Tribunal administratif Numéro 29581 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2011 2e chambre Audience publique du 9 janvier 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23, L. 5.05.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29581 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2011 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 5 décembre 2011 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique le 2 janvier 2012.
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En date du 18 octobre 2004, Monsieur …, encore connu sous le nom de …, introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, ci-après dénommée la « Convention de Genève ».
Par décision du 15 mars 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa de ce que sa demande était refusée comme non fondée.
Par jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg du 27 juillet 2007, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de trente mois du chef d’infractions à la législation en matière de stupéfiants.
En date du 20 novembre 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit un premier arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’encontre de Monsieur ….
Par arrêté du 13 juillet 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ordonna son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée d’un mois à partir de la notification, et par arrêté du même jour, ledit ministre lui opposa encore une décision de refus de séjour.
Par arrêté du 10 août 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, prorogea son placement pour une nouvelle durée d’un mois.
Le 1er septembre 2009, Monsieur … fut libéré et quitta le Grand-Duché de Luxembourg à destination du Danemark pour y introduire une nouvelle demande d’asile.
Les autorités danoises transférèrent Monsieur … vers le Luxembourg sur base des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers le 31 mars 2011.
Monsieur … fut incarcéré au centre pénitentiaire dès son transfert au Luxembourg au mois de mars 2011 pour y purger ses derniers mois de peine de prison.
En date du 7 novembre 2011, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Par décision du 5 décembre 2011, notifiée en mains propres le 6 décembre 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci après dénommé « le ministre », déclara la demande en obtention d’une protection internationale de Monsieur … irrecevable sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 suivant une décision libellée comme suit :
«J'ai l'honneur de me référer à votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 7 novembre 2011.
Il ressort de votre dossier que vous avez déposé une première demande d'asile en date du 18 octobre 2004, demande qui fût refusée par décision du 29 mars 2007. Aucun recours judiciaire n'a été introduit et vous avez été définitivement débouté de cette demande en date du 29 avril 2004. Vous aviez invoqué à la base de cette demande d'asile que vous auriez été membre du parti politique …. Un voisin, membre important du parti politique …, vous aurait dénoncé et des militaires de « l'escadron de la mort » seraient venus vous menacer en septembre/octobre 2004. Ils vous auraient prévenu que si vous n'arrêtiez pas vos activités vous seriez abattu. Depuis ce moment là vous n'auriez plus dormi à la maison et vous seriez resté caché chez des amis à … avant de quitter définitivement la Côte d'Ivoire en septembre 2004. Vous ne faites pas état d'autres problèmes.
Il y a lieu de préciser que la décision du 29 mars 2007 a relevé de nombreuses contradictions et incohérences dans vos déclarations très confuses, de sorte que des doutes sérieux ont été émis quant à la véracité de votre récit. De même, après le dépôt de votre demande d'asile le 18 octobre 2004, vous n'êtes pas venu prolonger votre attestation de demandeur d'asile, de sorte qu'un entretien concernant les motifs de cette demande n'a pas pu être fixé. Le 4 avril 2006 vous êtes tombé dans un contrôle de police. Vous vous êtes enfui en sautant par une fenêtre, vous blessant sérieusement. Vous avez été hospitalisé pendant un mois et avez ensuite disparu de l'hôpital. Vous ne vous êtes de nouveau pas présenté auprès de nos services. Finalement vous avez été arrêté pour trafic de stupéfiants et détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg depuis le 26 janvier 2007 et vous avez pu être entendu sur les motifs à la base de votre demande d'asile.
Par jugement du 27 juillet 2007 vous avez été condamné à une peine d'emprisonnement de 30 mois.
En date du 20 novembre 2007 un arrêté de refus d'entrée et de séjour a été pris à votre encontre. Le 13 juillet et le 1er septembre 2009 vous avez été mis à la disposition du gouvernement. Après votre libération vous vous êtes rendu au Danemark pour y déposer une demande d'asile. Vous avez été transféré au Luxembourg le 31 mars 2011 et vous avez été incarcéré afin de purger le restant de votre peine d'emprisonnement. Le 22 septembre 2011 le Ministère des affaires étrangères a pris une décision de retour à votre encontre, le 13 octobre 2011 un arrêté de placement en rétention a été pris, mesure qui a été prorogée le 15 novembre 2011.
