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05/01/2012 | LUXEMBOURG | N°27606

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 janvier 2012, 27606


Tribunal administratif N° 27606 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 décembre 2010 2e chambre Audience publique du 5 janver 2012 Recours formé par la société à responsabilité limitée de droit néerlandaise, …, … (NL) contre une décision de rejet implicite du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27606 du rôle et

déposée au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2010 par Maître Charles Duro, avocat à...

Tribunal administratif N° 27606 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 décembre 2010 2e chambre Audience publique du 5 janver 2012 Recours formé par la société à responsabilité limitée de droit néerlandaise, …, … (NL) contre une décision de rejet implicite du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27606 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2010 par Maître Charles Duro, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit néerlandais, …, représentée par son conseil de gérance actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à …, et son administration centrale à …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2006, émis le 6 mai 2009 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2011 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Charles Duro déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2011 pour compte de la société à responsabilité limitée de droit néerlandais, …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Eric Pralong, en remplacement de Maître Charles Duro, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Peffer en leurs plaidoiries respectives.

A défaut de déclaration d’impôt déposée pour l’année 2006, le bureau d’imposition Sociétés … de l’administration des Contributions Directes, désigné ci-

après par le « bureau d’imposition », procéda par voie de taxation d’office et émit à l’égard de la société à responsabilité limitée de droit néerlandais …, désignée ci-après par la « société … », le 6 mai 2009, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2006.

Le 1er juillet 2009, la société … adressa au bureau d’imposition une déclaration d’impôt pour les années 2006 et 2007, réceptionnée en date du 2 juillet 2009 par ledit bureau. Cet envoi fut accompagné d’un courrier de la part de la société … qui se lit comme suit :

« Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint un exemplaire de la déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2006 et un exemplaire de la déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2007.

Nous restons à votre entière disposition pour tout complément d’information (…) » Par courrier recommandé daté au 20 août 2009, la société … s’adressa au directeur de l’administration des Contributions directes dans les termes suivants :

« (…) Permettez-nous de vous adresser un recours hiérarchique contre le bulletin de taxation d’office émis par votre administration pour l’exercice d’imposition 2006.

Nous vous avons adressé nos déclarations fiscales au mois de juin dernier.

Mais le dernier extrait de compte fait toujours état pour 2006 d’une imposition forfaitaire d’un montant similaire aux années précédentes. Or nous avons cédé nos activités en 2005.

Nos déclarations fiscales font apparaître un profit 2006 limité à …,- EUR et à …,- EUR pour 2007.

En conséquence, nous vous prions de bien vouloir accepter notre réclamation et ajuster notre imposition. (…) ».

Par courrier répertorié sous le numéro C15350 du rôle, daté du 24 août 2009, l’administration des Contributions directes a sollicité, par application des paragraphes 107, 238 et 254 AO, la justification du pouvoir d’agir du signataire du prédit courrier du 20 août 2009 en exigeant une procuration établissant son mandat exprès et spécial pour l’instance introduite. Par courrier du 27 août 2009, la société … a produit la procuration sollicitée par l’administration des Contributions directes.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2010, la société … a déposé un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 2006, suite à la décision implicite de rejet résultant du silence de plus de six mois du directeur de l’administration des Contributions directes ayant à statuer sur les mérites d’une réclamation contre le bulletin de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 2006.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO » et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision implicite de rejet du directeur ayant à statuer sur les mérites d’une réclamation contre les bulletins de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation, et il n’y a par conséquent pas lieu de statuer sur le recours en annulation.

En ce qui concerne le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement, selon lequel l’objet de la demande ainsi que les faits et moyens invoqués ne seraient pas clairement exposés, en ce qu’aucune précision quant à l’objet exact de la contestation de la taxation litigieuse ni aucune explication concrète quant au grief subi par la société demanderesse du fait de cette taxation ne ressortirait du présent recours, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 1er, alinéa 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, une requête introductive d’instance à déposer auprès du tribunal administratif doit notamment contenir, en dehors d’un exposé sommaire des faits, les moyens invoqués à l’appui du recours.

