause aucun document, tels les rapports internationaux invoqués par eux dans la requête introductive, ni n’ont-ils fourni les références exactes des sources à la base des extraits cités dans la requête. Or, il y a lieu de rappeler à cet égard que la simple invocation de rapports faisant état de manière générale de discriminations ou de violations des droits de l’homme dans un pays ne suffit pas à établir que tout ressortissant de ce pays a des craintes fondées de persécutions. Il appartient au demandeur d’une protection internationale de démontrer concrètement qu’il a personnellement des raisons de craindre d’être persécuté. Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas soumis au tribunal des éléments suffisants de nature à contredire l’appréciation faite par le ministre sur la situation générale de la minorité rom en Serbie, étant rappelé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des demandeurs et d’instruire le dossier à leur place.

La seule citation d’extraits de rapports, voire l’affirmation que tel ou tel incident serait documenté dans un rapport, sans fournir les pièces afférentes ou du moins les références afférentes afin de permettre un débat contradictoire, ne sont pas suffisants pour soutenir la thèse des demandeurs.

Dès lors, les éléments d’appréciation à la disposition du tribunal ne lui permettent pas de considérer que la situation de la minorité rom en Serbie soit telle que tout membre de cette communauté a des raisons de craindre des persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006 du seul fait de son origine ethnique.

Quant aux agressions dont les demandeurs auraient été victimes, à défaut d’autres explications, le tribunal est amené à retenir que ceux-ci ne sont pas d’une gravité suffisante, tant pris isolément que dans leur globalité, pour pouvoir être considérées comme actes de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par les demandeurs comme non fondée.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que la demande en obtention du statut de réfugié manque de fondement, il ne dispose pas davantage d’éléments permettant d’établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que les demandeurs encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, précité. Plus particulièrement, ils n’établissent pas risquer la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Partant, le recours en réformation est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 28 octobre 2011 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de séjour.

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision de refus de la demande de protection internationale.

Le tribunal vient cependant de retenir que les demandeurs n’ont à aucun moment fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’un risque de subir des atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la même loi, de sorte que le ministre pouvait valablement assortir son refus d’accorder une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 28 octobre 2011 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée :

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 28 octobre 2011 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 28 octobre 2011 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 13 janvier 2012, à 11.00 heures, par le premier juge, délégué à cette fin, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.01.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 29486
Date de la décision : 13/01/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-01-13;29486 ?

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