Le 26 octobre 2011 vous avez déposé une demande en obtention d'un sursis à l'éloignement et d'une autorisation de séjour pour raisons médicales. Cette demande est traitée par une décision séparée.
Par courrier du 7 novembre 2011 vous sollicitez une nouvelle demande (sic) en obtention d'une protection internationale au sens de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006. Vous avez été entendu le 17 novembre 2011.
Il ressort de vos déclarations qu'en fin de compte il n'y aurait (sic) pas de nouveaux éléments à la base de votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale. Vous faites référence à votre passé au Luxembourg et au fait que vous seriez en traitement médical.
Vous seriez en situation illégale au Luxembourg. Vous contestez également votre première audition du 16 février 2007, vos déclarations auraient été mal interprétées, respectivement vos dires auraient été « rectifiés ».
La situation générale en Côte d'Ivoire ne vous permettrait également pas d'y retourner, votre vie y serait en danger. Actuellement il n'y aurait pas de gouvernement, pas d'institutions, pas de ministères, pas de Constitution. Vous ne pourriez pas dire qui a gagné les élections présidentielles ou qui est dans l'opposition. La Côte d'Ivoire ne serait pas un pays démocratique.
Il y aurait des clans, des meurtres et des pillages. Vous ne sauriez pas pour quoi ou pour qui militer et à qui faire confiance. Concrètement, vous ne faites pas état d'un danger envers votre personne. Vous faites état d'un sentiment général d'insécurité.
Votre avocat, présent lors de votre entretien, ajoute que les autorités ivoiriennes auraient été informées de votre première demande d'asile et vous demande si pour ce fait vous risqueriez un traitement inhumain au dégradant en cas de retour en Côte d'Ivoire. Vous affirmez cette question et dites que « l'ambassadeur qui est là aujourd'hui » serait le beau-frère de l'ancien président, son grand frère serait marié à la fille du président. Vous vous questionnez sur le fait pourquoi il aurait été si vite nommé. Vous dites risquer la mort en cas de retour.
Il y a d'abord lieu de constater que vos déclarations lors de l'entretien du 17 novembre 2011, entretien qui a été enregistré, restent très vagues et confuses. Quoi qu'il en soit, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
En effet, dans un premier lieu, vous soulevez être en situation illégale au Luxembourg et le fait que vous suivriez un traitement médical au Luxembourg. De même, vous contestez votre première demande d'asile. Or, le fait que vous seriez en situation illégale ne saurait être une raison pour déposer une nouvelle demande de protection internationale et jette des doutes quant à votre l'intention (sic) réelle du dépôt de cette demande. Une nouvelle demande en obtention d'une protection internationale ne saurait être utilisée pour éviter votre éloignement imminent vers la Côte d'Ivoire. Par ailleurs, le fait que vous êtes en situation illégale n'est pas un fait nouveau. Les raisons médicales invoquées, faisant objet (sic) de votre demande du 26 octobre 2011 ne sauraient également pas augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, des raisons médicales n'entrant clairement pas dans le champ d'application de la Convention de Genève de 1951 et de la loi modifiée du 5 mai 2006. Enfin, votre première demande étant dans l'état de la chose jugée (sic), vous ne pouvez plus la contester. Par ailleurs, vos contestations ne sont nullement justifiées.
Vous invoquez en deuxième lieu la situation générale régnant en Côte d'Ivoire. Vous faites état d'un sentiment général d'insécurité. Quant à cet élément, en le qualifiant de « nouveau », il convient de souligner qu'outre de devoir être « nouveau » au sens de l'article 23 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006, un élément doit encore (sic) de nature à augmenter « de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire ». Or à cet égard, la seule situation générale du pays d'origine n'est pas de nature à justifier l'octroi de la protection internationale, d'autant plus que vous ne faites pas était (sic) d'une crainte réelle et avérée. Une crainte « avec raison » d'être persécuté impliquant en effet nécessairement à la fois un élément objectif et un élément subjectif, élément subjectif qui fait manifestement défaut en l'espèce.