Si en règle générale l’exception de libellé obscur admise se résout par l’annulation de la requête introductive d’instance ne répondant pas aux exigences fixées par le texte légal en question, il convient dans le cadre de la loi du 21 juin 1999 d’avoir égard à son article 29 qui dispose que « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ».

Or en l’espèce, non seulement la partie demanderesse mentionne des moyens de droit devant, selon elle, conduire à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale déférée, mais force est encore au tribunal de constater que la partie publique a pris position par rapport à ces moyens, de sorte qu’en l’absence de grief effectif porté aux droits de la défense de l’Etat, le moyen d’irrecevabilité pour libellé obscur est à écarter.

Concernant la recevabilité du recours de la société demanderesse, le délégué du gouvernement fait encore valoir que le recours de la société … serait tardif, alors qu’il n’y aurait pas eu de réclamation dans le délai légal de trois mois, tel que prévu au paragraphe 228 AO, suite à l’émission le 6 mai 2009 des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal. Le délégué du gouvernement estime que le simple dépôt des déclarations de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour les années 2006 et 2007 ne saurait être qualifié de réclamation au sens des paragraphes 228 et 249 AO. Il estime qu’un minimum de diligences serait exigé en ce sens que le contribuable devrait faire ressortir à travers son écrit qu’il se considère lésé par le bulletin d’impôt concerné. A l’appui de ses affirmations, il se réfère à la jurisprudence du tribunal administratif et de la Cour administrative. Selon lui seul le courrier du 20 août 2009 de la demanderesse serait à qualifier de réclamation, laquelle serait cependant tardive pour ne pas avoir été déposée dans le délai légal de 3 mois, suite à l’émission le 6 mai 2009 des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal et ne répondrait pas aux conditions de formes requises par le paragraphe 249 AO relatif aux réclamations, alors qu’elle se limiterait à une simple contestation de la taxation litigieuse sans cependant fournir de précisions quant à son objet.

Selon la société …, la réclamation orale par son employée, Madame …, en avril ou mai 2009, sinon le dépôt, en date du 1er juillet 2009, de ses déclarations de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour les années 2006 et 2007, devrait valoir réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal émis le 6 mai 2009 au sens des paragraphes 228 et 249 AO.

Les parties étant en désaccord sur la recevabilité du recours, il appartient donc au tribunal d’examiner si la société demanderesse a procédé à la réclamation contre les bulletins litigieux dans le délai légal de trois mois, tel que prévu au paragraphe 228 AO, suite à l’émission des bulletins, et si elle a, le cas échéant, introduit son recours, conformément à l’article 8 (3) 3. de la loi modifié du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif qui exige que le recours soit introduit, en cas de silence gardé par le directeur de l’administration des Contributions directes, au bout d’une période de six mois, suite à l’introduction d’une réclamation du contribuable.

Le tribunal est amené à constater que la qualification de la réclamation se dégage en principe des exigences de forme et de fond auxquelles elle est soumise1.

En vertu du paragraphe 228 AO une réclamation peut être introduite auprès du directeur dans un délai de trois mois notamment contre les bulletins de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités. Ces réclamations sont à introduire selon les formes prévues au paragraphe 249 AO aux termes duquel :

« (1) Die Rechtsmittel können schriftlich eingereicht oder zu Protokoll erklärt werden. Es genügt, wenn aus dem Schriftstück hervorgeht, wer das Rechtsmittel eingelegt hat. Einlegung durch Telegramm ist zulässig. Unrichtige Bezeichnung des Rechtsmittels schadet nicht.

(2) Ein Rechtsmittel gilt als eingelegt, wenn aus dem Schriftstück oder aus der Erklärung hervorgeht, dass sich der Erklärende durch die Entscheidung beschwert fühlt und Nachprüfung begehrt.