Enfin, ce n'est qu'après question (sic) posée par votre avocat que vous invoquez risquer la mort en Côte d'Ivoire, parce que les autorités ivoiriennes auraient été mises au courant par le Ministère des Affaires étrangères que vous auriez déposé une demande d'asile au Luxembourg en 2004. Or, ce fait est formellement contesté. En effet, aucune information de la sorte n'a été donnée aux autorités ivoiriennes. La fiche de données annexée à la demande de laissez-passer ne contient qu'un bref passage cité par la loi, mais n'indique en rien l'existence d'une telle demande d'asile déposée. Par ailleurs, le dit passage débute par la mention « En cas de demande d'asile (…) », ce qui démontre que le passage cité ne vous concerne pas forcément, alors qu'il ne s'applique qu'en cas de demande d'asile déposée. Les autorités guinéennes (sic) n'ont donc pas été informées d'une réelle existence d'une demande d'asile.
Ainsi par tout ce qui précède, il n'est pas établi qu'à l'heure actuelle vous seriez recherché en Côte d'Ivoire pour des raisons quelconques ou que vous y risqueriez la mort en cas de retour.
Au vu de toutes les constatations relevées que (sic) vous ne faites pas état de faits nouveaux ou de faits qui sauraient augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Je suis donc amené à vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
La demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable (…).».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 5 décembre 2011 déclarant irrecevable sa demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne la recevabilité du recours, il convient de relever que dans la mesure où la décision déférée déclare irrecevable la demande en obtention d’une protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 et que l’article 23 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes déclarées irrecevables, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision ministérielle attaquée.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours et avant l’examen au fond de la décision déférée, le demandeur fait valoir que ses droits de la défense n’auraient pas été respectés dans le cadre de la procédure d’audition de sa demande de protection internationale en ce qu’il ne se serait pas vu remettre ni le minidisque sur lequel son audition a été enregistrée, ni la version retranscrite de ladite audition, de sorte à ne pas avoir pu émettre ses observations dans un délai de trois semaines comme ce serait le cas lors de l’enregistrement d’auditions dans le cadre de demandes de protection internationale. Sur question afférente du tribunal à l’audience des plaidoiries, le litismandataire du demandeur a réitéré le moyen précité en invoquant la violation du principe des droits de la défense.
Le délégué du gouvernement soutient que les droits de la défense du demandeur n’auraient pas été violés au motif que lors de l’audition enregistrée qui a eu lieu le 17 novembre 2011, le demandeur aurait été assisté d’un avocat qui aurait posé des questions à la fin de l’entretien. S’y ajoute que la décision du 5 décembre 2011 aurait été notifiée en mains propres au demandeur en date du 6 décembre 2011 et qu’en l’absence du litismandataire du demandeur, ladite décision lui aurait été envoyée par télécopie le jour même à 16.59 heures. Il fait valoir qu’alors que le litismandataire du demandeur aurait réagi à cette notification en faisant état qu’il n’aurait pas reçu de copie de la transcription de l’audition, il en aurait immédiatement tiré la conclusion que son client aurait été privé du droit d’émettre ses observations sans pour autant solliciter une copie de ladite transcription, de sorte qu’il ne saurait être reproché au ministre de ne pas avoir transmis la transcription non sollicitée par le demandeur.
Il échet de constater que les modalités relatives à l’entretien d’un demandeur de protection internationale sont notamment fixées à l’article 9 de la loi du 5 mai 2006 qui dispose que « Le demandeur a le droit d’être entendu par un agent du ministre. Il a l’obligation de répondre personnellement aux convocations du ministre. Le ministre peut enregistrer, par les moyens techniques adaptés, les déclarations faites oralement par le demandeur, à condition que ce dernier en ait été préalablement informé. (…) » et « (3) Le ministre veille à ce que chaque entretien fasse l’objet d’un rapport écrit contenant au moins les informations essentielles relatives à la demande (…) ».
Il s’ensuit que le prédit article 9 prévoit notamment que le demandeur doit être entendu par un agent du ministre, que l’audition peut être enregistrée par des moyens techniques adaptés pour autant que le demandeur en ait été préalablement informé et que l’entretien fasse l’objet d’un rapport écrit contenant au moins les informations essentielles relatives à la demande.
Il échet de relever qu’il est constant en l’espèce pour ressortir des pièces versées au dossier qu’un document non daté intitulé « Retranscription de l’entretien du 17 novembre 2011 concernant la demande de protection internationale de Monsieur …, mené par Monsieur …, agent du Ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration » a été établi et signé par le dénommé ….
Il est également constant en l’espèce que l’audition du demandeur s’est passée en présence de son litismandataire.
Force est au tribunal de constater au vu des dispositions précitées de l’article 9 de la loi du 5 mai 2006, que, premièrement, l’audition du demandeur s’est déroulée en présence d’un agent du ministre, deuxièmement, si certes le support matériel sur lequel l’audition a été enregistrée par des moyens techniques adaptés n’a pas été transmis au demandeur ou à son litismandataire, il n’en reste pas moins que cette audition a fait l’objet d’un enregistrement et, troisièmement, que l’audition a fait l’objet d’un rapport écrit contenant au moins les informations essentielles relatives à la demande de protection internationale de sorte à conclure que le prescrit du prédit article 9 a bien été respecté en l’espèce. S’y ajoute qu’aucune disposition légale ne prévoit la transmission du support matériel de l’enregistrement de l’audition à un demandeur de protection internationale ou à son litismandataire. Enfin, force est au tribunal de relever que le demandeur est mal venu de soulever la violation du principe des droits de la défense en l’espèce au regard de la présence de son litismandataire lors de l’audition et du défaut de demande concernant la transmission de la dite transcription. Partant, le moyen du demandeur relatif à la violation du principe du droit de la défense est à rejeter.
Quant au fond, le demandeur explique qu’il aurait déposé une nouvelle demande de protection internationale suite à la survenance d’un élément nouveau : à savoir, la circonstance selon laquelle son statut de demandeur d’asile débouté aurait été révélé aux autorités de son pays d’origine, ce qui serait contraire tant à l’obligation de confidentialité qui incombe aux Etats signataires de la Convention de Genève, qu’aux articles 9 (6) de la loi du 5 mai 2006 ayant transposé l’article 22 de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1 er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, ci-après dénommée « la directive 2005/85/CE », qui dispose que « (…) l’entretien doit avoir lieu dans des conditions garantissant la confidentialité (…) » et 41 de la même directive.
Selon lui, le fait pour les autorités luxembourgeoises d’avoir transmis sa fiche de données personnelles datée du 17 octobre 2004 faisant explicitement référence à l’article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, aurait pour conséquence que les autorités ivoiriennes en auraient déduit qu’il serait un demandeur d’asile, circonstance qui serait de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié politique ou au statut conféré par la protection subsidiaire. Il s’appuie sur une décision du tribunal du 14 décembre 2010 portant le numéro de rôle n° 27484 ayant décidé dans une affaire similaire qu’au vu du fait que les autorités étrangères aient eu connaissance du statut de demandeur d’asile débouté du demandeur, de la circonstance que ces autorités ignoraient les raisons pour lesquelles la protection internationale fut demandée et l’absence de contestation de la part du délégué du gouvernement sur la situation dans le pays en question, que ce fait constituait un élément nouveau de nature à augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à la protection internationale. Il invoque encore à l’appui de ses propos, deux articles postés sur internet desquels il ressortirait que le HCR exhorterait à la suspension des retours forcés vers la Côte d’Ivoire dans l’attente d’une amélioration de la situation en matière de sécurité et de respect des droits humains.
Selon le délégué du gouvernement, le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et il conclut au rejet du recours. S’il confirme la transmission de la fiche de données personnelles litigieuse aux autorités ivoiriennes, il conteste formellement que lesdites autorités auraient été mises au courant qu’une demande d’asile ait été déposée par le demandeur, la fiche litigieuse ne contenant « qu’un bref passage cité par la loi ». Il poursuit en affirmant que « le dit passage débute par la mention « En cas de demande d’asile (…) », ce qui démontre que le passage cité ne concerne pas forcément le requérant, alors qu’il ne s’applique qu’en cas de demande d’asile déposée » de sorte à en conclure que les autorités ivoiriennes n’auraient pas été mises au courant de la demande de protection internationale du demandeur.