(3) Die Rechtmittel sind bei der Geschäftsstelle der Behörde anzubringen, deren Bescheid angefochten wird. Die Anbringung bei der zur Entscheidung berufenen Stelle (Rechtsmittelbehörde) oder bei der für eine frühere Rechtsstufe zuständigen Behörde genügt (…) ».

Il se dégage du paragraphe 249 (1) AO précité que le formalisme relatif à l’introduction d’une réclamation est réduit au strict minimum, alors que le contribuable peut réclamer soit par écrit, soit oralement contre son bulletin d’impôt.

La partie demanderesse soutient en premier lieu avoir procédé à une réclamation orale contre les bulletins d’impôt de l’année 2006, alors que, suite à la réception desdits bulletins d’impôt, une de ses employées, en l’espèce Madame … aurait téléphoné, sur ordre de Monsieur …, gérant de la société …, à l’administration des Contributions directes pour réclamer contre lesdits bulletins. Alors que, conformément à l’article 249, alinéa 1 AO, la preuve de la réclamation orale devrait résulter d’un procès-verbal qui aurait dû être dressé par l’agent de l’administration des Contributions directes ayant reçu l’appel téléphonique en question, un tel procès-

1 Jean Olinger, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, études fiscales, numéros 81/82/83/84/85, novembre 1989, p. 48, n°56.

verbal ferait cependant défaut en l’espèce. Pour pallier à cette carence, la partie demanderesse a versé en cours de procédure une attestation testimoniale de son employée, Madame …, présente au moment de l’appel téléphonique entre Madame … et l’administration des Contributions directes.

Force est cependant au tribunal de constater que l’auteur de l’attestation testimoniale n’ayant pas directement assisté à la conversation téléphonique entre Madame … et l’administration des Contributions directes, cette attestation est dénuée de toute valeur probante pour être contraire au premier alinéa de l’article 402 du Nouveau Code de Procédure Civile qui dispose que « L'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés », de sorte que l’existence de la réclamation orale de la partie demanderesse n’étant pas établie, le moyen de preuve est à rejeter.

En l’absence de réclamation orale à l’encontre des bulletins litigieux, il appartient ensuite au tribunal d’examiner si le courrier du 1er juillet 2009, ensemble avec la déclaration d’impôt et les pièces justificatives pour l’année 2006 répond aux conditions énumérées par le paragraphe 249 AO précité.

En l’espèce, force est de constater que le courrier du 1er juillet 2009 répond aux exigences du paragraphe 249, alinéa 1er AO, lequel exige l’identification du réclamant, étant donné qu’il indique clairement l’auteur dont il émane, à savoir la société …, le courrier étant signé par un de ses gérants, Monsieur ….

Si le paragraphe 249, alinéa 2 AO requiert que la formulation de la réclamation fasse ressortir que le contribuable se considère lésé par le bulletin d’impôt en cause et qu’il sollicite un réexamen de son imposition, cet alinéa commande une interprétation large de la notion de réclamation. En effet, toutes les fois que la voie de la réclamation est celle qui présente de l’intérêt pour le contribuable, sa déclaration doit être considérée comme l’expression de sa volonté d’exercer un recours contentieux2.

Il échet de constater que, s’il est certes vrai que la société …, dans ledit courrier du 1er juillet 2009 n’a pas explicitement précisé qu’elle se sentait lésée par les bulletins litigieux, sa volonté d’introduire un recours contentieux ressort toutefois, à suffisance de droit, du fait même qu’elle a déposé dans le délai de la réclamation de trois mois, prévu au paragraphe 228 AO, sa déclaration d’impôt ensemble avec les pièces justificatives, telles que les comptes annuels, le bilan de consolidation, le bilan fiscal, la détermination de la réserve de conversion, la reconstitution du résultat de la succursale, l’établissement de la valeur unitaire de l’entreprise, des notes explicatives relatives au bilan fiscal et à la détermination du résultat de la succursale, ainsi que les résolutions des associés relatives à l’année 2006.