Il échet de relever que les parties sont en désaccord premièrement sur les conséquences de la transmission par les autorités luxembourgeoises de la fiche de données personnelles du demandeur aux autorités ivoiriennes au regard de l’obligation de confidentialité attachée au traitement d’une demande de protection internationale et deuxièmement sur la portée de la transmission de ladite fiche quant à la question de savoir si cette transmission a emporté connaissance par les autorités ivoiriennes du statut de demandeur d’asile débouté du demandeur, de sorte à ce qu’il y a lieu d’examiner si ce fait ou élément nouveau est de nature à augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à la protection internationale.
Premièrement, le tribunal constate que la question de savoir si la partie étatique était soumise à une obligation de confidentialité aux termes de la Convention de Genève, de l’article 9 de la loi du 5 mai 2006 et des articles 22 et 41 de la directive 2005/85/CE tels qu’invoqués par le demandeur et si le cas échéant elle a respecté ou violé ladite obligation, constitue une question n’ayant pas trait à la légalité de la décision déférée, mais, éventuellement, à la responsabilité de l’Etat et qui est partant étrangère à la compétence du tribunal administratif.
Deuxièmement, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 :
« (1) Le ministre considérera comme irrecevable la nouvelle demande d’une personne à laquelle la protection internationale a été définitivement refusée ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
(2) Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de 15 jours à compter du moment où il a obtenu ses informations. Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien ».
Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est dès lors conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux, et, d’autre part, comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, le demandeur devant avoir été dans l’incapacité – sans faute de sa part – de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.
En outre, le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est soumis à la condition que les éléments nouveaux dont un demandeur fait état, soient invoqués dans un délai de 15 jours à compter du moment où il en a eu connaissance.
Il y a lieu de rappeler que le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction constitue une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de la chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure.
Il convient dès lors d’analyser si les éléments soumis au cours d’une deuxième demande de protection internationale constituent effectivement des éléments nouveaux et sont susceptibles en même temps d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre des précédentes procédures.
En l’espèce, il est constant que les autorités luxembourgeoises ont transmis aux autorités ivoiriennes la fiche de données personnelles du demandeur. Il est également constant que cette transmission est à qualifier d’élément ou fait nouveau qui est apparu postérieurement à la décision qui a débouté le demandeur de sa première demande de protection internationale.
Il échet alors au tribunal d’examiner, d’une part, si la transmission de la fiche de données personnelles du demandeur a emporté connaissance par les autorités ivoiriennes du statut de demandeur d’asile débouté du demandeur et, d’autre part, si la connaissance par les autorités ivoiriennes du statut de demandeur d’asile débouté du demandeur constitue un fait ou un élément nouveau de nature à augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire selon le prescrit de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
Nonobstant le caractère peu lisible dudit document transmis, il échet de relever que ce dernier semble être rédigé dans les termes suivants, une copie plus lisible réclamée à l’Etat lors de l’audience des plaidoiries n’ayant pu être fournie :
« FICHE DE DONNEES PERSONNELLES AVIS :
En cas de demande d’asile :
Article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile :
« 1) Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » « 2) Tel est le cas notamment lorsque le demandeur a :
a) [illisible] b) Délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande après avoir demandé l’asile c) Détruit, endommagé ou faire disparaître de mauvaise foi un passeport ou tout autre document ou billet pouvant servir à l’examen de sa demande d’établir une fausse identité pour les besoins de sa demande d’asile ou d’en compliquer l’examen… » Une fiche remplie incomplètement et/ou illisible ne sera pas considérée !… [Suivent ensuite des rubriques à remplir par le demandeur]» Force est au tribunal de constater que contrairement aux affirmations du délégué du gouvernement, il est sans équivoque qu’eu égard au libellé du texte repris sur la fiche de données personnelles tel que reproduit ci-dessus énumérant les cas dans lesquels une demande d’asile est considérée comme manifestement infondée et à la circonstance que le demandeur a signé ladite fiche datée du 17 octobre 2004, les autorités ivoiriennes n’ont pu ignorer que le demandeur a introduit à ladite date une demande d’asile. S’y ajoute que ladite fiche de données a été transmise par courrier officiel du ministre aux autorités consulaires ivoiriennes en date du 4 juin 2009 rédigé en ces termes : « (…) En annexe, je vous joins la fiche de renseignements contenant les données personnelles et les photos d’identité, un jeu d’empreintes digitales de même qu’une fiche remplie par l’intéressé » ne laissant ainsi planer aucun doute sur le caractère réel de la demande d’asile du demandeur.