Quand bien même, ledit courrier du 1er juillet 2009 ne mentionnerait pas expressément que la partie demanderesse entendait exercer son droit à réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2006, il échet par ailleurs de constater que, de par la fourniture 2 Jean Olinger, op. cit., n° 76 et cf. trib. adm. 15 juillet 2009, n° 24913 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Impôts, n° 444 et autres références y citées.

des éléments nécessaires à l’administration des Contributions pour procéder à l’analyse détaillée de la situation de la partie demanderesse, il était manifeste que la société … s’estimait lésée par les bulletins d’impôts émis le 6 mai 2009 sur base d’une taxation d’office. Il y a lieu de relever que les documents remis par la société demanderesse détaillent, d’une part, la cession des activités en 2005, tel que cela résulte du document intitulé « Notes to the account » qui précise que « On September 22, 2005, the Company sold its ferro…s trading activity carried by its Swiss Branch to a third party, …, … (…) », et, d’autre part, en conséquence, un profit limité à ….- € pour l’année 2006.

De plus, il ne saurait être déduit de l’absence du terme « réclamation » que la société demanderesse n’aurait pas entendu introduire une réclamation. En effet, le paragraphe 249 (1) AO in fine précise expressément : « Unrichtige Bezeichnung des Rechtsmittels schadet nicht ». Ainsi, il n’y a pas lieu de se limiter aux termes employés par la demanderesse mais de replacer la demande introduite dans son contexte général. En effet, la qualification donnée par le contribuable à sa déclaration, si elle est importante, n’est pas toujours déterminante. En aucun cas, les déclarations obscures des contribuables ne doivent être interprétées de la façon la plus favorable, la moins fastidieuse pour l’administration3.

Enfin, comme seule la réclamation contentieuse doit être interjetée dans un délai de trois mois, il existe une forte présomption que les écrits présentés dans ce délai à l’égard des bulletins d’impôt sont des réclamations contentieuses4. En l’espèce, le courrier du 1er juillet 2009, ensemble avec la déposition de la déclaration fiscale et des pièces justificatives afférentes, a été envoyé dans le délai de trois mois à compter de la notification des bulletins litigieux, émis le 6 mai 2009, sachant qu’au besoin, il aurait appartenu à l’administration des Contributions directes de se renseigner auprès du contribuable sur le sens à donner à sa déclaration5.

Au regard des considérations qui précèdent, le courrier du 1er juillet 2009, malgré l’absence d’indication de réclamation, s’analyse, ensemble avec la déposition de la déclaration fiscale et des pièces justificatives, en une réclamation contre des bulletins de l’impôt au sens du paragraphe 249 (2) AO.

Par ailleurs le courrier du 1er juillet 2009 répond aux exigences du paragraphe 249 (3) AO, lequel exige que la réclamation soit introduite auprès l’autorité administrative compétente pour statuer sur celle-ci, ce qui, au sens du paragraphe 228 AO serait le directeur, voire à l’autorité ayant émis les bulletins d’impôt par voie de taxation d’office, en l’occurrence l’Administration des contributions directes, étant donné que le prédit courrier, ensemble avec la déclaration d’impôt pour l’année 2006 et ses pièces justificatives avaient été adressés à cette dernière.

Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, le courrier du 1er juillet 2009, s’analyse, ensemble avec la déposition de la déclaration fiscale et des pièces justificatives, en une réclamation contre des bulletins de l’impôt au sens du paragraphe 249 AO.

3 Jean Olinger, op. cit. n° 76.

4 Jean Olinger, op. cit. n° 56.

5 Jean Olinger, op. cit. n° 76.

Comme le délégué du gouvernement conclut, de manière générale, à la tardiveté du recours de la société demanderesse, le tribunal est encore amené à analyser la recevabilité du recours de la société … au regard de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif qui dispose que « lorsqu’une réclamation au sens du § 228 de la loi générale des impôts ou une demande en application du § 131 de cette loi a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant ou le requérant peuvent considérer la réclamation ou la demande comme rejetées et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation ou, lorsqu’il s’agit d’une demande de remise ou en modération, contre la décision implicite de refus. Dans ce cas le délai prévu au point 4, ci-après ne court pas ».

Il résulte de cette disposition que le contribuable dont la réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive du directeur dans un délai de six mois, a le droit de déférer directement au tribunal la décision implicite de rejet, étant entendu que, s’agissant d’une condition de recevabilité, l’observation de ce délai de six mois, qui court à partir de l’introduction de la réclamation, s’apprécie au jour de l’introduction du recours.

Il est constant en l’espèce qu’aucune décision directoriale n’est intervenue suite à la réclamation de la demanderesse par courrier du 1er juillet 2009.

Il s’ensuit que le délai de six mois prévu à l’article 8 (3) 3. précité, qui court à partir de l’introduction de la réclamation a partant, en l’espèce, commencé à courir le 1 juillet 2009 pour expirer le 1er janvier 2010.

Le recours ayant été introduit au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2010, soit plus de six mois après la réclamation précitée, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Dès lors, saisi d’un recours en réformation, conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, tendant à la réformation de la décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes et à voir le cas échéant prononcer une décision nouvelle en lieu et place de celle jugée inappropriée6, le tribunal est amené à vider le fond de l’affaire et à substituer sa décision à la décision déférée.

Il y a partant lieu d’analyser la demande de la société … qui reproche à la décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes de ne pas avoir tenu compte de sa réclamation contre les bulletins de l’impôt de l’année 2006 établis par voie de taxation d’office et critique la taxation d’office pour ne pas avoir tenu compte de la cession de ses activités en 2005 ayant eu pour conséquence une diminution en 2006 de son profit à ….- €.

6 Cf. Cour adm. 28 février 2002, n° 13884C du rôle, Pas. adm. 2010, V° Recours en réformation, n° 19 et autres références y citées.

Quant au principe de la taxation, il y a lieu de rappeler en premier lieu que le paragraphe 217 AO dispose que :

« (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschließlich solcher Besteuerungsgrundlagen, die für eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.

(2) Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das Gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ».

La taxation des revenus constitue ainsi le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt7. Elle consiste à déterminer et à utiliser une valeur probable ou approximative, afin d’aboutir à une évaluation de la base imposable, correspondant dans toute la mesure du possible à la réalité économique.

Ce procédé comporte nécessairement une marge d’incertitude et d’inexactitude et la prise en compte pour l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération8. La taxation d’office ne constitue pas une mesure de sanction à l’égard du contribuable, mais un procédé de détermination des bases d’imposition compte tenu des éléments à disposition du bureau d’imposition, même applicable à l’égard des contribuables soigneux et diligents9.

Il est constant en cause, pour ne pas être contesté, que la société demanderesse, malgré plusieurs mandements, une sommation-astreinte et une décision liquidant l’astreinte, n’a pas donné suite aux injonctions administratives de remettre les déclarations de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2006. Il n’est pas non plus contesté en l’espèce et il ressort des pièces versées au dossier que la demanderesse n’a soumis ses déclarations d’impôt pour l’année concernée au bureau d’imposition qu’en date du 1er juillet 2009, soit postérieurement à l’émission des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2006 par le bureau d’imposition intervenue le 6 mai 2009.

C’est partant à bon droit que le bureau d’imposition a procédé conformément aux termes du paragraphe 217 AO, par voie de taxation d’office pour fixer les bases d’imposition. D’ailleurs, le principe du recours à la procédure de la taxation d’office n’est pas en soi remis en question par la société demanderesse, mais elle en conteste le 7 cf. trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Impôts n° 469 et autres références y citées.

8 cf. Cour adm. 30 janvier 2001, n° 12311C du rôle, Pas. adm. 2010, V° Impôts n° 470 et autres références y citées.