Il échet néanmoins de relever que nonobstant la circonstance que les autorités ivoiriennes ont eu connaissance du statut de demandeur d’asile débouté du demandeur, ce dernier reste en défaut de prouver à suffisance de droit que la connaissance par les autorités ivoiriennes de son statut de demandeur débouté constitue à lui seul un fait de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire. En effet, le tribunal rejoint l’analyse faite par le délégué du gouvernement suivant laquelle le demandeur reste en défaut de prouver que son statut de demandeur débouté est de nature à entraîner des conséquences qui pourraient lui faire prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.
A cet égard, il convient de relever que les pièces versées par le demandeur pour décrire la situation en Côte d’Ivoire ne sont pas de nature à établir que le demandeur fait état d’une crainte réelle et avérée de persécution pour la seule raison de son statut de réfugié débouté. En effet, il échet de constater que les seules pièces versées par le demandeur en vue d’appuyer son moyen visant à démontrer que la connaissance par les autorités ivoiriennes de son statut de demandeur d’asile débouté constitue à lui seul un fait de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire sont d’une part un article tiré du site www.france-terre-
asile.org du 24 janvier 2011 intitulé « Le HCR demande de suspendre les expulsions vers la Côte d’Ivoire » et d’autre part un article tiré du site www.rfi.fr intitulé « La Commission ivoirienne des droits de l’homme pointe « l’horreur et l’inhumanité » de la période post-électorale ».
Il ressort du premier article que « (…) En Europe, parallèlement, des pays ont cessé les expulsions, y compris celles des demandeurs d’asile déboutés. Le HCR publie ce matin une recommandation aux gouvernements à travers le monde les exhortant à faire de même et à suspendre tous les retours forcés vers la Côte d’Ivoire dans l’attente d’une amélioration de la situation en matière de sécurité et de respect des droits humains (…) » tandis qu’il ressort du deuxième article, par ailleurs non daté, que la Commission nationale des droits de l’homme de Côte d’Ivoire (CNDHCI) a présenté un rapport pour l’année 2010 de près d’une centaine de pages, dominé par la situation des droits de l’homme, avant et pendant l’élection présidentielle d’octobre-novembre 2010 dans lequel elle relève « « l’horreur et l’inhumanité » de la période post-électorale » et formule plusieurs recommandations à l’Etat, aux acteurs politiques et aux populations, à savoir « la lutte contre l’impunité, le respect et la protection de la liberté d’expression, la renonciation au recours à la violence comme mode d’accession ou de conservation du pouvoir, le rejet de tout esprit de vengeance et de représailles ».
Force est au tribunal de constater que si les informations reprises dans les prédits articles dont il échet de relever qu’elles ne sont pas contestées par le délégué du gouvernement, dressent certes un tableau relativement sombre de la situation humanitaire post-électorale en Côte d’Ivoire, lesdites informations auxquelles le demandeur se réfère de manière vague et non circonstanciée à l’appui de son moyen ne permettent pas de conclure, premièrement, que le statut du demandeur de protection débouté du demandeur serait de nature à lui faire craindre d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine et, deuxièmement, que la situation telle que décrite par les articles qui ont couvert la période post-électorale en Côte d’Ivoire, à savoir la période postérieure aux mois d’octobre et novembre 2010 a perduré depuis et notamment au moment de la prise de décision par le ministre de la décision litigieuse en date du 5 décembre 2011, et ce au regard de l’investiture du nouveau président de la Côte d’Ivoire, Monsieur …, au cours du mois de mai 2011.
Il s’ensuit qu’en l’espèce le ministre pouvait valablement décider que le demandeur n’a pas présenté d’élément nouveau ou fait crédible augmentant de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié et que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la nouvelle demande de protection internationale de Monsieur … comme étant irrecevable sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 5 décembre 2011 déclarant irrecevable la demande de protection internationale, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourrissier, juge et lu à l’audience publique du 9 janvier 2012 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 janvier 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 11