9 cf. trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Impôts n° 474 et autres références y citées.

résultat, auquel aboutit la taxation d’office faite par le bureau d’imposition, et reproche au directeur d’avoir implicitement rejeté sa réclamation, suite à son silence de plus de six mois après l’introduction de la réclamation du 1er juillet 2009, et de ne pas avoir réexaminé son dossier en prenant en compte les pièces versées.

En vertu du paragraphe 228 AO, les bulletins d'impôt peuvent faire l'objet d'une réclamation auprès du directeur. Le paragraphe 244 AO ajoute que l'instance de recours, c'est-à-dire en l'espèce le directeur, dispose en la matière des mêmes pouvoirs que les bureaux d'imposition pour la fixation de la cote d'impôt et le paragraphe 204, alinéa 1er AO énonçant que le bureau d'imposition doit « die steuerpflichtigen Fälle (…) erforschen und von Amts wegen die tatsächlichen und rechtlichen Verhältnisse (…) ermitteln, die für die Steuerpflicht und die Bemessung der Steuer wesentlich sind (…) ».

Il en découle que, saisi d'une réclamation contre un bulletin d'impôt établi par voie de taxation conformément au paragraphe 217 AO, il aurait appartenu au directeur de procéder à un examen de la situation patrimoniale effective du contribuable dans la mesure où celui-ci lui rend l'exercice possible.

Le paragraphe 243 (1) AO prévoit que « Soweit die Rechtsmittelbehörden zur Nachprüfung tatsächlicher Verhältnisse berufen sind, haben sie den Sachverhalt von Amts wegen zu ermitteln ». Il résulte de cette disposition que le directeur est tenu de procéder d’office à l’examen de la situation de fait et de droit à la base de la réclamation. Dans le cadre de l'examen de la situation réelle – tatsächliche Verhältnisse – le directeur, qui dispose du pouvoir d'une modification de l'imposition en défaveur du contribuable, doit donc appliquer les mêmes soins que le bureau d'imposition pour la détermination des bases d'imposition et de la cote d'impôt.

Pour la détermination des bases d'imposition, le directeur dispose encore des mêmes droits et obligations que le bureau d'imposition en ce qui concerne l'appréciation des preuves et les moyens d'investigation pour s'assurer d'une détermination juste des revenus du contribuable.

Il est vrai que le principe d'ordre public de la détermination exacte des bases d'imposition oblige les autorités fiscales à mettre tout en œuvre pour arriver à une imposition sur des bases qui correspondent le plus exactement possible à la réalité. Au cas cependant où le contribuable, malgré rappels et moyens de contrainte infructueux, se soustrait à son obligation de collaboration en omettant de remettre une déclaration d'impôt, mettant ainsi le bureau d'imposition dans l'impossibilité de déterminer de manière exacte le revenu imposable, il est censé se contenter de cette approximation, qu'elle opère en sa faveur ou en sa défaveur, et il ne saurait utilement réclamer devant le directeur contre un bulletin d'impôt établi par voie de taxation au seul motif que la cote d'impôt fixée ne correspond pas exactement à sa situation réelle. Il ne saurait dans une telle hypothèse prospérer dans sa réclamation que s'il rapporte la preuve que ses revenus réels s'écartent de manière significative des bases d'imposition retenues dans le bulletin d'impôt.

Tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, dans le cadre de la preuve à rapporter ainsi, les déclarations de l’impôt ne bénéficient d'aucune présomption de véracité. Plus particulièrement, dans la mesure où le paragraphe 208, alinéa 1er AO, qui instaure la présomption de véracité au fond en faveur d'une comptabilité reconnue régulière en la forme, s'insère dans les dispositions relatives à la procédure d'établissement de l'impôt, cette présomption ne saurait être invoquée qu'au bénéfice d'une comptabilité remise à l'appui d'une déclaration d'impôt devant le bureau d'imposition, mais non pas en faveur d'une comptabilité soumise dans le cadre d'une réclamation, laquelle ne constitue qu'un simple moyen de preuve ne bénéficiant d'aucune présomption de véracité10. Ainsi, en cas d’une comptabilité soumise pour la première fois au niveau de la réclamation, il appartient au directeur, disposant des mêmes droits et obligations que le bureau d’imposition, d’apprécier la régularité de la comptabilité produite en cause et de contrôler si les éléments de comptabilité à sa disposition permettent effectivement de retracer l’ensemble des dettes et créances, ainsi que la situation financière du contribuable. En effet, le bureau d’imposition peut procéder à une vérification de la comptabilité d’une société sur base du paragraphe 162 (9) AO, disposant que« das Finanzamt kann prüfen ob die Bücher und Aufzeichnungen fortlaufend, vollständig und formell und sachlich richtig geführt werden ».

En l’espèce, il est constant que la société … a omis de déposer des déclarations de l’impôt pour l’année 2006 et a partant été imposée par voie de taxation d’office. A l’appui de sa réclamation contre les bulletins de l’impôt, établis par voie de taxation, la société a par la suite versé ses déclarations de l’impôt ainsi que son bilan et ses comptes de profits et pertes relatifs à l’année concernée.

Il y a encore lieu de relever que les deux arrêts de la Cour administrative cités par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, concernant la charge et les moyens de preuve de l’écart significatif entre la situation réelle du contribuable et la taxation d’office, ont trait à des cas de figure différents de la présente espèce, alors que pour le premier arrêt11, le contribuable n’avait produit, au cours de la procédure contentieuse, qu’une déclaration d’impôt non signée, sans autre justificatif, tandis que pour le second arrêt12, les contribuables n’avaient remis qu’un relevé unilatéral des recettes sans l’étayer par des pièces de nature à corroborer la réalité et le caractère exhaustif de ce relevé.

Au vu des considérations qui précèdent deux constatations s’imposent.

D’une part, en ne procédant pas à un examen des pièces produites, le directeur n’a pas respecté ses obligations d’investigation pesant sur lui dans le cadre d’une procédure d’investigation. D’autre part le directeur n’a pas non plus procédé à la vérification de la régularité de la comptabilité produite en cause.

Ainsi, au vu de l’issue du litige et afin de maintenir dans le chef de la société demanderesse la possibilité de voir toiser sa réclamation à un niveau non contentieux, il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation sous examen, de prononcer l’annulation de la décision implicite de rejet du directeur de l’administration des 10 Cf. Cour adm. 19 février 2009, n°24907C, 25027C, 25028C, disponibles sur www.jurad.etat.lu 11 Cf. Cour adm. 31 décembre 2009, n°25231C disponible sur www.jurad.etat.lu 12 Cf. Cour adm. 19 février 2009, n°24907C disponible sur www.jurad.etat.lu Contributions directes et de renvoyer le litige devant le directeur13, pour lui permettre d’examiner les pièces versées en cause, d’apprécier la régularité de la comptabilité produite et pour contrôler si les éléments de comptabilité à sa disposition permettent effectivement de retracer un écart significatif des bulletins d’impôt de l’année 2006 établis par voie de taxation d’office par rapport aux revenus réels de la société …, pour en tirer le cas échéant les conclusions qui s’imposent en conformité avec les principes ci-avant retenus.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme contre la décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions Directes ayant eu à statuer sur les mérites d’une réclamation contre les bulletin de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 2006;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions Directes ayant eu à statuer sur les mérites d’une réclamation contre les bulletins de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 2006 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant ledit directeur ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Marc Feyereisen, président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 5 janvier 2012 par le président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.

s. Sabrina Knebler s. Marc Feyereisen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 janvier 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 13 cf. trib. adm 3 septembre 2008, n° 23516, trib. adm. 10 septembre 2008, n° 23929, trib. adm. 22 septembre 2008, n° 23501, trib. adm. 23 octobre 2008, n° 24060 et trib. adm. 23 octobre 2008, n° 24090, trib. adm. 20 novembre 2008, n° 23725, 24119 et 24144, disponibles sous www.jurad.etat.lu.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 27606
Date de la décision : 05/01/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-01-05;27606 ?

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